Nouvelle année
Un petit cadeau pour bien commencer l'année… Je bloque un peu sur Bas les Masques ! en ce moment, mais je vais y arriver ! Bonne année à tous en tous cas, qu'elle emmène la joie et le bonheur, pour vous et tous ceux que vous aimez.
Elle poussa la porte du restaurant, et tous les regards se tournèrent vers elle. Elle n'était ni plus belle, ni plus laide, ni plus riche, ni plus pauvre que beaucoup d'autres femmes déjà assises devant leurs assiettes, mais elle avait indubitablement quelque chose de différent. La neige qui tombait au dehors en flocons serrés avait laissé dans ses cheveux décoiffés par le vent froid quelques duvets étincelants qui contrastaient avec ses mèches d'un brun sombre. Sa bouche en forme de cœur accusait un pli dur qui rendait son expression presque déplacée dans son visage aux rondeurs encore enfantines. Mais le plus frappant, c'était la lueur qui hantait ses yeux dorés, une lueur qui semblait refléter tous les malheurs et toute la douleur du monde, une tristesse millénaire et inextinguible. Pourtant, on lui donnait difficilement vingt ans. Telle était la femme qui passa la porte d'un restaurant anonyme en plein cœur de Londres par un soir glacé de décembre, alors que le reste du monde se préparait à fêter le début d'une nouvelle année dans les rues illuminées d'ampoules de couleurs comme pour mieux repousser les ténèbres de la nuit.
Les regards se détournèrent, comme gênés de leur immixtion. Les yeux se baissèrent vers les plats fumants disposés devant eux, vision rassurante face à cette intrusion de la douleur dans leur petit monde faits de joies et de tristesses modérées. Seuls deux yeux aux iris couleur d'argent liquide restèrent fixés sur elle. Il se leva du tabouret de bar sur lequel il était assis. Elle le vit. Il marcha dans sa direction et s'arrêta à quelques pas d'elle. Elle était transformée. Lui, il n'avait pas changé. Ses cheveux d'un blond presque blanc étaient impeccablement lissés derrière ses oreilles, seules quelques mèches fines s'étaient échappées pour venir ombrager son front. En dépit de tout, il avait conservé cet air fier que rien ne semblait être en mesure de faire plier. Il ne souriait pas, il ne souriait jamais, ce n'était pas dans sa nature. Il se tenait droit et implacable. Il ne dit rien, et elle non plus. Ils se contentèrent de s'observer sans ciller, comme deux bretteurs qui s'évaluent du regard avant de s'affronter dans l'arène. Ce n'était pas tellement éloigné de la réalité : ils avaient été adversaires par le passé, et si ce soir-là ils n'étaient plus ennemis, c'est qu'il ne leur restait plus aucune cause pour laquelle ils auraient pu se battre.
« Bonsoir », dit-il enfin. Le maître d'hôtel dodu qui attendait derrière lui se retint de pousser un soupir soulagé. Il avait craint un instant que ces deux étranges clients ne viennent troubler ses autres hôtes par leur attitude si… déplacée en ce soir de fête. Heureusement, l'homme avait parlé : il pouvait donc reprendre tranquillement ses devoirs, ces petits gestes automatiques qui lui venaient si facilement après des années de pratique. Il trottina jusqu'à la jeune femme qui venait d'entrer, petit pingouin rondouillard et pataud dans son uniforme blanc et noir, et posa ses mains sur ses épaules pour l'aider à retirer son long manteau noir.
Elle ne répondit rien, mais tressaillit en sentant les mains du majordome la toucher. D'une pièce, elle se retourna à moitié, cherchant quelque chose du regard avec fébrilité, l'air presque effrayé. Son regard croisa celui du maître d'hôtel qui la considérait d'un air étonné, attendant sans rien dire, bien trop poli pour commander à sa cliente. Elle le regarda à son tour et se laissa faire. Le manteau de drap glissa de ses frêles épaules, et le jeune homme regarda le corps qui se découvrait lentement. Elle avait maigri, c'était évident, même si ses joues restaient rondes et douces, légèrement colorées de rose par le froid. Ses vêtements noirs ne faisaient qu'accentuer cette impression, et sa robe de cocktail accusait des poches là où la chair l'avait jadis remplie. Elle gardait les yeux baissés, évitant son regard. S'il s'attendait à une salutation en retour, il en fut pour son argent, car elle ne prononça pas un mot. Mais pas une ride ne vint troubler la perfection glacée du visage du jeune homme. Toujours en silence, il la précéda vers une table libre où deux couverts étaient disposés. Les rires et les discussions autours d'eux s'élevaient de nouveau, sans pour autant les atteindre. Ils étaient dans leur propre monde, étrangers au milieu de la foule, intouchables et lointains.
