Disclaimer : les personnages appartiennent à J.K. Rowling, et quelques petits éléments aussi. Pour la ville, l'humour pathétique et les situations, c'est de mon fait. Ah, et quelques emprunts à El Viejito Romain. ;))
2. Petite complication
« Un homme à la mer ! »
Ron, Harry et le professeur Rogue se précipitèrent, au même titre que la majorité de l'équipage, sur le pont. Penchés au-dessus des flots écumants, les badauds cherchaient le sensationnel : « Qui ça peut bien être ? Comment est-il tomber ? »
- Là ! Là ! cria subitement un officier, lancez la bouée !
Les rumeurs des passagers se turent aux cris de l'homme, et chacun tenta d'apercevoir la victime.
- Mais c'est une fille ! Regardez, là ! Vous voyez ses cheveux blonds ? annonça hystériquement une femme d'âge mûr en pointant un index voyeur sur la mer.
- C'est pas humain ! C'est pas humain ! glapit un homme au teint rougeaud en s'agitant comme un poulpe hors de l'eau.
Une clameur d'angoisse mêlée à de la surprise pure couvrit le rugissement de la Manche, et comme par magie les Moldus dégainèrent leurs appareils photos et caméscopes. Aussitôt la surface de la mer fut éblouie de flash blancs qui assommèrent plus d'un krill à la dérive. Ron, qui commençait à avoir le mal de mer, se réfugia sous un escalier tandis que son ami se précipitait vers les garde-fous. Jouant des coudes et des pieds, il se fraya un passage jusqu'à un observatoire adéquat.
Surnageant maladroitement, Hermione –du moins à en juger par la crinière blonde qui s'étalait autour de la créature écailleuse comme une traîne –poussait de petits hennissements de détresse. Mais très vite, elle cessa ses barbotements hasardeux et se mit à évoluer avec plus de confiance dans la Manche glacée de ce début d'automne. Soudain, le kelpie-Hermione disparut entièrement sous l'écume, arrachant un cri d'angoisse à Harry, et des « Où est-elle, vous la voyez ? », « T'as pris une photo ? Ça peut rapporter gros ! » aux Moldus avides de sensations fortes.
Sous les yeux écarquillés des passagers, le kelpie émergea de l'eau, une longue crête blonde battant le vent derrière lui, son corps de poisson glissant sur les vagues avec l'aisance d'un pou dans une chevelure bien huilée. Hermione, le cheval de mer, parvint même à se cabrer et à hennir de joie avant de s'éloigner comme un éclair du ferry, laissant toute une cargaison de Moldus en émoi.
Harry rejoignit Ron dans son abri avant que la foule ne se ressaisisse et envahisse à nouveau le pont. Il voulut lui communiquer ce dont il avait été témoin, mais une ombre fondit sur lui sans crier gare.
- Monsieur Potter ! grinça le professeur McGonagall. Que signifie tout ce charivari autour de ce cheval de mer ?
- Il s'agit de cette Miss Granger, Minerva, persifla Rogue en surgissant aux côtés de la Gryffondor. Il semble qu'elle ait retrouvé sa forme primitive…
- Je vous dispense de tout commentaire à l'égard de cette élève, s'étouffa la professeur dans un élan de dignité, bien que la nouvelle l'ait ébranlée.
Les lèvres de la vieille sorcière se réduisaient désormais à un trait mince et peu avenant, tandis que son front se plissait de façon outrageuse. Elle tourna les talons et, mal à l'aise dans son tailleur pied-de-poule, lança d'un ton sec :
- Application du plan d'urgence ! Severus, envoyez des hiboux au Ministère des Affaires Etrangères de la Magie, à celui des Incidents Magiques et aux Brigades de Protection des Créatures Magiques... il ne manquerait plus qu'un pêcheur harponne cette malheureuse ! Potter, Weasley, interdiction formelle d'approcher quiconque !
- Mais… voulut protester Ron dans sa verdure faciale.
- Ne discutez pas mes ordres ! fit McGonagall, courroucée.
