Une boule de gui

J'ai répondu aux reviews pour ceux dont j'avais l'adresse, un peu en retard pour certains… Pour les autres, j'ai mis les RaRs sur mon blog, dont l'adresse est sur mon profil. Enjoy this last chapter, my dearest !

Les gens pleurent pour beaucoup de raisons. Parce qu'ils sont tristes, parce qu'ils ont mal, parce qu'ils sont heureux, parce qu'ils sont soulagés, parce qu'ils sont fatigués. Des fois, ils pleurent aussi sans la moindre raison. Les larmes se mettent à couler tout d'un coup, et personne ne sait pourquoi. Il y a aussi des personnes qui ne pleurent jamais. Ils enferment tout à l'intérieur, jusqu'au jour où, parfois, le barrage vient à se briser. Mais des fois, il ne se brise jamais. Les gens qui pleurent ne sont pas très bien vus par la société. La plupart se cachent pour pleurer, comme les éléphants se cachent pour mourir.

Regarder Hermione pleurer mettait Draco mal à l'aise, comme s'il assistait à quelque chose de presque indécent. Il se sentait embarrassé par son corps. Le bras qu'il avait posé sur les épaules agitées de spasmes de la jeune femme lui semblait particulièrement lourd et gênant, un peu comme s'il avait mystérieusement été changé en plomb, mais quelque chose en lui lui murmurait de ne pas la laisser seule. De quoi avaient-ils donc l'air, tous les deux agenouillés dans la neige, loin de tout, dans ce lieu que seuls les fantômes venaient visiter ? Chaque sanglot semblait lutter pour s'extirper de la gorge d'Hermione. Le jeune homme ne put retenir un frisson… Le magnifique paysage enneigé semblait soudain extrêmement sinistre et inquiétant, et la neige commençait perfidement à transpercer le tissu de son pantalon. Pourquoi pleurait-elle ainsi, tout d'un coup ? Aussi doucement que possible, il la releva en la tenant par les épaules et enleva d'un geste un peu maladroit les flocons qui s'étaient perdus dans ses cheveux. Elle se laissa faire comme une poupée de chiffon, apparemment indifférente.

« Rentrons… On va prendre froid… », dit l'ancien Serpentard avec hésitation en se redressant, tout en se demandant s'il avait jamais donné d'excuse plus ridicule dans sa vie. Après tout, c'était lui qui l'avait traînée ici, plus ou moins contre sa volonté. A quoi s'était-il donc attendu ? A ce qu'elle saute de joie ?

« Je l'ai tuée… », répondit-elle d'une voix hallucinée. « C'est moi. C'est moi. Je l'ai tuée ! » Il s'arrêta, la regarda. Son esprit confus refusait d'assimiler ce qu'il venait d'entendre. Les mots que répétaient Hermione, encore et encore, n'avaient aucun sens. Elle le regardait fixement comme si elle attendait quelque chose de lui, mais il était incapable de comprendre de quoi il s'agissait.

«Qui as-tu tuée ? », demanda t'il lentement.

« Pansy Parkinson… », balbutia t'elle comme si ces mots la brûlaient. Elle avait l'air tellement misérable, mais il n'y prêtait pas attention. Il revoyait le visage de Pansy avant la bataille, son air faussement fanfaron. Elle n'avait jamais vraiment brillé par son intelligence ou sa grâce, elle n'avait été jusqu'à sa mort qu'un visage trouble de plus dans son paysage. Contrairement à lui, elle était restée à Poudlard jusqu'à l'attaque finale, ramenant des informations plus ou moins confidentielles à ses parents, tous les deux Mangemorts. Il savait qu'elle aurait voulu rejoindre l'enseignement intensif qu'il avait lui-même suivi, mais elle n'avait pas été jugée suffisamment sûre pour recevoir la Marque. Il y en avait tant d'autres comme elle… Jamais Draco ne lui avait prêté attention, mais sa mort lui accordait soudain une sorte d'individualité à laquelle sa vie ne lui avait jamais permis d'accéder. L'ancien Serpentard se laissa lourdement tomber assis à côté d'Hermione sur le piédestal recouvert de neige de la colonne et se prit la tête dans les mains. Evidemment, il savait bien qu'elle avait tué. Tous, ils avaient donné la mort comme d'autres donnent la vie. Mais donner un visage à ces monceaux de cadavres qui s'élevaient sous leurs pas donnait bien trop de réalité à ces actes. Pansy était morte, et Hermione l'avait tué. La parfaite Préfète-en-chef, toujours la première à lever le doigt en cours, avec sa gentillesse écoeurante et sa soif de reconnaissance. Elle aurait dû être médecin, pas assassin !