Il tira sa chaise en arrière pour lui permettre de s'asseoir, devançant en cela le petit pingouin qui fit une moue déçue, et prit place face à elle. Il la regarda de nouveau. Comment pouvait-on changer autant en si peu de temps ? Quand l'avait-il vu pour la dernière fois ? Un peu plus de deux ans auparavant. C'était un jour de pluie, et ses cheveux étaient trempés. Les mèches brunes ressemblaient à des serpents noirs profondément imprimés dans sa peau. Elle pleurait comme il n'avait jamais vu pleurer personne. Personne ne devrait éprouver un tel désespoir. Aujourd'hui, les larmes s'étaient taries, mais le désespoir était toujours là, concentré dans la lueur qui brûlait dans ses yeux. Il l'avait connue pleine de rire, mais elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. La lueur des chandelles teintait sa peau d'une brume dorée. Le silence pesait comme une chape menaçante au dessus de leur tête. Le maître d'hôtel s'approcha d'eux sur la pointe des pieds et posa les menus recouverts de cuir imprimé de lettres d'or devant eux avant de s'éloigner aussi rapidement qu'il était décent. Il devait parler. Il parla.
« Je n'étais pas sûr que tu viendrais, mais j'avais réservé cette table quand même. Cela fait longtemps, Hermione. » Sa voix était enrouée, comme si c'était là les premiers mots qu'il prononçait après une éternité. Elle leva la tête, et de nouveau il sentit la lueur de ses yeux venir le heurter comme une gifle.
« Pas Hermione, Granger. Appelle moi Granger, Malefoy, c'est ce que tu as toujours fait. Tu ne m'as pas manqué.» Elle n'était pas vraiment agressive, simplement tranchante et désincarnée. Même sa voix avait changé : elle semblait provenir d'outre-tombe. Evidemment, à quoi d'autre aurait-il du s'attendre ? Mais il n'était pas là pour se battre.
« Si c'est ce que tu souhaites, c'est ce que je ferai. Tu ne m'as pas manqué non plus. Je n'ai pas vraiment pensé à toi, jusqu'à ces derniers jours. Nous nous sommes quitté dans des circonstances assez particulières. Depuis j'ai refais ma vie, comme nous tous. Sauf toi, apparemment… », ajouta t'il en l'observant de haut en bas.
« Pour pouvoir reconstruire, il faut des fondations. Je n'en ai plus aucune, tout ce que j'avais est resté derrière moi», répliqua t'elle de cette même voix de fantôme qu'elle avait employé la première fois. « Pourquoi m'as-tu fait venir ? Je ne crois pas que nous ayons jamais eu grand-chose en commun. »
Il sourit en observant ses ongles parfaitement manucurés avant de se saisir de son menu et de l'ouvrir. Face à lui, elle imita son geste, mais ses yeux restaient fixés sur lui par-dessus la couverture de cuir. Il ne voyait d'elle que ces grands yeux douloureux. Il sourit de nouveau, un sourire qu'elle ne vit pas. Elle aussi ne voyait de lui que ses yeux, et jamais les sourires de Draco Malefoy n'atteignaient ses yeux. Chacun derrière leur rempart de carton, ils se défiaient de nouveau. La balle était dans son camp à lui, elle ne pouvait qu'attendre. « Que tu le croies ou non, j'ai certain principes. L'un d'eux est de commencer la nouvelle année avec de bonnes résolutions, d'effacer mes ardoises pour mieux les remplir. Tu es l'une de ses ardoises, et j'ai laissé traîner celle-là trop longtemps. Je te l'ai dis, je suis en train de reconstruire ma vie. Je ne veux pas laisser de dettes. Le monde, notre monde a bien changé, tu sais… », ajouta t'il d'un ton pensif. Ce n'était plus à elle qu'il s'adressait, mais plutôt à lui-même.
