CHAPITRE 15 : SAVOIR PARDONNER

Le lendemain matin, Harry était décidé à parler à Ron avant qu'ils ne descendent déjeuner, mais le lit du jeune homme était déjà vide lorsqu'il se réveilla. Il y avait pensé toute la nuit. L'expression de Ron lorsqu'il les avait surpris, Hermione et lui. Ses grands yeux bleus plein de déception et de tristesse. Des yeux que Harry ne pouvait imaginer sans cette étincelle qui y brillait d'habitude et qu'il avait fait disparaître. L'humeur maussade, il s'habilla rapidement et descendit dans la Grande Salle. Ron était à table avec Ginny et Neville. Il n'avait pas l'air d'aller si mal. Il parlait, souriait et semblait aussi bien que d'habitude. Mais Harry remarqua avec un certain amusement un détail qui ne trompait pas : Ron ne touchait pas à son assiette. Avec un sourire triste, Harry alla s'asseoir à côté de Neville.

- Salut, dit-il.

- Salut, répondit Ginny en souriant.

- Salut, fit Ron.

Il n'avait pas levé les yeux vers Harry et restait la tête penchée sur son assiette pleine. Se doutant qu'une attaque de front serait pour le moins déplacée et inopportune, Harry ne fit aucun commentaire et se servit des céréales le plus naturellement du monde en entamant la discussion avec Ginny, qui paraissait d'excellente humeur. Hermione les rejoignit peu après. Elle lança un bref regard à Harry avant de s'asseoir en face de lui. Celui-ci secoua légèrement la tête en signe de dénégation et Hermione n'insista pas. Le petit déjeuner terminé, Ginny se dirigea vers les couloirs tandis que Harry, Ron, Hermione et Neville prenaient la direction du parc pour assister à leur cours de Soins aux Créatures Magiques.

Arrivés près de la cabane de Hagrid, les Gryffondor commencèrent à discuter en attendant les Serpentard, toujours en retard. Lorsque enfin parvinrent les premiers vert et argent, Harry se rapprocha d'Hermione et lui lança un bref regard. Celle-ci lui sourit en retour. Elle savait bien qu'il voulait être près d'elle si jamais il devait à nouveau se passer quelque chose comme au cours précédent. Elle lui prit la main et la pressa doucement pour lui dire que tout allait bien. Ron n'avait rien dit. Il avait vu, évidemment. Mais il n'avait pas réagi. Se prendre la main… Normal pour un couple…

Drago arriva dernier, Miss Caldwell toujours accrochée à son bras, débordante de suffisance mais les yeux encore plus vides qu'à l'ordinaire. Il semblait qu'à part l'image de Drago, rien n'avait le pouvoir de s'y refléter. Pourtant on ne pouvait pas dire que celui-ci lui accordait une attention particulière. Il ne la regardait pas, ne lui répondait pas quand elle tentait de lui faire dire quelque chose et semblait se retenir à grand peine de ne pas secouer son bras pour en détacher la chose collante qui y restait agrippée. Hermione ne put s'empêcher d'en éprouver une certaine satisfaction, mais elle ne dit mot et demeura impassible. Le cours commença enfin. Les élèves continuèrent leurs travaux sur les Botrucs et les groupes se reformèrent automatiquement. Ron et Harry, Drago et Laura, Hermione et Neville.

Harry attendait une occasion de parler à Ron, pour voir s'il leur en voulait toujours. Aussi, dès que Hagrid s'écarta pour aller surveiller le travail des autres élèves, il tenta bravement d'engager la conversation.

- Euh…ça va ?

Ron le regarda d'un air perplexe.

- Oui, très bien, répondit-il en souriant.

Harry, bien que soulagé, remarqua que le ton de Ron était un peu trop formel pour être totalement naturel. Il s'apprêta à dire quelque chose lorsque Ron poursuivit :

- Ou plutôt non, ça ne va pas. Pourquoi vous m'avez menti, toi et Hermione ? demanda-t-il d'un ton sec. Si vous vouliez vous voir seuls tous les deux, vous auriez pu me le dire, je serais parti. Pas la peine d'inventer cette histoire de visite à Hagrid, tu sais. Je veux bien être un peu borné de temps en temps, mais si Hermione et toi vous avez envie de sortir ensemble, ce n'est pas la peine de me le cacher ! Pourquoi vous avez fait ça !