« Je ne voulais pas… », murmura doucement Hermione, plus pour elle-même que pour lui. Comme elle avait joué avec son pain tout à l'heure au restaurant, elle s'était mise à jouer avec une boule de neige qu'elle tournait et retournait entre ses mains gantées. « Mais quand je me suis retournée, elle avait sa baguette à la main. Elle voulait me tuer… Si j'avais su à ce moment-là que Ron et Harry étaient morts, je l'aurai laissé faire… Mais je ne savais pas. Elle me l'avait dit, mais je n'ai pas voulu la croire… »

Ca faisait mal. C'était fou comme cela faisait mal. Un instant, Draco se demanda ce qu'il avait fait pour que toute cette haine, cette guerre, soit tombé sur lui. Mais il n'était pas le seul : tous avaient connu cette douleur, cette épée de fer qui se plante dans votre ventre avec une violence sans pareille. Toute une génération sacrifiée. Quel avait été le péché qu'ils avaient commis dans leur vie antérieure pour être punis de la sorte à présent ? Ils n'avaient eu aucune chance d'y échapper, pas la moindre voie de traverse qui aurait pu leur permettre de ne pas avoir à faire face à ce massacre qu'on entourait de mots pompeux et de beaux monuments. Aucune possibilité de révolte. Rien. Juste un chemin tout tracé auquel ils n'avaient pu que ce soumettre.

« Malefoy ? Dis quelque chose, s'il te plaît… », demanda la jeune femme avec une petite voix suppliante. Il avait envie de la frapper pour ce qu'elle avait fait. De la faire souffrir comme Pansy avait souffert. Mais quelque chose l'en empêchait : il avait tué ses deux meilleurs amis, n'est-ce pas ? Qui était-il pour la condamner ? Personne ne le pouvait : personne n'était innocent. Personne. Personne. A contre cœur, il se redressa et enleva quelques flocons qui étaient venus se perdre dans ses cheveux.

« Partons. Je ne veux plus jamais revoir cet endroit. Je vais te ramener chez toi. Et puis on oubliera tout ça, d'accord ? Tu oublieras cette soirée, moi aussi je l'oublierais, ce sera comme s'il ne s'était rien passé… Oui, c'est certainement la meilleure solution… », répondit-il d'une voix hachée. Oublier. Tout effacer. A défaut de pouvoir revenir en arrière, cela constituait encore une conclusion acceptable. Pourquoi avait-il fallu qu'elle lui dise ça ? Il aurait voulu ne jamais le savoir. Pauvre Pansy, morte pour rien, morte comme des dizaines, des centaines d'autres. La mort ne résolvait jamais rien. Seule celle de Voldemort avait eu une quelconque incidence. Toute cette affaire n'aurait jamais dû impliquer autant de personnes. Draco sentit une bouffée de haine brûlante contre celui qui avait été son maître monter en lui et le consumer lentement.

« Oublier ? Comment pourrais-je oublier cela ? La mémoire n'est pas quelque chose que l'on peut effacer ou réécrire à volonté ! Pourquoi m'avoir emmenée ici ? Pour me faire encore plus de mal ? Tu ne crois pas que cela suffisait ?» Hermione avait resserré les pans de son manteau autours d'elle, les flocons de neige voletaient autours d'elle comme du duvet échappé d'un coussin éventré qu'un enfant aurait agité pour s'amuser. Elle avait les yeux rouges et gonflés, les cheveux défaits et les lèvres gercées, mais elle semblait bien plus en vie que lorsqu'il l'avait vu entrer dans le restaurant quelques heures auparavant. Il passa sa main devant ses yeux d'un geste extrêmement las.

