Chapitre 2
Attente
Drago, la mort dans l'âme, jeta un rapide coup d'œil derrière lui avant de sortir du compartiment. Comme s'il était possible qu'Aliena y fût encore, cachée sous la banquette ou dans quelque autre endroit. Il remarqua que sa valise également n'était plus là. Sans doute était-elle déjà descendue.
Il sortit du train, penaud, pour rejoindre les diligences quand une drôle d'idée traversa son esprit encore endormi : et s'il avait rêvé ? Après tout, elle était bien trop belle pour être vraie et son histoire bien trop invraisemblable…
Balayant la foule de ses beaux yeux gris bleu, il rejoignit Pansy, Crabbe et Goyle qui montaient déjà dans un fiacre. Il s'assit, donna un baiser sur la joue de Pansy et pensa méchamment qu'elle était vraiment moins belle qu'Aliena. Malgré ce que l'on dit, la pureté du sang ne fait pas tout !
-Salut Pansy
-Salut. Je peux savoir où tu étais ? On s'était donné rendez-vous, dit-elle avant de continuer en murmurant, regarde avec qui j'ai du voyager !
En effet, Crabbe et Goyle n'étaient pas vraiment les meilleurs compagnons de voyage. Quand ils ouvraient la bouche, c'était soit pour manger, soit pour dire quelque chose de totalement inutile. Drago soupira.
-Je ne t'avais pas vue. Et de toute façon, je n'avais pas envie de te voir.
Crabbe souria bêtement.
-Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle, abruti ! lança Pansy, énervée. Et toi Drago, je te signale que nous sortons ensemble et que tu as certaines obligations envers moi. Être aimable et me respecter un peu plus par exemple.
Elle avait dit cela sans grande conviction.
-Je n'ai d'obligation envers personne. Je fais ce que je veux avec toi, et n'essaye pas de me contredire, rugit Drago en espérant de tout cœur qu'Aliena n'entende jamais de tels propos.
Pansy baissa les yeux car Drago était à la fois son copain, mais aussi son maître. La malheureuse. Il pouvait lui dire et lui faire absolument tout ce qu'il voulait. Au début, cela avait des avantages, mais Drago commençait à en avoir assez. Il ne voulait pas d'une stupide servante, d'une chienne qui accourt au moindre claquement de doigts, soumise, inintéressante. Il voulait vivre la passion, la vraie, celle qui ne nous quitte jamais, qui nous titille dans nos rêves les plus sombres et nous accompagne sur le chemin de la volupté, sans nous laisser un moindre moment de répit. Celle qui fait se sentir éternel fugitif, poursuivi par des battements de cœur trop intenses et une respiration irrégulière. Le bonheur. Celui d'être deux, égaux, juste heureux d'être ensemble, de s'aimer. Drago était prêt à vivre une telle relation. Il recherchait un amour fort qu'il n'avait jamais eu l'occasion de palper, aussi bien dans ses relations amoureuses qu'amicales. Ce qui lui manquait, c'était une partenaire.
Toutes ses pensées étaient tournées vers la même personne. Celle dont il n'avait cesser de rêver éveillé, celle qui avait disparu, mais pas à tout jamais. Un rayon de soleil revient toujours de derrière un nuage, aussi gros et sinistre soit-il.
Il n'avait envie de partager sa gentillesse qu'avec elle. Avec elle qui était comme lui. Froide, rusée, solitaire, cruelle en apparence. Un vrai serpent. Mais un serpent avec un cœur qui a trop longtemps été négligé et qui n'en cherche qu'un deuxième avec qui se lier, fusionner dans une parfaite harmonie qu'eux seuls pourront comprendre, et dans laquelle personne ne pourra s'immiscer. Jamais.
« Je suis comme toi ». Cette phrase, elle la lui avait dite. Deux fois. Elle seule pouvait saisir la nature de son comportement si hautain, si glacial. Elle seule pouvait deviner que derrière cette façade se cachait peut-être autre chose. Elle était comme lui.
