CHAPITRE 10 : LAURA CALDWELL

Le lundi suivant, c'est dans un état d'absence totale que Harry débuta sa journée. Sa sortie à Pré-au-Lard, bien que totalement différente de tout ce à quoi il aurait pu s'attendre, l'avait plongé dans une sorte de rêverie dont il ne sortait plus, affichant sans arrêt une espèce de sourire béat qui lui donnait l'air un peu stupide. Mais comme Ron ne lui reprochait pas et paraissait avoir la même expression, il ne s'en formalisait pas. Ils promenaient tous les deux leur têtes d'autistes heureux dans les couloirs du château sans remarquer l'air intrigué de tous ceux qu'ils croisaient. Ils ne savaient même pas ce qui les remplissait tant de bonheur, car il ne s'était rien passé d'extraordinaire, au contraire. Tout avait été plutôt confus, leur intention de se parler sérieusement, l'arrivée pour le moins inattendue de Malefoy, Ron qui lui présentait ses excuses et Malefoy qui les acceptait, Malefoy qui parlait d'Hermione... Mais c'était ainsi, quelque chose était arrivé qui leur donnait le sentiment d'être les hommes les plus heureux sur Terre. Savoir ce qu'était cette chose leur importait peu, du moment que ce sentiment était partagé.

Et il l'était.

De son côté, Hermione éprouvait le plus grand soulagement. Si sa situation avec Malefoy n'avait pas évoluée, elle était maintenant parfaitement claire, plus de doutes à avoir. Il avait changé et il l'appréciait.

Lorsque les trois Gryffondor se retrouvèrent pour le petit-déjeuner, ce fut comme si une bulle invisible les entourait, un petit soleil personnel qui les faisait rayonner de bonheur.

Le cours de DCFM leur sembla passer en un éclair, encore qu'Hermione eut parfois l'étrange sensation que Mrs Harker la regardait avec un sourire en coin.

Suivi le cours de divination, où Harry et Ron furent encore moins attentifs qu'à l'ordinaire. Ils ne cessèrent de se lancer des regards complices et de rire avec Neville, Dean et Seamus qui ne comprenaient pas exactement ce qui se passaient mais voyaient que tout allait bien, ce qui leur convenait parfaitement.

De son côté, Hermione en revanche ne se désintéressa pas de son cours pour autant. L'arithmancie étant sa matière préférée, elle ne pouvait pas penser à autre chose durant cette heure. Mais elle se surprit à échanger quelques paroles avec Drago assis à côté d'elle qui lui firent totalement oublier ce que disait le professeur Vector. Et, comble, elle ne s'en voulut même pas !

Mais la journée n'était pas terminée et le cours de Soins aux Créatures Magiques, dernier de la journée, mit cependant fin à cet étalage de bons sentiments.

Laura Caldwell était en septième année à Serpentard et elle était très amoureuse de Drago Malefoy. Rien d'étonnant à cela, sauf que Miss Caldwell était très sûre d'elle et extrêmement idiote en même temps. Or, prétention et bêtise n'ont jamais fait bon ménage. Et ce jour-là, Drago eut droit au plus magnifique cocktail de ces deux ingrédients, pour son plus grand tourment... Nombre de filles avaient de bonnes raisons de se venger de Drago. Quand une élève de Serdaigle était venue la trouver pour lui dire que Drago était fou d'elle mais trop embarrassé pour faire le premier pas, Laura avait trouvé cela parfaitement légitime. « Qui n'est pas fou de moi ? » s'était-elle dit. On se le demande... Qu'on lui dise que Drago était timide ne l'avait pas non plus choquée. Elle y voyait le signe d'un réel attachement… Alors elle avait guetté toutes les occasions de parler au Serpentard au visage d'ange. Puis elle avait opté pour des encouragements muets afin qu'il ose enfin venir lui parler. Bien évidemment, Drago avait remarqué le comportement de Laura et il y avait répondu comme il se doutait qu'elle voulait qu'il y réponde. Par jeu (il fallait bien qu'il s'occupe). Il avait fait semblant d'être gêné en sa présence et s'était contenté de lui lancer quelques brefs sourires. Elle y croyait dur comme fer et en explosait de fierté. « Quelle idiote... » se disait Drago. Mais elle l'était encore plus qu'il ne le pensait.

