Titre : Descente aux enfers.

Auteur : Alhenorr (Bêta lectrice : Rieval).

Saison : début de la saison 2. Commence un peu avant « Runner ».

Spoilers : aucun en particulier. Juste quelques petites, petites mentions.

Rating : Drame / Angst.

Résumé : À nier nos peurs et nos faiblesses, elles finissent par prendre de plus en plus d'ampleur, nous rongeant chaque jour un peu plus, sans que nous le réalisions et en fin de compte, nous détruisent. Sauf si une main nous est tendue … McBeck friendship !

Disclaimer : rien ne m'appartient, en dehors des sentiments.

Note de l'auteur : il est extrêmement difficile d'affronter certaines situations. J'ai essayé de montrer ce que ressent quelqu'un qui doit supporter ce qu'il exècre par-dessus tout, et dont il sait qu'il ne viendra jamais à bout.

Rieval, j'aimerais être originale, mais je préfère rester sobre : merci. Tu sais tout ce qu'il y a derrière ce mot.

° « La mort nous suit, à toute heure et à tout pas » °

° Jean Baptiste Chassignet°

(1570 ? – 1635 ?) (1)

° °O° °

° Chapitre 1 °

° °O° °

Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.

Elle avait gagné, une fois encore …

Carson enleva ses gants, d'un air impassible. Le sifflement strident du moniteur cardiaque résonnait sinistrement dans la pièce, contrastant avec le profond silence qui y régnait. Un silence pesant. Terrifiant.

Avec une sorte de froideur, il nota la résignation de ses collègues. Sachant pertinemment que la même devait se lire sur son visage.

Encore un décès. Décès, un mot qu'il détestait, une fin qu'il combattait de toutes ses forces. Il sortait parfois vainqueur de cette étrange bataille. Parfois. Mais pas aujourd'hui.

° °O° °

Carson regarda le corps allongé sur la table d'opération. Un corps qui à peine quelques heures plutôt avait été une personne, active, pleine de vie. Riant avec ses amis. Il l'observait avec un certain détachement. Presque de l'indifférence.

Cela ne durerait pas, il le savait. Carson et la Mort se côtoyaient depuis de nombreuses années. Ils étaient de vieilles connaissances …

Les interrogations, les doutes, viendraient ensuite. Aurait il pu faire plus ? Sauver cette vie ? Reprendre à la Mort, cette inexorable faucheuse, ce qu'elle sarclait sans égards, avec fureur ?

Honnêtement, il l'ignorait. Les blessures avaient été graves, les quantités de sang perdu trop importantes. Son équipe et lui avaient contenu l'hémorragie, mais le cœur avait lâché alors qu'ils pensaient avoir franchi le plus dur. Ils disposaient de techniques médicales et d'appareils sophistiqués … sophistiqués mais pas infaillibles.

Carson sortait perdant de l'affrontement du jour, ce n'était pas la première fois et bien sûr, ce ne serait pas non plus la dernière. Mais c'était toujours aussi difficile.

Et maintenant, il se tenait debout, devant la table d'opération, avec cette amertume et cette rage enfouies au fond de lui. Ce hurlement prêt à sortir … s'il se l'autorisait.

Plus tard, peut-être. Mais évidemment il ne le ferait pas, ce n'était pas lui. Comme de coutume, il accepterait la défaite, la perte de cette vie humaine, précieuse. Unique. Il supporterait la disparition de cet être, qui aurait du vivre, qui avait encore tant de choses à découvrir, à savourer. Avait il seulement le choix ? A quoi bon se révolter ?

De toutes les manières, il se retrouverait au même point. La Mort nous attendait tous, non ? Dernier état, ultime voyage pour lequel chacun d'entre nous s'embarquait dès le jour de sa naissance, la mort était une issue … naturelle. Inutile de la combattre en permanence, Elle reprenait tôt ou tard les rênes. Seulement … un nœud se forma dans la gorge de Carson. Seulement parfois, il se prenait à espérer, à rêver que … non. C'était stupide, insensé.

