(Yumemaboroshi Gasshuku Universe)
YumeGa
par
Eleawin
Chapitre 2
Yumemaboroshi Gasshuku
« Ryuuzaki-sensei et le chauffeur de l'autre car sont descendus au village, » annonça Oishi, entrant dans la cuisine où se trouvaient Ryoma, Momoshiro, Eiji, Inui, et fait surprenant, Hiyoshi.
Ce dernier avait quitté la chambre de son capitaine où toute l'équipe de Hyotei s'était réunie, las de les entendre débattre sur la santé mentale d'Atobe. C'était déjà assez difficile de supporter Atobe en temps normal, mais l'apercevoir dans cet état le rendait presque malade. Il détestait voir son capitaine ainsi, trop habitué à le voir fort et orgueilleux. C'était comme s'immiscer dans son intimité, et il avait préféré quitter la pièce avant de péter un plomb.
« Monkey King va mieux ? » demanda Echizen, à son plus grand ennui.
S'ils comptaient développer ce sujet, Hiyoshi trouverait sûrement mieux à faire ailleurs. Heureusement, Oishi se contenta de répondre par un succinct oui, et la conversation prit un autre tour.
« C'est
quand même dingue que cette maison soit vide, »
murmura Momoshiro, pianotant nerveusement des doigts sur la table.
« Je veux dire, on a prévenu de notre arrivée
non ? Ce serait la moindre des choses de venir nous accueillir
! »
« Si tu as faim, demande à
Taka-san de te faire quelque chose, » marmonna Echizen,
visiblement blasé.
« Oï, Echizen ! Ce n'est
pas une question d'avoir faim, c'est juste une question de politesse
! -- quoique ça doit être une notion inconnue pour toi,
gamin insolent. »
« Tu es bien placé
pour en parler, Momo-senpai. »
« Et qu'est
ce que tu veux dire par là ? »
« Ochibi
vient de traiter Momo de gamin insolent ! » commenta
Kikumaru, malicieux.
Oishi se dépêcha de faire taire son partenaire qui ajoutait de l'huile sur le feu, à la plus grande joie d'Inui. Pendant quelques secondes, Hiyoshi l'observa avec une profonde curiosité griffonner des choses indéterminées sur son cahier, ses lunettes luisant bizarrement sous la lampe de la cuisine. Inui releva soudain la tête.
« Quelque
chose ne va pas, Hiyoshi-kun ? »
« R.. rien
du tout. »
Le joueur de Hyotei se trouva un soudain intérêt pour le plafond, décoré de motifs tordus et tarabiscotés. Il n'était jamais bon d'attirer l'attention d'Inui Sadaharu, ce n'était un mystère pour personne. Et qu'est ce que c'était que ce truc suspect qu'il venait de mettre dans le mixeur, d'abord ?
Décidant qu'il n'était pas à sa place dans cette ambiance Seigakuenne, Hiyoshi se leva et se dirigea vers le salon, à la recherche d'un endroit plus paisible. L'atmosphère de la maison était étrange, décida t-il, passant devant un grand miroir incrusté dans le mur du couloir. Il s'arrêta un instant pour se regarder, observant son teint pâle et les cernes sous ses yeux. Le voyage l'avait fatigué plus qu'il n'aurait dû.
Derrière lui, il pouvait voir le hall d'entrée, immaculé malgré les valises qui s'accumulaient dans un coin. On avait clairement fait le ménage avant leur arrivée, même si personne n'était venu les accueillir. Ryuuzaki-sensei était descendue au village avec le chauffeur de leur car, ce dernier ayant loué une chambre dans la ville. Le professeur de Seigaku semblait penser pouvoir en apprendre plus en interrogeant les villageois. En attendant, aucun joueur n'avait osé investir les chambres à l'étage, préférant attendre le retour de leur hôtesse.
« Cette pension a un drôle de nom, » dit une voix derrière son dos, et Hiyoshi sursauta.
Perdu dans ses pensées, il n'avait même pas vu Fuji Syûsuke arriver derrière lui, sa mince silhouette se reflétant clairement dans le miroir. Il se retourna, étonné que le tensai de Seigaku lui adresse la parole.
« Yumemaboroshi, »
murmura doucement Fuji, les yeux clos.
« Quoi
? »
« C'est le nom qu'il y a d'inscrit sur
la boîte aux lettres, » dit Fuji, un sourire aux
lèvres. « Rêve... La pension du rêve.