Et c'est ça qui fit toute la différence.

N'importe quelle fille, au bout d'un certain temps, aurait compris qu'il jouait et ne voulait rien faire car il n'en avait absolument pas envie. Ou alors elle se serait lassée à force d'attendre un geste concret de sa part. Mais pas Miss Caldwell… Miss Caldwell était persuadée qu'elle avait raison et que Drago était amoureux d'elle. Miss Caldwell allait faire changer la situation…

Miss Caldwell était stupide.

Le cours de Soins aux Créatures Magiques était le plus propice aux bavardages, rapprochements et actions en tous genres, vu qu'il se déroulait à l'extérieur et que le professeur avait besoin de focaliser son attention sur lesdites créatures, à défaut des élèves. Durant les vingt premières minutes du cours, Laura prit quelques notes, lança des regards qu'elle voulait impressionnant aux Gryffondor, et contempla rêveusement Drago Malefoy. Quand la partie pratique du cours commença et que les élèves se mirent par groupes, elle surgit à côté de lui avec son air le plus innocent. Il lui lança un rapide coup d'œil avant d'aller chercher de quoi nourrir son Botruc. « Sa timidité sans doute » pensa Laura avec un sourire attendri, en replaçant une mèche de cheveux blonds qui s'était échappée de sa barrette. Elle ne remarqua pas que la « timidité » de Drago ne l'empêchait pas d'échanger des sourires pleins de charme avec Hermione Granger, la Préfète en Chef de Gryffondor. Lorsqu'il revint avec un seau rempli d'une mixture dont elle se fichait éperdument, Laura attendit que Hagrid s'éloigne un peu pour lui glisser de sa plus belle voix :

Je sais ce que tu ressens pour moi Drago.

Celui-ci stoppa net son activité et se tourna vers elle avec une très mince lueur d'inquiétude dans le regard.

Oh, non ! Ne t'angoisse pas ! fit-elle doucement en se méprenant sur la raison de son inquiétude. Moi aussi je suis amoureuse de toi, dit-elle comme si cette nouvelle était la plus merveilleuse qu'il lui serait jamais possible d'entendre.

Et avant même qu'il ait le temps d'éclater de rire ou de lui sortir une de ces répliques acerbes dont il avait le secret, elle lui prit la main, la posa sur sa hanche et l'embrassa passionnément.

Exactement au moment où Hermione se tournait vers eux.

La Gryffondor eut l'impression de recevoir une décharge électrique. Quand Laura s'éloigna enfin de Drago, elle balaya les alentours d'un regard méprisant, la main du Serpentard toujours posée sur sa hanche. Fixant ses yeux sur Hermione, qui semblait être la seule à avoir remarqué, elle murmura avec un sourire sournois :

Jalouse, Sang de Bourbe ?

Sans tenir compte de l'expression horrifiée de Drago ni de l'air ébahi de Hagrid, Ron et Harry, Hermione quitta le parc et rentra au château en retenant ses larmes.

Au dîner ce soir-là, Harry et Ron se retrouvèrent seuls. Ils avaient supplié le portrait de les laisser entrer. La mère de Luna leur avait dit que sa fille lui avait souvent parlé d'eux. Après leur avoir récité toutes les qualités qu'elle leur trouvait, à quel point elle était ravie qu'ils viennent lui rendre visite et l'état affreux dans lequel Hermione était arrivée, elle avait refusé de les laisser entrer sans le mot de passe en ajoutant toutefois qu'elle serait enchantée de bavarder à nouveau avec eux. Harry avait dû pousser Ron jusqu'à la Grande Salle car celui-ci mourrait d'envie de manquer de la politesse la plus élémentaire envers Mrs Lovegood en lui expliquant clairement sa façon de penser quant à leur « bavardages » et à l'état d'Hermione qu'elle ne faisait rien pour améliorer. Ils mangèrent avec la ferme intention de mettre la main sur Malefoy dès que possible pour avoir une petite discussion et pour lui demander le mot de passe des appartements des Préfets en Chef. « C'est quand même dingue qu'elle ne nous l'ait pas donné ! » s'était exclamé Ron lorsqu'ils avaient tenté de persuader le portrait de les laisser entrer sans.

