Vous prendrez bien un verre
Depuis l'inhumation de Dumbledore, Harry n'avait eut de cesse de s'instruire. Il avait effectué son tout premier investissement d'importance en l'achat d'un appartement dans l'East End. Le cartier craignait passablement, mais au moins Harry pouvait y prétendre à l'anonymat. Chaque jour, il transplanait au Chaudron Baveur afin de se rendre sur le Chemin de Traverse, à la recherche de livres ou d'objets qui pourraient lui être utiles dans sa quête. Mais ce jour-là, il bouleversait ses habitudes : il devait retrouver Ron et Hermione dans une brasserie de Piccadilly Circus.
- Tu es réellement convaincu que le lieu est idéal, côté discrétion, Harry ? l'interrogea Ron en embrassant du regard la cinquantaine d'autres clients.
- Il a pour suprême avantage de faire passer tes regards hagards pour ceux d'un touriste ou un provincial parmi tant d'autres, rétorqua celui-ci avec froideur.
- Je pense que Ron parlait du nombre incalculable d'oreilles potentiellement indiscrètes qui caractérisent l'endroit, suggéra Hermione.
- Vous ne vous souvenez pas du conseil de Mondigus, quand en cinquième année on avait organisé le premier rassemblement de l'A.D. à la Tête de Sanglier ? Dans un lieu public, plus il y a de monde autour, mieux c'est.
- Admettons, céda la jeune fille. Comment vas-tu ?
- Je n'avance pas beaucoup dans mes recherches sur les objets, mais je maîtrise maintenant totalement les sortilèges informulés et je progresse énormément en métamorphoses, théoriquement bien sûr. Je suis bien plus efficace qu'au collège, crois-moi.
Son amie opina à contrecœur, avant de jeter un regard oblique à Ron. Celui-ci consentit enfin à prendre la parole constructivement :
- Ginny parle beaucoup de quitter elle-même le collège pour t'aider dans ta quête. Elle à l'air de penser que sa maîtrise du Chauve Furie te sera vitale dans un futur proche. Et ça inquiète beaucoup Maman, en fait. Mais elle ne veut entendre aucun de nos arguments et elle m'a harcelée depuis la fin des cours pour avoir ton adresse, parce qu'elle a trouvé ta chambre vide à Privet Drive et…
- Je vais lui parler, l'interrompit Harry, résigné. Mais il ne faut en aucun cas qu'elle sache où je vis, ce serait beaucoup trop dangereux pour elle.
- C'est bien pour cela que je ne lui ai rien dis, en dépit du fait que sa douleur faisait mal à voir.
- Ce n'est pas simple pour moi non plus ! s'emporta Harry.
- Nous le savons, personne ne doute de tes bons sentiments envers Ginny et de ton désir de la protéger. Pas même elle, fit Hermione, posant un main apaisante sur la sienne. Parle-lui vite, c'est tout. Le mariage de Bill me paraît l'occasion idéale.
- Sans doute. Elle me manque énormément. Chacun de vous me manque, mais je crois que je suis plus ou moins condamné à la solitude tant que je n'aurai pas accompli la prophétie. Alors j'aimerai que ce soit le plus rapidement possible, afin d'écourter le calvaire autant que possible. Mais assez parlé de moi, comment se porte le futur marié ?
- Bill ? Il ne s'est pas transformé à la pleine lune, on est donc tous rassurés sur ce point-là. Mais tu sais, c'est une aubaine pour toi cette histoire : plus personne ne pourra t'appeler le balafré ! plaisanta Ron.
- Comment, on m'a destitué de mon titre le plus cher ? fit mine de s'offusquer Harry.
Et ils rirent de bon cœur, comme trois adolescents normaux qui prendraient un verre dans des circonstances des plus normales. Mais très vite, les non-dits et l'incompréhension eurent raison de cet élan de spontanéité. Un ange passa.
- Quels sont les projets pour lesquels nous pourrions t'être utile, Harry ? demanda finalement Hermione.
- Aucun, j'en ai peur. Bien sûr Hermione, tu es bien plus brillante que moi, mais j'ai peur qu'une greffe de cerveau soit difficilement réalisable. Quant à ta connaissance du monde sorcier, Ron, je ne peux pas l'inventer. Dans l'immédiat, ma lacune la plus handicapante est l'occlumencie, puisque je n'ai pas de léglimens sous la main. Je m'entraîne à la légilimencie sur des hiboux ou des rats, mais leurs pensées sont juste binaires : la nourriture et la survie, en gros. C'est limité, mais je ne me vois pas infliger ça à des Moldus dans les cafés…
- Je vois, dit Ron. Et un elfe de maison ?
- RON ! s'indigna Hermione.
- Je pense que Dobby serait prêt à subir ça, mais les elfes sont trop serviles, ne pensent pas assez par eux-mêmes pour qu'une incursion dans leur esprit représente réellement un défi, objecta Harry, coupant court à toute dispute.
- HARRY !
- C'est peut-être triste à dire, mais tu ne peux prêter aux elfes des capacités mentales humaines, Hermione. Je respecte énormément Dobby en sa qualité d'elfe, mais il n'est pas aussi intelligent qu'un Mangemort.
