Chapitre 3
Pas encore
Aliena était assise confortablement dans le Poudlard Express, son livre de potions sur les genoux. Elle lisait, tranquillement. Elle était heureuse. Dans quelques instants, elle allait découvrir, enfin, le monde qui était le sien, elle allait rencontrer Dumbledore et lui demander des explications sur son passé. Tout allait bien. Elle avait même rencontré un jeune homme qui avait réussi à l'intimider. Elle sourit à cette pensée. Cela n'arrivait pas souvent. Presque jamais.
Aliena leva les yeux vers lui. Elle avait presque oublié sa présence, trop absorbée par son livre. Il avait les paupières fermées sur ses beaux yeux, il respirait, serein. Elle pensa qu'il avait l'air tellement vulnérable ainsi, sans défense. Il était beau quand il dormait, on ne distinguait plus la haine et la fierté sur son visage d'ange.
Aliena referma son manuel et se plut à observer le paysage qui défilait, comme un livre d'image qui ne finit jamais. Des arbres s'étendaient à perte de vue, et semblaient grandir pour devenir, à l'horizon, de gigantesques sommets enneigés. D'immenses traînées rose orange se dessinaient, abandonnées par le soleil déclinant. La brume s'était dissipée.
La porte du compartiment s'ouvrit alors. Un homme entra, trop âgé pour être un élève. Il regardait Aliena, la dévisageant presque impoliment.
-Excusez-moi monsieur, risqua-t-elle, vous cherchez quelque chose ?
-Vous êtes Aliena Davis, miss, n'est ce pas ?
-Oui c'est moi !
-C'est bien ce qu'il me semblait. Suivez-moi s'il vous plaît, dit l'homme sèchement.
Aliena s'assit, hautaine, bien décidée à ne pas bouger.
-Il n'est pas dans mes habitudes de suivre les ordres d'un inconnu qui n'a même pas daigné se présenter. En réalité, je ne suis les ordres de personne !
-Voyons, ne soyez pas stupide. Je m'appelle Andrew Stoff, dit l'homme en tendant une main qu'Aliena serra, hésitante. Je suis le machiniste. Je vous conseille de me suivre, c'est dans votre intérêt, miss. Ne faites pas trop de bruit, il ne faut pas réveiller ce jeune homme.
Elle hésita, mais portée par une vague soudaine de curiosité, se leva et prit ses bagages.
-Il pourrait venir avec nous, vous ne croyez pas ?
-Oh non ! Vous devez être seule. Dépêchez-vous un peu, miss, le train va arriver.
Elle sortit du compartiment, à la fois curieuse et excitée, et suivit le machiniste qui semblait l'emmener à l'avant du train.
Sur son passage, elle croisa des élèves qui la regardaient, soupçonneux, mais qui détournaient vite les yeux après qu'elle leur avait jeté ce regard haineux et lourd de significations dont elle avait le secret.
Ils étaient à présent à l'avant du train, juste derrière le wagon qui contenait la réserve de charbon et la locomotive. Andrew ouvrit la porte et sortit sur le marchepied. Le train ralentissait gentiment. Il se tourna alors vers Aliena.
-C'est Dumbledore qui m'a demandé de venir vous chercher. Je ne sais pas exactement ce qu'il veut mais quand le train aura suffisamment ralenti, sautez sur le quai et allez le rejoindre devant les Trois Balais, c'est un pub de Pré-au-Lard, vous le trouverez facilement, il se trouve dans la rue principale.
-Heu… D'accord, répondit-elle surprise. Au revoir et… heu… A une prochaine !
-Oui, à une prochaine peut-être ! Bonne chance pour la suite !
Elle sauta, sans peur, chancela à l'atterrissage, mais eut vite retrouvé son équilibre. Elle se mit à courir, sans trop savoir où elle allait. Il lui semblait, étrangement, qu'elle ne devait pas être vue. Drôle de sentiment. Elle prit une petite rue à sa droite, pour s'éloigner de la gare et se retrouva dans ce qui devait être la rue principale dont Andrew avait parlé. C'était magnifique. Encore mieux, presque, que le chemin de Traverse.