« En route ! »
Le car s'ébranla, emportant à son bord les élèves surexcités, pour ceux qui avaient passé haut la main l'épreuve de la traversée. Désormais, le groupe de sorciers se trouvait au Terminal de Ouistreham, où s'ouvraient devant eux les premiers paysages de la France. Le visage de Ron s'allongea. Du gris. C'était la couleur dominante. Du bitume gris, des bâtiments gris, un ciel gris où se découpaient des toits gris. Des voitures ternes aux passagers éreintés par la traversée agitée, quelques agents aux gilets fluorescents pour égayer le tout. Tandis que le car quittait le lacis de routes menant au port, le visage de Ron se décrispa. Le véhicule passa un no man's land bétonné où attendaient des voyageurs assoupis, puis atteignit enfin les zones habitées.
Là, un concert de « ooooh » extasiés s'éleva de la majorité des élèves. Des rangées de maisons bien ordonnées à la manière anglaise, mais au style normand. Des maisons moldues très cossues, en somme, qui arboraient leurs splendides façades à colombages. Certaines étaient pourvues de verrières, d'où un aperçu ostentatoire de l'intérieur de la maison était possible. Les adolescents observèrent avec curiosité les premiers Moldus français qui arpentaient les rues quasi désertes de ce début de journée, mais finirent par se lasser et sombrer dans un sommeil réparateur, oublieux du sens inverse de conduite qu'ils connaissaient très peu pour la plupart. Seuls les sorciers nés de parents moldus furent légèrement perturbés, notamment lorsque le car prit un rond-point « à contresens ».
Dans le vacarme ambiant de ronflements, seuls Harry et Ron ne parvenaient pas à trouver le sommeil. Ils se sentaient terriblement inactifs. Interdits de magie, ils ne possédaient aucun moyen de savoir ce qu'Hermione devenait, livrée à elle-même dans cette immense étendue aquatique sous une forme qu'elle ne maîtrisait pas encore. Ron s'était mis à énumérer fébrilement les risques qu'elle encourait. Et si un requin pèlerin, dans un interminable bâillement aux corneilles, l'engloutissait sans autre forme de procès ? Ou si elle se prenait dans des filets ? Ou encore, si un humain peu scrupuleux la capturaient pour ensuite, au choix 1) l'exhiber dans une foire, 2) la disséquer puis vendre la vidéo à ses concitoyens ?
- Ron, tu dis n'importe quoi ! Les Moldus ne sont pas comme ça ! Tout ce que tu sais d'eux c'est à travers les feuilletons regardés sur la télévision détournée par ton père ! Il n'arrivera rien de tel à Hermione !
Ron décocha un regard suspicieux à son compagnon.
- Mais si ce n'est pas les Moldus qui l'attrapent, ce sera les chasseurs de monstres ! C'est très côté chez les Sangs Purs les créatures protégées !
- D'accord, Ron, fit Harry en levant les yeux au plafond, exaspéré. Que proposes-tu ?
- Une recherche au pendule…
- T'en as un ?
- Euh… non, répondit Ron, confus. On en fait apparaître un ?
- Ron ! C'est pas comme ça que ça marche ! Bon… Reprenons.
En silence, ils raclèrent leur complexe intellectuel et s'accordèrent sur une option : attendre leur point d'arriver et improviser. Hum… pas très constructif tout ça. Pour quelque chose qui avait demandé un effort intense de connections synaptiques…
Le duo d'amis laissa donc couler l'affaire pendant les six heures que prit le trajet de Caen à leur ville de séjour, Nantes. Ils arrivèrent sous un beau soleil d'été réticent à céder sa place à son confrère l'hiver. Ils abordèrent la ville portuaire par le Pont de Cheviré, suite à un long tour de périphérique. Le chauffeur du car, un Moldu britannique à qui la condition de ses passagers était méconnue, avait choisi d'effectuer ce détour afin de leur offrir une vue d'ensemble de la Cité des Ducs de Bretagne.