« Non, ce n'est pas ce que je voulais. J'ai fais une erreur, d'accord ? Je l'admets, voilà… Excuse-moi de t'avoir imposé ça. Je n'aurai pas dû. Et maintenant, partons. », rétorqua le jeune homme avec plus de violence qu'il ne l'aurait voulu. Admettre qu'il s'était trompé lui en coûtait, ce n'était pas une chose à laquelle il était accoutumé. Sans attendre sa réponse, il la prit par le bras en évitant soigneusement de regarder son visage, et transplana jusqu'au Chemin de Traverse. Elle se laissa faire en silence. Il l'entraîna vers le Chaudron Baveur, gêné par la neige traître par instant, parfois glissante, parfois entravant leur cheminement tant elle était épaisse. Sans qu'il ait besoin de se tourner vers elle, il sentait bien qu'elle le fixait, qu'elle le dévisageait comme si elle ne l'avait jamais vu, et cela le mettait atrocement mal à l'aise. Oh, comme il avait hâte que cette rencontre se termine ! Rien ne se passait comme il l'avait prévu, Hermione elle-même n'était pas celle qu'il avait prévu qu'elle soit. Il haïssait du plus profond de lui-même cette sensation que tous les évènements échappaient à son contrôle.

Il aurait voulu n'avoir jamais écrit cette lettre, avoir laisser dormir ces souvenirs dans le coffret de sa mémoire, enfermés à double tour. Et il y avait ce cri muet en lui qu'il enfermait depuis tant d'années, qu'il refusait de laisser s'échapper, qui le dévorait de l'intérieur comme un animal qui lui dévorerait les entrailles. Plus que quelques pas avant qu'ils ne rejoignent le Londres Moldu. Il n'avait même pas besoin de ramener sa compagne jusqu'à chez elle, elle ne craignait rien en ce soir de fête. Plus que quelques mètres, et puis s'arrêterait. Ils se tourneraient l'un vers l'autre. Ils se souriraient maladroitement, et elle s'en irait. Il voyait déjà la mince silhouette vêtue de noir se perdre dans la foule qui envahissait les rues de la capitale de la Grande-Bretagne à l'approche de minuit. Il ignorait ce qu'elle ferait après cela, elle rejoindrait peut-être ses parents, ses nouveaux amis, des gens dont il ne connaissait rien et qu'il ne comprendrait jamais, car il n'avait rien de commun avec eux. Quand à lui… Et bien, il trouverait une ruelle discrète où il pourrait transplaner jusqu'au Manoir Malefoy, il marcherait le long de ces corridors déserts qu'il connaissait depuis sa plus tendre enfance, il s'assairait dans le meilleur fauteuil du salon aux proportions monumentales, ferait allumer une bonne flambée inutile à réchauffer l'atmosphère, et se servirait un porto dans un de ces verres de cristal inestimables. Il boirait un peu trop, juste assez pour que la tête lui tourne, et que toute cette affaire se perde dans les brumes de l'alcool…

Il fallut quelques secondes à Draco pour réaliser que la jeune femme avait lâché son bras et s'était arrêtée face à lui. « Tu sais ce que je crois ? », demanda t'elle tranquillement tout d'un coup. « Je crois que tu ne m'as pas seulement appelée pour m'aider. Tu m'as appelée également pour que moi, je puisse t'aider… Je viens de réaliser que je ne peux pas m'en sortir seule, aucun de nous ne le peux, tu l'as dis toi-même, et c'est toi qui m'a fait entrapercevoir cette réalité… »

Il avait résolu d'être poli, et c'est cette décision seule qui l'empêcha de hausser les épaules et de ricaner ouvertement. « Je n'ai pas besoin d'être aidé ! », répondit-il simplement à la place, « Je n'ai besoin de personne ! Je n'aurai pas dû te faire croire que j'avais besoin de toi, ce n'est pas vrai ! Je vais rentrer chez moi, toi aussi, et puis… » Il s'arrêta soudain, réalisant à quel point ses projets étaient ridicules. Des dizaines de collègues l'avaient invité à une de ces fêtes indécemment luxueuses et tapageuses qu'ils aimaient à organiser pour accueillir la nouvelle année. Avec un rien d'écoeurement, l'ancien Serpentard se remémora les décomptes ridicules, le champagne coulant à flot, les rires forcés, les cotillons et les chapeaux de papier qui avaient rythmé le passage des années. Jusqu'à aujourd'hui. Cette année toute particulière, il avait décliné poliment toutes les invitations sur papier glacé, et il avait envoyé une lettre à sa pire ennemie. Pourquoi ? Toutes les raisons qu'il avait invoquées lui semblaient de plus en plus artificielles et éloignées de la réalité.

