Chapitre 1

Rencontre sur la voie 9 ¾

Aujourd'hui, 1er septembre, la gare de King's Cross était toute remplie d'une brume humide et déprimante. Elle s'étendait, immense, sur plusieurs kilomètres de grisaille, accueillant chaque seconde un flot interminable de passagers. Dans cette masse grouillante d'hommes d'affaires, de touristes et de familles se distinguait nettement un jeune homme aux cheveux blonds, presque dorés, scintillants sous les faibles rayons de soleils qui se frayaient difficilement un chemin à travers l'épaisse barrière de brouillard. On avait l'impression, en les regardant, qu'ils auraient brillé sans même qu'intervienne la lumière. Ce jeune homme dégageait une puissance indescriptible, une fierté et une noblesse dans le regard tellement forte que quiconque l'aurait croisé se serait senti étrangement petit, fade, insignifiant…

Drago Malefoy se rendait, comme chaque année en cette même date, vers la barrière entre les voies 9 et 10 qui menaient au Poudlard Express. Il marchait, la tête haute, pensant aux plaisirs et aux éventuelles déceptions, qui l'attendaient à Poudlard, lors de cette nouvelle année. Personne autour de lui n'était important. Il préférait ne pas croiser le regard de ses gens pitoyables car leurs yeux seulement suffiraient à souiller le corps si pur de Drago s'ils avaient le malheur de se poser sur lui. Sa cape noire voletait derrière lui, ombre imposante, lui donnant un air d'autorité suprême malgré son jeune âge. Il ne lui restait plus que vingt mètres environ à parcourir avant de franchir la barrière quand soudain… Un choc, un bruit sourd d'objets tombant sur le sol, une voix cristalline.

-Tu aurais pu faire attention !

Drago baissa la tête, surpris et énervé. À ses pieds, une jeune fille dont il ne distinguait que les cheveux gisait, comme un serviteur suppliant son maître de l'épargner, au milieu d'une multitude de livres renversés. La malheureuse voulut se saisir du livre le plus proche, mais Drago, plus rapide posa furieusement son pied dessus, manquant de piétiner sa main blanche. Il prit sa baguette magique et releva brusquement le menton de la jeune fille, visiblement étonnée.

-Sache, petite sotte de Moldue, que tu m'as sali en me touchant.

Donnant au passage un coup de pieds furibond dans un livre, il repartit, fier d'avoir agi de la sorte. Mon père aurait été content de moi, pensa-t-il.

Plus que sept mètres le séparaient maintenant de la barrière quand il fut encore une fois interrompu par la même voix cristalline.

-Je ne suis sûrement pas plus Moldu que toi.

Il se retourna, un sourire aux lèvres : on ne pouvait trouver moins Moldu que lui ! Elle était debout maintenant, au milieu de ses livres toujours éparpillés. Drago, moins en proie à la colère, s'amusa à évaluer le physique de la jeune fille et s'aperçut qu'elle était plutôt belle, très belle même.

Certaines mèches de ses longs et épais cheveux noirs qui coulaient sur ses épaules voletaient, comme une crinière sauvage au gré des vents. Le vert de ses yeux était si intense, si profond, que Drago n'osa pas s'y plonger trop longtemps, par peur de trahir malgré lui ses secrets les plus intimes. Elle avait la peau claire, des lèvres roses et pleines qui donnèrent à Drago l'envie d'aller mordre dedans, comme on mord dans un fruit savoureusement juteux. Elle devait mesurer cinq centimètres de moins que Drago. Elle était vraiment superbe, une beauté froide, subtile, envoûtante…

Il s'approchait d'elle, en la regardant toujours profondément, imaginant les moindres gestes de son corps sous sa grande robe noire qui masquait ses formes gracieuses. Puis soudain, il réalisa qu'elle portait une robe noire. Une robe de sorcière. Était-elle à Poudlard ? Impossible, il l'aurait déjà remarquée si tel avait été le cas. Drago rompit le silence.

-Qu'est ce que tu veux ? demanda t'il sur un ton qu'il aurait souhaité plus dédaigneux

-Je te demande seulement de m'aider à ramasser les livres que tu as fait tomber, répondit-elle, polie.

Drago n'arrivait pas à contenir ses émotions. Surpris par sa simple demande, il voulut l'aider, mais il renonça, ne pouvant ainsi abandonner sa fierté.