C'est mignon, non ? »
C'était surtout bizarre, pensa très fort Hiyoshi, résistant à l'envie de grimacer. Il tira une gueule de deux mètres de long et soupira, presque blasé.
« Yumemaboroshi Gasshuku, la pension du rêve.. Je refuse d'appeler pension un endroit où il n'y a même pas d'employés pour nous accueillir, » grommela t-il, croisant les bras.
Fuji se mit à rire, donnant à Hiyoshi la désagréable impression qu'il se moquait de lui. Il n'était pas très à l'aise avec les gens qu'il ne connaissait pas, et encore moins avec un joueur d'une équipe adverse.
« Il se fout de moi... » marmonna t-il pour lui même, le visage fermé.
Fuji rit de nouveau, secouant doucement la tête.
« Saa...
Hiyoshi-kun, tu me rappelles beaucoup mon petit frère... Yuuta
a toujours cette manie de râler, lui aussi. »
« Q..
Quoi ? Je ne râle pas ! »
« Et cette
manie de renier les faits... Si adorable... »
Mais il n'allait pas bien ! Shishido avait raison, ils étaient tous tarés à Seigaku ! Vaguement indigné, il lança un regard noir à Fuji qui lui souriait benoîtement et se préparait à se retirer, quand le joueur de Seigaku l'attrapa par le bras.
« Viens donc nous rejoindre dans le salon, Hiyoshi-kun... »
¤¤¤
« Jiroh ! Réveille toi ! Eh, princesse ! JIROH ! »
Gakuto se releva, repoussant une mèche de cheveux en arrière. Ca faisait bien dix minutes qu'il s'acharnait à hurler en vain, il commençait à s'user les cordes vocales.
« Rhaa... » soupira t-il, secouant de la tête. « Ca ne marche pas ! »
« Jiroh-san
doit être fatigué du voyage, » dit Ohtori.
« Laissons le dormir... »
« Cet
idiot a suffisamment dormi comme ça, » grommela
Shishido. « Réveille le, Mukahi ! »
Les trois joueurs de Hyotei étaient descendus de l'étage et s'étaient rassemblés dans le salon, pour retrouver un quatrième membre de leur équipe, endormi comme à son habitude. Gakuto poussa un grand soupir blasé et se laissa tomber à côté de Jiroh sur le canapé.
« Réveille-toi
! » hurla t-il dans son oreille, lui chatouillant le
ventre dans l'espoir de lui faire ouvrir les yeux.
« C'est
sans espoir, » commenta Ohtori. « On devrait
peut-être le porter à l'étage ? »
« J'abandonne
! » déclara Gakuto, agacé. « Si
tu veux le porter en haut, fait le tout seul ! »
Ils soupirèrent en choeur, éreintés. La journée avait été horrible, et ils se retrouvaient coincés dans une pension vide de tous occupants, perdue dans la campagne japonaise. Avec un capitaine proche de la crise de nerf, qui plus est.
« Il est bien mieux ici, » murmura Shishido, étouffant un bâillement. « Cette drama queen d'Atobe a décidé de mener la vie impossible à tous ceux qui l'approchent, il vaut mieux ne pas le croiser. »
Et
c'est toi qui l'appelles comme ça ? Voulut s'exclamer
Mukahi, mais il n'était pas assez suicidaire pour provoquer
Shishido quand Yuushi n'était pas là.
Oshitari
avait décidé de rester avec Atobe pour l'obliger à
rester au lit, à la plus grande rage de leur buchou. Atobe
pouvait être si têtu, parfois... Ohtori s'agita, mal à
l'aise. Il n'était pas sûr que ce soit une bonne idée
de laisser Oshitari-senpai seul avec Kabaji et Atobe à
l'étage. Ce dernier était très capable de le
faire mettre à la porte, en dépit de tout bon sens.
Après le choc thermique, Atobe avait été pris
d'une légère fièvre, normale d'après le
tensai mais inquiétante quand même... Surtout s'ils
prenaient en compte ses divagations. Ils auraient peut-être dû
le forcer à suivre Ryuuzaki-sensei pour voir un médecin,
même si cela signifiait en subir les conséquences par la
suite.
« On les entend crier d'ici, » remarqua Gakuto, qui semblait s'ennuyer à mourir.
Il se leva et commença ses exercices de gymnastique. Il était vraiment souple, et Ohtori avait mal rien qu'à le regarder croiser ses bras derrière son dos et se baisser pour réveiller ses muscles, touchant presque le sol du nez.
