4-Agence tous risques.

Une jolie fille aux cheveux bleus soliloquait à voix haute devant l'entrée d'un centre de rencontres.

« Je respire, je suis calme, très calme. Tout va bien. Aucun stress. Je vais pousser la porte de cette agence matrimoniale, remplir un bulletin d'adhésion, payer les frais d'inscription et de traitement du dossier, pour ensuite repartir tranquillement. Je suis zen. J'inspire lentement, j'expire. »

Sa longue chevelure était retenue par un ruban carmin, elle portait une robe couleur du ciel avec une ceinture rouge vif, des chaussures écarlates, un petit sac à main sang et un étrange bâton.

« Je prends mon temps surtout, pas de précipitation. Je suis tellement peu pressée que j'ai mal au ventre à la seule pensée de ce que je m'apprête à faire. Je ne peux pas reculer. Je l'ai promis. Oh là là, je crois que je vais vomir. »

Kayura retint son souffle, puis s'introduisit dans le bâtiment. Aussitôt, un employé en costume trois pièces d'une trentaine d'années lui souhaita la bienvenue et lui proposa ses services. Elle le salua également.

« Je viens pour une inscription.

-Je vous prie de me suivre jusqu'à ce bureau. »

Une pancarte indiquait simplement : Moritaka G. Les murs étaient recouverts d'une tapisserie blanche neutre. Le sol, d'un parquet en plastique vitrifié crème. La table à tiroirs acajou était couverte d'un tapis de bureau vert, d'un tapis de souris pour ordinateur au logo de l'agence, de ladite souris, d'un PC avec un écran 17 pouces allumé, d'un téléphone, de casiers étiquettés dans lesquels des feuilles étaient impeccablement rangées, d'un porte-plume, d'un pot à crayons et à stylos.

C'était une pièce stérile, sans personnalité.

« Voilà, installez-vous. Désirez-vous une tasse de thé mademoiselle? Lui demanda son interlocuteur.

-Non, je vous remercie.

-Dans ce cas, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, abordons le sujet qui nous occupe.Il s'assit. Vous êtes içi afin de trouver l'âme-sœur, n'est-ce pas ?

-Ce n'est pas ce qu'il y paraît. Je suis venue pour un proche qui ne peut se déplacer en personne.

-Je comprends. Un grand nombre de familles fait appel à nous afin d'aider un ou plusieurs de leurs membres que le travail accapare trop pour qu'il puisse se permettre de faire les démarches lui-même. Cependant, vous devez savoir qu'il est nécessaire que nous déterminions avec lui le type qui lui convient »

« Cause toujours. Tu trouves que je suis trop jeune pour représenter quelqu'un. »

La prêtresse sortit une liasse de papiers ficelés qu'elle déposa en face d'elle.

« Ce dossier que je vous donne contient notamment une décharge en ma faveur qui me procure ainsi l'autorisation légale de représenter le proche dont nous discutons. Consultez-le et informez-en votre supèrieur hiérarchique. »

L'employé se mit à vérifier consciencieusement chaque feuille. Quand il en fut venu à bout, il l'informa qu'il allait prévenir son patron, décrocha le téléphone, appuya sur un bouton et s'entretint rapidement. Il reposa le combiné.

« Je dois transmettre cela. Je pense qu'un peu de thé et quelques biscuits ne seront pas de trop pour vous faire patienter jusqu'à mon retour, aussi vais-je vous en faire préparer. Si vous voulez bien m'excuser… »

L'homme se leva avec le dossier et la quitta. Quelques minutes plus tard, une femme en tailleur anthracite vint lui servir une tasse de thé brûlant accompagnée d'une assiette couvertes de petits gâteaux, puis elle repartit.

« Bah ! Tout est prévu. Ils peuvent me faire poireauter si ça les chante, mais j'obtiendrai gain de cause. »

Kayura sirota tranquillement son thé, grignota un ou deux biscuits par ennui, et finit par voir son attente récompensé lorsque l'employé revint en lui demandant de bien vouloir l'excuser d'avoir été si long, mais les règles étant ce qu'elles sont, il ne pouvait commettre d'impair.

« Il n'y a aucun problème monsieur Moritaka, je vous assure.

-Je vais vous donner un formulaire. Est-il possible que la personne que vous représentez le remplisse ?

-Malheureusement non. Il est trop occupé.

- Il doit avoir une situation importante pour vous déléguer. Les hommes aiment à parfaire tout ce à quoi ils touchent. Voici les papiers et un stylo. Je vais vous laisser seule afin de ne pas vous importuner. Si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas à m'appeler.

-C'est entendu, je n'y manquerai pas. »

Elle attendit que la porte fût refermée pour se concentrer sur ce qu'elle avait à faire.

« Si on m'avait dit que je me retrouverai un jour à tenter l'impossible,songea t-elle en soupirant, J'en aurais ri. Mince, comment un homme décédé dont l'esprit communique avec moi grâce à un shakujo peut-il vouloir se marier ? J'ai failli en avoir un infarctus quand il s'est manifesté après le rendez-vous d'Anubis pour m'annoncer que c'était son tour de tenter sa chance. D'accord, c'est lui qui m'a sauvé de l'emprise de Badamon en sacrifiant sa vie et Arago aurait remporté la victoire s'il n'avait pas été là. Mais je reste persuadée que s'il m'a convaincue d'aider les masho, c'était qu'il avait déjà son idée en tête. Et comment vais-je m'y prendre ? Même s'il peut me joindre grâce au bâton de Kaos, j'aurais l'air de quoi s'il le fait avec tous ces gens autour ? Je n'ai pas trouvé d'explication satisfaisante au cas où. »

Elle réfléchit encore.