Après le départ précipité d'Hermione, Harry et Ron avait aperçu le Serpentard avec sa groupie accroché au bras. Elle l'avait embrassé dans le cou, et bien que Harry remarquât alors un spasme de dégoût sur le visage de Drago, la cause de la fuite d'Hermione s'en trouvait expliquée. Ils furent cependant les seuls à faire le rapprochement. Ils cherchaient donc un moyen de trouver Drago pour lui demander des explications, mais celui-ci semblait être tout aussi invisible qu'Hermione.

Dire qu'à Pré-au-Lard je lui ai fait mes excuses ! cracha Ron, furieux, en massacrant sauvagement ses pommes de terre. Je ne sais pas ce qui m'a pris ! J'aurais du me douter qu'il préparait un sale coup ! Cette sale fouine hypocrite et vicieuse ! Et Hermione qui le défendait, tu parles ! Il s'est bien moqué d'elle ! Comme si un type pareil pouvait changer du jour au lendemain, comme ça !

Il continua à ravager le contenu de son assiette en silence, poussant de temps à autre une exclamation étouffée dont Harry n'avait aucun mal à deviner le sens.

Le dîner terminé, ils traînèrent un peu dans les couloirs, dans l'espoir de tomber sur Drago mais rentrèrent bredouilles au dortoir. Les deux Préfets en Chef semblaient s'être volatilisés. Marmonnant toutes sortes d'insultes et de qualificatifs peu élogieux, Ron monta se coucher en laissant (à regret) Harry seul dans la salle commune. Celui-ci n'avait pas du tout sommeil. Il savait très bien que ce qui s'était passé en cours de SACM ne le regardait pas, mais il ne pouvait s'empêcher de se sentir responsable de l'état d'Hermione. Après tout, il lui avait dit qu'il acceptait ce qu'elle pouvait ressentir pour Malefoy. Et il avait accepté que le Serpentard s'occupe d'elle. Il lui avait fait confiance parce qu'Hermione le lui avait demandé. Et maintenant elle était sans doute en pleurs dans sa chambre, à cause de lui… D'eux… Incapable de rester assis, il se leva et sortit de la salle commune.

Sans trop réfléchir à pourquoi il faisait cela, il se dirigea tout droit vers les appartements des Préfets en Chef. Mais avant qu'il n'y arrive, une grande silhouette aux cheveux blonds se dessina devant lui.

Malefoy ! cria-t-il.

La silhouette se retourna.

Tiens, Potter, fit-elle de sa voix narquoise. Tu n'es pas poli avec moi, aujourd'hui ? On a abandonné ses bonnes résolutions ?

Je ne suis pas le seul apparemment, gronda Harry.

Drago ne répondit pas mais se tendit légèrement.

Tu m'as menti, reprit Harry d'une voix furieuse.

Si seulement il n'y avait eu que toi, répondit Drago d'un ton léger.

Ce n'est pas de moi que je parle !

Je sais très bien de qui tu parles ! s'exclama le Serpentard, soudain tendu.

Il jeta un regard irrité à Harry, qui se contenta d'avoir l'air encore plus énervé.

Qu'est-ce que tu voulais que je fasse ? dit Drago d'un ton agacé en haussant les épaules. Que je la retienne par le bras et lui dise je-ne-sais-quoi ?

Ne pas embrasser cette fille aurait déjà été un bon début !

Ecoute, Potter. D'un : c'est elle qui m'a presque sauté dessus, de deux : je n'avais aucune raison de la repousser…

Et Hermione alors ! s'écria Harry.

JE NE SUIS PAS AVEC ELLE, POTTER ! JE NE SORS PAS AVEC GRANGER ! Je ne sais pas pourquoi tu me parles d'elle ! Je n'ai aucune envie de sortir avec elle !

Harry ne répondit pas. Il fixa Malefoy d'un air dégoûté.

Bien sûr, dit-il au bout d'un moment. Tu joues seulement avec elle. Tu te fous de sa gueule, parce qu'il n'y a que ça que tu sais faire. Dire qu'à Pré-Au-Lard, j'ai presque cru….

Il s'interrompit et soupira.

T'es vraiment qu'un sale con…fit-il avec amertume. J'espère au moins qu'elle s'en rendra compte assez vite.

Sans un regard de plus au Serpentard, il fit demi tour et disparut dans le couloir.