-Je ne crois pas être le responsable de ce qui est arrivé.

-Et moi je crois que si, lança-t-elle, impertinente, tu marchais avec un air de seigneur, le nez en l'air sans prendre garde aux autres personnes. À croire que tu étais le seul à être digne de te trouver ici !

Comment pouvait-elle lui parler sur ce ton ! Si elle savait qui il était, elle s'adresserait à lui avec un respect plus profond. Drago, trop humilié ne put se résoudre à l'aider, malgré l'envie ardente de se pencher un peu plus vers elle, de respirer son odeur en se relevant, de lui tendre son livre en lui effleurant sa main qui semblait si douce et de l'entendre dire «merci»…

Il s'en alla, la laissant seule avec ses livres, sans lui adresser le moindre regard… Peut-être ne la reverrait-il plus jamais ! Il traversa la barrière, triste, mais conservant sa stupide fierté qu'il ne pouvait abandonner. Il se surprit à jeter un dernier coup d'œil désespéré vers la barrière, mais elle n'était pas là. Alors il monta dans le train, trouva un compartiment libre et s'assit sur la banquette. Il était bien décidé à ne laisser entrer personne. Pas même Crabbe, ni Goyle, ni même Pansy pour qui il n'éprouvait plus le moindre intérêt. Puis, le paysage commença à défiler sous les yeux de Drago. Le train était parti. Soudain la porte du compartiment s'ouvrit à la volée.

-Ouffffffffffff. J'ai failli louper le train. Oh, salut !

C'était elle. Elle s'assit en face de Drago, sans gêne, puis sortit de sa grosse valise un livre qu'elle feuilleta, sans remarquer qu'il avait les yeux rivés sur elle. Décidément, elle était vraiment bizarre cette fille. Pleine de vie, à la fois secrète, mystérieuse et belle… Belle à devenir fou.

Ces soupçons s'étaient révélés correct. Elle allait à Poudlard. Il remarqua qu'aucun écusson d'une des quatre maisons ne brillait sur sa poitrine. Elle ne pouvait tout de même pas être en première année… Il voulut lui demander mais ce fut elle qui engagea la conversation, une fois de plus.

-T'as pas l'air d'aimer parler, toi. Je veux juste te dire que je te comprends. Pour avant.

-Je ne vois pas de quoi tu veux parler.

-Je comprends que tu n'aies pas voulu m'aider, répondit-elle comme s'il s'agissait d'une évidence. Moi j'aurais fait pareil, c'est pas ton genre d'aider les gens qui en ont besoin. Je l'ai remarqué dès que je t'ai vu. C'est parce que je suis comme toi. Je m'appelle Aliena Davis, dit-elle en lui tendant la main.

Drago la serra, une sensation de chaleur se répandit alors dans tout son corps, même dans son cœur, lui semblait-il.

-Moi c'est Drago Malefoy, dit-il en essayant de ne pas paraître trop fier. En quelle année tu vas ? Je ne t'ai jamais vue.

-En 5ème année.

Drago aussi allait entrer en 5ème année. Cette pensée lui rappela qu'il aurait du se trouver avec les préfets en ce moment mais il n'irait pas les rejoindre maintenant qu'il avait retrouvé l'objet de sa courte obsession.

-Tu ne vas sûrement pas me croire mais je t'assure que je ne t'ai jamais vue. Tu es dans quelle maison ?

-J'en sais rien. C'est la première fois que je viens. Je ne comprends pas vraiment moi-même, en fait. J'ai reçu une lettre de l'école cet été.

Drago trouvait cette histoire vraiment stupide. C'était tout bonnement impossible. On ne reçoit pas de lettre de Poudlard quand on a déjà quinze ans. Ou alors, Dumbledore l'avait tout simplement oublié. C'est sûrement une sang-de-bourbe, pensa Drago, avec regret.

-Tes parents sont des Moldus, n'est-ce pas ?

Elle parut hésiter

-C'est assez compliqué comme histoire… Si tu veux, je te raconte, mais à toi seulement.

-D'accord, je t'écoute.

Elle commença alors son récit.