Shishido marmonna quelque chose et ferma les yeux. Il s'enfonça un peu plus dans le fauteuil où il était assis et prit une longue inspiration, l'expression de son visage s'adoucissant imperceptiblement. Ohtori, installé sur l'accoudoir de ce même fauteuil, pouvait presque sentir le corps de son senpai se détendre. Il était vraiment près de Shishido-san, et il s'étonnait encore que ce dernier ne l'ait pas envoyé paître, gentiment certes, mais paître quand même.
Il regarda son partenaire. Les yeux clos, Shishido avait réellement l'air plus doux, voire plus fragile. Celui qui osait qualifier Shishido-san de fragile ne devait pas avoir toute sa tête, mais Ohtori ne pouvait s'empêcher d'admirer la façon dont son cou gracile se découvrait quand il laisser tomber sa tête en arrière. Même sans ses cheveux longs et les maintenant habituelles égratignures qui lui recouvraient les bras et les jambes, Ohtori trouvait son aîné magnifique… Pas magnifique comme Atobe ou sexy comme Oshitari, mais beau à sa manière.
Shishido était parfois bourru, parfois impétueux, prétentieux ou encore coléreux, mais c'était aussi quelqu'un en qui on pouvait avoir confiance, quoiqu'il arrive. Même s'il rechignait à le montrer, Shishido-san était quelqu'un de généreux et qui prenait ingénument soin des autres, une fois passé sa tendance à l'agressivité. Ohtori savait qu'il entretenait une relation privilégiée avec lui, peut-être inexplicable, et pour rien au monde il n'aurait voulu échanger sa place avec quelqu'un d'autre. Il y avait une sorte de fascination qui le liait à son partenaire de double, qui lui donnait cette indéfinissable envie de rester à ses côtés, quoiqu'en pense les autres... et quoiqu'en pense Shishido-san.
« Hoi, Choutarou ! »
Une main passa soudain devant ses yeux et il sursauta, manquant de tomber du fauteuil. Shishido le regardait d'un air amusé, mais aussi vaguement inquiet.
« Si
tu es fatigué, tu devrais aller dormir, » dit-il
doucement, le surveillant du coin de l'oeil.
« Ohtori a
le droit de dormir mais pas Jiroh, » remarqua tout bas
Gakuto, narquois. « Si ce n'est pas du favoritisme
ça... Et je reste poli. »
Une chance pour lui que Shishido ne l'entendit pas mais Ohtori, qui avait l'oreille plus fine, perçut la pique et vira rapidement écarlate.
« Je vais bien, Shishido-san ! J'ai juste eu un moment d'absence... Tout vas bien, » répéta t-il, confus.
Devant sa réaction, Shishido haussa un sourcil perplexe mais n'ajouta rien. Il lança tout de même un regard vaguement soupçonneux vers Mukahi qui faisait comme si de rien n'était, pris du sentiment d'avoir raté quelque chose. Ce qui était sans doute le cas, au vue du sourire innocent de l'acrobate. L'imbécile.
Une porte claqua à l'étage, suivi d'une dégringolade de marches d'escalier. Oshitari fit son apparition dans le salon, les joues rougies et le souffle court. Il lança un regard impérieux aux occupants de la pièce.
« J'ai
besoin de mon sac, où vous avez mis les bagages ? »
« Dans
le hall, » répondit immédiatement Ohtori.
« Quelque chose ne va pas, Oshitari-senpai ? »
Oshitari ne répondit pas mais commença à marmonner dans sa barbe des mots sans queue ni tête comme 'Atobe', 'imbécile', 'fièvre', 'âne bâté' et ainsi de suite, tout en se dirigeant vers l'endroit indiqué. Shishido fronça des sourcils et se redressa de son fauteuil.
« Hoi,
Oshitari ! Ohtori t'a posé une question ! »
« Quoi
? » demanda la voix du tensai en provenance du hall.
Les joueurs de Seigaku pouvaient entendre le bruit des valises qu'on déplaçait, suivi d'un juron et de froissements de vêtements.
« Oh, désolé Ohtori-kun, » s'excusa Oshitari. « La fièvre d'Atobe a encore grimpé et cet imbécile refuse de prendre les médicaments qu'on lui donne... On va voir s'il ne va pas les prendre, » marmonna t-il en réapparaissant dans le salon, une petite trousse noire à la main.
