3. En vain
La localisation de leur emprisonnement était en fait dans les donjons d'une énorme forteresse, ce qui, en soit, était plutôt typique. Il ne manquait plus que celle-ci soit perchée sur une haute colline rocheuse, avec, comme fond, un ciel perpétuellement orageux pour créer l'image caractéristique du Quartier Général du Méchant. Majuscules obligatoires. Ah, et sans oublier les deux corbeaux ou vautours traçant indéfiniment des cercles autour de la plus haute tour du bâtiment… Dans laquelle, naturellement, reposait le Méchant en personne.
C'était une belle image, songea Drago. Surtout qu'au tout il ne manquerait que l'héros en armure argentée, accourrant sur son cheval blanc pour affronter le Vilain, le vaincre et, par la suite, libérer les Pauvres Prisonniers de la forteresse…
Et c'était là que l'image à la Conte de Fée se différenciait abruptement de la dure réalité.
Tout d'abord, l'héros en armure ne se pointerait jamais la face. Pour la raison qu'il n'avait pas de chance d'apercevoir l'immense manoir qui était bien dissimulé sous une couche de sorts le rendant impénétrable et probablement invisible, mais aussi parce qu'il n'y avait pas de héros en armure… Plus de héros…
S'il y avait jadis une personne qui pouvait se heurter à Voldemort, ou même réussir à bloquer son chemin, elle n'était certainement plus là pour le faire…
À qui la faute?
Drago émit un léger gémissement qu'il étouffa immédiatement de sa main.
Dumbledore avait été sa seule chance. La seule chance. À présent, il doutait fort que le Ministère de la Magie arriverait à stopper le Seigneur des Ténèbres dans sa course. Et si ce n'était pas eux, qui? Potter?
Toutes ces rumeurs l'an dernier, comme quoi il était l'Élu… Franchement. Un adolescent tout récemment sorti de l'enfance? Contre Lord V— le Seigneur des Ténèbres, le plus puissant sorcier noir que le monde magique ait jamais connu? La notion était tout simplement ridicule et carrément inapprochable.
N'empêche que Potter se méritait un bon morceau de respect pour avoir déjà fait face au Seigneur à plusieurs occasions et être sorti vivant de ces périlleuses rencontres. Bien sûr, Drago réalisait cela maintenant, comme il avait réalisé qu'il n'avait absolument aucune envie d'assassiner Dumbledore une fois dans la merde jusqu'au cou.
Les six jours séparant la rencontre avec le Maître et le moment où il devrait se présenter auprès des cellules des donjons dans le but d'en garder les prisonniers s'écoulèrent rapidement, chaque jour filant plus vite que le précédant. Drago n'a jamais autant eu envie de passer tout son temps assis à une table de pierre, essayant vainement d'ignorer les innombrables atrocités dépeintes sur les pages d'un vieux livre.
Mais la précieuse semaine le protégeant de sa tâche dans les cachots tira à sa fin et déjà il se déplaçait dans les silencieux couloirs, plus bas, plus près de sa destination, le piètre contenu de son estomac remontant dangereusement vite le long de sa gorge.
Il ne rencontra personne sur son chemin. Les couloirs étaient habituellement vides, mais depuis le jour de l'attaque sur Poudlard le perpétuel manque de rencontres était rendu presque permanent.
Drago ne savait pas ce qui s'était passé. En fait, il ne savait même pas s'il voulait savoir. Il s'était fait un sang d'encre, tentant de ne pas penser au plan si facilement réalisable du Seigneur. Puis est venu le jour de l'assaut. Ça se sentait partout dans la place : partout où avant l'atmosphère était éteinte, il apparut un bourdonnement d'énergie. Un mélange d'excitation et de nervosité se transmettait d'une personne à l'autre, courant dans les pièces, brillant dans les yeux des Mangemorts. L'événement s'approchait et ça se sentait. Dans la manière que le monde tournait fébrilement les pages des livres, incapables de se concentrer, dans les regards triomphants et emplis d'appréhension que se lançaient deux personnes en se croisant, dans la façon que tout le monde remarquait l'absence des participants de l'attaque, qui étaient occupés à se préparer et à attendre le signal.