-Mon père est un Moldu. Ma mère ? Je ne la connais pas. Elle est morte à ma naissance et mon père ne m'en a jamais parlé. Tout ce que je sais, c'est qu'elle s'appelait Jessica. C'est mon père qui m'a élevée et je pense qu'il a essayé de faire du mieux qu'il pouvait, mais plus je grandissais, plus je le détestais. J'avais l'impression qu'il me craignait et qu'il essayait de me cacher des choses. Au sujet de ma mère surtout. Alors, je me sentais comme une étrangère, si différente de lui. Puis un jour, j'ai découvert que j'étais une sorcière. Je ne sais pas trop comment c'est arrivé, mais je n'ai pas été surprise. C'est comme si j'avais toujours su, au fond de moi, que je n'étais pas comme les autres, que je méritais mieux que tous ces gens qui me répugnaient. Alors, je passais mes journées dans ma chambre à développer mes pouvoirs magiques qui grandissaient seconde après seconde. Je n'allais même plus à l'école et mon père ne me disait rien, comme s'il savait que j'aurais été capable, si je le voulais, de lui jeter un sort. Un jour, j'étais à Londres avec mon père et j'ai découvert un endroit que je n'avais jamais vu auparavant. Le Chaudron Baveur. Je me suis éclipsée et j'ai pénétré sur le Chemin de Traverse. Je suis restée là longtemps, découvrant enfin le monde qui était le mien et tous ces gens qui étaient comme moi. J'avais quatorze ans à cette époque.

Drago buvait ses paroles comme une liqueur sucrée et enivrante. Il ne voulait surtout pas l'interrompre, de peur qu'elle s'en aille, et que jamais plus il ne puisse la contempler, écouter sa voix plus pure que le cristal, tel un rêve inaccessible, qui prend son envol quand on tente de l'attraper. Elle continua.

-Ensuite, chaque fois que s'est présentée l'occasion de retourner sur le Chemin de Traverse, j'y suis allée. Puis, j'ai appris, au fil des mois, presque tout ce qui concerne notre monde. Je me suis même acheté une baguette magique, des livres de sortilèges, de métamorphoses, de potions… Mais j'ai aussi appris qu'il existait une école pour les jeunes sorciers et qu'ils y entraient à onze ans. Imagine dans quel état j'étais ! Je me demandais pourquoi j'avais été oubliée, pourquoi toute cette négligence ? J'étais terriblement énervée, et triste aussi… Mais quelques jours plus tard, juste après l'anniversaire de mes quinze ans, j'ai reçu une lettre. Une lettre qui m'indiquait la date de la rentrée à Poudlard ainsi que les livres et les affaires à emporter. Il y avait aussi, dans la lettre, un mot de la main de Dumbledore dans lequel il me disait qu'il souhaitait me parler personnellement quand j'arriverais à l'école. Voilà, tu sais tout maintenant.

Drago était surpris par son histoire. Elle paraissait tellement invraisemblable. Mais il la crut. Cependant, quelque chose le tracassait.

-Pourquoi m'as-tu raconté ton histoire ? Pourquoi à moi ? Je n'ai pourtant pas vraiment fait tout mon possible pour paraître sympathique.

Elle sembla gênée.

-Hé bien, dit-elle en s'efforçant de garder la tête haute, je ne voulais pas que tu croies que j'étais comme eux.

-Comme qui ?

-Comme tous ces stupides Moldus ! Moi aussi je les hais. Je suis comme toi.

Drago la regarda. Cette fille va me rendre fou, pensa-t-il. Il était hypnotisé devant ses grands yeux verts, pétillants.

-Je n'ai jamais cru ça, dit-il, comme à une égale.

Pourtant, elle avait le sang sale. Son père était un Moldu. Mais tant pis, elle se comportait comme quelqu'un qui a droit au respect, fière, noble. Drago la traiterait donc ainsi, comme une égale…

Aliena, qui avait semblé satisfaite de la réponse de Drago lui sourit, puis reprit son livre et recommença à lire, sans prononcer le moindre mot.

Drago continuait à la regarder, à scruter les moindres parcelles de son si beau visage qui l'ensorcelait. Puis, son esprit devint flou. Il s'était endormi. Quand il rouvrit les yeux, le Poudlard Express était arrivé. Il se prépara à sortir pour aller rejoindre les diligences qui le mèneraient à Poudlard quand il remarqua qu'Aliena n'était plus là.