Avant qu'un de ses coéquipiers ne puisse ouvrir la bouche pour l'interroger, il avait déjà disparu par l'autre porte et grimpait quatre à quatre l'escalier qui menait à l'étage. Un silence abasourdi tomba sur la pièce. Ohtori se racla doucement la gorge.
« Si
le cas d'Atobe-buchou a empiré, on devrait vraiment l'emmener
voir un médecin, » commenta t-il, dévisageant
ses senpai. « Vous pensez que c'est grave ? »
« Atobe
est bien plus résistant que ça, » lâcha
Shishido. « ... au pire, on demandera à
Ryuuzaki-sensei de l'emmener au village quand elle rentrera. »
« Elle
ne devrait pas tarder, ça fait bien trois heures qu'elle est
partie, » dit Gakuto. « Qu'est ce qu'on fait en
attendant, il est l'heure de dîner, j'ai faim ! »
Shishido soupira.
« T'es
pas le seul... »
« On a préparé
des choses à grignoter dans la cuisine, » dit
soudain une voix.
Inui Sadaharu de Seigaku se tenait sur le pas de la porte, un verre suspect à la main. Il leur dédia un petit sourire et remonta ses lunettes sur son nez.
« Vous
n'avez pas vu Fuji ? Ca fait bien une heure que je le
cherche... »
« Pas vu, » répondit
Gakuto. « Dis moi... Y a vraiment des choses à
manger dans le coin ? »
¤¤¤
Il était dans un monde étrange, avec plein de couleurs et de vapeurs irisées. Le soleil flirtait avec la lune et les étoiles brillaient dans le ciel turquoise, au milieu d'oiseaux féeriques au plumage de feu et de glace.
Il n'avait pas peur, parce que ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait là. Il était assis sous un arbre, appréciant le contact de l'herbe tendre sur sa peau. Une petite brise soufflait, légère et agréable. Il aurait aimé rester ainsi pour toute l'éternité, dans son petit bonheur de monde.
Mais bien sûr, le destin en décida autrement. Quand cette personne apparut devant lui, il avait immédiatement su qu'elle ne lui vaudrait que des ennuis. Elle avait l'air frêle et maladive, mais son regard était brûlant, si brûlant que ça en devenait effrayant. La flamme dans ses yeux semblait pouvoir le carboniser sur place, et il recula, alarmé.
« Tu es comme moi, » dit l'Autre, et il voulut lui dire qu'il se trompait mais sa voix s'étrangla dans sa gorge.
L'être avança et l'enlaça, faisant tout disparaître dans une gerbe d'étincelles aveuglante. Le monde fut lacéré, anéanti en morceau, le ciel fut fendu, déchiqueté de part en part. Le soleil tomba et la lune brûla comme un morceau de bois, à demi décrochée de son socle céleste. Les couleurs se fanèrent et il ne restait plus rien, que des tons de gris dans un monde détruit.
Alors il ferma les yeux et tout devint noir, définitivement cette fois… Il espérait juste que les autres le retrouveraient.
¤¤¤
C'était une petite chambre boisée sobrement décorée mais avec goût, meublée d'un lit, d'un bureau et d'une armoire placée contre le mur. Un tapis avait été placé au centre de la pièce, représentant un oiseau sur un fond noir et doré. Assez atypique comme décoration, mais elle avait son charme. Même si les occupants présents ne semblaient pas y prêter grande attention.
« Je peux savoir pourquoi tu te balades avec cette mallette de médecin sur toi, ahn ? »
« Là n'est pas la question. Ce n'est que de la soupe, je n'ai rien mis dedans, » dit Oshitari, le bol entre ses mains. « Tu as besoin d'avaler quelque chose de chaud. »
Si Atobe aurait été du style à faire la moue, il l'aurait fait et se serait peut-être même retranché dans un silence boudeur. Mais ce n'était heureusement pas du style du capitaine de Hyotei, même s'il dut se forcer à ne pas rouler des yeux. Son amour-propre et sa fierté démesurée lui disait qu'il y avait quelque chose de profondément répugnant dans le fait qu'une personne comme lui, leader et charismatique, soit réduit au rang d'un malade simple d'esprit dont il faudrait s'occuper. L'idée même lui donnait la nausée.
« Kabaji m'a déjà fait une tasse de thé, je n'ai besoin de rien d'autre, » lâcha t-il du bout des lèvres, dédiant un regard noir au tensai qui ne reculait pas.
