Tarô Misaki ne m'appartient pas, ni son papa, ni son copain Tsubasa.
Chapitre 6
Tarô s'était enfin endormi. Il était rentré tout chamboulé de son après-midi avec Marie. L'« incident » du Fast-Food avait mis à jour ses sentiments au-delà de ce qu'il aurait voulu. Elle ne l'avait pourtant rejeté à aucun moment, ni fait la moindre remarque sur son comportement inhabituel. Ca n'avait tout de même pas pu lui échapper... C'était assez révélateur, non ?
Il continua à débattre ainsi tout seul un bon moment. Il finit par se dire, avec toute l'objectivité dont il était capable, qu'elle ne semblait pas indifférente. C'était du moins la conclusion à laquelle il avait abouti après une bonne douche froide et une soirée d'intense réflexions. Sur cette agréable pensée, il s'était endormi, psychologiquement épuisé, mais heureux.
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Je rentrais à minuit passé. La soirée avait été exceptionnelle. Beaucoup de personnes s'étaient déplacées pour admirer le travail de jeunes artistes françaises. Encore un succès auquel je ne m'attendais pas. Il faut dire que les derniers jours j'avais été à tout autre chose que ma carrière d'artiste.
Je me demandais si Tarô dormait à cette heure. Sûrement...
Entrant dans ma chambre d'hôtel, je me dirigeais directement vers la salle de bain pour me faire couler un bain. J'en avais rêvé toute la soirée, surtout après avoir cavalé tout l'après-midi dans New-York. Un après-midi que je n'oublierais pas de sitôt... Tarô avait vraiment été adorable et même très touchant, lorsqu'il m'avait pris la main, lorsqu'il m'avait regardé... J'avais adoré ce regard intense sur moi et cet air un peu déboussolé qu'il avait eu au Fast-Food. Daniela avait peut-être raison. Peut-être avait-il pour moi des sentiments plus poussés que l'amitié. J'en frissonnais de bonheur en entrant dans mon bain. La journée avait vraiment été excellente !
Un bon moment plus tard, le téléphone m'arracha à mes pensées et par la même à ma baignade. Qui pouvait bien m'appeler à une heure pareille ? Tarô ? J'enfilais joyeusement un peignoir pour aller décrocher.
« Allô ? »
« Marie ? »
Ma mère. C'était la voix de ma mère. Mon sang fit un tour. Pourquoi paniquais-je soudainement ?
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Tarô fut sorti de son sommeil par des coups incessants martelant la porte de sa chambre. Il sauta du lit d'un bond, encore mal réveillé. La porte s'ouvrit sur Marie qui se précipita contre lui. Surpris, il retrouva rapidement ses esprits, lorsqu'il se rendit compte qu'elle s'agrippait de toutes ses forces à son T-shirt, hoquetant en larmes. Des larmes qui se transformèrent vite en suffocations. Il ne comprenait pas un mot de ce qu'elle essayait de lui dire, hormis « …papa... ». La panique le pris peu à peu, il ne l'avait jamais vu dans un tel état. Il essayait de garder son sang froid, mais une angoisse sourde pointait. Elle prononça un autre mot à peine compréhensible « …mort… ». La situation se dessina doucement dans son esprit. Il était maintenant bien réveillé. Ce n'était pas possible ! Non, pas maintenant ! Il resserra ses bras autour d'elle, avant de perdre pied à son tour.
Une semaine s'était écoulée depuis l'infarctus qui avait emporté le père de Marie. Une semaine de douleur insoutenable. Une semaine à pleurer l'injustice au ciel et à lui crier sa colère. Mais qu'est-ce que ça pourrait changé ? C'était bien fini. Les funérailles avaient eu lieues il y a trois jours. Peu de personnes, la famille proche seulement. Tarô avait prévenu son père qui avait tout de même fait le voyage depuis le Japon, rendant un ultime hommage à son vieil ami. Lorsqu'il avait franchi le seuil de l'appartement de son fils, Marie s'était à nouveau effondrée en le voyant.
La mère de Marie était repartie chez elle, en province, immédiatement après l'enterrement. Les retrouvailles avaient été de courte durée. Elles avaient peu de contacts ces dernières années, depuis le divorce. Lorsque le père de Marie était rentré seul du Japon il y a quatre ans, annonçant que leur fille resterait là-bas quelque temps, cela avait été la goutte de trop. La mère de Marie était entrée dans une fureur noire, le traitant d'inconscient et de beaucoup d'autres choses. Cette annonce avait fait voler en éclats leur mariage, précipitant une fin déjà annoncée. A son retour, Marie n'avait pas trouvé sa mère à la maison. Elle était en effet partie refaire sa vie dans le Sud. Elle les avait laissés tous les deux à leur monde irréaliste d'artiste ! Se voyant de temps à autre tout de même, leurs rencontres étaient de plus en plus espacées. Marie avait été soulagée par cette séparation, même si sa mère lui manquait un peu. Malgré l'incompréhension qui régnait entre elles, sa mère restait sa mère.