« Et puis quoi ?», répliqua Hermione d'un ton rêveur. « Admettons que tu n'ais pas besoin de moi. Très bien. Mais je ne peux pas te laisser m'abandonner ainsi… Tu m'as invité, tu es bien trop… euh… disons, poli et bien élevé pour me renvoyer comme si de rien n'était. La méthode que j'ai toujours mise en œuvre pour m'en sortir, c'est d'aider quelqu'un d'autre. Je réfléchis mieux après ça, cela me donne une nouvelle perspective. Mais après ce qui s'est passé, je n'avais plus personne à aider. Ne m'enlève pas cette opportunité, elle ne se représentera plus jamais… »

Le jeune homme baissa les yeux vers sa compagne. Elle semblait beaucoup plus frêle que dans ses souvenirs, mais cela était peut-être dû au long manteau noir dans lequel elle était enveloppée. Les pans battaient au vent comme une cape en dépit des efforts qu'elle faisait pour les retenir autours d'elle. Pour la première fois depuis qu'il la connaissait, elle le regardait avec des yeux suppliants. Non, pas vraiment suppliants, plutôt comme si elle attendait quelque chose de lui, quelque chose qu'il devait lui donner et qu'elle était en droit de recevoir. Draco savait qu'il se maudirait pour avoir lu ce regard, mais que pouvait-il y faire ? Il haussa les épaules, sentant son verre de porto s'envoler au loin. « Je n'ai pas besoin que l'on m'aide, je vais très bien… », répéta-t-il finalement d'un ton moins convaincu, connaissant d'avance l'inutilité de ses protestations.

Hermione sourit a moitié, consciente de sa victoire, et regarda autours d'elle. La foule se faisait de plus en plus dense en dépit de la neige. Quelques groupes d'adolescents visiblement un peu ivres chantaient d'une voix éraillée des cantiques de noël en mélangeant les paroles. Il régnait un climat d'attente que même eux percevaient en dépit de leurs préoccupations. L'ancienne rouge et or leva les yeux vers une horloge accrochée près d'une bouche de métro. Les caractères lumineux d'une couleur hésitant entre le verdâtre et le jaunâtre affichaient 11 heures et demi. « Fais semblant. Invente quelque chose. Dans une demi heure, je te rendrai ta liberté… », soupira t'elle.

Il haussa de nouveau les épaules et leva les yeux à son tour vers l'horloge. « Minuit ? Oui, évidemment… Joli symbole, à défaut d'être très original… » Le jeune homme laissa échapper une sorte de ricanement discret qu'il ravala très vite. Quelque chose avait attiré son attention. Voyant son expression changer, Hermione suivit son regard, mais ne vit rien dans la rue illuminée qui puisse expliquer ses yeux écarquillés, son souffle court…

« Malefoy ? », l'interrogea-t-elle d'une voix douce. Il fit un geste de la main, comme pour lui montrer ce qui le stupéfiait autant, mais s'arrêta presque aussitôt. Il sembla sur le point de parler, prit une inspiration, mais aucun mot ne sortit de sa bouche. « Malefoy ? Que se passe-t-il ? », demanda de nouveau Hermione avec plus d'insistance, posant sa main sur la manche du jeune homme comme pour lui rappeler sa présence qu'il avait de toute évidence oubliée.

D'un air un peu égaré, il baissa les yeux vers elle et la regarda comme s'il s'apercevait tout juste de sa présence. « C'est incroyable ! », dit-il finalement avec hésitation, semblant chercher ses mots. Elle fronça les sourcils sans comprendre. Rien, dans le paysage urbain qui les environnait, n'avait quoi que ce soit de particulièrement remarquable. « C'est vraiment incroyable ! », insista-t-il d'une voix plus assurée. « Je suis déjà venu ici. Quand j'étais petit. Avec ma mère… Viens avec moi ! » Sans attendre sa réponse, il la prit par le bras et l'entraîna avec lui à grandes enjambées au travers des rues londoniennes. Il marchait si vite qu'elle avait du mal à suivre sur les trottoirs rendus glissants par la neige, et elle devait presque courir pour se maintenir à sa hauteur. Il ne faisait pas véritablement à elle, se contentant de la tirer littéralement derrière lui d'un air décidé. Elle ignorait totalement où leurs pas les conduisaient, mais les pieds de Draco semblaient retrouver d'eux-mêmes un chemin ancien qu'il aurait arpenté des centaines de fois. Elle caressa un instant l'idée de le supplier de ralentir, mais au final dû l'abandonner. Cela n'aurait servi à rien.

