Disclaimer : ça fait longtemps que je n'ai pas touché à cette fic. Déjà qu'elle manquait de tonus, je suis pas sûre de rattraper le tout, mais je vais essayer quand même.
6. La terreur des sarments
- Vas-tu ficher le camp, maudite loche ! pesta Harry, les épis seuls dépassant des vignes.
Parmi les rangs serrés, les conversations diverses cessèrent. Harry ne savait pas se faire discret ce matin-là. Lui qui des années durant avait passé son temps libre à s'éclipser derrière les cookies de son cousin Dudley, il s'attirait les regards et commentaires curieux des autres vendangeurs. Le sécateur n'arrêtait pas de glisser dans sa paume, lui meurtrissant les articulations. Il n'avait plus l'habitude de manier des objets inanimés. Du moins pas en période scolaire. Il se croyait revenu chez les Dursley. D'ailleurs c'était tout comme, en avait-il décidé, renfrogné comme un pruneau.
L'un des ouvriers agricoles le tenait à l'œil depuis le début, prenant son air obstiné comme un affront à l'entrain de l'équipe. De plus, c'était le seul Britannique du lot, et avec sa face de chouette ahurie, il ne récoltait pas les lauriers de la sympathie. Et encore, c'était sans compter ses récriminations après le seau en plastique.
- Vas-tu bien me suivre, baquet de pacotille ! vilipendait-il l'objet, qui lui renvoyait une anse emmêlée dans les grappes vertes. Deambulo ! Deambulo stupido !
Cette fois-ci, le Moldu de surveillance estima qu'il dépassait les limites. Tel un oiseau de proie, il fondit sur lui, toute mâchoire dehors :
- Votre baquet ne va pas se mettre à déambuler derrière vous comme un mulet, jeune imbécile ! Et cessez de lambiner de la sorte, prenez donc exemple sur vos camarades !
Harry leva ses carreaux encrassés de jus jaunâtre sur l'homme qui lui aboyait des mots dans un dialecte qu'il ne saisissait pas. La cicatrice virant au blanc, le jeune sorcier piqua un fard. Ce stage était humiliant ! Non seulement il se sentait impuissant sans sa bien-aimée baguette ( il en était réduit à agiter un sarment piqué de vers en braillant des sortilèges idiots ), mais en plus il souffrait ! Oh, oui, il devait bien se l'avouer. Rester accroupi parmi des feuilles servant à masquer la nudité des premiers Hommes dans les tableaux romantiques n'avait rien de gratifiant. Tant moralement que physiquement.
Pourtant accoutumé à l'entraînement intensif au Quidditch, Harry Potter déchantait. La paille qui recouvrait les lignes de vignes lui rentrait dans les mollets, qu'il avait dénudé là où ses chaussettes blanches et son bermuda mastic ne le protégeaient pas. Ses sandales de cuir glissaient sous sa plante trempée de sueur, et ses bras recevaient toutes les coupures que voulaient bien lui infliger les branches sèches. Et il avait chaud. Tout son corps s'acharnait à recracher par les pores l'eau qu'il pouvait ingurgiter au passage du bidon opaque. Cette eau avait un goût infâme, un goût de plastique et de piscine.
Moralement, Harry était aussi ébranlé. D'abord parce qu'il était seul en milieu hostile, sans magie ni dictionnaire pour lui décrypter ce qui se disait autour de lui. Ensuite parce qu'il aurait pour une fois aimé se retrouver dans les cachots avec Rogue en retenue ingrate auprès des chaudrons encrassés, et que ça, ça lui restait en travers de la gorge. Enfin parce qu'il était Harry Potter, le Harry Potter dont tout le monde avait ouï-dire. Lui, Harry Potter, était adulé ou méprisé par des centaines de milliers de sorciers de par le monde. Mais jamais, au grand jamais, il n'avait suscité la plus profonde indifférence. C'en était déprimant tant les gens autour de lui le snobaient. Pire, ils ne savaient pas qui il était. Et ce qu'il avait accompli pour le Bien du Monde. Et ce qu'il endurait chaque année à Poudlard pour qu'ils continuent à mener leurs petites vies de moldus sans retrouver du venin de fourmi dans leur jus d'orange.