Ce n'était pas vrai, il aurait aussi bien besoin de comprimés pour la migraine qui lui vrillait les tempes, mais ça il n'était pas près de l'avouer. La porte de la chambre s'ouvrit soudain et Tezuka apparut, l'air stoïque comme à son habitude. Il portait deux chaises sous chacun de ses bras et les posa dans la chambre, face au lit qu'occupait Atobe.
« Je
ne sais pas où est Kabaji-kun, » dit-il en guise
d'explication. « Je suppose qu'il a laissé ces
chaises dans le couloir. »
« Atobe lui a
demandé d'aller les chercher, » confirma Oshitari.
« Ca faisait bien une heure, on se demandait où il
était passé... »
Atobe eut un claquement de langue agacé. Agitant ses jambes sous les couvertures, il contempla un instant l'idée de tout envoyer foutre en l'air pour se ruer hors de la chambre, loin d'Oshitari et de Tezuka qui le traitaient comme s'il était souffrant. S'il y avait quelque chose qu'Atobe Keigo détestait, c'était bien la faiblesse et la pitié qui allait avec. Il n'avait pas besoin d'eux, il pouvait se débrouiller seul, il ne voulait pas être chouchouté comme s'il était une petite babiole fragile qui au moindre coup de vent risquait de se briser. Et que faisait Kabaji quand on avait besoin de lui ?
« Il
semblait bizarre, » continua Oshitari. « Il n'a
pas dit un seul mot depuis qu'Atobe est tombé dans le lac.
Je sais qu'il n'est pas bavard d'habitude mais... »
« Je
ne suis pas tombé, combien de fois dois-je te le
dire ? » le coupa brutalement Atobe, énervé.
Oshitari cligna des yeux. Pendant quelques instants, il essaya de conserver sa contenance et remonta ses lunettes sur son nez, déconcerté. Au fond, il savait qu'il ferait mieux de se taire et de ne pas provoquer Atobe plus qu'il ne le faisait déjà, mais c'était plus fort que lui. La présence de Tezuka le mettait sur les nerfs et l'attitude idiote de son capitaine ne l'aidait vraiment pas.
« Je
ne te savais pas aussi superstitieux, Atobe, » lâcha
t-il avec lenteur. « Je ne pensais pas que tu étais
le genre à croire aux nymphes, aux sirènes et à
tous ces trucs qu'on trouve dans les contes et légendes. »
« Je
n'ai pas besoin de tes sarcasmes, Oshitari ! »
« J'essaye
juste de comprendre, Atobe. » Oshitari soupira. « Tu
te rends bien compte que ce que tu racontes ne tient pas debout ? »
Le châtain ne répondit rien, mais le regard assassin qu'il envoya au tensai était plutôt clair. Il haïssait qu'on mette en doute ses paroles, et il haïssait encore plus le fait de ne pas pouvoir les prouver. Il savait que ce qu'il disait n'avait pas grand sens, mais il n'y pouvait rien. Ce n'était pas un caprice de sa part ou un tour de son imagination débordante, il n'était pas Jiroh ! Il n'avait pas d'autre choix que de se retrancher dans le silence, et ça lui faisait mal. Il n'était pas habitué à ronger son frein.
« Je vais voir si je ne trouve pas Kabaji-kun, » dit soudain Tezuka, rompant le silence dans la pièce.
Atobe hocha vaguement la tête et se roula sur le côté. Sa tête lui tournait désagréablement, rendant sa vue presque trouble, et il avait l'impression d'être sur le point de perdre connaissance s'il ne fermait pas les yeux tout de suite.
Oshitari le regarda s'assoupir lentement, incapable de faire autre chose que de veiller sur lui. Il savait qu'il y avait quelque chose qui clochait profondément dans les symptômes de son capitaine mais il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.
Et cette idée le rendait presque fou.
¤¤¤
Tezuka était inquiet. Ses gestes et son comportement ne montraient aucunement le trouble qu'il ressentait, mais il avait appris depuis longtemps à contrôler parfaitement le langage de son corps. Il savait cacher ses émotions, ses joies ou ses peines, la douleur qu'il éprouvait parfois quand il faisait un mouvement trop brusque avec son bras gauche, mais peut-être parce que cette dernière était imaginaire. Ca faisait déjà plusieurs mois que les médecins avaient déclarés son épaule complètement guérie et lui apte à rejouer au tennis. Atobe Keigo était un des rares à pouvoir lire à travers son masque sans expression, mais ce même Atobe Keigo était présentement cloué au lit par une forte fièvre. Et Tezuka était inquiet, car les autres personnes qui pouvaient s'en apercevoir étaient absentes.