Soudain, il s'arrêta, la retenant lorsqu'elle manqua de glisser sur une plaque de neige verglacée. « C'est ici… », dit-il doucement, et elle remarqua une lueur nouvelle qui habitait ses yeux lorsqu'elle le dévisagea. Ils se trouvaient dans une petite impasse assez sombre, formant un contraste frappant avec l'artère commerçante tout illuminée qu'elle coupait. Les hauts murs qui les oppressaient de toutes parts étaient recouverts d'une épaisse couche de suie, tout comme le Chemin de Traverse l'avait jadis été. Et face à eux, la seule boutique qu'on pouvait deviner, il y avait une sorte de petit salon de thé que l'on ne pouvait identifier que grâce au petit panneau inscrit à la main. Il faisait si sombre qu'Hermione était contrainte de plisser les yeux pour deviner les silhouettes qui se dessinaient derrière la vitrine de verre dépoli, décoré de rideaux roses aux dentelles salies. Elle avait énormément de mal à imaginer Draco, et plus encore sa mère, qu'elle se rappelait si élégante et raffinée, dans un endroit de ce genre. Avant qu'elle puisse faire le moindre mouvement, son compagnon avait déjà ouvert la porte et disparu dans la pénombre. Hésitante, mais ne sachant que faire d'autre, elle se résolu à le suivre.

« Je ne suis pas revenu ici depuis des années… », murmura Draco après avoir commandé avec autorité deux chocolats, plus pour lui-même qu'à son adresse. « J'avais six ans. Ou sept ans, peut-être ? Nous venions ici quand nous allions faire des courses sur le Chemin de Traverse, ma mère ne supportait pas l'idée de s'arrêter au Chaudron Baveur. Et je crois qu'elle aimait bien l'idée d'échapper à notre monde quelques heures…Ne pas être reconnue et jugée, pouvoir faire ce qu'il lui chantait… Nous nous asseyions toujours ici, près de la fenêtre. Elle pouvait rester des heures sans parler. Et moi, pendant ce temps, je m'empiffrai de gâteaux et de chocolat chaud… »

« Ta mère t'emmenait du côté Moldu lorsque tu étais enfant ? », l'encouragea Hermione, un peu surprise.

Il dessina un geste vague de la main. « D'autres vont bien au zoo, n'est-ce pas ? », laissa-t-il tomber d'un ton d'indifférence. Il ne parut pas comprendre immédiatement pourquoi la jeune femme le regardait d'un air tellement choqué, et lorsqu'il le fit, cela ne sembla guère le troubler, mais il s'excusa néanmoins : « Désolé… Mais tu sais, j'aimais bien ça ! Tout me semblait bizarre et exotique… Je ne comprenais pas pourquoi la serveuse nous emmenais nos tasses jusqu'à la table, je prenais ça pour un signe de respect. Ma mère était si belle, je pensais que tout le monde entier tournait autours d'elle… Mais un jour, j'ai demandé à venir ici »

Elle releva soudain l'usage du passé et l'interrompit. « Etait ? Quand est-elle morte ? Elle m'avait semblé très jeune pourtant les rares fois où je l'avais vue… »

Draco détourna les yeux. « Suicide… », répondit-il sobrement. « Après la bataille, j'avais disparu. Elle m'a cru mort. Elle s'est jetée de la tour du Manoir… Le temps que je revienne, il était déjà trop tard… Je n'aurai jamais cru que quelqu'un puisse m'aimer à ce point. » Il s'arrêta en entendant un sanglot étouffé et baissa les yeux vers sa compagne. « Granger ? », demanda t'il en fronçant les sourcils, « pourquoi tu pleures ? »

Effectivement, des larmes muettes coulaient sur les joues creusées de l'ancienne Griffondor. « Oh, Malefoy, je suis tellement désolée. Je n'aurai pas dû te poser de questions… »