Puis vint le moment de partir, ils sortirent de leurs cachettes, masque blanc en place sur leurs visages et disparurent.
À partir de là, Drago ne savait plus rien. Il avait entendu du monde dire qu'ils étaient revenus, mais ce qui s'était passé lors de l'attaque restait bien secret.
Ses pieds l'avaient porté à l'étage inférieur. Aux donjons. Il s'arrêta devant la lourde porte de pierre, identique à tant d'autres dans le château, si ce n'est que celle-ci gardait une pièce bien plus macabre.
Qu'est-ce qui se passerait s'il refusait d'entrer? S'il restait là et attendrait? Ou s'il retournait se blottir dans la froideur de sa chambre, faisant ensuite mine d'avoir oublié qu'on l'attendait ici?
Drago prit une inspiration chevrotante, serra les poings, l'un deux se refermant fermement sur sa baguette, et ouvrit la porte.
Il s'attirerait l'attention et la colère du Seigneur, voilà ce qui arriverait.
Comme il s'y attendait, il faisait plus noir dans les donjons qu'à toute autre place dans l'immense manoir. Les quelques torches ne donnaient pas l'impression d'offrir de la lumière, mais de se la faire voler. Devant lui s'étalait un long corridor de pierre, plutôt amble, mais dés que Drago y posa un pied, il eut l'impression que les murs rauques se refermaient sur lui, décidant de l'emprisonner lui-aussi, de l'opprimer là avec les autres captifs ; ils avaient décidés que là était sa place, que sa traîtrise devait être punie.
Mais ce n'était qu'une impression, bien sûr.
De larges barreaux remplaçaient les grosses pierres grises ça et là. Un peu plus loin le long du couloir, était assis Faust, le regard plongé entre deux de ces cruelles barres, observant fixement la victime à l'intérieur.
Drago, décidant que, pour l'instant, rien n'était pas plus pire que ce qu'il redoutait, monta un peu le menton et abaissa légèrement les paupières, créant une allure indifférente et hautaine qu'il avait progressivement calqué sur son visage à partir traits aristocratiques de son père. Et, le dos bien droit, il entra entièrement et s'avança vers le Mangemort.
Celui-ci sursauta un peu lorsque Drago se mit en mouvement, ne l'ayant pas aperçu tellement il était concentré à observer son prisonnier. Il se détourna ensuite des barreaux et mit son visage rondelet entièrement face au Serpentard qui approchait.
« Où est Ardmore? » demanda Drago, se maudissant en entendant sa voix craquer un peu à la dernière syllabe. Heureusement, Faust ne fit pas signe d'avoir entendu le malheureux son et haussa les épaules pour répondre à la question.
« Pas encore là. »
Ses yeux tantôt évitaient totalement le regard de Drago, tantôt choisissaient de le rencontrer de plein fouet, se plissant légèrement comme pour le sonder. Il avait un visage plutôt rond qui aurait pu paraître très bienveillant, si ce n'était de ses sourcils broussailleux constamment froncés, et de tous les plis qu'a creusé le stress dans son visage. Et, bien sûr, de l'horrible marque sommeillent sous sa manche. Drago remarqua que ses poings étaient tellement serrés autour de sa baguette que ses jointures en étaient blanches. On aurait dit que chaque muscle dans le corps potelé de l'homme était tendu, que chaque nerf était en alerte. Le jeune Mangemort se demanda qu'est-ce qu'une personne comme lui faisait ici?
Bien sûr, on pourrait prendre le cas de Pettigrow, qui tremblait constamment et serait probablement éternellement loyal au Seigneur simplement à cause de l'intense peur forçant ses gestes ; la même peur de son Maître que celle qu'éprouvait en fait Drago. Et du coup, ce ne fut pas du tout surprenant de voir un personnage aussi tendu que Faust dans les rangs des Mangemorts.
