Tarô Misaki ne m'appartient pas, ni son papa, ni son copain Tsubasa.
Chapitre 5
Tarô descendit du taxi et leva les yeux devant une grande bâtisse. Sur la façade se détachait en grosses lettres « LISSON GALLERY ». C'était la fin d'après-midi à Londres. Il était arrivé en Angleterre en début de semaine, après s'être finalement décidé pour Arsenal. Il était donc venu rencontrer les dirigeants, son nouvel entraîneur, discuter des formalités et des termes de son contrat. Tout était maintenant en ordre. Il avait signé, on lui avait trouvé provisoirement un appartement confortable et il débuterait la saison d'ici une quinzaine. Il était content de son choix. C'est donc l'esprit parfaitement libéré qu'il en avait profité pour traverser la ville et rencontrer Marie. Elle devait normalement être dans ses derniers jours d'exposition ici. Pendant les dernières semaines, il n'avait plus su à quel saint se vouer. Par habitude, il écoutait toujours son cœur. Mais ce dernier lui jouait de mauvais tours dernièrement et il l'égarait plus qu'il ne lui rendait service. Il était rempli de la pensée de Marie. Marie qui sourit. Marie qui rit. Marie qui boude. Marie dans les nuages. Marie était partout ! Son cœur avait finalement eu raison de lui. Après trois semaines de lutte, il voulait absolument la voir et lui annoncer de vive voix son choix.
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J'étais exténuée ! Je n'avais pas imaginé à quel point ces voyages me fatigueraient. Bien sûr j'avais enfin ce que je désirais si ardemment depuis des années et ce pour quoi j'avais tant travaillé. J'étais à mon bonheur, je ne me plaignais donc pas. Mais quand la fatigue me gagnait, lancinante, je plongeais dans un vague à l'âme qui me conduisait droit à Tarô. Il me manquait. Il me manquait tellement ! Je cherchais vainement l'épaule invisible sur laquelle je m'étais toujours appuyée. Je voulais qu'il soit là ! J'avais besoin qu'il soit là ! Si faire un caprice avait pu seulement suffire à le faire apparaître... En attendant, je me contentais des visions de mon esprit. Une vision de mon esprit ! Ça ne pouvait être que cela ! Je voyais un Tarô à l'entrée de la salle, essayant de franchir le barrage Daniela Piroe.
Pauvre Marie ! Tu perds la tête, tu le vois partout maintenant...
Cette vision avait quand même des allures très réalistes. La vision la plus réussie que j'avais jamais eu. Elle se rapprochait de moi avec un sourire chevaleresque.
Non...
Non, ce n'était pas...une vision.
Mon cœur me tomba sur les pieds lorsque je réalisais qu'il était réellement là. Que faisait-il ici ? Pourquoi ? C'est donc le visage abasourdi que je le vis s'arrêter devant moi. Devant mon air ahuri, il se gratta la tête, un peu gêné.
« J'arrive à l'improviste, je crois... Marie Merques, ravi de te revoir !»
« Tarô ! »
N'y tenant plus, et la fatigue aidant, je me jetais à son cou sans réfléchir. Nous nous détachâmes après avoir laissé exploser chacun sa joie dans une étreinte simple et spontanée.
« J'ai l'impression que ça fait une éternité ! Mais... qu'est ce que tu fais en Angleterre ? »
« Disons que je suis ici pour un petit moment... » dit-il en me faisant un clin d'œil.
« Alors tu as choisi Arsenal ! J'en étais sûre ! »
« Oui... »
« Si tu m'avais écouté, tu aurais fait le bon choix tout de suite ! »
Je le taquinais. Ce genre de décision ne se prenait pas à la légère.
« Tu avais raison, comme toujours ! » me passa-t-il volontiers « Si tu n'avais pas déjà un avenir prometteur devant toi, je t'aurais nommer manager personnelle attitrée ! »
À plein temps même, si tu veux... ! Pensais-je secrètement au fond de moi.
« Tu as un moment ce soir ? »
« Bien sûr! La galerie ferme dans une heure, mais les murs ne s'écrouleront pas si je pars maintenant »
Je le saisis par le bras et nous quittâmes la galerie sous le regard interrogateur de Daniela. Je l'entraînais dans un petit restaurant du quartier où j'avais l'habitude déjeuner depuis mon arrivée. C'était petit, chaleureux et calme. Parfait. Une fois installés, la conversation se poursuivit dans l'enthousiasme.
« Tu as fait le bon choix !»
« C'est aussi ce que pense Tsubasa »
« Tsubasa ? Tu l'as appelé ? »
« Non, je suis allé le voir. Pour un petit affrontement amical... »
« Tu es parti en Espagne ! »
« La semaine dernière. D'ailleurs la chronique s'est emparée de l'événement. Tout le milieu s'attend à me voir signer à Barcelone, à cause de ce petit voyage... J'en ris d'avance. »
Et il riait vraiment !
« Et... Comment s'est terminé votre petit 'affrontement amical ' » ironisais-je quand même très curieuse de le savoir. Il sourit légèrement.