« Je ne sais pas où ils sont, » dit Inui, remontant ses lunettes sur son nez. « Je cherche Fuji depuis des heures sans le trouver, et Oishi s'est volatilisé avec Eiji. »
Ils étaient dans la cuisine, où se trouvaient également Momoshiro et Ryoma, qui en avaient fait leur quartier général. Kawamura était avec Kaidoh dans le salon, en compagnie des autres joueurs de Hyotei. Tezuka les avait croisé en descendant de l'étage.
« Impossible
de mettre la main sur Hiyoshi et Kabaji non plus, »
continua Inui. « Il y a 12 de chance qu'ils se soient
perdus dans les bois derrière la maison. »
«
Je ne veux pas savoir ce qu'ils peuvent faire dans les bois à
cette heure de la nuit, » marmonna Echizen, à
moitié affalé sur la table.
La nuit était tombée et Ryuuzaki-sensei n'était toujours pas rentrée. Elle n'avait pas non plus appelé, avait anxieusement fait remarquer Momoshiro. Cela ne lui ressemblait pas… Ryoma soupira et piocha une cacahuète dans le saladier posé sous son nez, la croquant sans conviction. Il sentait ses paupières se fermer, alourdies de sommeil. Ils étaient partis à l'aube, et malgré la sieste qu'il avait piquée dans le car, le petit prodige de Seigaku tombait de fatigue…
Tout en sachant qu'il était incapable de dormir avant de savoir où étaient passés ses senpai.
« Je
vais aller voir dans les environs, » décida Inui,
s'adressant à Tezuka.
« Hn. Je remonte à
l'étage. »
Tezuka-buchou
semblait s'inquiéter pour Atobe, dont l'état
s'était paraît-il aggravé. Et évidemment,
ils étaient coincés dans une maison vide de tout
occupant, quelque part dans un coin paumé. C'était
une situation digne d'un film d'horreur, non ?
Momo
semblait penser la même chose.
« Echizen,
tu connais l'histoire de la maison abandonnée ? »
demanda t-il après qu'Inui et Tezuka aient quitté la
pièce.
« … Non Momo-senpai… »
.. et je ne veux absolument pas la connaître, voulut-il rajouter, mais il savait que Momo se mettrait à geindre et à l'accuser d'être un mauvais kôhai s'il osait le dire à voix haute. Alors, comme d'habitude, Ryoma se taisait et subissait. Momo prit une grosse voix, écarquillant grand les yeux. Ca lui donnait un air assez stupide, pensa Echizen.
« C'était
une petite maison située au fond d'un village, quelque part
près d'Osaka. Les gens racontaient que cette maison était
autrefois habitée pour un vieil homme et sa fille. Et tu sais
ce qu'il se passa, Echizen ? »
« …… Non
Momo-senpai. »
« Quand le vieil homme
mourut, son fantôme resta sur terre pour hanter la demeure…
Et tu sais ce qu'il se passa, Echizen ? »
« … Non
Momo-senpai… »
Lentement, pour faire durer le suspense, Momoshiro se pencha vers le première année et le fixa longuement, mortellement sérieux.
« Sa
fille, terrifiée, décida de vendre la maison. Et tu
sais ce qu'il se passa alors, Echi-kun ? »
« ……… Non
Momo-senpai……. »
« Et bien, Burger King
racheta le terrain et rasa la maison pour y construire un
fast-food, » avoua Momo, se grattant le haut du crâne.
« Et c'est pour ça que parfois, quand on écoute
bien, entre deux frites et un cheeseburger, on peut encore entendre
les pleurs de ce vieil homme lâchement abandonné par sa
fille et… »
« ……… T'es juste un
crétin, Momo-sempai. »
¤¤¤
C'était trouble au départ, mais après avoir passé ce qui lui sembla être une éternité dans le noir, l'univers cessa de tourner et il put prendre pied sur la terre ferme. Il ne savait pas où il était, ni ce qu'il faisait là. Le monde qui l'entourait était gris, dévasté. Et c'était étrange, parce qu'il avait une sensation de déjà-vu, comme si un souvenir profondément enfoui dans sa mémoire essayait de refaire surface.