Drago tourna alors légèrement la tête pour voir ce qu'il y avait, entre les barreaux, qui captait tant l'attention du sorcier quelques secondes auparavant et sentit le dernier semblant de couleur quitter abruptement son visage.
Paraissant si frêle, blotti dans le coin que formaient deux murs froids de la cellule, était une silhouette bien familière au jeune Serpentard. Familière, mais en même temps… Il avait l'air d'avoir vieilli de quinze ans en ces quelques années que Drago ne l'avait pas vu. Les cheveux gris parsemant autrefois sa chevelure s'étaient multipliés jusqu'à recouvrir une bonne partie de sa tête. Ses yeux, qui souriaient toujours aimablement à quiconque ils croisaient, étaient fermés et lourdement soulignés de grosses cernes qui semblaient tomber jusqu'à ses joues. Sa robe rapiécée était sale et, si Drago ne se trompait pas, tâchée de sang juste au-dessous de ses côtes, où se logeait une de ses mains.
La boule dans sa gorge qu'il avait réussi à ignorer jusque là décida soudain de se manifester à nouveau et Drago crut pendant un instant qu'il allait vomir ici même, dans les cachots, devant l'autre Mangemort. Qui, il se rendit compte, était occupé à l'observer depuis quelques secondes, ses yeux bruns brillants, mais illisibles.
Intérieurement affolé, Drago tenta de reprendre le contrôle de soi-même et de cacher ses émotions, mais il savait qu'il était trop tard ; Faust les avait définitivement vues, si on pouvait en juger par la fermeté de son attention soudain dirigée vers le jeune garçon.
« Tu le connais? »
Drago forma discrètement un masque d'indifférence sur son visage avant de répondre.
« Je le connaissais, oui. »
« Bien sûr qu'il le connaissait, c'était son professeur, à Poudlard. N'ai-je pas raison? » La nouvelle voix retentit derrière Drago, le faisant presque sursauter. Se retournant, il vit Ardmore refermer la pénible porte de pierre, avant de venir rapidement dans leur direction.
Ardmore était au courant des moindres détails de son passé, maintenant? Même pas surprenant… Drago hocha la tête d'un geste rigide pour répondre à sa question.
Avant que l'homme ne puisse les rejoindre, Faust se leva soudainement et alla s'installer dans le fond du couloir, devant une autre cellule, celle-ci attendant encore d'être fournie une victime à garder.
Le nouvel arrivé, nullement déconcerté par l'isolement du Mangemort, parvint aux côtés de Drago, où il s'installa confortablement sur la chaise désertée et tourna son regard vers Lupin. Le volume de sa voix était assez fort pour que ses paroles portent jusqu'à Faust.
« Ils l'ont attrapé il y a environ deux semaines. À ce qu'il paraît, il rôdait bien trop près du manoir au goût du Maître. Et puis, Il veut lui tirer quelques vérités du nez. Lupin est un des hommes les plus proches de Dumbledore, tu savais? » N'attendant pas la réponse de Drago, il poursuivit, un sourire satisfait aux lèvres, « Pas que Dumbledore soit encore là pour pouvoir rassembler ses troupes, hein? Rogue s'est chargé de ça. » Se tournant soudain vers Drago, « J'arrive pas à croire que tu avais l'occasion d'achever cet amateur de Sang-de-bourbes et a laissé l'occasion passer! Si seulement j'avais été à ta place… » Finit-il les yeux un peu dans le vide.
Drago ne répondit pas. Il n'avait pas été à sa place justement. Il n'avait pas été demandé d'assassiner quelqu'un, lui.