La Mort venait et repartait à sa guise, quelques fois bredouille, parce qu'il l'avait repoussée. Patiente, Elle s'inclinait alors devant lui. Pour un temps. Elle n'avait nul besoin de se hâter, toute créature vivante la rejoignait un jour ou l'autre. Paisiblement ou non. Peu lui importait, Elle finissait toujours par remporter la partie.

C'était une leçon qu'il avait apprise – et retenue – dès le début de sa carrière

La science cherchait constamment à améliorer les techniques médicales, essayait de repousser toujours plus loin les limites de cette issue inévitable. Ces tentatives de réécrire les lois de la Nature, de bouleverser l'ordre établi, de changer les règles, l'avaient conduit à exercer la médecine. Par conviction. Par passion. Carson aimait se voir comme un messager de cette idéologie.

Un rebelle, à sa manière.

° °O° °

Les secours avaient tardé. Ils l'avaient ramené à l'infirmerie dans un état critique. Trop tard. La tension trop basse, les pupilles dilatées, fixes, le pouls filant, à peine perceptible. Toutes ses constantes vitales s'étaient affolées. Impossible de le « récupérer ». Il n'y avait plus rien eu à faire …

Mensonges ! Il aurait pu le sauver, essayer autre chose, trouver une solution. C'était son job. Sa mission. L'hémorragie n'expliquait pas tout, il aurait du prévoir l'arrêt cardiaque. Comment avait il pu se laisser surprendre ? Il maîtrisait ces gestes et ces procédés à la perfection. Où s'était il trompé ? A quel moment la Mort, insidieuse, avait elle prit le dessus ? Quelle erreur avait il commise ?

Il était coupable. Comme toujours. Sans aucun doute. Il aurait du parvenir à ramener ce corps meurtri, à la vie. Un médecin incapable ne méritait pas de …

NON ! Il repoussa fermement ces pensées dans un coin de sa tête. Il s'en occuperait au moment opportun, quand il en aurait le temps, quand il pourrait se le permettre. Enfermé dans son bureau, solitaire. Et quand il regagnerait ses quartiers - ce havre, où il s'interdisait de « ramener du boulot » - pour prendre un repos bienvenu et mérité, tout serait consommé. La douleur, l'amertume, la rage, l'impuissance. Les violences du cœur et de l'âme.

° °O° °

Mais au préalable, plusieurs tâches lui incombaient. Des tâches qui ne pouvaient attendre, ni être déléguées. Comme autant de missions clairement ordonnées.

Tout d'abord, prévenir les proches – dur, très dur. Les réconforter, autant que possible - insupportable. Trouver les mots, le ton de circonstance, adopter la bonne posture au bon moment. Même quand intérieurement, la colère puissante, ravageuse, déferlait dans sa tête et son cœur. Dévastait son âme. Erodant encore un peu plus les barrières qu'il érigeait pour - tenter de - se protéger. Barricades dérisoires qu'il s'acharnait à élever à chaque fois qu'il prenait un nouveau patient en charge.

Etape suivante, recoudre le corps. Il s'y obligeait, n'abandonnant jamais cette terrible obligation à ses infirmières, à l'inverse de tant d'autres de ses confrères. Il revivait alors l'intervention – spontanément, sans parvenir à l'éviter - dans ses moindres détails, revoyant tous ses gestes, ceux de ses assistants. Les uns après les autres, dans un ordre parfait. Avec leur synchronie, leur ordonnancement, tel un film défilant au ralenti sous ses yeux.

Venait ensuite le compte rendu d'opération, le rapport du légiste – sa seconde fonction sur Atlantis. Son premier rôle depuis quelques temps. Un peu trop longtemps. Il se remémorait – méthodiquement cette fois - tous les détails, étudiait l'évolution des comportements. Consciencieusement, de manière appliquée. Presque trop méticuleusement, il le savait. Seul dans son bureau, sachant que pour ce qu'il oubliait, il lui suffisait de se rendre dans la pièce adjacente, théâtre quelques heures plus tôt de sa nouvelle déroute.

Et enfin, les explications. Devant les membres du staff médical, les responsables de l'expédition – Elisabeth, John, Rodney, le colonel Caldwell – et quelques fois les coéquipiers du défunt. Il restait immobile, attendant – stoïque - que la parole lui revienne.