« Et si ça marche, puisqu'il est mort, je ne vois pas comment il s'arrangera ! Non, tout ceci est ridicule…

-Tu es pourtant en train de remplir le formulaire qui t'a été remis. »

La voix la fit sursauter. Moins parce qu'elle ne s'y attendait pas que parce que c'était la vérité : elle avait d'ailleurs presque terminé.

« Que veux-tu que je te réponde ? Je ne fais que suivre tes instructions.

-Continue, j'ai hâte de pouvoir tester toutes les possibilités offertes par l'agence.

-Les tester ? Tu n'as plus d'enveloppe charnelle !

-Ce n'est qu'un détail. »

Kayura se leva et alla chercher monsieur Moritaka.

« Monsieur Moritaka, je viens de finir.

-Parfait, retournons à mon bureau. »

Il prit place sur son siège et Kayura dans le sien. Il commença à parcourir les papiers.

« Bien, bien…Huh ? Vous avez fait des erreurs.

-Des erreurs ? »

En voyant l'air surpris de Kayura, monsieur Moritaka esquissa un sourire :

« Dans la case 'date de naissance', vous avez écri : 5 Mai de l'an 1551, ce qui signifierait que cette personne a plusieurs siècles.

-C'est exact. »

De multiples petites gouttes de sueurs apparurent sur le visage de monsieur Moritaka.

« Soit elle est sincère et c'est une folle, soit elle me joue une comédie d'enfer et c'est pour une caméra cachée. »

« Mademoiselle, aucun être humain ne peut vivre aussi longtemps.

-Vous avez raison, je suis moi-même loin de l'égaler, et puis il est mort.

-Quoi ? »

« Elle a inscri un mort ? »

« Ecoutez, je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais un mort ne peut devenir membre d'une agence matrimoniale.

-Je te l'avais bien dit. »

Le shakujo tinta. Monsieur Moritaka scruta les quatre coins de son bureau, comme pris d'un doute.

« Il n'y a que nous deux dans cette pièce. A moins qu'elle ne porte un micro dissimulé ? »

« A qui parlez-vous ?

-Au décédé. »

« Le numéro de l'hopital psychiatrique, vite. »

« Mademoiselle, nous sommes seuls. D'ailleurs, communiquer avec les morts n'est qu'une arnaque utilisée par des gens peu scrupuleux qui exploitent ainsi la détresse des familles touchées par la perte d'un être cher.

-Monsieur, nous sommes physiquement à deux mais je vous affirme que nous ne sommes pas seuls pour autant. »

« Je vais essayer de décrocher le téléphone et d'appuyer sur la touche qui me met en relation directe avec l'accueil sans qu'elle ne me voie. »

L'employé fait mine de s'asseoir plus confortablement, heurtant violemment sa table avec le genou gauche, ce qui renverse le pot de stylos sur le sol. Il esquisse une grimace de douleur vite remplacée par un sourire de circonstance.

« Ce type est nerveux ! »

« Je vous prie de m'excuser… »

Il commence à rassembler les quelques stylos éparpillés aidé de Kayura qui s'est penchée de sa place pour l'imiter. Il se relève en un éclair, dispose ceux qu'il a récupérés dans leur pot tout en mettant son plan à exécution. Kayura se relève ensuite, n'ayant visiblement rien remarqué.

« Pourriez-vous me fournir des explications ?

-Pardon ?

-Je ne vous comprends pas très bien. Vous prétendez communiquer avec un mort que vous voulez inscrire dans notre agence, le tout avec des documents prouvant que c'est cet homme qui vous envoie. Avouez que j'ai de quoi me poser des questions !

-Il n'y a rien de compliqué là-dedans. Vous voyez ce shakujo que je tiens ?

-Une relique d'une religion disparue.

-C'est grâce à ça que je puis entrer en contact. Je peux parler ou user de la télépathie, et lorsqu'il tinte, il me répond. »

« Pourvu que quelqu'un ait appellé des secours. »

« De la télépathie avez-vous dit ?

-Oui.

-Vous entendez des voix ?

-Quoi ? Vous me croyez folle ?

-Je n'ai pas dit ça. »

« Jeanne d'Arc entendait également des voix, mais je ne la traiterais pas de folle, elle. »

« Et ça vous prend souvent ?

-Vous doutez de ma sincérité.

-Non.

-Je vais vous montrer. »

Kayura dirige le shakujo vers monsieur Moritaka, qui interprète son geste d'une manière très différente et se plaque face contre terre en hurlant qu'on lui vienne en aide, qu'on le sauve de cette folle qui veut le tuer avec son énorme bâton.

Un bruit terrible retentit dans la pièce, des policiers en uniforme se précipitent à l'intèrieur et maîtrisent Kayura qui essaie de leur expliquer sans succès l'erreur d'appréciation de l'employé. L'un d'eux escorté d'un collègue saisit le shakujo et l'emmène au-dehors, tout en lui demandant de garder son sang-froid, car on va s'occuper d'elle. Là, Kayura a juste le temps d'apercevoir une camionnette blanche de laquelle deux solides gaillards en blouse blanches sortent pour l'y faire monter non sans lui avoir auparavant injecté un calmant. Elle se débat avec force en hurlant : «SHUTEN ! TU ES UN HOMME M… »

« Kayura, ça, je le savais. Lui répond tranquillement une voix bien connue. »