Et puis, ça le frappa : ça, Drago n'en savait rien…
Il vit soudain Ardmore avec un regard nouveau, ne voyant plus le semeur de commérages habituel, avec une bouche légèrement trop grande pour son propre bien, mais quelqu'un qui pouvait possiblement être un meurtrier, qui avait peut-être déjà ôté des vies sans aucun remord. Il ne vit plus le maigre sorcier quelque peu fatiguant avec son babillage constant. Il vit un être dangereux. Il vit un Mangemort.
« J'ai entendu que c'est la Lestrange qui s'occupait de le faire parler. Et on peut dire qu'elle réussit! Je l'entends jusque dans ma chambre, parfois! » Il aboya un rire, les yeux fixant cruellement la figure se dessinant entre les barreaux. Il trouvait peut-être ça amusant, mais Drago, écoeuré, sentit un violent frisson parcourir son corps maintenant qu'un visage fut attribué aux cris que ses oreilles percevaient la nuit, et un visage familier en plus de ça. Il imaginait les traits fatigués, mais toujours aimables du sorcier se déformer sous la douleur, des supplications atroces déchirées à ses poumons.
« J'imagine que c'est logique d'avoir donné la tâche à Lestrange, quand même, vu que c'est elle qui a tué son meilleur ami, l'an passé. Et puis, tu étais au courant, toi, pour Sirius Black? Jamais je ne l'aurais cru! J'avais du respect pour cet homme et une certaine crainte, aussi… Douze assassinats d'un coup, qu'ils disaient! Et finalement il se trouve que c'était entièrement le travail de ce froussard de Pettigrow! Imagine la déception…»
Mais déjà Drago ne l'écoutait plus. Il s'éloigna d'Ardmore, le contenu de son estomac au bord des lèvres, allant vers Faust, mais décida ensuite de respecter son souhait de rester seul et s'effara finalement par terre, entre les deux autres Mangemorts. Il y avait une époque où il n'aurait pas daigné cracher sur les souhaits d'un homme, faisant comme ça lui chantait et que les autres se débrouillent… Mais plus maintenant. Peut-être était-ce en partie par peur de la réaction de Faust… Le bonhomme paraissait craintif et inoffensif, mais Ardmore ne lui semblait pas être un meurtrier sadique non plus, à première vue.
Parfois Drago oubliait qu'il était dans le milieu du Seigneur, qu'ils étaient tous ici des Mangemorts avec le même but, qui était d'exterminer les moldus et les sang-de-bourbes. Et il oubliait que la population ici était entièrement partante pour faire ça le plus sauvagement et douloureusement possible. Lui aussi, un jour, il était d'accord avec cette décision. Puis, une fois qu'il y a goutté, ça s'est écroulé. Tout s'est écroulé.
Il serra les bras autour des ses genoux, faisant attention pour que ce geste ne paraisse pas trop vulnérable.
Ardmore, ne se souciant pas du départ de Drago, se tourna dans leur direction et haussa un peu le volume de sa voix avant de continuer. « Qu'est-ce que vous en pensez, vous, de Sirius Black? Paraît qu'il était proche de Harry Potter! Moi j'avais d'abord ri en apprenant la nouvelle, tellement ça me semblait ridicule! Galfridius? »
Faust, la tête rejetée contre le mur, paupières closes, les jointures blanches autour de sa baguette, les sourcils tellement froncés que cela devait en être douloureux, ne répondit pas.
Ardmore, abandonnant, se tourna alors vers Drago, mais celui-ci l'ignora tout autant.
C'était, en fait, qu'il n'en pensait rien. Ou plutôt qu'il ne savait pas quoi en penser, vu à quel point il était mal informé sur le sujet. La seule chose dont il était au courant était que Black avait été un Animagus non-déclaré, un chien, chose que son père lui avait apprise pour qu'il puisse tourmenter Potter. Sinon, il avait fait ses propres conclusions en voyant Pettigrow devant lui, en chair et en os tremblotants.