Et son père restait son père...
Tarô était profondément anéanti par le chagrin de Marie, même s'il le montrait le moins possible. Il détestait la voir pleurer. Elle pleurait tous les soirs dans son lit. La nuit, il l'entendait verser toutes les larmes qu'elle retenait le jour. Lui-même pleurait silencieusement, gardant à l'intérieur ce qu'il ne voulait pas mettre à jour. Impuissant à la soulager, il était comme elle, à la merci de la vie. Et elle courait vite, la vie ! Elle les avait rattrapés à la porte du bonheur. Il repensait à cette journée à New-York. Il repensait à sa propre vie, à sa propre famille. À sa mère à lui. Il imaginait, c'était plus fort que lui, le jour où son père le quitterait lui aussi. La souffrance s'amplifiait alors démesurément. Que l'existence pouvait être fragile…
Marie s'était installée chez lui depuis leur retour de New-York. Elle ne voulait surtout pas rester seule chez elle. Pendant quelques jours, ils avaient vécu tous les trois avec son père, comme à la belle époque au Japon... En famille. Mais l'heure du départ approchait. Le père de Tarô était déjà reparti pour le Japon et lui-même devait regagner son club à Londres sans tarder, c'était une question de jours… Il ne pouvait plus reculer. Quand il croisait les yeux agités de Marie, il les voyait suppliants : « Ne me laisse pas ! Ne me laisse pas ! ».
Il ne la laisserait pas. Il ne la laisserait jamais.
Elle allait partir avec lui en Angleterre, le temps qu'il faudrait ! Et il lui rendrait son sourire qu'il aimait tant. La quittant un instant des yeux, il s'empara calmement du téléphone et réserva deux places d'avion pour le surlendemain, puis il raccrocha et se tourna vers elle.
« J'ai rassemblé tes affaires. Si tu veux en prendre d'autres, on passera chez toi demain »
Rien de plus. Elle avait compris ce qui se passait. Elle lui sourit tristement. Un sourire plein de gratitude. Il s'approcha d'elle calmement et pour la énième fois cette semaine, il la serra dans ses bras, la berçant doucement, jusqu'à ce qu'elle s'endorme.
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Aucune amie, ni aucun membre de ma famille ne pouvait rien pour moi. Ma mère était rapidement repartie, c'était mieux ainsi. Tarô était le seul à m'apaiser un peu. Il restait l'unique soleil de ma vie. Un soleil bien obscur depuis une semaine, mais à qui la faute ?
Mon père était parti. Il était...parti, sans que je lui aie dit au-revoir. Pourquoi lui ? Je l'aimais tellement ! Depuis l'enfance, il m'avait encouragé jusque dans mes rêves les plus fous, là où ma mère me faisait toujours redescendre sur Terre. C'était beaucoup grâce à lui finalement si j'étais là où je suis aujourd'hui. Il avait toujours eu pour moi des regards plein de fierté et d'admiration. J'avais toujours tout fait pour ne pas le décevoir. Et maintenant, il ne serait plus là ? C'était fini ! C'était fini ! Je ne pouvais pas croire que c'était fini... Je me sentais vide, rien ne comptait plus, que cet immense chagrin qui me remplissait depuis des jours. Aucun mot ne pouvait à cet instant me secourir, ni lever le désespoir de mes yeux. Je retournais ma souffrance dans tous les sens dès que je me trouvais seule, dès que je fermais les yeux. Ca faisait du bien de pleurer.
Tarô, en ami fidèle, gardait le silence. Il souffrait de concert. Un geste, un regard, et ma peine était momentanément réduite, il en portait la moitié. A quel prix ! J'aurais voulu l'épargner...Mais l'idée de me retrouver seule me paniquait. J'avais peur. Une trouille bleue que la vie me retire ensuite celui que j'aimais plus que moi. Pour l'instant il était là, alors je m'abandonnais à lui. Qu'il décide ce qu'il veut, mais qu'il ne me laisse pas seule... Par pitié.