La diligence s'arrêta devant les grilles du parc de Poudlard, château austère dans la brume : pas d'étoiles, pas de lune, rien que la brume. Drago eut l'impression de se trouver au beau milieu d'une boule de cristal, observé par des yeux avides et assoiffés. Il se sentait dépassé par tous ces sentiments, tous plus forts et pénétrants, affluant dans son cœur, voyageurs égarés dans un monde trop exigu pour qu'ils se sentent en paix.
Il sortit et respira la fraîcheur vespérale qui donna à son corps de nouvelles forces et à son esprit engourdi un peu de calme et de clarté.
Au lieu de se diriger directement vers la grille du château, il attendit, seul, que la dernière personne descendît de la dernière diligence. Pas d'Aliena. Il s'assit, désespéré, et resta ainsi quelque temps, pensif.
Lorsqu'il arriva dans le hall, il n'y avait personne. Tous les élèves étaient déjà dans la Grande Salle. Il était resté plus longtemps que prévu à attendre, mais en vain. Personne n'était venu et il commençait à avoir faim. Devait-il entrer dans la Grande Salle au risque de voir tout le monde commenter son arrivée tardive ? Ses crampes d'estomac décidèrent à sa place. Il poussa l'imposante porte avec assurance. Les élèves de première année avaient déjà été répartis dans les maisons et ils le regardaient curieusement. Drago avança, l'air de rien, jusqu'à la table des Serpentard, ses yeux recherchant toujours l'objet de ses pensées. Alors que les conversations reprenaient, il sentit une main se poser fermement sur son épaule. Et si c'était elle ? Il fit volte-face.
-Oh ! Bonsoir professeur.
-Mr Malefoy, je ne pensais pas que vous suiviez la mode que notre cher Potter a lancé et qui consiste à être en retard au festin. J'espère que vous aurez des explications valables à me donner. Suivez-moi.
Sans oser protester, Drago suivit la sombre et troublante silhouette de son professeur de potions. Il réfléchissait à toute vitesse à une bonne excuse à lui donner afin de justifier son retard. Il ne serait pas facile de lui faire croire n'importe quoi, il n'était pas le directeur des Serpentard pour rien.
Severus Rogue passa à côté de son bureau sans s'y arrêter et continua à avancer dans les profondeurs du château. Puis, il ralentit et se posta devant un mur nu et humide.
-Exupero, prononça-t-il distinctement.
Une porte à peine visible, dissimulée dans le mur, s'ouvrit. Rogue entra, suivi de près par Drago.
Le feu brillait déjà dans la salle commune. Rogue invita Drago à s'asseoir. Il choisit un fauteuil de cuir noir, confortable. Puis, le maître des potions fit apparaître d'un coup de baguette magique des plats d'argent remplis de victuailles.
Drago le regardait avec des yeux ronds d'étonnement.
-Mr Malefoy, qu'attendez-vous pour vous servir ? Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de manger tranquillement. J'avoue ne plus supporter ce bruit incessant et ses jacassements puérils.
Drago se servit, stupéfait, mais content de remplir enfin son ventre qui criait famine. Ainsi, Rogue n'avait nullement l'intention de le punir. Drôle de situation. Etrange.
-Excusez-moi professeur, vous ne souhaitez pas savoir pourquoi je suis arrivé en retard ?
Drago venait de trouver une excuse convaincante et il préférait mentir à Rogue plutôt que le laisser penser de mauvaises choses à son sujet.
-Voyons, nous sommes tous les deux des hommes fiers et responsables. Ayez donc vos secrets, je ne doute pas une seconde que vous ayez une excuse valable.
Ils continuèrent à manger en silence. Plus tard, Severus Rogue sortit de la salle commune, laissant Drago, pour qui allait commencer une longue attente, remplie de doutes et de questions sans réponses.