« Et en parlant d'Harry Potter, il a encore déjoué les plans du Maître. »
Du coup, il avait toute l'attention des deux autres hommes. Se réjouissant de la soudaine importance de son savoir, il rapprocha sa chaise de ses deux compagnons et continua, un sourire satisfait en coin :
« Vous n'avez pas remarqué comment les Mangemorts ayant participé à l'attaque sur Poudlard ne se pointent pas la face dernièrement ou, quand ils le font, semblent vouloir tout massacrer du regard? Ils étaient chargés de ramener Potter, obligatoirement, le Seigneur le voulait à tout prix et qu'est-ce qu'ils découvrent? Que Potter ne se trouve même pas à Poudlard! »
Pas à Poudlard!
Drago cligna des paupières à plusieurs reprises, tentant de comprendre. Potter s'était constamment battu pour rester à son école – ça il en était convaincu après tous les vains essais pour l'en virer – et maintenant… il n'y était plus? Il est parti, comme ça, de son plein gré? Et pour aller où d'ailleurs? Non mais il était fou ou quoi?
« Non, je ne sais pas où il se trouve – du moins, pas pour l'instant – et personne n'a réussi à le découvrir. Paraît que le Maître présume qu'il se cache au Quartier Général de l'ordre de Dumbledore. Même si le vieux chnoque n'est plus là. En tout cas, c'est tout de même étrange… » continua Ardmore. Bientôt ses paroles étaient la seule chose qui résonnait dans le vide humide de la cellule, Drago perdu dans ses propres pensées et Faust semblant être tout aussi déconnecté de la réalité.
Des gémissements douloureux leur parvinrent de la cellule de Lupin à quelques reprises durant la nuit. Drago fit presque une petite prière de remerciement quand un Mangemort vint leur annoncer qu'ils pouvaient retourner à leurs chambres. Il évita de regarder entre les barreaux en passant près de son ancien professeur.
oOo
Toute la semaine il dut retourner dans les cachots en compagnie des deux autres Mangemorts. Il fut bientôt habitué aux babillages constants d'Ardmore et de la tension quasi-compacte émanant de la forme ronde de Faust.
Il n'arrivait cependant pas à s'habituer aux gémissements et plaintes parfois sanglotantes que produisait quelques fois le prisonnier.
Puis un jour, quelqu'un leur rendit visite aux cachots.
Elle enjamba la distance séparant la porte de la chambre du prisonnier en quelques secondes, leur fit signe de dégager d'un mouvement méprisant du poignet en entra dans la cellule, un sourire maniaque peint sur ses lèvres rouges.
Et les cris débutèrent.
Drago se savait être pâle comme linge alors qu'il regardait le spectacle. Ses yeux écarquillés refusaient de se détourner de la scène macabre malgré ses efforts. Ses dents allaient éclater en vils morceaux s'il continuer à serrer les mâchoires de la sorte. Des muscles tressaillaient tellement il les contractait. Il avait froid, plus froid que jamais, mais de la sueur persistait à lui couler le long de la colonne vertébrale.
Plus Lupin s'égosillait, plus sa chère tante reprenait de plus belle. Avec plus de passion, plus de colère, plus de haine.
Drago sentit les larmes perler aux coins de ses yeux et s'empressa d'empoigner son avant-bras d'une main et d'y enfoncer les ongles avec férocité, tout en se mordant cruellement la langue. C'était une chose de brailler devant un fantôme rejeté de tous dans une école, et une autre de le faire dans la forteresse du Seigneur, surtout en telle compagnie.
Bellatrix s'arrêta un moment, le temps de reposer une question sur les lieux de rencontre de l'Ordre du Phoénix. Lupin grogna, toussa, sembla reprendre ses esprits, mais refusa obstinément de parler. Juste quand elle releva outrageusement la baguette pour une autre tournée de sortilèges douloureux, on entendit le ton bas de la voix de Faust :
« Ça marchera pas, tu comprends pas? »
L'indignation figea Bellatrix sur place le temps de quelques secondes. Puis, lentement, dangereusement, elle se tourna vers le Mangemort, baguette toujours pointée sur le prisonnier.