Elle l'interrompit. « Ce n'est plus mon monde. C'est ici que je vis, à présent… » Sa voix n'était plus si désincarnée, elle semblait plus décidée, plus dure aussi. Draco se demanda en silence s'il ne la préférait pas à demi-morte. Hermione n'avait jamais été un adversaire facile. Diminuée, elle faisait certes peine à voir, mais il n'était pas de ceux qui aiment se compliquer le travail. S'il l'avait su en pleine possession de ses facultés, il n'aurait sans doute jamais cherché à la voir. Mais il ne laissa rien paraître des sentiments qui l'agitaient.
« Ca, ton monde ? », ricana t'il en désignant la salle du restaurant d'un geste large. « Laisse moi rire ! Tu es différente d'eux, quoique tu fasses. Tu ne peux pas cacher ce que tu es. Tu es une sorcière, que tu le veuilles ou non. » Quelques regards curieux se tournèrent vers eux, et Hermione le fusilla du regard derrière son menu. Il haussa les épaules avec indifférence, mais baissa la voix, de sorte que la jeune fille se pencha automatiquement vers lui pour entendre ses mots. « Tu fais parti de notre monde, tu fais parti de l'histoire de notre monde. Ce qui est fait est fait, on ne peut pas revenir en arrière. Tu comptes vraiment passer le reste de ton existence à te dissimuler ? Tu es ridicule !»
Elle se redressa, et sa bouche était réduite à une ligne fine dans son visage durci. « Ce que je suis ne te regarde en rien. Tu n'as pas de leçons à donner, et surtout pas à moi. Tu me dégoûtes. Je ne sais pas ce que tu fais à présent, mais je sais ce que tu es. Tu es un assassin ! », asséna t'elle méchamment.
Il se renversa sur le dossier de sa chaise. La commissure de ses lèvres s'incurva dans cette caricature de sourire qui lui était familière. «Un assassin ? J'ai tué, en effet. Mais tu oublies quelque chose. C'est que toi aussi, tu as du sang sur les mains… Techniquement, cela fait aussi de toi un assassin. Nous les sommes tous, tous ceux qui avons agi en tout cas. C'est le propre des guerres de faire des hommes des assassins… »
« Ce n'est pas pareil ! » Sa voix claqua sèchement, comme celle d'un fouet. « La cause pour laquelle je me battais étais juste ! »
« C'était la tienne », répondit-il avec davantage de douceur. « Il est normal que tu la considères comme étant juste. Cela rend les choses tellement plus faciles à supporter, n'est-ce pas ? Moi aussi, je me dis que ce pour quoi je me battais était juste. La seule différence entre toi et moi, c'est que ton camp a gagné, ce qui fait de toi une héroïne, et que le mien a perdu, ce qui fait de moi un criminel. Mais nous ne sommes pas si différents, au fond. Tu devrais y réfléchir. Merlin merci, les autorités ont comprit le problème et ont accordé l'amnistie à tout le monde, en théorie… Bien sûr, les gens pensent différemment, mais j'ai réussi à me faire un nom autre que celui du fils d'un Mangemort. Je suis doué en affaires, sans fausse modestie. Les gens ne cherchent pas plus loin. C'est le pouvoir de l'argent : il achète tout, même une réputation. Une guerre civile est un vrai casse-tête, vois-tu, il n'y a plus aucun innocent, seulement des assassins et des lâches. Si quelqu'un aurait du fuir, pourtant, c'est moi. Et aujourd'hui, pourtant, c'est toi qui te terres.»