« Disons que nous sommes quittes »
Quittes ? Leur relation à tous les deux m'échappait depuis toujours. Une parfaite complémentarité et une rivalité à éprouver. Je comprenais pourquoi, il avait eu tant de mal à se décider.
« Finalement, ce sera plus intéressant de l'avoir comme adversaire que comme coéquipier ! Ce sera passionnant ! »
Tarô expliquait à Marie la raison pour laquelle il avait choisi Arsenal. Il lui parlait de football, mais il pensait à tout autre chose. Il se demandait lui-même comment il réussissait à maintenir l'illusion d'une conversation normale, alors qu'à cet instant tout son intérêt était porté sur elle et que tout son être criait silencieusement sa joie de la retrouver.
« Quand est ce que tu pars pour New-York ? »
« Après-demain. »
Elle semblait déçue...Londres lui plaisait tant que ça ?
« Tu sais, New-York, c'est bien aussi. Du peu que j'en ai vu... »
Elle redressa la tête.
« D'ailleurs, je me disais que...je pourrais peut-être t'accompagner... »
Elle ouvrit de grands yeux. C'était bien ce qu'il craignait.
« On pourrait jouer un peu aux touristes. Enfin, quand tu ne seras pas à l'expo bien sûre. Et puis, ce seront sûrement les derniers jours qu'on pourra passer ensemble avant un petit moment, alors... » Son regard se voilà à ces mots, alors qu'un sourire amer s'étirait doucement sur ses lèvres.
Marie était déroutée. Voici qu'il lui faisait une proposition inespérée… Mais accompagnée d'un air tellement triste... Est-ce que c'était la pensée de ne plus la voir aussi souvent qui le rendait morose ? Elle se sentait gagner à son tour par la mélancolie. Elle-même n'était absolument pas disposée à se séparer de lui. Laissant son rêve new-yorkais sur le bord du chemin, à cette heure elle aurait préféré rester avec lui en Angleterre. Indéfiniment. L'amour rend vraiment idiot et fou, se dit-elle.
Tarô se sentait de plus en plus mal. Marie, toute surprise qu'elle avait été par sa proposition, s'était perdue dans ses pensées et en avait oublié de lui répondre. Pourquoi était-il anxieux ? Elle n'avait pas de raison de refuser.
Pourvu qu'elle dise oui ! Pourvu... Pourvu...
Il avait besoin de passer du temps avec elle pour savoir. Savoir s'il avait une chance que ses sentiments soient partagés.
Les deux amis revinrent à eux lorsque le patron du restaurant s'approcha pour demander un autographe à Tarô. Il était fan de foot et avait reconnu le milieu de terrain japonais. Ils discutèrent brièvement. Puis, après quelques minutes, le patron les quitta à regret pour aller servir d'autres clients qui s'impatientaient.
Remarquant alors l'air un peu trop soucieux de Tarô, Marie s'étonna. Il ne croyait tout même pas qu'elle allait s'opposer à sa proposition de l'accompagner...
« Ça me ferait vraiment plaisir ! Que tu m'accompagnes... »
Un sourire et le soulagement fut total des deux côtés. Ce point étant réglé, l'atmosphère devint plus légère. Ils avaient réussi à repousser l'échéance de la séparation. La perspective de passer la prochaine semaine ensemble les enchantait et avait effacé aussi rapidement qu'elles étaient apparues toutes traces de nervosité. La soirée se poursuivit dans la complicité et dans une certaine intimité. Au fil des heures, les corps se firent plus proches, les yeux plus doux, les voix plus basses...Deux âmes se livraient et se liaient l'une à l'autre sans même s'en apercevoir, tout naturellement. Les prémices de l'amour avaient été dépassées depuis longtemps déjà. Eux seuls ne s'en étaient pas encore rendu compte. Ils découvraient lentement l'amour qui couvait en eux depuis de longues années et que chaque séparation avait attisé un peu plus.
Deux jours plus tard, ils étaient en plein New-York. Le voyage professionnel de Marie était bien parti pour se transformer en vacances de tourisme. Elle avait été assez peu présente à la galerie pour l'instant. Elle était sans arrêt en vadrouille avec lui, prétextant que les toiles tenaient bien toutes seules aux murs après tout. Il faudrait qu'elle soit plus sérieuse, se dit-il. Mais l'heure n'était pas à la raison. Un vent de folies irrésistible soufflait sur eux . Elle aurait dû être à son exposition. Il aurait dû être avec son club, à Londres. Ils étaient au cœur de Manhattan.
« Alors, tu vas m'emmener où ? Au stade ? Je suis sûre que c'est l'endroit de la ville que tu connais le mieux » se moqua-t-elle.