« Quoi? » cracha-t-elle, tremblant presque de colère. Drago avait toujours trouvé qu'elle était légèrement impulsive et, là encore, son joyeux voyage à Azkaban n'avait pas amélioré les choses.
« …J-J'ai dit… Ça marchera pas. » Faust avait la tête baissée et on ne voyait pas du tout l'expression de son visage, mais Drago remarqua sa silhouette rondelette trembler. Sa voix était loin d'être stable alors qu'il énonçait clairement les mots.
Bellatrix arrondit ses yeux jusqu'au point où on aurait dit que les globes allaient rouler librement de leurs orbites, le visage crispé et dément. Elle ne dit rien. Faust, tremblotant mais déterminé, continua après la lourde minute de silence.
« Tu le rendras fou… Comme les Londubats. » Sa voix était étranglée, comme forcée hors de sa gorge. « Ça te rendras peut-être joyeuse… mais ça ne nous avancera pas. » Une pause. « Ça n'avancera pas le Maître. »
Drago ne savait sur quoi concentrer ses pensées. Les Londubats… fous? À cause de sa tante? Ça ne l'étonnerait pas que ça soit vrai… Et puis, présentement c'était l'expression de rage folle – et 'folle' dans le sens propre du terme – écrite en long et en large sur son visage qui captait toute son attention.
Elle se tourna un peu plus vers le petit Mangemort et souleva légèrement sa lèvre supérieure, comme un chien montrant ses dents pour grogner.
« Et qui es-tu pour me dicter ce que je dois faire? » La phrase commença dans un murmure tendu, mais Drago entendait déjà le ton de sa voix monter dangereusement. « Le Seigneur des Ténèbres est plus satisfait de moi qu'il ne le sera jamais de toi, gros imbécile! ALORS LAISSE-MOI DONC FAIRE MON TRAVAIL EN PAIX! » Elle prit quelques grosses inspiration et, comme si ce n'était qu'une vulgaire arrière-pensée, lança : « Endoloris! »
Le corps accroupi se tordit sous l'ultime douleur, se tendit tant que ça n'aurait pas été surprenant que les os cèdent, mais rien ne sortit de sa bouche. Pas de cris, ni de supplications. Pas de gémissements. Rien.
Soudain la lourde porte d'entrée des cachots s'ouvrit et s'y engouffra Rogue. « Bellatrix! » cria-t-il d'un ton sec en voyant le spectacle. « Arrête-ça tout de suite! » il se précipita à ses côtés et agrippa sa baguette, l'abaissant brusquement.
Quand la figure de Faust arrêta de tressaillir, l'ancien professeur de Potions exigea des explications.
« Il l'a mérité. »
« Et comment a-t-il fit ça, exactement? »
« Il m'a provoqué. »
Rogue poussa un petit soupir frustré avant de se tourner vers les autres occupants de la pièce, notamment Drago et Ardmore. « Qu'est-ce qu'il a fait? »
Assez surprenant, c'est Faust qui, se relevant péniblement, prit la parole, sa voix rauque et tout aussi tremblotante.
« J'ai dit… J'ai dit que le torturer comme ça ne le ferait pas parler… J'ai dit que— » Il interrompit ses paroles par une brève quinte de toux, « J'ai dit que si on le rend fou, il ne nous servira plus à rien. »
Rogue le jugea d'un regard méprisant avant de se retourner vers Bellatrix. « Il a raison. »
« QUOI? Tu juges le raisonnement de ce gros lard inutile plus imp—»
« Utilise ta tête pour penser un peu! Il a raison. Les sessions de torture, c'est terminé! On va trouver un autre moyen de le faire parler. »
« Terminé? Je—le Maître va–- Tu vas regretter ça, Severus! » finit-elle, mettant fin à son bafouillage indigné et sortant du couloir en furie.