« Je ne me terre pas », murmura-t-elle un peu absente. Elle regardait le menu sans le lire. Les lettres qui s'étalaient sous ses yeux ne semblaient plus avoir aucun sens tandis que les paroles du jeune homme tournaient dans sa tête comme un manège prit de folie. « Pourquoi avoir voulu me rencontrer ? »
« Je te l'ai dit, je veux effacer mes ardoises. La vraie question, c'est de savoir pourquoi tu as accepté de venir. Pourquoi, Granger ? » Il avait posé son menu sur la table recouverte d'une nappe blanche damassée et la considérait de son regard gris qui ne cillait jamais, les mains croisées sous le menton. Elle le regarda d'un œil nouveau. Même si la transformation n'était pas aussi visible que la sienne, Draco Malefoy avait changé. Il avait mûri. L'adolescent plein de morgue et de haine pour le monde entier était devenu un homme réfléchi avec ses propres démons à combattre, et il leur faisait face. Ce n'était pas quelque chose de facile : elle n'avait jamais réussi à le faire, et ses morts hantaient encore ses nuits et ses jours, ils n'étaient jamais véritablement en repos. Et Draco posait les bonnes questions, il les avait réveillé et il lui semblait que tous étaient venus s'asseoir avec eux autours de la table, silencieux et omniprésents.
« Je n'en sais rien », mentit-elle impunément. Ils n'étaient dupes ni l'un ni l'autre et ils s'observèrent de nouveau en silence. Le maître d'hôtel sembla percevoir une baisse de tension et s'approcha obséquieusement, son carnet à la main. « Vous avez choisi ? », demanda-t-il d'une voix basse et onctueuse. Hermione posa son doigt sur un plat à l'aveuglette. De toute façon, les prix n'étaient pas inscrits sur son menu et elle n'était pas venue là pour manger. Draco commanda un plateau de fruits de mer et une bouteille de Chablis 1989 avec autorité. Le dodu petit pingouin s'inclina avant de s'éclipser à reculons, les laissant seuls de nouveau. La jeune femme rompit son pain avant d'en grignoter quelques morceaux d'un air distrait.
« Au diable les mensonges… », dit finalement Draco avec lassitude. Il fut interrompu par le sommelier qui revenait avec la bouteille demandée, enveloppée avec amour dans une serviette blanche. Après avoir goûté le vin avec un claquement de langue appréciateur, il prit la bouteille des mains et versa le liquide doré dans le verre de sa compagne. Elle le regarda faire d'un air absent.
« Je ne mens pas », murmura t'elle sans conviction tandis qu'il plongeait la bouteille dans le sceau à glace posé à côté de la table.
« Je t'en prie, ne joue pas à ça avec moi. Nous ne sommes plus des enfants… », répondit-il plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.
« L'avons-nous jamais été ? », demanda t'elle soudain.
Il la regarda, frappé par l'intensité qui transparaissait dans sa voix. « C'est une bonne question… J'avoue que je n'y ai jamais vraiment réfléchi. Je suppose que oui, mais notre enfance a été beaucoup plus courte qu'elle a coutume de l'être. Cela ne sert à rien de regretter. N'essaye pas de détourner la conversation, et goûte ce vin, c'est une pure merveille. Dis-moi, pourquoi es-tu venue ? Tu n'as rien à craindre, c'est moi qui t'ais invitée, après tout. »
Elle prit une grande inspiration, comme un nageur qui s'apprête à plonger. « Je voulais savoir… », dit-elle très vite, si vite qu'il eut peine à comprendre ses mots.
« Savoir quoi ? », la poussa t'il avec douceur et fermeté. Cela s'avérait plus facile qu'il ne l'avait prévu. Hermione était sevrée depuis si longtemps de toute personne à qui elle puisse parler à cœur ouvert, qui soit en mesure de comprendre ce qu'elle avait vécu, qu'elle se trouvait automatiquement en position de faiblesse. S'il avait été là pour l'achever, il n'aurait eu aucun mal à le faire. Jamais elle ne s'était trouvée aussi vulnérable en sa présence. Même le jour où… Le jour où il l'avait vue pour la dernière fois, cette douleur insondable la protégeait comme une armure.
