1 Quel cirque !

Le jour suivant, les masho se rendirent sur Terre accompagnées de Kayura. Comme chacun voulait partir dans une direction différente, Kayura eut l'idée de les faire tirer à la courte paille afin de déterminer celui qu'elle aiderait le premier, et par là même le lieu où ils iraient d'abord. Naaza tira la plus courte, suivi de Rajura et Anubis.

« Bien. Puisque j'ai gagné, je choisis d'aller au cirque !

- Quoi ? Une seconde. Je dois être atteinte d'hallucinations acoustiques. Tu as bien dit 'un cirque' ? répéta Kayura.

- Oui.

- Naaza, tu as quelques siècles de vie derrière toi mais ton âge mental est celui d'un gamin ! A-t-on idée de vouloir assister à une représentation ! Tu ne vas pas me réclamer une barbe à papa avec ça !

-Kayura, je n'ai jamais dit vouloir assister à un spectacle de cirque . Je veux seulement aller voir les artistes qui le composent.

-Dis plutôt que tu veux rendre visite à une certaine personne.

-Je ne vois absolument pas de quoi tu parles Anubis.

-Non ? Laisse-moi te donner deux ou trois indices : blonde, pulpeuse,et serpents.

-Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Soupire Kayura.

-Tu ne comprends pas ? Hier, Anubis t'a dit que nous regardions ce qui se passe sur Terre depuis le Yôjakai. Aujourd'hui, il taquine Naaza sur l'objet de ses coups d'œil sur la planète bleue. Expliqua Rajura. »

-NON ? TU AS LE BEGUIN POUR UNE CHARMEUSE DE SERPENTS ! Hurle Kayura en désignant Naaza de son index droit. »

Des gens qui se promènent près d'eux les fusillent du regard et se chuchotent quelque chose à l'oreille.

Une énorme goutte de sueur apparaît derrière la tête de Rajura tandis que Kayura commence à soliloquer sur le bon sens manifestement inexistant du général des poisons, oubliant la présence des masho.

Anubis cache son visage avec ses mains en priant silencieusement et Naaza, cramoisi de gêne, s'éloigne le plus discrètement possible.

Lorsque ses deux comparses s'aperçoivent de son absence, il n'y a plus la moindre trace de lui.

« Je suis sûr qu'il est parti au cirque. Est-ce que tu te souviens de son emplacement ? Demande Rajura à Anubis.

-Etant donné que Naaza passe tout son temps libre à l'observer, oui.

-Kayura ! Naaza est parti ! L'informe Rajura. Il serait préférable de le rejoindre pour éviter tout incident.

-Un incident ? Naaza n'est pas stupide.

-Non, mais je te rappelle qu'il est le possesseur d'une armure qui aurait un lien très étroit avec un dieu-serpent du panthéon hindou et que celle pour qui il craque travaille avec des serpents.

-Et alors ?

-Naaza plus des serpents : la possibilité d'une catastrophe s'ils se rencontrent ne t'éffleure pas ? »

Kayura arrive auprès d'eux.

« J'ai un mauvais préssentiment. Allons-y. Ajoute Anubis.

-Si tu avais connaissance d'un raccourci…Suggère Rajura.

-Par ici. Mais il va falloir nous dépêcher car il a pu l'emprunter. »

Ouvrant la marche, Anubis guide ses deux amis.

Au même moment, Naaza se rapproche de son but.

« Qu'est-ce que je vais pouvoir lui dire ? Je devrai lui parler de ses animaux, de son métier. Seulement, comment l'aborder et engager durablement la conversation ? J'y suis presque. Je dois établir un plan. »

Quand il est dans la rue du chapiteau du cirque avec ses caravanes, Naaza s'arrête à une dizaine de mètres, comme intimidé ou pris soudain de conscience de se diriger au bord d'un précipice.

« Si Kayura était avec moi, je pourrais prétexter qu'elle est ma sœur et que c'est elle qui m'a amené. Non, elle ne serait pas d'accord pour mentir. Et puis je me ridiculiserai. Quel grand frère se laisserai mener par le bout du nez ? Réfléchissons davantage… »

Naaza tourne et retourne la situation qu'il va aborder dans tous les sens possibles et imaginables.

Pendant qu'il essaie de former un plan drague et que ses amis se rapprochent, sous la grande tente circulaire défilent tour à tour jongleurs, funambules, trapézistes, dompteurs de fauves, d'éléphants, cavaliers montés sur des chevaux,magiciens, clowns, et contorsionnistes.

L'ambiance est à la fête. Pourtant, dans les coulisses, c'est une atmosphère tendue qui règne.

Parmi les artistes qui ont regagné les coulisses et ceux qui y attendent leur passage en piste, monsieur Loyal, l'éternel présentateur des numéros vêtu de son costume noir et rouge et la charmeuse de serpents, en bustier et pantalon or, sont en pleine discussion.

« Comment ça 'nerveux' ? Mais enfin Khadija, les reptiles sont sourds, les bruits de la foule et de l'orchestre ne peuvent être en cause.

-Je le sais bien, cependant tu ne vas pas m'affirmer que mes chéris sont dans leur état normal !

Regarde-les ! S'exclame la dénommée Khadija en désignant le vivarium temporaire où les serpents sont installés avant leurs spectacles. »

Ils s'y meuvent avec force, tendus vers le haut comme des danseuses du ventre essayant de sortir d'un bocal.

« Quelle peut être la cause de leur agitation alors ? Et pouvez-vous seulement assurer votre numéro ?