Et il exposait ses conclusions d'une voix calme, monocorde. Sans émotion, du moins en apparence. Il se contentait d'énoncer des faits scientifiques, inéluctables. Il arrivait presque à s'en persuader. Presque.

Il croisait de temps en temps les regards douloureux, abattus, des survivants, des autres membres de l'équipe du défunt, qui cherchaient à travers lui une raison de croire qu'il était déjà trop tard, que leur ami n'avait pas trop souffert. Il leur offrait cette consolation, ce réconfort qu'il se refusait à lui-même, leur assurant que ni « plus de temps », ni « une plus grande vitesse de réaction », ni quoique ce soit d'autre … que rien n'aurait changé le cours des évènements. Et ils le croyaient, repartaient avec toujours la même tristesse, mais légèrement apaisés, car « le docteur l'affirmait, il n'y avait rien eu à faire ».

Il sentait peser sur lui les regards tristes, graves ou préoccupés des responsables de la cité. Particulièrement celui de Rodney, qui fouillait le sien, à la recherche d'une quelconque trace d'émotion, du plus infime signe de trouble. Bien que le canadien le connaisse mieux que quiconque sur Atlantis, voir même sur Terre. Mais personne ne parlait.

Au moins, ils lui épargnaient les commentaires banals, du style « vous avez tout essayé, nous le savons » ou bien « vous n'êtes qu'un homme, vous n'êtes pas infaillible ». Absurdités qui auraient broyé sa raison, annihilé sa capacité à supporter cette nouvelle débâcle.

Ce rituel le plongeait inlassablement dans des réflexions malsaines, inquiétantes.

Durant son internat, son directeur d'étude lui avait inculqué les bases de l'insensibilité. Certes, il ne parvenait jamais à rester imperméable à la souffrance des familles, mais il réussissait à la maintenir à distance. La plupart du temps.

° °O° °

Carson se tourna vers ses collègues. Certains le fixaient intensément, immobiles, d'autres « s'occupaient », les mains et l'esprit, commençant à ranger la salle, triant les instruments. D'un coté les usagés, de l'autre ceux destinés à être stérilisés. Dans une litanie machinale des gestes, des tâches familières. Ils attendaient tous ses instructions, muets.

Dans ces moments là, ils étaient unis, liés par un ressenti identique. Qu'eux seuls comprenaient et partageaient. Cette impuissance, cette inutilité. Cette rage.

Dans cette lutte de longue haleine, il fallait savoir céder quelque fois, accepter la défaite. Sous peine d'en perdre la raison. Son directeur d'étude l'avait également instruit sur ce « chapitre » du parfait médecin.

Inutile de se rebeller contre un fait inévitable, c'était du temps - de l'énergie – perdus, alors qu'il ferait mieux de les mettre au service d'une autre personne.

Passer au « cas suivant ». Analyser les erreurs, mais ne pas s'appesantir sur les sentiments – colère, rage, amertume – toujours s'anesthésier. Admettre sereinement la mort, la perte d'une vie. Sans frémir, sans même sourciller. Vivre avec, en étant conscient qu'elle était leur compagne, au quotidien.

« Un médecin doit savoir se dissocier de l'individu, pour ne voir que le patient ». Pareil face aux familles, qui angoissaient dans les salles d'attente. Rester insensible … dans la mesure du possible. Conserver toute sa lucidité.

Ce cynisme ne l'effrayait pas, cette aptitude lui était bénéfique, le plus souvent. Comme maintenant, par exemple …

« Heure du décès … ».

° °O° °

A suivre …

(1) « Le mépris de la vie et consolation contre la mort ». JB Chassignet est un auteur français peu connu des Seizième et Dix-septième siècles, on a peu de renseignements sur lui. Il est le fils d'un médecin de Besançon et a fait des études de droit après avoir reçu une éducation humaniste. Son ouvrage précité (je l'ai pas lu en entier, juste certains textes !) est coton à lire, mais certains de ces textes méritent l'attention. Ils invitent à des réflexions parfois perturbantes, mais souvent enrichissantes.