J'ouvris doucement les yeux. Je sortais d'un rêve. Pour la première fois depuis longtemps, j'avais rêvé. Mes nuits depuis le départ de mon père étaient noires, sans rêves, ni cauchemars. Des moments de stérilité, de vide peu reposant. Chaque nuit qui passait mettait fin à un jour de plus, et ainsi de suite, le temps s'écoulait avec lenteur, emportant ma douleur à petits grains.
Cette nuit avait été différente. J'avais rêvé. Un rêve paisible. Mon père était venu me visiter. Quelle étrange sensation ! Dans mon rêve, il était jeune, il devait avoir mon âge. Nous étions à sa galerie. Il discutait avec un visiteur, pendant que j'esquissais son portrait. L'atmosphère était totalement sereine. Puis il s'était approché de moi en me souriant avec douceur. C'était mon papa ! Et il m'avait dit en regardant mon esquisse « Continue toujours ! Je veux en voir d'autres sur tous les murs du Ciel et de la Terre ». C'est là que je m'étais réveillée. Retour à la réalité. Où étais-je déjà ? Chez Tarô… Ce n'étais pas Paris… Ha oui, Londres…. Je reconnus enfin la chambre d'ami qui était devenue la mienne depuis presque trois semaines. Mais j'avais la sensation d'être ailleurs. Un autre lieu, un autre temps. Il avait été là. J'en étais persuadée ! Il serait toujours là, j'en étais sûre maintenant. Il m'avait parlé aussi, une seule phrase. « Continue toujours ! je veux en voir d'autres sur tous les murs du Ciel et de la Terre ».
Des larmes coulaient encore sur mes joues, mais elles avaient un goût différent. L'amertume et la tristesse avaient disparu, je me sentais légère. Je me levais d'un bon pas. Je ne traînerais pas au lit aujourd'hui. Première chose, je sortais ma valise de dessous l'armoire et je l'ouvrais par terre. Au fond se trouvaient tous mes instruments et mon nécessaire à dessin. Je n'y avais plus touché depuis le moment où j'étais parti à la dérive. Il était temps de revenir. Il était temps de me dépasser, de transcender la vie. Je décidais que dorénavant je ne ferais plus que des chefs d'œuvre. Les plus beaux que la Terre et le Ciel n'aient jamais portées ! Où que tu sois, tu seras toujours fier de moi, papa !
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Tarô finissait tard ses journées. Le début de saison approchait à grands pas. Les entraînements physiques terminés, les joueurs restaient et visualisaient des vidéos pour préparer tactiquement leurs premiers matchs. Tarô s'était rapidement intégré à sa nouvelle équipe. Il avait déjà trouvé sa place et ses repères comme s'il n'avait jamais joué ailleurs.
Ce soir-là, il rentra chez lui plutôt satisfait. Comme toujours depuis trois semaines, il s'était entraîné avec acharnement. Ses journées étaient ponctuées par l'image de Marie, qui le poussait toujours à se dépasser. Se dépasser pour deux, en attendant qu'elle retrouve son enthousiasme et sa créativité. Il pensait à leur départ un peu improvisé pour Londres. Il l'avait bel et bien emmené avec lui. Il avait bien fait ! À aucun prix, il ne l'aurait laissé. Il se rendait compte aujourd'hui que le décès de son père avait été un triste prétexte pour la garder près de lui. Mais même sans cela, il aurait sûrement trouvé autre chose pour ne pas la quitter.
Ils se voyaient peu, le soir seulement. Depuis leur arrivée, Marie reprenait doucement le dessus. Ces yeux n'étaient plus que rarement rougis. Elle avait cessé de pleurer à tout bout de champs. Elle souriait parfois, mais son sourire ne dissimulait pas la fatigue, ni la lassitude. Elle n'avait plus dessiné depuis de longues semaines... C'était assez significatif.
La fragilité qu'elle dégageait avait décuplé chez lui son désir de la protéger. Il veillait sur elle avec toute l'attention qu'il pouvait. Les journées étaient longues. À l'entraînement, il continuait de donner le meilleur de lui-même pour lui montrer l'exemple. À la maison, il restait le plus attentif et le plus enjoué possible. Rien ne servait de lui renvoyer une image sombre ou inquiète. Les soirs, il essayait de la faire rire, il lui racontait sa journée et il lui cuisinait quelques plats français, malgré ses protestations. La vie n'était pas de tout repos ! Mais cela lui convenait. Il ne s'était jamais senti aussi proche d'elle. Leur relation gardait pourtant l'apparence du statu quo : une amitié solide. Il patienterait. Il attendrait des jours meilleurs pour lui dévoiler le feu qui lui rongeait le cœur.