De leur belvédère improvisé ils virent la ville lovée autour de la Loire qui coulait paresseusement le long des quais. Les flèches d'une cathédrale et de plusieurs églises s'élevaient majestueusement vers les cieux, accrochant la trame des nuages pour les effiler. Les toits gris bleutés et ardoise sombre des maisons et immeubles de la ville moldue luisaient sous l'humidité restante de la nuit. Le car s'achemina vers le centre de la ville entre deux bouchons du midi. Ils longèrent les quais, y croisèrent un bâtiment militaire gris amarré et suivirent les rames du tramway sur une certaine distance. Enfin, ils arrivèrent à destination.
Le Château des Ducs de Bretagne, semblant tout droit surgi du passé du fait de ses pierres de tuffeau blanc rénovées de frais, se dressait devant les touristes, imposant édifice mêlant le Moyen-Age et la Renaissance. Tout le monde descendit du car et se rassembla sur le parking. Les élèves de Poudlard, qui étaient habitués à la splendeur et à la taille colossale de Poudlard, ne furent guère impressionnés par ce qui à première vue était un château de petites proportions.
- Alors c'est donc ça la fameuse Riveclaire ! s'exclama dédaigneusement Drago Malefoy, fronçant le nez comme si une odeur le dérangeait.
Le professeur Rogue, de sa démarche raide entravée par son costume, l'attrapa par les épaules et planta un regard noir dans ses yeux :
- Ne mentionnez jamais le monde sorcier en présence de Moldus, gronda-t-il sourdement en désignant le chauffeur du car d'un coup de tête qui le perturba.
En effet, pour faire plus Moldu, le professeur de Potions s'était fait une queue de cheval, et cela lui manquait de ne plus sentir ses cheveux suivre le mouvement quand il faisait un geste de la tête. Certaines élèves en ébullition hormonale avaient enfin pu découvrir le visage complet du professeur le plus mal luné du tout Poudlard, et lui avaient même trouvé un certain charme, n'eut été son teint de champignon de Paris.
- Tant que nous n'avons pas intégré le monde sorcier, il est impératif de taire notre condition ! poursuivit le professeur, plus aussi menaçant sans sa coiffure habituelle. Alors Mr Malefoy, vous allez me faire le plaisir de vous tenir à carreau. Est-ce bien compris ?
Le blond arrogant toisa Rogue mais ne dit rien. Il se contenta de faire grincer ses dents sous l'énervement.
- Les enfants ! appela le Professeur Flitwick en se hissant sur la pointe des pieds et en tapant des mains. Rassemblez vos affaires !
Les élèves firent docilement la queue pour récupérer leurs bagages dans la soute du car.
- C'est surprenant de voir tant de vieilles malles chez de jeunes gens comme ça, commenta le chauffeur moldu en regardant McGonagall.
- Euh… oui. Nous faisons partie d'une troupe de comédiens… C'est plus commode pour ranger les accessoires et les costumes.
- Ah…acquiesça le Moldu.
Il se gratta le crâne en détaillant les étranges balais trafiqués.
- Nous allons fêter Halloween, mentit McGonagall, devançant la curiosité de l'homme.
Lorsque les bagages furent tous déchargés, McGonagall donna congé au conducteur et mena la classe jusqu'au pont du château. Ils traînèrent leurs lourdes malles sur les planches, ce qui fit un tintamarre de tous les diables qui eut pour conséquence de faire se lever les têtes des passants. Sous l'égide du professeur Trelawney, pressée de rejoindre un donjon où elle pourrait s'adonner à ses nébuleuses activités mystiques, le groupe bruyant de Poudlard gagna la cour du château. Plusieurs touristes les prirent en photo, ce qui fit se renfrogner Severus Rogue. Il ne put s'empêcher de lancer un sort de Détraquage à ces impudents Moldus, mais il récolta la moue sévère de sa consoeur McGonagall.
Le professeur de Métamorphoses réunit ses élèves autour d'un vieux puits surmonté d'un arc en fer forgé.
- L'un après l'autre, vous allez avancer vers la margelle de ce puits et le passage va s'effectuer en douceur, comme lorsque vous empruntez le chemin de la Voie 9 ¾, pour ceux qui arrivent de la gare moldue. Je vous demande la plus grande discrétion.