Des boutiques, toutes plus magiques et intéressantes les unes que les autres se succédaient tout au long de l'allée. Aliena avançait, émerveillée, lisant les noms des magasins déjà fermés. Dommage. Elle passa devant une vitrine qui portait le nom de «Zonko » et remarqua, juste en face, l'adresse qu'elle cherchait : les Trois Balais. Devant l'auberge se trouvait un homme. Elle voyait ses yeux briller malicieusement derrière ses lunettes en demi-lune. Sa barbe et ses longs cheveux argentés lui donnaient l'air infiniment sage et instruit. Albus Dumbledore…
Elle s'avança, impressionnée devant tant de grandeur, mais quand même méfiante. Après tout, elle n'avait aucune raison de lui faire confiance, il lui avait caché pendant si longtemps la vérité et même aujourd'hui, elle ne connaissait rien de bien précis à son sujet…
Aliena se posta devant lui, impassible. Elle voulut lui montrer, par son regard froid, qu'il n'arriverait pas facilement à gagner sa confiance, mais l'expression du vieil homme ne changea pas. Ses yeux pétillants riaient toujours, comme ceux d'un enfant. Curieux personnage. Il semblait attendre qu'Aliena engageât la conversation.
-Bonsoir.
-Bonsoir. Je suis ravi que vous soyez arrivée là sans encombres. Vous avez fait bon voyage ?
-Oui très bon. Je vous remercie d'ailleurs infiniment d'avoir pris la peine de venir me chercher à l'arrivée du train. Il est vrai que j'aurais eu beaucoup de peine à trouver le chemin de Poudlard toute seule, dit-elle, ironique.
-Alors tout est parfait, miss Davis, répondit-il calmement et encore plus ironiquement qu'Aliena, mais j'imagine que vous êtes une fille intelligente et que vous aviez deviné qu'il y a une autre raison à ma venue que votre manque d'orientation. Suivez-moi, s'il vous plaît, il faut nous dépêcher.
Trop offensée pour oser répliquer, elle le suivit à l'intérieur. Mais que se passait-il donc ? Quelqu'un allait-il enfin lui expliquer ce qui lui arrivait ?
Ils entrèrent. Le pub était presque vide mais il y régnait une ambiance chaleureuse. Une jolie femme, au bar, discutait avec un jeune homme blond à l'air sympathique. Lorsqu'elle vit entrer l'étrange couple, elle laissa son interlocuteur afin d'aller saluer Dumbledore.
-Bonsoir Albus, vous allez bien ? Que faites-vous donc à ces heures en dehors de Poudlard ? Vous prenez un verre ?
-Merci Rosmerta, mais ce sera pour une autre fois. Nous devons juste transplaner, dit-il en lançant à Aliena un regard amusé.
Transplaner ? Elle en était tout à fait incapable ! Elle décida de ne pas protester, elle ne voulait surtout pas voir ce vieillard avoir le dernier mot, une nouvelle fois. Ils arrivèrent dans une petite pièce au fond de l'auberge. Dumbledore ferma la porte derrière lui.
-Nous y sommes, dit-il, j'aime mieux le faire à l'abri des regards. Prenez mon bras. Ne le lâchez en aucun cas.
Aliena hésitait. S'en était trop pour elle. Tous ces gens qui s'obstinaient à lui donner des ordres… Ne voyaient-ils donc pas qu'elle n'était pas vraiment ce genre de filles obéissantes et craintives ? Elle fut tentée de s'en aller pour rejoindre toute seule le château mais elle ravala sa fierté et saisit le bras de son cher directeur.
Tout devint noir. Elle s'agrippa un peu plus fort et sentit qu'elle quittait le sol. Elle n'arrivait plus à respirer et son corps ne pouvait bouger, comme prisonnier dans une boîte en métal trop petite. Quand elle eut la force d'ouvrir les yeux, elle se trouvait devant d'immenses grilles, derrière lesquelles trônait un château majestueux. Elle avait si souvent rêvé de cet endroit ; l'avoir ainsi devant elle lui fit oublier un instant l'antipathie qu'elle ressentait envers Albus Dumbledore. Elle regarda derrière son épaule. Un cortège de diligences avançait un peu plus bas en direction de l'école.
Dumbledore ouvrit les grilles et ils pénétrèrent dans l'enceinte de Poudlard. Elle y était. Pour de vrai.
Ils traversèrent le parc, silencieux, montèrent l'escalier de pierre et arrivèrent dans le hall. Les élèves n'étaient pas encore là et Aliena fut flattée d'être là avant tout le monde, comme si cela la rendait importante. Et elle avait besoin de se sentir importante. Sans cela, elle n'aurait pas tenu le coup bien longtemps, ici, où tout lui était inconnu, où tout le monde en savait plus qu'elle. Elle brûlait de savoir ce que Dumbledore avait à lui dire. Elle brûlait d'envie d'être enfin mêlée aux autres et de pouvoir leur prouver qu'elle était autant douée qu'eux.