Il avait dit tout cela très vite et sans regarder Harry. Mais une fois qu'il eut fini, il leva enfin les yeux vers le jeune homme et le fixa avec colère, attendant une réponse. Harry resta stupéfait quelques instants. Ron croyait qu'il sortait avec Hermione… « Ca alors, pensa Harry, ça ne m'était même pas venu à l'esprit ! C'est vrai qu'à la réflexion c'est une conclusion plutôt logique… » Mais il y avait longtemps que Harry avait quitté la voie de la logique. Il eut presque envie d'éclater de rire tant le quiproquos lui paraissait comique mais il se retint vite. S'il lui répondait la vérité, à savoir que lui et Hermione ne sortaient pas ensemble, Ron voudrait tout de même savoir pourquoi ils lui mentaient pour se voir sans lui. Et ça, Harry ne pouvait pas le lui dire. Il ne voulait pas.

Alors il eut peur et répondit simplement :

- Oui excuse-nous Ron, on ne savait pas très bien comment tu le prendrais, justement c'est de ça qu'on parlait quand tu es arrivé…

Le rouquin ne broncha pas, il accusa le coup sans un mot. Mais il lui sembla que son cœur se déchirait, qu'on le brûlait de l'intérieur. Cette fois c'était vraiment fini. Plus aucune chance.

- Tu nous en veux beaucoup ? demanda timidement Harry, l'air passablement gêné.

Ron secoua la tête en signe de dénégation, le visage fermé.

- Pas grave, finit-il par lâcher du bout des lèvres.

-…

« Mais qu'est-ce que je fais ! » pensa Harry en voyant l'expression de Ron.

Le reste du cours se passa dans le silence le plus total et le plus lourd qu'ils aient jamais connu.

- Attention Neville ! s'exclama Hermione.

- Oups ! fit le garçon au visage lunaire en lâchant son Botruc qui s'étala pitoyablement sur le sol.

- Il ne fallait pas le serrer autant ! fit Hermione en soupirant.

Elle ramassa le pauvre animal et tenta de le réveiller un peu.

- Désolé… souffla Neville d'une toute petite voix.

- Tu as failli le tuer.

- Désolé, répéta-t-il en se tassant comme s'il avait voulu entrer dans le sol.

- Pas grave, je vais en chercher un autre et ramener celui-là à Hagrid.

Hermione prit délicatement le Botruc et se dirigea vers la cabane de Hagrid où le professeur préparait une mixture verte des plus intrigantes (« Et répugnante » pensa la jeune sorcière avec une grimace de dégoût).

- Hagrid, il me faudrait un autre Botruc. Neville a un peu trop serré celui-là quand j'ai voulu le dessiner. Il a l'air mal en point.

Hagrid souleva délicatement l'animal et l'observa avec attention.

- Il y en a quelques autres dans la caisse là-bas, dit-il en désignant une énorme caisse en bois près de l'entrée de sa cabane.

- Merci, fit Hermione avec un sourire que le demi-géant lui rendit.

- Oh ! Euh, Hermione… dit-il à voix basse. Garde Neville à distance, je crois bien que celui-ci est sérieusement amoché.

Hermione réprima un sourire et hocha la tête l'air de dire « bien chef !». Hagrid l'observa d'un air perplexe, mais elle lui fit signe que tout allait bien et s'éloigna.

Peut-être était-ce le contrecoup de la veille ou de la fatigue nerveuse, toujours était-il que la jeune femme était d'excellente humeur. Elle avait une très forte envie de faire des bêtises et d'arrêter de se prendre au sérieux. C'est donc d'une démarche délibérément nonchalante à l'excès qu'elle partit chercher son autre Botruc. Elle plongea distraitement sa main dans la boite et en ressortit un petit animal qu'elle tint devant ses yeux et qu'elle gratifia d'un sourire ravageur.

- Salut, fit-elle de sa plus belle voix avant de pouffer de rire sous les regards pour le moins perplexes de Dean et Seamus, qui la fixaient avec des yeux ronds comme des soucoupes.

- Bonjour, leur dit-elle lentement avec un grand sourire avant de retourner vers Neville qui semblait perdu au milieu de tous ces élèves en plein travail.

Dean et Seamus semblèrent passablement effrayés.

- Tiens, dit-elle en posant le nouveau Botruc sur la table devant Neville.

Elle balaya les alentours d'un regard rêveur en fredonnant.