Parvati Patil ouvrit la marche et fut comme aspirée par le puits. La texture de l'air se brouilla et scintilla un bref instant puis l'édifice recouvra son imperturbable apparence de pierre ancienne. Tant que les élèves, en nombre important, masquaient à la vue des touristes le rituel de passage, cela ne posait pas de problème. Par contre, quand il ne resta plus qu'une dizaine d'élèves, le professeur Flitwick fit léviter un pigeon dodu du rebord d'une fenêtre à meneau et le lâcha dans le vide. Le mouvement de panique de l'infortuné volatile affola ses compagnons qui nichaient en colonie un peu partout sur les ardoises du toit.
Pigeons, moineaux, corbeaux des alentours,… tous prirent leur envol en poussant des cris outrés. Cette scène de débandade accapara l'attention de tous les badauds, qui restèrent le nez levé au ciel, permettant ainsi aux derniers élèves et aux professeurs de franchir le passage ni vus ni connus.
Adolescents comme professeurs n'en revenaient pas. Il ne s'attendait pas à un tel faste de l'école de Riveclair… Les courtines étaient envahis de jeunes gens en habits médiévaux d'une splendide étoffe moirée. Ceux-ci se rendaient probablement d'une tour à l'autre pour suivre un cours. Dans la cour du château, des braseros attendaient la venue de la nuit pour illuminer les pierres blanches de reflets rougeoyants. Des oriflammes or et bleu myosotis pendaient aux murs, agités mollement par la brise. Dans la cour, une rangée d'armures complètes sur piédestal formait une voie d'honneur de leur bras tendu, les gantelets serrant fermement leur lourde épée par la garde.
Un tapis de paille et de fleurs odorantes invitait les visiteurs à remonter jusqu'à l'imposante porte de chêne aux ferrures élégantes. Timidement, les Poufsouffle, Serpentard, Serdaigle et Gryffondor de sixième année empruntèrent la voie d'honneur, deux par deux, regardant avec appréhension les armures impassibles et le tranchant de leur épée. Néanmoins, tout le monde arriva sans encombre jusqu'à la lourde porte, dont les deux battants s'ouvrirent silencieusement. Une femme d'une quarantaine d'années apparut sur le seuil. Grande, élancée, les cheveux châtains retombant en boucles souples sur ses épaules, elle avait un visage régulier et avenant, non dénué de charme. Ses yeux, d'un vert intense, miroitaient calmement. Elle portait un surcot blanc nacré bordé de fourrure bleu ciel par-dessus une cotte rose pâle. Son front était ceint d'un bandeau d'argent tissé, incrusté de gemmes rouges.
- Bienvenue à Riveclaire, mes chers amis ! fit-elle en ouvrant ses bras dans un geste d'accueil. J'espère de tout cœur que votre séjour parmi nous vous sera agréable et que des liens forts se tisseront entre nos deux écoles. Aussi, sentez-vous comme chez vous, et n'hésitez pas à venir me trouver si besoin est. Ce soir, pour apprendre à nous connaître, je vous convie à un banquet ! Maintenant, allez où bon vous semble pour découvrir les lieux. A ce soir !
Les élèves s'entre-regardèrent, indécis. Faute d'une maîtrise suffisante de la langue française, ils n'avaient compris que des bribes. Voici ce que cela donnait pour un élève lambda :
- Bienvenue à Riveclaire… brouillard brouillard…amis ! … neige…cœur…blizzard crânien… séjour… tempête intellectuelle… agréable… néant artistique… deux écoles. … cafouillage… chez vous…sirocco intempestif… Ce soir… mayday mayday… banquet ! … trou noir…lieux… gouffre abyssal… soir !
Tels des lapins pris entre deux phares, les jeunes gens se dévisagèrent avec l'intelligence d'une seiche ensablée.
- Faites ce que vous voulez ! les invectiva/traduisit le professeur de Potions.
Les élèves ne se firent pas prier pour se disperser bruyamment.