« Tu es mauvaise langue. J'y avais même pas pensé. Y'a pas que le foot dans la vie ! »
Y'a pas que le foot dans la vie. C'était sorti tout seul. Mais à bien y réfléchir, c'était la vérité aujourd'hui. Marie gardait un silence perplexe, elle devait se demander à quoi d'autre précisément il pouvait penser. Il lui prit alors la main et la tira pour traverser en courant la 5e Avenue au milieu d'un flot de voitures et de bus. Ils arrivèrent entiers sur l'autre trottoir, morts de rire. « Viens » lui dit-il, gardant sa main dans la sienne. Marie sentait son cœur bondir et sa main se ramollir au creux de celle de Tarô. Lui, l'observait attentif du coin de l'œil. Avait-il une chance d'être un jour autre chose que le prétendu grand-frère. Pour le savoir, il avait décidé de sortir le grand jeu, avec discrétion quand même pour ne pas la choquer non plus. Ils reprirent leurs pérégrinations dans l'immensité de la ville, comme des amoureux en fuite. Se fondant dans la masse des inconnus, ils arpentèrent Washington Square, Central Park, L'Empire State Building, avec l'émerveillement de deux enfants, jusqu'à tomber de fatigue sur les bancs d'un Fast-Food.
« Regarde, il est joli ! » lui dit-elle en désignant le pendentif rose améthyste qu'elle venait d'acheter « Il me va bien, non ? »
Tarô hocha la tête, la paille à la bouche, posant les yeux sur le pendentif à son cou. Malencontreusement, ces derniers s'égarèrent sur l'échancrure de son chemisier entrouvert.
Mauvaise idée.
Peu de choses suffisaient à provoquer une réaction physique chez lui en ce moment. Dernièrement même, la seule pensée de Marie au petit matin suscitait en lui des images et des envies pas très saintes.
« Tarô ? »
« Oui, il est joli... Un joli collier pour une jolie jeune femme »
Elle rougit, mais sourit de satisfaction. Doucement, son sourire s'estompa devant la profondeur du regard posé sur elle.
Tarô la regardait intensément. Il lui envoyait des messages silencieux. Des messages pour lui dire... Il se demanda comment elle allait réagir. Allait-elle rire, après un trait d'esprit comme « J'ai quelque chose sur le nez ? » . Non, elle allait plutôt lui demander pourquoi il la regardait de cette façon. Elle était toujours directe avec lui quand elle ne comprenait pas. Et lui, imbécile, qu'allait-il lui répondre ?
Il attendit, mais rien ne vint. Marie semblait hypnotisée. Elle le fixait muette, les pupilles dilatées et le rouge aux joues. Tarô savait qu'il aurait du baisser les yeux. Il aurait dû ! Mais ça lui semblait impossible. Il ne pouvait pas détacher son regard du sien. Trop tard, il était tombé dedans. Le temps s'étirait en des minutes interminables. Oui, il y a certaines minutes dans l'existence qui dépassent les soixante secondes. Il se sentait fondre à petit feu. Il avait chaud. Il aurait voulu se rapprocher, passer au travers de la petite table entre eux, mais il était trop fébrile pour esquisser le moindre geste ou prononcer le moindre mot.
Le biper de Marie sonna. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ils étaient de retour ici-bas. Elle avait promis d'être à la galerie à 17H pour prendre le relais de Daniela. L'exposition faisait une nocturne ce soir. Ils se dépêchèrent donc de rentrer afin que Daniela puisse goûter sans retard aux nuits de Greenwich Village. Sur le chemin du retour, l'atmosphère était très étrange. Aucun d'eux ne parlait. Tarô n'osait plus s'approcher trop, ni lui prendre la main. Tout cela avait débuté dans l'insouciance, comme un jeu, mais devant l'ampleur de l'émoi qu'il avait ressenti, il comprenait qu'il ne contrôlait rien et qu'il pouvait aussi bien la perdre.
Ils arrivèrent à la galerie et tous les regards se posèrent sur eux.
« Alors les amoureux, vous avez passé un bon après-midi ? » demanda Daniela avec une allusion très explicite.
La gêne augmenta encore. John Walt, le responsable de la galerie, lançait des regards noirs à Tarô qui, sans les noter, se retira après avoir salué tout le monde.
« Daniela ! Arrête tes sous-entendus, c'est gênant ! »
« Des sous-entendus ? Vous être très amoureux, ça me semble plus qu'explicite ! »
« Nous sommes... très proches seulement »
« À ton grand regret ! Vous devriez vous parler sérieusement au lieu de vous dévorer des yeux. A moins que tu préfères que je me charge de lui... ? »
« Non ! »
« Tant mieux ! Parce que moi, je n'ai aucune chance avec lui. C'est pas faute d'avoir essayer, mais il ne voit que toi. Ça crève les yeux depuis qu'il t'a rejoint à Londres »
Marie resta coi. C'était donc si évident qu'elle était amoureuse de Tarô ? Et ce serait réciproque ? Face aux regards inhabituels qu'il lui accordait, elle avait imaginé beaucoup de choses, mais elle n'osait pas espérer que ses sentiments soient partagés.
Et cet après-midi, au Fast-Food, que c'était-il passé au juste ? En y repensant, un curieux mélange de joie, d'excitation et aussi de crainte, envahit son estomac. Les paroles de Daniela résonnèrent encore longtemps dans sa tête et l'occupèrent tout le restant de la soirée.