Rogue ne les regarda même pas avant de quitter à son tour.
La soirée passa sans un autre mot échangé et quand vint leur temps habituel de quitter la place, Faust se leva le premier pour sortir des cachots.
Passant près de la cellule de Lupin, il stoppa sa course. Une main pâle et tremblante s'était étirée d'entre les barreaux pour lui toucher le pied. Drago le vit regarder en bas, fixant le regard sur le visage désolé du détenu.
« Merci… » Le mot était cassé, rauque et à peine audible, sortant des lèvres sèches dans un soupir. C'était la première chose que Drago l'entendait dire depuis être arrivé ici, si on ne comptait pas les cris de douleur.
Faust donna un brusque coup de pied à la main et sortit furtivement des cachots.
oOo
Ça n'avait pas été pas planifié.
Enfin si, ça l'avait été, mais pas comme ça. Surtout pas comme ça… Pourtant ce n'était pas surprenant ; tout tournait toujours à l'envers en ce qui concernait Harry, songea Minerva McGonagall avec tristesse. Ils auraient dû s'y attendre depuis le temps…
Molly pleura en apprenant la nouvelle, ce qui n'était pas surprenant vu qu'elle considérait le garçon comme un de ses propres fils et s'acharnait à le protéger autant que possible.
Arthur et Kingsley étaient extrêmement tendus, devant se restreindre d'inclure le Ministère dans l'affaire. Ministère qui tentait de plus en plus de s'en mêler depuis l'attaque sur Poudlard et la révélation que le fameux Harry Potter ne se trouvait pas à l'école.
Ron et Hermione passaient leur temps à se lancer des regards encourageants, espérant mutuellement se faire rassurer par l'autre. Surtout vu qu'aucun des deux n'arrivait à se convaincre lui-même.
Ginny versait des larmes qu'elle savait inutiles, se faisant en conséquent poser des tonnes de questions par ses amies et colocataires de dortoir, questions auxquelles elle n'avait aucune réponse à fournir.
Lupin, la seule figure paternelle qui restait au garçon ne s'inquiétait heureusement pas pour lui. Sûrement pas vu qu'il était capturé Dieu seul sait où, son sort aux mains de ses ennemis. La directrice frémit rien que de penser à ce qui pouvait y arriver à l'heure qu'il était.
Minerva poussa un long soupir, se mordant la lèvre inférieure. Son regard découragé remonta le long du mur Ouest du bureau pour se poser sur le dernier tableau y ayant pris place. Les yeux bleus pétillaient derrière le verre de ses délicates lunettes tandis qu'il lui fit un minuscule sourire d'encouragement.
Pourtant ça ne l'aida pas. Elle sentit les larmes lui venir aux yeux alors qu'elle se rendait compte qu'elle échouait complètement dans sa tâche, qu'elle n'arriverait jamais à remplacer Dumbledore. Que la situation dégradait horriblement vite et qu'elle ne pouvait absolument rien faire pour améliorer les choses.
Tout ce monde qui s'inquiétait, espérait, se culpabilisait. Elle savait que tous les adultes, incluant elle-même, se maudissaient pour avoir pu laisser ça arriver. Ils étaient tous coupables pour ne pas avoir prévu et prévenu le coup et, maintenant, il ne restait qu'à attendre et espérer… Espérer qu'il s'en sorte intacte. Qu'il garde son titre de Survivant.
Se rendant compte que c'était l'heure du souper, elle reconstitua les traits de son visage en une expression sévère et pincée, celle qui était si familière à ses élèves et ses collègues et, se redressant la colonne, sortit du bureau. Sur le chemin de la Grande Salle, elle donna deux retenues, enleva trente points et offrit un hochement de la tête sec, mais rassurant, à un jeune Préfet de Serdaigle. Puis, elle s'installa à sa place de Directrice de Poudlard au centre de la table des professeurs et le festin débuta.
Il ne restait qu'à espérer. Rien d'autre.
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