- Les gens ne sont pas à la hauteur de mes ambitions, ils ne méritent même pas de se trouver en ma présence, ils ne sont qu'un ramassis de croûtons bon à agrémenter leurs soupes d'oignon qui leur confère si charmante haleine ! Rampez, misérables vermisseaux, tout juste bons à pétrir le raisin avec vos pieds couverts de corne ! Tremblez devant mon courroux, insignifiants mortels qui ne possédez pas l'enchantement de la magie ! Allez vous terrer dans vos recoins mentaux pour échapper à mon pouvoir sans bornes !
Harry cligna des yeux, hésitant quant à ses sentiments. Il était debout dans les vignes, son sécateur brandit dans l'éclat du soleil encore cru. La sueur ruisselant le long de son visage ensoleillé de coups, on aurait dit quelque tyran tiré d'un trait par une taupe tétanisée. Dominant un conglomérat de vendangeurs en short agenouillés dans les feuilles, Harry faisait figure de dominateur. Etait-ce vraiment lui qui s'était exprimé ? C'était bien sa langue qui avait gigoté dans sa bouche pour sortir ces inepties, ça, pas de doute. Mais étaient-ce ses propres pensées ? Horrifié, le jeune sorcier plongea à couvert, cherchant à calmer l'artère qui faisait tressauter son cou.
Dès qu'il toucha le sol, Harry se mit à hurler, le front enserrer entre ses mains. Avec des spasmes d'agonie, il roulait, ruait, grognait comme un marcassin, sous le regard ébahi du patron de l'exploitation, qui n'attendit pas pour intervenir. Avec rapidité, il ceintura l'agité du bocal et le remit sur pieds, avant que de lui assener une bonne paire de gifles. Les tempes bourdonnantes, le jeune garçon ravala ses cris, avant de chanceler. Tandis que ses genoux flanchaient, il se remit à hurler comme un diable.
- Eloignez-moi de cette limace ! Ne la laissez pas m'approcher, elle veut ma mort ! Aaaaaaaarh, éloignez-la de moi, éloignez-la de moi, pitié !
Et, tandis que perplexe, le Moldu tentait de se persuader que ses bases d'anglais étaient sérieusement erronées, un claquement de soie froide annonça une arrivée intempestive. Tel un glacier séculaire sur le passage duquel rien ne résiste, Severus Rogue s'approcha du fagot remuant qui fouissait son nid dans la terre sèche, releva les manches de sa veste et claqua dans ses mains.
- Tap tap ! firent sèchement les paumes du professeur en se rencontrant.
Des éclairs de sa douleur, Harry perçut toute la menace que ce simple geste contenait.
- Il hè tan de wrouanteuwré, fiss ! prononça Rogue dans un accent français so British.
Ces simples mots ne nécessitèrent pas de traducteur. Leur sens s'imposa tout bonnement dans les liaisons synaptiques de l'élève. Et lui firent l'effet d'un bain d'anguilles. De choc, il s'arrêta de proférer d'immondes hurlements, pour se mettre à produire des borborygmes répugnants.
- Mon enfant chéwri souffwreuh d'ioune maladie wrawre. Il fait des cwrises au soleilleuh. Pawdonnez ce twristeuh spèkeutakeuleuh. Allons, viens, Harry, on wrentwre à la mayezon.
Trop abruti par le télescopage mental qu'il venait de subir, le Gryffondor glissa sa main dans celle, sèche et tiède comme la peau d'un reptile, de son pire ennemi ( du moins ennemi quotidien ). Dans un état second, il le suivit sans broncher jusqu'à un bosquet de bouleaux qui les dissimula à la vue des vendangeurs, encore intrigués par cet adolescent au teint maladif qui s'était mis à brailler des non-sens.
- …mentionné la magie ! Espèce d'inconscient, vous vous rendez compte de ce que cela impliquerait si quelqu'un découvrait qui nous sommes ! Et regardez-moi quand je vous parle !
Harry battit des paupières comme s'il venait de se réveiller d'un long rêve sablonneux.