- Je trouve ta capacité à faire abstraction de Crabbe et Goyle révoltante, Harry, remarqua Ron sur le ton de la conversation en avalant une gorgée de thé.
Harry rentra chez lui ce soir-là empli de la joie d'avoir passé un moment aussi sympathique que constructif avec ses deux meilleurs amis. Il avait été soulagé que Hermione se propose de l'aider en sortilèges sans qu'il ait à lui demander, car à ce stade d'apprentissage, il avait besoin d'un adversaire de taille. Ron, quant à lui, avait promis de récolter autant d'informations que possible dans ce qu'il restait de l'Ordre du Phénix. Malheureusement, en l'absence de la clé de voûte qu'incarnait Dumbledore, l'édifice se trouvait fragilisé et se délitait lentement. De surcroît, de trop nombreux membres avaient été également assassinés au cours de l'année qui s'était écoulée, tant et si bien que l'influence du groupuscule s'amenuisait. Pourtant, Harry s'était juré de rester en contact avec, et communiquait régulièrement par hiboux express avec Minerva McGonagall et Remus Lupin. Seulement, les allés et venus des volatiles avaient fini par éveiller la curiosité du voisinage et Harry n'étant majeur que dans une semaine, il ne pouvait appliquer de sort d'insonorisation à sa modeste demeure. Il aurait bien fait appel à Fred ou Georges pour cette formalité, mais il s'efforçait de limiter au maximum le nombre de personnes connaissant sa planque. Il devrait continuer à faire réchauffer ses boîtes de conserve sur sa gazinière pendant encore une semaine, tant pis.
Il se fit un repas d'un bol de flocons d'avoine gorgés de lait accompagnés de dattes en parcourant un livre traitant des sorts ménagers. S'il avait accepté d'acheter ce studio miteux à un prix aussi indécent, c'était uniquement parce qu'il se savait en mesure de l'agrandir et de le restaurer en trois coups de baguette. Toute la soirée, il tabla sur les plans du futur agencement de son appartement, étonné d'être encore capable de se projeter dans l'avenir. Il tenait même compte de la présence éventuelle de Ginny dans le choix de la couleur des peintures, en fonction des goûts de la demoiselle. Faire une croix sur deux mois d'une promiscuité et d'une complicité aussi considérables était moins aisé qu'il n'y paraissait. Il ne parvenait à envisager son avenir qu'aux côtés de la jeune fille et cette idée le comblait moins qu'elle l'apeurait. Quand bien même il sortirait vivant de l'ultime affrontement, celui-ci surviendrait-il assez tôt pour que son amour reste intact ? Elle ne passerait pas sa vie à l'attendre.
Il ressassait toujours de sombres pensées lorsqu'un bruit de grattement se fit attendre dans la pièce silencieuse. Un hibou tentait d'entrer par la fenêtre. Surpris, car il n'avait répondu à Remus comme à McGonagall que la veille, il prit un peu de temps avant de le laisser entrer. La chouette effraie lui tendit aussitôt sa patte gauche, visiblement pressée. Il déchira l'enveloppe avec suspicion, son nom inscrit par une écriture saccadée, comme rageuse, qu'il connaissait mais qu'il ne parvenait pas à identifier.
« Potter,
McGonagall m'a informée aujourd'hui de ta décision de ne pas réintégrer Poudlard au 1er septembre afin de partir à la chasse au mage noir. Etant passé spécialiste en la matière, je pense pouvoir t'aider. Et même si j'aurai préféré que tu laisses ce rôle à des adultes plus expérimentés, tu seras bientôt majeur et je n'ai aucune autorité à exercer sur toi. J'aimerai te rencontrer le plus tôt possible, de préférence avant le mariage du fils Weasley. Informe-moi de ta décision le plus rapidement possible
Alastor Maugrey»
Cette lettre le laissa songeur. Il savait qu'une rencontre avec Maugrey Fol Œil « d'homme à homme » serait très instructive, mais il craignait que ce dernier soit trop curieux ou qu'il s'approprie un combat qui, au grand dam d'Harry, n'appartenait qu'à lui. Pesant le pour et le contre, il fixa une rencontre le surlendemain au Chaudron Baveur, pour se donner le temps de réfléchir à se qu'il pourrait dévoiler ou non à son ancien professeur. Il se coucha la tête trop pleine, seul dans son grand lit trop froid et trop vide.
Deux jours plus tard, il buvait sa troisième Bièraubeurre dans la petite salle sombre du Chaudron Baveur quand son interlocuteur lui tapa sur l'épaule, le faisant sursauter.
- Tu n'es pas assez aux aguets, Potter, murmura le vieil homme.
- J'ai veillé tard hier, s'excusa Harry. Je suis tombé sur un bouquin très complet sur la métamorphose humaine.
- Tu espères vaincre Voldemort en le changeant en l'un de ses Mangemorts ? ironisa à voix basse Maugrey.
- Non, j'espère pouvoir poursuivre mes investigations jusqu'à l'Allée des Embrumes sans risquer d'être reconnu.
- Et tu ne sens pas capable de produire une potion Polynectar correcte ?
- Si, mais pour cela, il faut déjà trouver les bons ingrédients. J'ai écumé tous les apothicaires du Chemin de Traverse, tous ont fait la grimace quand je leur ai demandé s'ils avaient de la peau de serpent du Cap…