Une femme d'un certain âge, à l'air sévère s'approcha alors d'Aliena et de Dumbledore.
-Albus ! Où étiez-vous ? Le festin va bientôt commencer et votre présence est nécessaire. Les élèves vont arriver d'un instant à l'autre et…
-Je sais bien Minerva. Ne vous inquiétez pas pour moi, répondit-il en souriant. Attendez-moi dans la grande salle, j'arriverai à temps.
Il se retourna vers Aliena et lui fit signe de le suivre. Il la guida ensuite à travers le château jusqu'à ce qu'ils arrivent devant un mur où se tenait une gargouille, solitaire.
-Niffleur ! prononça distinctement Dumbledore.
La statue fit un pas de côté et le mur s'ouvrit, découvrant un escalier en colimaçon. Aliena grimpa sur la première marche et l'escalier tourna sur lui-même afin de l'emmener sans difficultés vers le haut, devant une belle porte de cuivre. Dumbledore la rejoignit et ils entrèrent.
C'était une pièce circulaire et Aliena fut obligée d'admettre qu'elle n'en avait jamais vu de plus belle.
-Nous sommes arrivés, miss Davis. Je dois descendre au festin afin d'accueillir les nouveaux ainsi que les anciens élèves. Je vous demande de m'attendre ici. Ce ne sera pas long.
Puis, d'un coup de baguette magique, il fit apparaître des plats en or qui contenaient de la nourriture.
-Mangez à votre faim, reprit-il, nous pourrons ensuite parler calmement.
Elle le regarda, indifférente.
-D'accord. Au revoir.
Il sortit du bureau, faisant voler derrière lui sa cape bleu ciel.
Aliena s'assit sur un grand fauteuil de velours beige et commença à manger. Avec tout ce qui s'était passé, elle ne s'était pas rendue compte que jamais elle n'avait eu autant faim.
Ce qu'elle était en train de vivre était extraordinaire ! Il y a quelques mois elle ne savait même pas qu'elle était une sorcière, et aujourd'hui, elle était là, assise dans le bureau du directeur de l'école de sorcellerie de Poudlard. Elle soupira de contentement. Pourtant, certaines choses manquaient encore à son bonheur. Elle était peut-être dans un magnifique château, là où elle avait toujours rêvé d'être, mais elle ne savait toujours rien. Toujours rien sur le mystère qui l'entourait et quand elle croyait avoir trouvé un instant de calme et de sérénité, ces questions affluaient, troublantes. Pourquoi ? Pourquoi l'avait-on oubliée ? Qu'avait-elle fait pour être si différente ?
Et puis, il y avait ce garçon. Il est vrai qu'elle désirait ardemment le revoir. Il était beau, noble, un peu prétentieux, mais tellement séduisant par sa froideur et sa classe ! Elle ne pouvait s'empêcher, quand elle fermait les yeux, de s'imaginer son visage fin et ses mains recoiffant d'un geste séducteur ses cheveux de lumière. Elle sourit en pensant à quel point ils seraient beaux tous les deux, ensemble.
La modestie n'avait jamais fait partie des qualités d'Aliena. Elle en était consciente, tout comme elle était consciente de sa beauté hors du commun et de ses capacités de manipulatrice. Elle ne supportait pas que quelqu'un lui résiste ou lui donne des ordres. Elle aimait être maîtresse de toutes les situations, et surtout, elle aimait être seule. Elle se plaisait à savoir des choses qu'elle seule savait, à faire des choses que tout autre individu aurait trouvé étrange, et elle avait le goût du danger, elle relevait tous les défis, juste pour faire parler d'elle, parfois.
Mais ce matin, elle avait été troublée. Elle s'était sentie pour la première fois de sa vie inférieure à quelqu'un. Cela ne lui avait pas déplu, au contraire, elle s'était sentie invulnérable. Elle avait ressenti quelque chose de fort pour ce garçon, Drago, et il lui avait semblé que de son côté, c'était pareil. Pour la première fois de sa vie, elle avait partagé quelque chose avec quelqu'un. Juste un petit quelque chose qui faisait qu'elle n'était plus seule. Elle était avec lui. Avec lui…
La porte s'ouvrit et le personnage qu'elle avait le moins envie de voir entra, souriant et calme, comme à son habitude. Peut-être allait-elle enfin savoir quelque chose d'intéressant sur son passé…
-Alors, vous avez bien mangé ? Il est temps que nous parlions de choses sérieuses mais avant tout, il faut que vous essayiez ceci, dit-il en lui tendant un vieux chapeau rapiécé.