« Savoir ce que le monde devient, si ce pour quoi je me suis battue s'est avéré être une réussite. Et savoir… comment ils sont morts… » On y était. « Est-ce toi qui les a tué ? Je veux savoir ! » L'éclat fiévreux de ses yeux, ses mains amaigries crispées sur le rebord de la table au point que les articulations paraissent blanche, tout cela n'était qu'une caricature d'Hermione. Il avait du mal à assimiler que l'orgueilleuse Sang-de-Bourbe qu'il avait maltraitée et combattue durant toute son adolescence soit devenue cette femme traquée par des ombres qu'il avait peine à imaginer. Il avait dit qu'ils se ressemblaient. Il commençait à en douter. Il avait été préparé à affronter la mort, elle n'avait voulu que la vie. Telle était leur différence, et elle transcendait tout. Qu'ils aient utilisé les mêmes méthodes pour parvenir à leurs buts n'y changeait rien.
« Je ne sais pas si tu le veux vraiment… », murmura t'il, regrettant soudain de s'être lancé dans cette aventure.
« Oh si, je le veux », dit-elle avec ferveur. Les fantômes assis autours d'eux semblaient s'être levés pour danser une folle farandole qui l'étourdissait, noyant son jugement. Elle voyait une lueur au bout du tunnel et était prête à tout pour la rejoindre. Depuis trop longtemps elle errait dans les ténèbres. Certes, la lumière en question pouvait bien être les flammes de l'enfer qui la consumeraient définitivement avant même qu'elle ait pu faire un pas en arrière, mais sur le moment, rien ne lui paraissait pire que l'incertitude.
« Soit », répondit le jeune homme dont les cheveux brillaient comme de l'or rutilant à la lumière des bougies. Sa voix était indéchiffrable lorsqu'il poursuivit après une pause : « Alors c'est moi. C'est moi qui les ai tué. L'un après l'autre. »
Elle ferma les yeux. Au fond elle l'avait toujours su. Elle ne dit rien, mais sa main chercha son verre en aveugle. Elle tremblait si fort qu'elle manqua de renverser le liquide doré sur la nappe blanche, mais peut lui importait. Elle dînait en compagnie de l'homme qui avait tué ses deux meilleurs amis…
« Je suis désolé », soupira inutilement Draco. « Nous étions en guerre. Ils m'auraient tué si je ne l'avais pas fait… »
Autours d'eux la salle chaleureuse et confortable avait disparue. Ils ne voyaient qu'un cimetière. Le champ de ruines de ce qui avait été Poudlard. Deux ans auparavant.
On touchait aux derniers jours de juillet, et pourtant une pluie fine et glaciale tombait sans répit. Dans l'air se mêlaient les effluves écoeurants de la chair brûlée et du sang, les cris s'élevaient partout autours d'eux. Ils étaient trois comme à leur habitude. Mais ce jour-là n'était pas comme d'habitude. C'était le jour décisif, le jour pour lequel ils étaient nés. Hermione se tenait au centre d'une clairière dévastée, Ron et Harry à ses côtés. Ce dernier était si faible que ses amis devaient à demi le porter. A leurs pieds gisait le cadavre de celui qui avait été l'homme le plus redouté de toute une génération. Il s'était écroulé comme tombe un chêne, d'une seule pièce, sans un cri. Hermione savait déjà qu'elle ne pourrait jamais oublier l'expression qu'elle avait lu sur son visage au moment où Harry avait lancé le sort fatal : le seul Avada Kedavra qu'il ait jamais mené à terme. C'était étrange que tout soit fini. Il n'y avait pas eu d'explosion, pas de cri, pas de lumière venue de nulle part. Tout autours d'eux, on avait continué à se battre, les innocents à tomber, les gens à mourir, le sang à couler.
« Il faut emmener Harry à l'arrière… », avait haleté Hermione. Ron avait hoché la tête. Ses tâches de rousseur ressortaient plus que jamais sur son visage livide. Il avait l'air sur le point de vomir, mais son regard restait ferme. Leur ami l'inquiétait autrement plus : le Survivant semblait avoir été vidé de son essence par le sort qu'il avait lancé. Ses yeux verts étaient vitreux et inexpressifs, son corps aussi mou qu'une poupée de chiffons.
« Je vais l'emmener », avait dit Ron, « va prévenir McGonagall que tout est fini. » Elle avait secoué la tête en signe de dénégation, obstinée en dépit de l'épuisement.
« C'est hors de question, je reste avec toi… Il ne faut surtout pas nous séparer ! » Ses protestations s'étaient avérées vaines, Ron savait être convainquant, et ses arguments étaient valables.