Il ne savait pas où il était. Il ne savait pas ce qu'il faisait là. Il était Atobe Keigo, élève de troisième année à Hyotei Gakuen, capitaine du club de tennis de son école. Il était fils unique et héritier de la famille Atobe, une des plus riches et influentes familles du Japon. Il était…
Ses pensées s'effilochaient à mesure que les grains du temps s'écoulaient. Et puis le temps sembla se figer, et une musique s'éleva. Au début, ce n'était qu'une mélodie, un léger son qui résonnait dans l'air, doux et éthéré. Mais au fur et à mesure, elle se fit plus insistante, plus puissante. Elle lui vrillait le crâne et devint vite insupportable, tellement qu'Atobe eut envie de crier, les mains plaquées sur ses oreilles.
Son cœur battait vite. Bom, bom… Et son sang semblait pulser dans ses veines. Bom, bom… Il avait le sentiment d'être sur le point d'exploser, écartelé sur un autel d'acier. Bom, bom… Le monde se remit à tourner, tourner et tourner jusqu'à complètement disparaître, dans un mélange de noir et de gris.
Soudain, une lumière se fit jour sous ses yeux et il le vit. Le maître de ce monde. C'était quelqu'un qu'il connaissait, il le savait, mais il était incapable de mettre un nom sur ce visage. Ils avaient pourtant été proches dans le temps, presque comme deux frères. Il pouvait encore se rappeler de la sensation de ses boucles blondes sous ses doigts, de la façon dont il se comportait quand un événement exaltant le réveillait. Qui était-il déjà ? Et pourquoi était-il pris dans ce cocon destructeur ?
La vision disparut aussi vite qu'elle était venue et d'autres images la remplacèrent. Il y avait ces gens, étranges dans leurs habits blancs et leurs grandes ailes ; il y avait ces femmes, belles dans leurs habits de lumière et de vapeur, mais dangereuses avec leurs canines glacées. Et puis, il y avait ce sang, épais et écarlate, qui recouvrait tout, absolument tout, âcre et écoeurant au point de lui donner la nausée.
Une douleur lancinante lui labourait la poitrine et il aurait voulu disparaître, s'enfuir de cet univers froid et inhospitalier. C'est un rêve, lui disait son subconscient, s'accrochant au bribes de réalité qui existaient encore. Un rêve, un véritable cauchemar, une chimère née de son imagination et de ses peurs. Il fallait qu'il se réveille, parce que la douleur était telle qu'il se sentait presque mourir, incapable de penser à une autre voie de secours. Il avait juste besoin d'ouvrir les yeux pour y échapper.
« Atobe ! »
La voix qui l'appelait était peut-être sa sauveuse. Ancrée dans le réel, elle le tirait hors de ce monde imaginaire laissé à l'abandon, transformé en piège meurtrier…
¤¤¤
« Atobe ! » appela plus fort Oshitari, penché sur son capitaine.
Atobe était baigné de sueur et brûlant d'une fièvre qui refusait de baisser, malgré les efforts du tensai. Le jeune homme semblait pris d'un cauchemar et gémissait dans son sommeil. Même Morphée lui refusait le repos, semblait-il…
« Ca fait… mal.. » hoqueta Atobe, à moitié conscient.
Il s'agita encore, et Oshitari dut le maintenir contre lui pour l'empêcher de se cogner contre le bord du lit. Atobe était chaud et moite contre son torse, le visage à moitié enfoui dans sa chemise. Il semblait reprendre lentement connaissance, et Oshitari ne le relâcha que quand il fut sûr qu'il était entièrement réveillé.
« Un
cauchemar ? » demanda t-il au châtain qui
s'était repris, et qui regardait autour de lui d'un air
vaguement hébété.
« J-je ne sais
plus… Je ne m'en souviens pas. »
La voix d'Atobe était encore un peu tremblante, même s'il le cachait bien, remarqua Oshitari. Il connaissait Atobe depuis assez longtemps pour être capable de repérer ce genre de choses. Il tendit un verre d'eau au châtain qui le prit et l'avala d'un trait. Sans prononcer un mot, Oshitari prit la boîte de pilules qu'il avait préparé pendant qu'Atobe dormait et se prépara à la tempête qui allait lui tomber dessus quand il les proposerait à son capitaine…
Il n'avait pas l'intention de rester les bras croisés à ne rien faire.
(tbc)