Il la dévisagea avec stupeur. Elle pleurait ? Pour sa mère ? Pour lui ? Qu'elle pleure sur ses amis, c'était évident. Qu'elle pleure sur elle-même, passe encore. Qu'elle pleure sur Pansy, c'était déjà plus étonnant. Qu'elle pleure la mort d'une femme qu'elle connaissait à peine, qu'elle pleure la douleur d'un homme qui était son pire ennemi, cela le dépassait totalement… Mais il n'y avait pas eu de pleurs lors de l'enterrement de Narcissa Malefoy, ni de grande cérémonie comme elle les affectionnait, ni de ces fleurs qu'elle aimait tant ; il n'y avait eu qu'un homme solitaire, son fils, qui avait frileusement jeté une poignée de terre sur son cercueil avant de fuir les vestiges de ce qui avait été sa vie. Draco devait s'avouer qu'il aurait aimé qu'il y ait quelqu'un comme Hermione pour pleurer à l'enterrement de sa mère les larmes qu'il n'avait su verser. Quelqu'un dont le cœur aurait été rempli de compassion pour cette jeune femme trop vite mariée, trop vite mère, trop vite morte, qui ne laissait d'autre trace de son passage sur terre que la plaque de granit sombre qui avait été érigée sur sa tombe. Elle avait été enterrée le même jour que des centaines d'autres, contrairement à ces héros à qui on avait rendu hommage en grande pompe, personne n'était venu lui adresser un dernier adieu. Une main glacée se referma sur le cœur de celui qui avait été la chair de sa chair. Les yeux de Draco le brûlaient.

Une autre main, de chair celle-là, se glissa dans la sienne. Egaré, il la regarda. Cette expression sur le visage d'Hermione. Jamais Draco n'aurait cru qu'il puisse un jour faire pitié à quelqu'un. « Je ne sais pas quoi te dire », murmura t'elle. « Mais je suis sûre qu'elle aurait été heureuse de te voir aujourd'hui, de voir qu'en dépit de tous les obstacles auxquels tu as dû faire face, tu n'as pas renoncé, comme moi je l'ai fait, que tu t'es battu pour tout reconstruire à partir de rien… Oui, où qu'elle soit aujourd'hui, elle doit t'observer, et elle doit être heureuse de ce que tu es devenu… »

« Mais elle est morte pour rien », haleta Draco en luttant contre les larmes qui malgré lui perçaient au coin de ses yeux. Mais plus il luttait, plus les gouttes d'eau se battaient pour venir se déverser sur ses joues. La voix d'Hermione, douce et réconfortante, un peu chantante, un peu triste, détruisait lentement, pierre par pierre, les écluses qu'il avait construites avec un soin jaloux au cours des deux dernières années qui avaient suivies la bataille fatale. Il laissa sa tête se reposer lourdement dans le nid que formaient ses bras croisés. La main d'Hermione vint se poser sur sa nuque, et ce fut comme un signal. Les larmes vinrent, non pas en torrent, mais deux très exactement.

Mais dedans, il y avait ce monstre qui le dévorait de l'intérieur, il y avait sa mère, il y avait la guerre, il y avait tous les morts qu'il avait vu, il y avait ceux dont les noms étaient gravés sur la pierre du monument de Poudlard, et ce qui n'y étaient pas, il y avait le sang, les cris, l'odeur de chair brûlé, les explosions, la terre labourée qui s'imbibait de ce liquide rouge qui aurait dû être la vie. Il y avait tout ce monde qu'il avait connu pendant 17 ans, et qui s'était écroulé en l'espace d'une seule nuit. Il y avait la Forêt Interdite qui disparaissait dans les flammes. Il y avait les ruines de Poudlard. Il y avait le Bal de Noël et le Tournoi des Trois Sorciers. Il y avait les matchs de Quidditch, et la Coupe des Quatre Maisons. Il y avait la haine, la jalousie, la tristesse et l'impuissance. Il y avait sa baguette qu'il levait contre Dumbledore, et la Marque des Ténèbres qui se formait au-dessus du château.

Le carillon au dessus de la porte d'entrée teinta légèrement, et une bourrasque d'air glacé s'engouffra dans la petite pièce, entraînant avec lui un étrange couple. Il y avait une très jeune femme dont les longs cheveux noirs relevés en une natte serrée semblaient avoir récolté tout un monde de neige, ses traits fins étaient tirés par la fatigue. Elle portait dans ses bras un gamin d'un an, un tout petit peu plus peut-être, soigneusement enveloppé dans un pan de son manteau. Elle ne leur jeta pas un seul regard, tout d'abord, se contentant de se laisser tomber sur une chaise molletonnée en commandant un thé au citron. Une main toujours posée sur les cheveux de Draco, dont le visage restait dissimulé dans ses bras, Hermione leva les yeux vers la nouvelle arrivante. Il y avait indubitablement quelque chose… quelque chose qui lui disait qu'elle aurait dû la reconnaître…

« Parvati Patil ? », demanda-t-elle soudain.