Aliena connaissait ce chapeau. Elle avait lu, dans l'Histoire de Poudlard, qu'il fallait le mettre sur la tête afin d'être envoyé dans une des quatre maisons. Son cœur battait à tout rompre. Elle le prit et l'enfila sans attendre. Une voix résonna alors dans ses oreilles.
-Oh ! Voilà qui est intéressant… Cela fait des années que je n'ai plus eu affaire à un tel cas… Non, ce ne sera pas la même chose cette fois, je perçois en vous des aptitudes toutes différentes… Je vais vous mettre à… SERPENTARD !
Aliena retira le choixpeau. Elle regarda Dumbledore. Il semblait abattu, comme si un désastre venait de se passer. Il se leva de son fauteuil et regarda Aliena gravement.
-Je crois qu'il est temps pour vous d'aller vous coucher. Je vais vous conduire à la salle commune des Serpentard et…
-QUOI ? VOUS VOUS MOQUEZ DE MOI ? VOUS CROYEZ QUE JE VAIS ATTENDRE ENCORE COMBIEN DE TEMPS AVANT D'EXIGER LA VERITE A MON SUJET ? VOUS ALLEZ ME PARLER MAINTENANT, C'EST COMPRIS ? hurla Aliena, hors d'elle.
Dumbledore se leva, l'air grave, mais toujours calme.
-Ecoutez, je comprends bien votre colère mais je ne peux rien vous dire maintenant. C'est une décision que je viens de prendre et qui me semble être la bonne. Ce n'est pas encore le moment pour vous de savoir. Pas encore…
-VOUS N'ÊTES QU'UN VIEUX… QU'UN VIEUX CRETIN SENIL !
Aliena savait qu'il ne servait plus à rien d'insister. Il ne dirait rien. Elle se retourna furieusement, prit le chemin de la porte qu'elle claqua de toute ses forces.
Elle courait de plus en plus vite dans le château désert, des larmes lui brouillant la vue. Elle ne savait même pas où elle était. La seule personne qu'elle connaissait, ici, c'était ce garçon. Mais comment savoir où il se trouvait ? Elle s'assit sur un escalier, sécha ses larmes et réfléchit. Il fallait qu'elle dorme.
Des heures passèrent, elle était toujours assise sur son escalier à essayer de dormir, quand une ombre translucide et argentée passa à côté d'elle. Un fantôme.
-Hé, ne partez pas ! cria-t-elle.
Le fantôme se retourna.
-Oh, oh, que voilà ? Une jeune demoiselle en détresse ?
Aliena sourit.
-Voyons, je ne suis pas plus en détresse que vous, je…
-Non, non, non… N'en dites pas plus. Je m'appelle Sir Nicholas de Mimsy. Pour vous servir ! Je peux faire quelque chose ?
-En fait, je cherche la salle commune des Serpentard. Mais je vais me débrouiller seule, vous pouvez vous en aller.
-Très chère, j'ai assez d'expérience pour reconnaître les jeunes et belles demoiselles qui ont besoin de mon aide. Je vais vous montrer le chemin.
Aliena accepta, contrainte d'avouer que, sans son aide, elle ne trouverait jamais son chemin. Ils s'arrêtèrent quelques instants plus tard devant un mur.
-Voilà, dit le fantôme, c'est ici. Vous n'avez plus qu'à prononcer le mot de passe. Je vous souhaite une bonne nuit. Ah, j'oubliais, ne dites surtout pas au baron sanglant que je vous ai aidée, c'est bien la première fois que ça m'arrive.
Puis, il s'en alla, à peine visible, comme une ombre dans l'obscurité, sans cesser de murmurer : « Moi, Sir Nicholas, aider une Serpentard ! Je crois que je suis devenu fou ! ».
-Attendez ! cria Aliena. Le mot de passe ! Je ne le connais pas et…
Mais le fantôme avait déjà disparu…
Elle s'assit, un peu désespérée. Etait-elle vraiment condamnée à passer la nuit sur ce sol dur et froid ? Devrait-elle subir les moqueries des autres élèves quand ils la verraient, à leur réveil ? Non. Il fallait qu'elle réagisse. Elle se leva et entreprit de trouver le mot de passe. Elle échoua. Il ne lui restait qu'une solution, pas des plus valorisantes, mais qui lui permettrait sans doute d'entrer si par chance, un des élèves avait le sommeil léger.
Elle frappa de toutes ses forces contre le mur. Rien. Elle continua, à en avoir mal aux mains. Quelques minutes plus tard, enfin, la porte s'ouvrit…