- Vous êtes la honte de Poudlard, Potter ! Vous livrer ainsi à de telles imbécillités ! N'avez-vous pas une once d'orgueil dans cette carcasse malingre ?
La fierté et la rébellion du sorcier ne s'entrechoquèrent même pas pour produire les flammes de la véhémence. Rogue lui-même sembla remarquer l'absence d'arrogance de son martyr favori. Pourtant, une bonne séance de remontrances ne lui aurait pas déplu. D'une voix blanche, Harry énonça ces paroles :
- Il est revenu. Il était là, dans les vignes. Il a essayé de me tuer. Je revois encore son regard haineux, et son pouvoir télépathique tandis qu'il essayait de me faire bouillir la cervelle. Il est de retour. Il nous a suivi. Il me persécute. Il me pourchassera où que j'aille. Nos esprits ont fusionné l'espace d'un instant.
- Mais de quoi parlez-vous donc, Potter ? Vous vous croyez en cours avec cette vieille harpie de Trelawney ? Vos paroles sont aussi limpides qu'une cystite !
Harry tourna vers le professeur Rogue un regard où l'effroi surnageait dans ses yeux remplis de larmes. Péniblement, il déglutit.
- Voldemort, monsieur. Voldermort est revenu.
Une lueur d'inquiétude passa dans le regard du professeur de Potions. Il s'en faisait pour son élève… Non qu'il se fit du mouron pour l'état de tourmente dans lequel il était plongé, non, se persuadait-il. Mais si Harry se retirait en ermite sur le Ben Nevis, à gober les pensées des moutons en pâturage ? Qui molesterait-il dans ses cours ?
Conscient de sa politesse à l'égard de son professeur, Harry eut un soubresaut d'effroi.
Absent dans son indélicatesse de Serpentard persifleur, Rogue eut un sobre saut de beffroi.
- Mais bien sûr, et moi j'ai les racines rousses, cingla le professeur en guise de balbutiement. Rentrons, Potter, avant que vous n'annonciez la venue sur Terre d'une verrue à galons.
Harry garda le silence, déprimé une fois de plus. Personne ne le croyait jamais quand il se disait persécuté dans la vie, quand il se sentait opprimé dans sa cicatrice ou malmené dans son sommeil. C'en était éreintant, à la fin.
- C'est pas moi qui irais vous plaindre quand l'autre Mage Noir vous aura tous anéantis, maugréa le garçon dans un accès de rébellion, en affichant une moue boudeuse. Je vous aurais avertis.
Rogue leva les yeux au ciel en se disant que décidément ce sale gosse lui portait autant sur le système que feu son géniteur, mais que cette fois-ci ce n'était pas lui qui subissait ses quolibets. En tirant une bouffée de satisfaction mal placée, le sorcier, après s'être assuré que personne ne se trouvait dans les parages, sortit sa baguette en murmurant « apparatus Plume de Piaf ». Dans un « flapiflap flapiflop », un vieux balai aux branches emmêlées comme les cheveux d'Hermione fit son apparition. Au lieu de siffler contre le vent, l'objet produisait un chaotique « tof tof » en tanguant plus qu'un fétu de paille dans un rapide.
- Swoooooouveum, conclut le piteux balai en se garant à hauteur du duo de sorciers.
D'un mouvement de tête que n'accompagnèrent pas ses cheveux roidis de crasse, Severus Rogue signifia à Harry de ne pas seulement imaginer faire un commentaire sur son vieux Plume de Piaf. Avec raideur, l'homme enfourcha son balai, imité par un Harry qui aurait souhaité se retrouver face à Voldemort pour lui exposer ses griefs. La lune, pâle contre le bleu du ciel de l'après-midi, offrit une étrange vision pour celui qui leva le nez à ce moment particulier de l'envol. Un balai, ce qui avait l'apparence d'unes sorcière dans la représentation enfantine, et un touriste indubitablement anglais, avec ses chaussettes-sandales-short-coups-de-soleil.
Le témoin n'en fut pas plus secoué que ça, car dans la région on disait que des pumas rôdaient et que les vaches pondaient des craies. Il se dit juste qu'il faudrait peut-être qu'il songeât à arrêter d'honorer les vendanges avant même leur fin.