-Je ne peux rien promettre à moins de découvrir ce qui leur arrive.

-Il n'y a plus le temps ! Vous êtes la prochaine attraction ! Panique franchement monsieur Loyal.

-Monsieur Loyal ! Khadija ! Attention ! »

Les deux interpellés se retournent en direction de la femme à barbe qui les a appellés. Totalement affolée, elle désigne quelque chose de son index gauche : les reptiles s'échappent de leur logement.

Voyant cela, les autres artistes perdent toute maîtrise et cherchent à s'éloigner autant que possible des sinueux animaux qui, nullement impressionnés par les humains, se faufilent ici et là, provoquant plus de peur que de mal mais se déplacent visiblement tous vers un point identique.

« Bon sang ! Ils vont sur la piste ! S'écrie monsieur Loyal. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Khadija ! »

La jeune femme à la natte noire, complètement dépassée par les événements, ne parvient par aucun moyen à récupérer ne serait-ce qu'un seul des ophidiens. Elle ne peut qu'assister impuissante à leur invasion du chapiteau. Les spectateurs croient brièvement à une nouveauté, mais la vue des multiples membres de la troupe qui grimpent sur la toile, se hissent sur les mâts de soutien de la grande tente et courrent en criant, écarte cette idée fugace.

Avec un brouhaha terrible, la foule cherche à sortir, et en l'espace d'une fraction de seconde, la débandade générale entraînne d'épais nuages de poussières, signes d'activités physiques intenses autant que d'un écroulement imminent de la structure.

Un craquement sinistre claque, tirant Naaza de ses profondes réflexions.

Bousculé de toutes parts, il comprend qu'il s'agit des personnes qui assistaient à la représentation du cirque.

«Pourquoi fuyez-vous ? Demande le général des poisons à un homme qu'il attrape au passage.

-Des serpents…partout ! O mon dieu…partout !

-Ce n'est rien de plus qu'une attraction. Lui rétorque Naaza, qui a visiblement honte pour cet individu d'éprouver une terreur aussi primale et injustifiée.

-Lâchez-moi ! Les voilà, je les entends…Ils rampent, ils glissent, ils sifflent…Ils sont…à nos pieds… »

Tirant profit de la surprise de Naaza qui constate la véracité de ses propos, l'individu se dégage de sa prise et repart à toute vitesse.

Naaza, qui n'avait pas imaginé qu'il pût attirer des reptiles sans le vouloir, se voit l'objet de toutes leurs attentions, ce qui ne manque pas de le faire observer d'un œil très suspicieux par tous les artistes ambulants qui se regroupent lentement –et à distance- jusqu'à l'encercler.

« In…Incroyable…Articule Khadija.

-C'est un coup monté ! S'insurge monsieur Loyal. C'est une ruse de nos concurrents ! Notre cirque est en ruines, tout notre programme est fichu, et la publicité désastreuse qui suivra aura raison de nous ! »

Et d'un geste éloquent, il désigne la zone sinistrée où seules les caravanes sont intactes.

« Quoi ? Mais je n'y suis pour rien ! Se défend Naaza.

-Expliquez-nous comment il se peut que les serpents de Khadija se conduisent de manière si…si…'amicale' avec vous, un parfait étranger. »

« Aïe aïe aïe, je suis en mauvaise posture. »

« Je n'entends pas vos explications. Serait-ce que vous êtes coupable de cette ignominie ? »

Des murmures parcourent l'assemblée comme un vent s'insinuant par des interstices dans les murs d'un immeuble d'apparence solide . Le cracheur de feu suggère de lui brûler les cheveux sans se presser pour obtenir des renseignements s'il refuse de parler et l'homme-canon se dit prêt à lui faire voir des étoiles.

« Le vent tourne . Pense justement Naaza . Mais où sont les autres quand j'ai besoin d'eux ? »

Au détour de la rue, Anubis, Rajura et Kayura suivent le déroulement des événements en faisant preuve de réserve.

« Hum…Les choses ne se présentent pas très bien pour Naaza. On devrait peut-être lui donner un coup de main.

-Qu'est-ce que je disais…Se lamente Rajura. Nous faire un coup pareil.

-C'est un coup bas. Affirme Anubis.

-Dommage, il était sur un bon coup. Renchérit Rajura . »

Le shakujo s'abat sur les sommets de leurs crânes, les projetant plus loin.

« WOUAH ! Hurle Rajura en touchant l'énorme bosse qui vient d'apparaître dans sa chevelure . Mais tu es devenue folle ! Ca fait mal de se prendre ce truc dessus !

-La ferme ! On est venus ici pour aider Naaza, pas pour des jeux de mots ! Rétorque Kayura .

-Et alors ? Ce n'est pas parce qu'il s'est mis dans le pétrin que nous ne pouvons pas en rire ! Tu n'as aucun sens de l'humour .Réplique Anubis.

-Répète un peu ! Lance Kayura en saisissant Anubis par le col de son vêtement.

-Rajura, Anubis, Kayura ! Vous êtes venus à mon secours ! »

Naaza, les larmes aux yeux, vient de reporter la vindicte du cirque entier sur des victimes de choix.

«UN ACTE DE SABOTAGE ! UNE ENTREPRISE TERRORISTE ! JE LE SAVAIS ! Rugit monsieur Loyal. SUS A L'ENNEMI ! »

Les artistes se mettent en marche dans un bruit assourdissant, tels une armée qui charge ses adversaires. Les masho et la jeune prêtresse n'ont que l'option de s'éloigner rapidement pour tenter de leur échapper.