Il avait quitté son fauteuil pour un grand canapé, près du feu qui brillait faiblement dans la cheminée. Les autres Serpentard n'allaient pas tarder à revenir. Drago n'avait pas envie de les voir. Seul ce visage froid, angélique, cette cascade noire et soyeuse, ces yeux perçants, profonds, cette bouche sensuelle et ces mains gracieuses auraient pu l'apaiser. Comme il aurait voulu l'étreindre, voir dans ses yeux transparaître la lueur des flammes dansantes, caresser ses cheveux, laisser ses paumes glisser délicieusement dans son dos, et ne jamais la lâcher, jamais. Mais elle n'était pas là. Une question le hantait, à en devenir fou. Était-il condamné à ne jamais la revoir ?
Le regard éteint, l'esprit submergé par des vagues d'hésitation, il attendait. Il attendait juste un signe, n'importe quoi, n'importe qui capable de lui prouver qu'elle n'était pas loin.
Des bruits de pas et de conversations l'arrachèrent un instant à ses pensées. Les élèves revenaient. Drago aurait pu monter dans le dortoir et faire semblant de dormir, mais il souhaitait que les autres le voient. Il avait envie qu'ils lui posent des questions auxquelles il ne répondrait pas. Il aimait faire planer sur lui un mystère, quelque chose qui faisait de lui une personne au centre de l'attention, une personne dont les gens parlent. Mais aussi qu'on craint un peu, et qu'on respecte.
Les élèves entrèrent alors.
-Drago ! On peut dire que tu as fait du beau spectacle au festin ! Où t'étais passé ?
C'était Zabini, suivi par Crabbe, Goyle et Pansy qui semblait toujours autant offensée.
-Je suis arrivé en retard, c'est tout. Depuis quand je vous permets de vous mêler de mes affaires ? répliqua Drago, insolent.
Il s'attendait à une protestation de Zabini mais celui-ci se contenta de baisser la tête et de s'en aller. Même Pansy ne chercha pas à attirer son attention.
Drago se demandait souvent pourquoi on lui accordait tant de respect. C'était certainement parce qu'il avait le sang pur. Il en souffrait parfois. Cela ne lui permettait pas d'avoir de vrais amis. C'était plutôt comme des serviteurs. Ils n'étaient pas désagréables, mais presque trop soumis. Cela agaçait Drago, mais, paradoxalement, il ne souhaitait pas que cela change. C'était comme ça, c'est tout. Il voyait en Aliena une occasion de se faire une amie, et peut-être même plus. Il sentait qu'avec elle, ce serait différent. Il savait qu'elle ne serait pas soumise ou trop débordante d'admiration pour oser le contredire et qu'ils pourraient, ensemble, avoir une réelle complicité. Parce qu'elle était comme lui.
Les Serpentard étaient presque tous couchés maintenant, mais Drago restait toujours là, épuisé mais bien décidé à ne pas s'endormir. Il voulait à tout prix être conscient si elle devait apparaître. Il réfléchissait. Elle lui avait dit, dans le train, que Dumbledore voulait la voir dès son arrivée à Poudlard. Peut-être avait-elle dû porter le choixpeau et avait été envoyée à Gryffondor. Il l'imagina un instant dans les bras d'Harry Potter… Terrible image. Il avait le don de posséder tout ce dont Drago avait un jour rêvé.
Ses yeux commencèrent à se fermer. Il ne restait plus que des braises dans la cheminée, il faisait froid dans la salle commune. Drago aurait souhaité rejoindre son lit mais il ne savait plus très bien où il était. Il voyait une jeune fille qui dansait devant lui. Elle avait de longs cheveux noirs, très beaux. Il ne distinguait pas nettement son visage. Il tendit le bras vers elle, mais elle semblait s'éloigner de plus en plus, il tendit le bras encore plus loin, puis… un bruit !
Il se réveilla en sursaut. Quelqu'un tambourinait furieusement contre le mur où la porte menant à la salle commune était dissimulée.