« Si, Hermione, il le faut » La voix de son ami était étrangement calme et rassurante dans le chaos et la destruction qui les environnait. « McGonagall doit être prévenue au plus vite, et Harry a besoin de soins, ou sinon…Je peux porter Harry tout seul, et tu iras plus vite sans nous. D'accord ? » Il eut une sorte de sourire qui se voulait encourageant, mais ne réussit qu'à lui adresser qu'une grimace fatiguée. « Courage… Nous avons fait le plus difficile. Ce n'est qu'une question d'heure avant que tout ça soit finit ! »
Elle avait hoché la tête comme une enfant docile. Maladroitement, elle les avait serré tous les deux contre son cœur dans une même étreinte. Harry avait levé la tête tant bien que mal. Son cœur battait très fort dans sa poitrine lorsqu'elle les relâcha. Il fallait faire vite à présent. Elle s'était éloignée de quelques pas avant de s'arrêter de nouveau pour les regarder. Ils semblaient si seuls dans la clairière exsangue. Son amour pour eux l'avait submergée comme une vague brûlante, elle avait soudain comprit que la vie sans eux était inenvisageable. Ce qu'elle n'avait pas su à ce moment là, c'est qu'elle les voyait pour la dernière fois. Elle s'était donc retournée, et elle avait couru aussi vite qu'elle avait pu vers la cour du château, où le plus gros de la bataille faisait rage, tandis que Ron et Harry s'éloignaient pour faire face à leur mort…
« Que s'est-il passé ce jour-là ? Tu les attendais en embuscade ? », demanda t'elle simplement. Elle le regardait droit dans les yeux, incapable de détacher son regard du sien. Il ne pouvait plus lui échapper, et sans doute ne le voulait-il pas. Il avait su qu'il aurait un jour à affronter ce regard-là, il l'avait su dès le moment où il avait levé sa baguette. Il ne regrettait pas. C'était comme ça, tout simplement. Il ne lui mentirait pas. Quelque dure la vérité soit à entendre, il estimait qu'elle la méritait.
Il secoua la tête en signe de dénégation. « Non, je les ai croisé par hasard. Cela aurait pu être n'importe qui d'autre, n'importe quel Mangemort… Mais le destin a voulu que ce soit moi. » Pourquoi cela ? Il n'en savait rien. Mais au fond de lui, il avait l'intime conviction que ce n'était pas tout à fait vrai non plus.
La Forêt Interdite avait été réduite à un tas de cendre, et Draco avait encore du mal à assimiler ce fait. Il avait toujours vu les hautes cimes d'un vert sombre s'élever partout autours du château, à la fois bouclier et muraille de prison. Aujourd'hui, ce n'était plus qu'un désert noirci où il se frayait un chemin entre les squelettes dénudés de ce qui avait été des chênes majestueux, des sapins altiers, des cèdres imposants. Les cendres formaient une boue noirâtre qui se collait à ses chaussures et à son pantalon, se confondant avec les tâches de sang qui s'y trouvaient déjà. Il avait quitté le gros de la bataille, les mêlées au corps à corps et les hurlements de ses amis comme de ses ennemis qui lui donnaient la chair de poule. Il ne savait pas trop à quoi il s'était attendu en rejoignant les rangs des Mangemorts, trois ans auparavant, mais ce n'était certainement pas à ça. Pendant un an, il s'était préparé à une bataille rangée, il était devenu une machine à tuer surentraînée ; mais lorsqu'on lui avait demandé de se transformer en boucher, il n'avait pu le faire. Il avait vu son père tomber devant ses yeux, il avait du affronter le regard haineux de ses amis de jadis… Son monde s'écroulait autours de lui et la vie le frappait de plein fouet, le laissant totalement désarmé. Il avait fui, comme un lâche, et des larmes de rage coulaient sur ses joues pâles, laissant des traînées claires en se mêlant aux cendres.