La jeune femme, occupée à arranger l'écharpe de son bébé, fit un signe de dénégation sans lever la tête : « Non, Parvati est morte il y a deux ans, lors de… Enfin, vous savez… Je suis sa sœur jumelle, Padma… » Elle s'arrêta soudain et leva les yeux. « Qui êtes-vous pour ne pas savoir qu'elle est décédée ? », demanda la jeune Indienne. La ressemblance était frappante : la même bouche parfaitement dessinée, les mêmes yeux en amande, la même peau dorée sans le moindre défaut… Padma comme Parvati était extrêmement jolie. C'est elle qui avait accompagné Ron, lors du Bal de Noël, en quatrième année… Comme Hermione avait pu être jalouse d'elle, ce soir là !

« Je suis restée partie longtemps, mais je suis désolée pour Parvati. Nous nous connaissions bien… J'ignorais qu'elle aussi… Je ne sais pas si tu te souviens de moi… Je m'appelle Hermione Granger », répondit-elle en hésitant un peu.

Padma resta la bouche ouverte sous le coup de la surprise. « Oh mon Dieu ! Hermione Granger ? Je croyais que tu étais morte, tout le monde le croyait… Tu n'étais pas là pour les cérémonies, bien sûr, et il y en a tant qui ont disparu cette nuit-là… » Elle prit l'enfant endormi dans ses bras et s'approcha de leur table. « Je suis tellement contente de te voir ! Notre vie a beaucoup changé… Je me suis mariée avec Seamus Finnigan peu après. Nous avions tous besoin d'avancer… Il a été là lorsque j'avais besoin de lui… Il est en train de faire la fête avec des amis, j'avais peur que mon fils n'attrape froid, il est si jeune encore, j'ai eu de la chance de trouver cet endroit ouvert… Mais tu ne le connais pas, bien sûr. Hermione, je te présente Harry ! Nous l'avons baptisé ainsi en souvenir d'Harry Potter. Sans lui, aucun de nous ne serait là aujourd'hui… »

« Merci… », dit doucement Hermione, plus émue que de simples mots ne pouvaient l'exprimer. « Il est beau… Je peux le prendre dans mes bras ? »

« Oh, bien sûr, bien sûr… », répondit Padma avec précipitation en lui tendant l'enfant avec un sourire. « Je n'arrive pas à croire que tu sois vivante ! Nous te devons tellement, nous tous… je suis heureuse qu'il y ait encore quelqu'un pour témoigner de tout ça, de tout ce que vs avez fait… »

L'ancienne Griffondor baissa les yeux vers le petit visage qui seul apparaissait sous les couvertures. En effet, le petit Harry était très beau, il ressemblait énormément à sa mère. Les mêmes traits… Elle effleura son front de ses lèvres en le serrant contre son cœur. Le bébé ouvrit de grands yeux ensommeillés et s'agita légèrement en dévisageant le visage inconnu qui se penchait au dessus de lui. La jeune femme l'embrassa de nouveau puis sourit en le rendant à sa mère. Celle-ci le reprit avec un regard brûlant d'amour, et le berça contre son sein. « Les enfants sont un tel cadeau, ils apportent tellement d'espoir », glissa t'elle, « je ne peux m'empêcher de me demander ce qui se serait passé si jamais Tu-Sais-Qui avait gagné cette guerre ! Nous n'aurions jamais pu offrir une vie décente à ce petit trésor, je n'aurai jamais couru le risque d'avoir un enfant dans un monde dominé par la magie noire… » Elle regarda sa montre et se leva avec un sourire d'excuse. « Bien, je dois y aller, Seamus doit m'attendre… Au fait, bonne année ! » A la hâte, elle remit son manteau et dissimula à demi l'enfant dans sa couverture, puis sortit en agitant la main en direction d'Hermione avec un grand sourire.