- Hermione ça va ? demanda Neville en la tirant de sa rêverie.

- Très bien… Je vais faire un tour.

Et avant que le pauvre Neville ait pu dire quoi que ce soit, elle avait disparue entre les tables de sa démarche anormalement aérienne. Elle se dirigea droit vers la table de Drago sans même s'en rendre compte et la vision du Serpentard avec sa groupie n'affecta en rien le sourire indifférent qui éclairait son visage. Juste au moment où elle allait bifurquer vers une autre table, elle entendit Laura faire une remarque à Drago de sa voix de petite fille et le Serpentard lui répondre d'un ton cassant. Elle ne put s'empêcher de pouffer de rire. Laura se tourna vers elle et lui lança d'un ton hargneux :

- Un problème Sang de Bourbe ?

Hermione ne réagit même pas. Elle avait accroché le regard de Drago et ne le lâchait plus. Celui ne sembla pas non plus avoir entendu la remarque.

- Laura, mon ange, va chercher de quoi nourrir cette horreur, fit-il d'un air distrait sans quitter Hermione des yeux.

- Drago ? Tu…

- Laura.

- J'y vais…

Ils attendirent qu'elle se soit suffisamment éloignée avant de prononcer le moindre mot.

- Tu as l'air de t'être remise de ta petite fuite de lundi on dirait, fit-il d'un ton léger, mais Hermione savait bien qu'il cherchait à la tester.

- N'est-ce pas ? répondit-elle sur le même ton en conservant son sourire.

« Tu veux jouer ? pensa Drago, surpris. Très bien. »

- Pourrais-je connaître, cependant, les raisons de cette fuite pour le moins inattendue ? demanda-t-il en haussant un sourcil interrogateur, du ton le plus poli possible.

- Oh, fit Hermione en agitant la main comme si elle dispersait un nuage de fumée. Trop de fatigue… Et puis te voir avec Laura, ça m'a fait tellement mal au cœur.

Pendant un instant, le Serpentard resta interdit. Mais quand il vit qu'Hermione lui adressait le sourire le plus hypocrite qu'on ait jamais vu, il fit taire toutes les pensées qui lui venaient déjà à l'esprit.

- Oh oui, j'imagine que ça a été une épreuve terrible pour toi…

- Si tu savais. Moi qui suis si fragile…

- Navré de t'avoir fait tant pleurer…

- Je te pardonne. Et puis c'est mieux pour toi que tu sois avec elle. Elle a l'air tellement…merveilleuse.

Hermione dut faire un effort colossal pour ne pas éclater de rire après cette dernière phrase.

- Merveilleuse, en effet, répondit Drago.

Plus la conversation se poursuivait, plus le ton d'Hermione devenait ouvertement ironique et celui de Drago incrédule et presque inquiet. Mais pas une seule fois leurs yeux se quittèrent.

- C'est vrai qu'elle a l'air aussi vive qu'un pot de chambre, mais je suppose qu'on ne peut pas tout avoir...

Juste à ce moment, Laura apparut derrière Hermione et ce fut à Drago de faire un effort pour ne pas se mettre à rire.

Il fallait avouer qu'elle n'avait pas tout à fait tort.

- Exactement, répondit-il très sérieusement.

Une lueur de complicité passa dans leur regard et ils furent contraints de détourner les yeux pour ne pas éclater de rire.

- Merci, mon ange, fit Drago en se tournant vers Laura qui tenait un bol de graines dans la main.

- Encore là elle ? dit-elle en d'un ton méprisant en désignant Hermione du menton.

Drago ne répondit pas tout de suite mais il sembla à Hermione qu'un éclair de colère passait dans ses yeux. Il tourna nouveau son regard vers elle et son expression avait changé.

Il était désolé. Elle le voyait aussi clairement que s'il lui avait dit. Alors elle hocha simplement la tête et son sourire hypocrite (qu'elle s'était sentie obligée de conserver pour accueillir Laura) se réduisit à un léger sourire, le plus simple mais le plus significatif : celui qu'on adressait à ses amis.

- J'allais partir, fit Hermione.

Les yeux toujours fixés sur Drago, elle vit qu'il lui rendait son sourire. Le même, simple mais respectueux. Elle se détourna, une petite étincelle de bonheur crépitant dans son cœur.

Car maintenant elle savait : quoi qu'elle fasse, jamais Laura n'aurait ce sourire.