Un craquement se fit entendre derrière lui, un bruit de pas traînants. Il se retourna d'une pièce, sa baguette à la main, un sortilège lui brûlant déjà les lèvres. Mais en apercevant le spectacle qui s'offrait à ses yeux, il se sentit sourire, presque malgré lui. A quelques pas de lui se dressaient deux silhouettes. C'était Ronald Weasley, totalement désarmé, si pâle et épuisé qu'il ressemblait à l'ombre de lui-même. Et là, accroché à son épaule, à demi-mort, la tête baissée vers le sol, ce n'était autre que le garçon Potter en personne. Son passeport pour la gloire… Ron ne l'avait pas vu, quand à Harry, il n'était vraiment pas en mesure de prêter attention au reste du monde. Draco s'accroupit lentement, se gardant bien de faire entendre le même craquement qui ait pu trahir sa présence. Un instinct animal se leva en lui. Il se sentait loup, faucon ou serpent, et une seule idée rouge sang s'imprimait dans son esprit. La Mort. Il devait tuer, et il connaîtrait la gloire. S'il tuait Potter et sa clique, non seulement il assouvirait sa vengeance personnelle mais aussi la victoire leur appartiendrait. Toujours à genoux dans la boue couleur de ténèbres, il s'approcha du couple, s'aidant de ses mains, sans soucis des épines qui s'enfonçaient profondément dans la paume de ses mains. Nulle part Granger n'était en vue…C'était étrange, mais au fond peu importait.
Il n'était plus qu'à quelques pas d'eux lorsqu'il se redressa. Il vit la peur dans les yeux de Ronald : le rouquin avait d'hors et déjà comprit que c'était sa mort qui lui faisait face. Il laissa Harry tomber sur le sol, et le Survivant s'affaissa lourdement. Draco les tenait en joue. Il regardait froidement Weasley chercher sa baguette avec des gestes maladroits, embarrassé par le corps de Harry. Une partie de son esprit semblait s'être détachée de son corps pour s'envoler loin au dessus de leurs têtes, il se voyait lui-même. C'était curieux, mais pas désagréable. Il savait ce qui lui restait à faire.
« Tu es mort, Weasley… », s'entendit-il dire d'une voix très calme, qui ne marquait aucune émotion. Ce n'était pas une menace. C'était simplement une observation. Les yeux bleus du rouquin le fixèrent d'un air presque étonné, sa baguette pendant inutilement dans sa main. Il secouait la tête de droite à gauche, comme s'il cherchait à s'éveiller d'un mauvais rêve. Le garçon s'était placé devant Harry, comme pour le protéger de son corps. Une partie de Draco admirait ce sacrifice, mais il n'éprouvait aucune pitié. Il leva le bras, prit une grande inspiration, et prononça les mots fatals. Le sort vert frappa Ron de plein fouet. Le rouquin le regarda avec impuissance, sans un mot. Puis il tomba en silence, à genoux d'abord, puis face contre terre. L'information mit quelques secondes avant d'être assimilée par Draco. Il s'approcha des deux corps. Puis Harry se releva sur un coude. L'effort qu'il devait faire pour exécuter ce simple geste se lisait sur son visage.
« Ca ne sert à rien, Malefoy », réussit-il à articuler avec difficulté. Son visage était maculé de boue, mais il restait très digne pour quelqu'un qui venait de voir son meilleur ami assassiné sous ses yeux. « Voldemort… »
« Ne prononce pas son nom ! », ordonna l'ancien Serpentard entre serrant les dents. Il avança encore un peu. Il était si proche à présent qu'il aurait pu les toucher.
« Voldemort ! », répéta Harry un peu plus fort. Le jeune homme aux cheveux d'or résista difficilement à l'envie de se boucher les oreilles de ses mains, comme un enfant. La partie de son esprit qui ne lui appartenait plus lui glissa d'un air détaché qu'il était ridicule qu'il soit incapable d'entendre quelqu'un prononcer le nom de celui qui avait prit une place si importante dans sa vie. Pourtant, c'était le cas. Lucius Malefoy avait été l'homme que son fils admirait le plus au monde, et jamais de sa vie il n'avait dit ce mot. Draco n'en ferait pas plus.
« Peu importe… Il est mort maintenant », poursuivit son ennemi à terre.