Quand il poussa la porte d'entrée, Tarô découvrit l'appartement dans le silence et la pénombre. Il entra, posa son sac et ses clefs et jeta un regard dans le salon.
Personne.
Est-ce qu'elle dormait déjà ? Il se ravisa lorsqu'il aperçut la porte-fenêtre ouverte, elle était sur le balcon. Il traversa la pièce pour la rejoindre. Au passage, ses yeux se posèrent sur la table où s'étalaient crayons, pastels et autres esquisses... Un ineffable sourire s'empara de ses lèvres, le vent se décidait enfin à tourner.
Il s'arrêta dans l'embrasure de la fenêtre. Elle lui apparaissait de dos, perdue dans la contemplation du ciel. Un vent frais faisait voler ses cheveux. La nuit commençait à descendre et le ciel se cendrait de couleurs. Un croissant de lune était encore à peine visible. Il murmura doucement pour ne pas briser ce moment de tranquillité :
« Je suis rentré… »
Elle se retourna souriant doucement.
« Tu n'as pas froid ? Les nuits deviennent fraîches... » continua-t-il.
« Un peu. Mais je suis bien dehors »
Elle retourna à sa contemplation et lui rentra à l'intérieur. Il réapparut quelques instants plus tard et s'approcha d'elle pour déposer un plaid sur ses épaules nues. Au moment de retirer ses mains, il hésita et céda à une douce pulsion. Refermant ses bras autour d'elle, il l'attira tout contre lui. Marie se laissa aller contre son torse. Les yeux clos, elle sentait une douce chaleur dans son dos l'envahir. Il la berçait doucement, sa tête reposant sur la sienne.
« Tu te souviens comme j'étais triste de quitter le Japon ? Avant que je ne parte, ton père m'a dit une chose que je n'oublierai jamais. Il m'a dit qu'il n'y avait qu'un seul ciel et qu'il recouvrait toute la Terre. Alors, quand quelqu'un de loin lui manquait, il levait les yeux au ciel. Parce que seul le ciel pouvait voir à tout instant celui ou celle à qui il pensait, où qu'il soit »
Tarô souriait comme il n'avait pas souri depuis longtemps ! Il l'entendait à sa voix que des choses allaient changées. Après un silence, elle ajouta :
« Merci Tarô… »
Il lui caressa doucement le bras. Elle avait la chair de poule. Etait-ce encore le froid ? Il l'embrassa lentement dans les cheveux, respirant leur parfum. Marie sentit les lèvres de Tarô descendre et se poser sur le haut de sa tempe dans un baiser d'une lenteur et d'une tendresse infinie. Elle soupira lorsqu'elles se retirèrent, mais elles se reposèrent aussitôt un peu plus bas. Les battements de son cœur résonnaient comme le son d'une cloche dans tout son être, des pieds à la tête. Instinctivement, elle se retourna pour lui faire face et à sa grande surprise il resserra possessivement son étreinte, la mettant totalement à sa merci.
Leurs visages n'avaient jamais été aussi proches. Les sourires s'effacèrent, cédant le pas à des regards avides. Le temps s'était arrêté. Leurs cœurs faisaient une fanfare assourdissante ! Ils s'observaient avidement, les yeux caressants. Front contre front. Ils se désiraient, plus vulnérables l'un que l'autre. Leurs souffles se mêlaient, rivalisant de chaleur. Tarô passa sa main sur la joue de Marie avec une tendresse extrême. Elle était douce... Elle était chaude... Ses lèvres le brûlaient et devenaient implorantes.
Marie, totalement abandonnée dans ses bras, fondait à vue d'œil. Ses jambes ne la portaient plus. Lorsque la main de Tarô se posa sur sa joue, les dernières barrières sautèrent. Ses lèvres furent lentement aspirées par les siennes et elle l'embrassa avec tout l'amour du monde. Se détachant à peine, elle chuchota « Je t'aime... ». Elle sentait le cœur de Tarô pressé contre le sien battre à tout rompre. Sans attendre davantage, il s'empara doucement de ses lèvres dans un baiser de plus en plus enivrant. Laissant s'exprimer un désir trop longtemps réprimé, leurs mains glissaient et parcouraient amoureusement le corps de l'autre dans une unique caresse, harmonieuse et sans fin.
Corps à corps.
Cœur à cœur.
Tarô se détacha avec peine « Reste toujours avec moi » .
Son aveu était presque un murmure suppliant. Elle lui sourit en réponse, tout doucement, sous le regard bienveillant de son père et de la lune en croissant.
