Carson
Ca fait bientôt deux heures que je le regarde dormir. Je jette machinalement un coup d'œil aux moniteurs près de son lit. Tension normale, température normale, cœur … hum, ça c'est autre chose.
Et oui, Rodney a un cœur. Et gros comme ça en plus. Une étrange découverte ma foi. Nous avons passé de longs mois en Antarctique et c'est là que je l'ai découvert. Okay, bien caché, mais une fois trouvé, mamamia …
Et maintenant, je surveille ce cœur. Son rythme, régulier, ses battements, comme un métronome bien réglé. Et le reste, cette partie du cœur qu'il cache si soigneusement …
J'ignore ce qu'il a cru voir ou comprendre sur le ponton mais ce qu'il a fait, woa. Passé le premier choc d'avoir un poids de plus de 80 kilos s'écraser purement et simplement sur moi, je dois reconnaître que j'ai apprécié le geste. Rodney McKay, hypothétique sauveur, d'un hypothétique suicide. Me suicider, moi ? Quelle curieuse idée. Il y a tant qui reste à accomplir ici … et puis ma mère ne me pardonnerait jamais.
Il gémit dans son sommeil. Je me penche vers lui et lui murmure doucement quelques paroles rassurantes. Ses yeux se plissent, sans s'ouvrir, puis il se calme, la tension a quitté son visage. Je souris. Je n'ai jamais compris pourquoi, mais dès que je lui parle en gaélique, Rodney réagit immédiatement. Qu'il soit éveillé ou pas. Alors je continue.
« Mo chridhe … » (3)
Je fronce les sourcils. Pourquoi est-je dit ça ? Et pourquoi est-ce que je sens que c'est ce que j'ai toujours voulu lui dire … enfin, quelque chose que je voulais dire depuis un moment. Depuis …
... notre retour sur Atlantis.
Rien que sur le Daedalus, j'ai failli le perdre trois fois : une fois lorsque ce foutu virus a ouvert une brèche dans le liquide réfrigérant, la seconde lorsque ce même virus a réussi à prendre le contrôle du système d'ouverture du hangar et la troisième lorsque ce casse-cou de major, heu, je veux dire colonel, a plongé à deux doigts d'un soleil pour détruire le dit virus (4). Quant à ce qui s'est passé après : Ford et ses rêves de grandeur (4), Elia … (4). J'aurais pu le perdre et il n'aurait rien su …
Je caresse ses cheveux, mes doigts s'attardent un moment sur sa tempe. Je murmure …
« Mo ruin … » (5)
C'est amusant comme tout me vient naturellement, comme si ce qui s'était passé ce matin avait ouvert des vannes depuis trop longtemps contenues. Je tiens à lui, Rodney McKay, mon idiot d'astrophysicien. Parce que c'est un idiot de la pire espèce et je ne manquerais pas de lui dire dès qu'il sera réveillé.
Déambuler dans les couloirs d'Atlantis avec une blessure de cette gravité, tout ça parce qu'il ne voulait pas que Biro y touche. La pauvre est un peu vexée … quant à moi, je suis positivement furieux. Résultat : début d'infection et 6 heures d'intervention. Idiot. Adorable idiot. Mon adorable idiot.
Ma main bouge toute seule maintenant, elle trace le contour du visage, ne ratant aucune courbe, aucunes petites imperfections. Comme ces aveugles qui vous identifient en gravant dans leur mémoire cette « cartographie digitale » de votre visage. Mes doigts s'arrêtent un moment sur les cils. Longs, souples, doux comme de la soie, ils forment une ombre sur sa joue pâle. Un peu trop pâle. Mais cela vaut mieux que rouge. Le rouge signe de fièvre. La fièvre signe elle-même d'infection.
Ma colère revient au galop. Mais qu'est-ce qui lui a pris ! Il va m'entendre : dès qu'il se réveille, je vous jure, dès qu'il se réveille, il va avoir droit à unebondieu de leçon morale et s'il ne veut pas m'écouter, je le menace de devoir passer quelques moments avec Kate parce que vu sa réaction, je doute qu'il soit tout à fait sain d'esprit, ou bien je le prive d'accès à un ordinateur, ou à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un terminal. Evidemment, il va argumenter mais là aussi j'ai une méthode infaillible pour le faire taire. Et d'après ce que j'ai pu voir sur le ponton ce matin, elle est particulièrement efficace.
Rodney n'est pas le premier homme que j'embrasse. Et oui, contrairement à ce que tout le monde semble croire ici, je ne suis pas une pauvre « petite chose innocente ». Adorer votre mère, ne fait pas de vous une vierge effarouchée ! Incroyable ce que les gens peuvent avoir comme idée toute faite … Bref, j'ai embrassé Rodney. Ca semblait être la bonne chose à faire sur le coup.
Le résultat fut particulièrement satisfaisant. Dans tous les sens du terme. Tout d'abord, j'ai obtenu suffisamment de silence et de calme pour prévenir l'infirmerie et leur demander de m'envoyer une équipe. Ensuite, il faut bien le dire, ça m'a permis de goûter Rodney. Chocolat, café et noisette. Ne me demandez pas pourquoi la noisette mais c'était exactement le goût qu'il avait. Ceci dit, avec ses joues rouges et ses yeux exorbités, il avait tout de l'écureuil.
Je soupire. Le problème, c'est que maintenant que j'y ai goûté, je sais que j'aime la saveur du Rodney McKay. Il va donc falloir que je recommence … j'espère qu'il va essayer d'argumenter …
Je me rappelle brutalement de la raison pour laquelle je suis descendu près de l'océan. Je cherchais quelque chose pour me retenir. Ne vous méprenez pas, je n'avais aucune intention suicidaire, juste le besoin de savoir qu'il y a quelque chose qui vaut la peine de continuer, qui justifie ma présence sur Atlantis, qui me rassure sur la voie que j'ai prise … et voilà que je découvre que ce n'est pas quelque chose que je cherchais, mais quelqu'un et qu'il ne se trouvait juste là, devant mon nez.
Parce que Rodney éprouve pour moi des sentiments proches des miens. Je le sais parce que lorsque j'ai rompu notre baiser, il ne s'est pas mis à hurler au viol ou à la possession extraterrestre, non, il m'a souri. Malgré la douleur, malgré la fièvre. Un sourire à la fois réservé et plein de promesses.
Je dépose un rapide baiser sur ses lèvres.
«Tha ghoal agam ort … » (6)
Et grâce à ce sourire, j'ai pris conscience que je suis bien comme le phénix après tout, capable, malgré l'adversité, de renaître de ses cendres.
Juste grâce à l'amour.
Fin (pour de vrai cette fois !)
(3) Le gaélique écossais ou gàidhlig est très différent du breton (langue celte dite de la famille brittonique, contrairement au gaélique qui comporte notamment l'irlandais et l'écossais). C'est une langue peu parlée (moins de 1 pour cent de la population écossaise) mais superbe. Mo chridhe veut dire « mon cœur ».
(4) Dans l'ordre épisodes Intruder (IA en français), Runner (Chasse à l'homme) et Instinct.
(5) Mo ruin : mon amour.
(6) Tha ghoal agam ort : je t'aime.