Le vert et argent le fixa comme s'il le voyait pour la première fois. « C'est impossible… », murmura t'il avant de reprendre avec plus de force, « c'est impossible ! Il ne peut pas mourir ! Tu me mens, Potter, mais cela ne servira à rien. Je vais te tuer quand même, comme j'ai tué Weasley ! »
« Je sais que tu vas le faire, tu en meurs d'envie depuis que nous nous sommes vus pour la première fois », répondit le Griffondor en s'étendant de nouveau sur le sol. Draco pouvait presque voir ses dernières forces s'écouler de son corps. « Mais cela ne servira à rien. Voldemort est mort… »
Un doute affreux s'empara malgré lui du jeune Mangemort. Potter n'avait jamais menti. Il ne cherchait même pas à se défendre. Et s'il disait la vérité ? Non, c'était impossible ! Le Seigneur des Ténèbres était le sorcier le plus puissant de tous les temps, il ne pouvait être vaincu par un gamin de septième année qui n'avait même pas fini sa formation, sans don particulier. C'était impossible, vraiment. Il haussa les épaules et tendit sa baguette en direction de son vieil ennemi. « Un dernier mot, Potter ? », grinça t'il en s'efforçant de ricaner. Mais le cœur n'y était pas.
C'est là que le Garçon-Qui-A-Survécu eut une réaction étrange : il sourit. Couché sur le sol boueux, étendu près de son meilleur ami déjà mort, seul au monde et sans défense, prêt à être assassiné par son pire ennemi debout face à lui, exsangue et vidé de toutes forces, il sourit. Non pas un sourire désespéré, mais un grand et beau sourire, calme et lumineux : « Sans doute… Ce qui me rassure, c'est que même si c'est moi qui meurs à la fin de l'histoire, c'est mon camp qui a gagné. Et donc c'est moi qui ais gagné… Désolé pour toi, Malefoy ! » Draco sentit la haine le submerger. « Avada Kedavra ! », cria t'il en s'efforçant d'oublier ce que ce futur cadavre venait de lui dire. Lorsque le rayon vert frappa le héros, celui-ci ne tressaillit même pas. Son visage figé conserva la même expression paisible, seule sa poitrine cessa de se soulever. Draco le regarda quelques secondes, puis tourna les talons et s'enfuit. Il savait que ce qu'Harry avait dit était vrai : il avait perdu, et il avait perdu son âme en même temps.
« Je ne suis pas fier de ce que j'ai fais », dit-il en baissant les yeux vers son plat de fruits de mer. Mais même ainsi, il voyait le visage de Hermione trempé de larmes. Elle restait silencieuse, les yeux perdus dans le vide, immobile comme une statue, seules les gouttes d'eau débordant de ses yeux témoignaient qu'elle était vivante. « Je sais qu'ils étaient tes amis, mais nous étions en guerre, tu aurais fait la même chose si j'étais celui qui s'était trouvé face à toi à ce moment-là… »
« Non, je ne l'aurai pas fait, tu le sais très bien » Le problème était là : c'est qu'elle avait raison. Jamais elle n'aurait lancé de sorts à un homme désarmé et à terre, fut-il son pire ennemi. Elle était bien trop pure pour ça. C'était incroyable d'ailleurs : comment cette fille avait-elle pu participer à a même guerre que lui et rester aussi innocente ? Draco commençait à regretter sérieusement d'avoir provoqué cette rencontre. Elle mettait bien trop en avant sa petitesse, ses faiblesses qu'il aurait préféré oublier. C'est alors qu'il prit une décision : s'il voulait effacer cette ardoise, il n'y avait qu'une seule chose à faire. Il l'aiderait à regagner ce goût à la vie qu'elle avait perdu par sa faute. Il n'avait plus de haine en lui : elle avait entièrement disparu ce jour où il avait mit à mort ces deux hommes qui signifiaient tout pour elle. Il ne prétendait pas les remplacer. Mais s'il pouvait voir un jour un véritable sourire s'épanouir sur les lèvres d'Hermione Granger, alors il pourrait avancer. Et il n'avait que cette seule soirée pour faire naître ce sourire…
C'est sans doute un des trucs les plus bizarres que je n'ai jamais écrit, je ne sais pas du tout où je vais. J'espère que ça vous plaira quand même. Reviews please !