La jeune femme eut un sourire rêveur en les regardant s'éloigner, et se tourna vers Draco. Celui-ci la regardait pensivement. Il n'y avait plus de trace de larmes sur son visage, seuls ses yeux un peu rouges témoignaient de ce qu'il considérait comme un moment de faiblesse. « Il est mignon, n'est-ce pas ? », soupira-t-elle. Il hocha la tête en silence en guise de réponse. « J'aurai aimé que Harry et Ron soient là pour le voir… », ajouta-t-elle avec tristesse en sentant sa gorge se serrer. « Ils me manquent terriblement. Parfois, j'ai l'impression que mon cœur va s'arrêter, tellement ils me manquent ! »

« Tu ne te souviens pas de ce que tu m'as dit tout à l'heure ? », demanda son compagnon au-dessus de sa tasse fumante. « Où qu'ils soient aujourd'hui, ils doivent d'observer, et ils voient si tu es heureuse, et si tu ne l'es pas… Tu vois, ils ne sont pas morts en vain… » Il s'arrêta soudain et la regarda d les yeux. « Je suis terriblement désolé de t'avoir fait souffrir. J'aurai voulu que ce ne soit pas moi qui… Enfin… »

Elle lui renvoya une sorte de petit sourire crispé. « Parfois, je me dis que le destin existe… Et il faut avancer. Il y a des enfants qui naissent, il faut qu'ils naissent dans un monde où les gens ne passent pas leur temps à ressasser… Si nous sortions ? »

Draco hocha la tête et l'aida à remettre son manteau, puis ils sortirent dans la rue. La neige s'était de nouveau calmée, les rues étaient bondées de monde et illuminées comme en plein jour.

« Bonne année ! », leur cria un jeune couple entrelacé en riant.

« Bonne année », répondirent-ils.

« Bonne année ! », leur souhaita d'une voix chevrotante une grand-mère accompagnée de son petit garçon, dont les parents cheminaient un peu plus loin.

« Bonne année », répondirent-ils.

« Bonne année ! », chantonna un groupe de jeunes gens de leur âge, parés de guirlandes dorées.

« Bonne année », répondirent-ils.

Big Ben sonna douze coups au loin, et une immense clameur s'éleva de la ville entière, des cris et des rires s'élevaient des fenêtres ouvertes. Hermione s'arrêta soudain devant une porte de bois dont la peinture s'écaillait légèrement. « Nous sommes chez moi… », dit-elle doucement. « Il est minuit, alors je vais tenir ma promesse. Je vais te rendre ta liberté. Bonne année, Draco… »

Il la regarda dans les yeux. Elle sourit. Un grand et beau sourire, comme celui qu'elle avait lorsqu'elle avait embrassé le bébé de Padma. « Hermione… Je… Bonne année… », finit-il par répondre simplement sans trop savoir comment il se sentait.

Au-dessus de leurs têtes, une fenêtre s'ouvrit, et une bande d'adolescents agita une boule de gui par la croisée. Hermione eut un nouveau sourire qui se transforma en un rire gêné : « Je suis désolée, ce sont mes voisins… »

« Un bisou ! Un bisou ! », clamèrent les jeunes gens qui se penchaient à présent au-dessus de la rue. Draco avait presque oublié cette joie de vivre. Eux, ils ne savaient rien. Il y avait encore des gens en ce monde qui riaient sans s'en sentir coupable, qui ne connaissaient pas toutes les horreurs qui avaient été commises. Ils n'avaient jamais tué personne. Ils n'auraient très probablement jamais à le faire. Le monde n'était pas perdu… Quand le bébé de Padma aurait grandit, quand tous ces bébés auraient grandis, ils seraient comme les jeunes gens à la fenêtre.

Il se pencha vers Hermione, et posa ses lèvres sur les siennes, très rapidement. Et puis il sourit timidement. Elle le regarda, les yeux écarquillés, mais il tourna les talons avant qu'elle ait pu dire quoique ce soit. La jeune femme le regarda s'éloigner de quelques pas avec un air incrédule, puis Draco s'arrêta : « Je t'écrirai… », dit-il soudain, prit d'une impulsion bizarre.

Elle hocha la tête et elle sourit.

Voilà, j'espère que ça vous a plu ! N'oubliez pas : même dans les moments les plus sombres, dites vous que le meilleur reste toujours à venir ! Ce serait dommage de le perdre, non ?