Disclaimer : dernier chapitre de cette fic. Merci pour ceux qui lisent. Laissez des reviews s'il vous en dit : )

7. Nihilisme et chanson douce

Un silence interrogateur pesait sur la cour du château. Plusieurs élèves de Poudlard se raclèrent la gorge d'une manière gênée. Parmi le clan des Serpentard, c'était l'indécision. Que signifiait cette mascarade, au juste ? Depuis quand leur directeur de maison copinait-il avec cet avorton de Potter ? Drago Malefoy, qui n'avait pas attendu que sa barbe pousse pour se mettre au-dessus des autres, joua des coudes et des pieds pour s'extirper de la gangue formée par ses camarades.

- Monsieur ? fit-il en haussant un sourcil pâle.

- Oui, Monsieur Malefoy ? dit Rogue en ne baissant même pas le regard sur lui. Des soucis lors de votre stage en crèche moldue ?

Le visage de Drago prit une couche supplémentaire de farine. Il s'était pourtant arrangé, au nom de son père, pour que jamais ne parvienne le plus infime écho de ce maudit stage… Si ce n'avait été Severus Rogue, le seul qui lui inspira de la crainte après les hamsters russes, il serait monté sur son fier alezan Arrogance et aurait brandi son épée Langue-Cinglante pour débiter son interlocuteur en injures et menaces égales, flanqué de ses lads Crabbe et Goyle dans leur seyante tenue de muscles.

Ses iris s'agrandissant et s'étrécissant de panique, Drago Malefoy regarda, choqué, son professeur favori tapoter l'épaule d'Harry Potter, qui marchait à ses côtés depuis le début. Rogue consentit à poser son regard sur lui après un long moment pendant lequel un groupe s'était formé autour du trio, appâtés qu'ils étaient par l'association de « crèche » à la petite terreur de Poudlard.

- Le professeur McGonagall est passée voir comment se déroulait cette première journée, et elle m'a remis ses notes.

La bouche de Malefoy s'ouvrit sur un « heeeeeu » incrédule, et, comme dans un cauchemar, le jeune sorcier vit son mentor scolaire sortir d'une de ses poches un rouleau de parchemin et le déplier d'un geste expert, découvrant une écriture fine et couchée.

- Je ne suis pas tenu de le faire, mais je tiens à vous faire part de ses observations. Ça donnera aux autres une occasion de s'auto-évaluer. ( Rogue s'éclaircit la voix. ) « L'élève Drago Malefoy fait preuve de beaucoup de douceur avec les petits moldus. Moi qui m'étais vivement opposée à ce qu'il aille faire son stage dans une crèche, j'avoue être agréablement surprise. Au lieu de leur confisquer leurs jouets comme je me le représentais, l'élève Malefoy joue avec eux sur le tapis. Quand une tétine vient à tomber, il s'empresse de la laver et de la rendre au bébé. Quand un petit réclame sa maman, il joue les ventriloques avec son doudou. Je l'ai même vu changer la couche d'un petit alors que les assistantes moldues étaient submergées de travail. Mais ce que j'ai le plus apprécié chez ce garçon, c'est la complicité qu'il a eue avec l'ensemble des enfants à l'heure de la sieste, quand il leur a chanté des berceuses que je ne connaissais pas. Je les note ici pour m'en rappeler :

Fais dedans, pipi à popo,

Fais dodo, t'auras des chocos.

Maman est en haut, qui fait son robot,

Papa est en bas, qui fait kedavra…

Potter, t'es gore, ton cousin, ton cousin t'a en grippe,

Potter, t'es mort, ton cousin, ton cousin te bat fort…

Il était un petit gnome, pastèque, vieille chouette,

Il était un petit gnome, qui avait un drôle de furoncle,

Qui avait un drôle de furoncle.

Son furoncle est tout bien rond, pastèque, vieille chouette,

Son furoncle est tout bien rond, les grains d'beauté, sont épatés,

Les grains d'beauté sont épatés,…

Oh, je précise que moi, Minerva McGonagall, m'étais appliquée un sort d'invisibilité afin de ne pas troubler l'ordre. »

Un lien psychique s'établit entre les badauds assemblés autour du professeur Rogue, de Drago et d'Harry, dérapant immanquablement sur les zygomatiques. En quelques secondes, la cour de Riveclair fut secouée d'un tonnerre de rires incontrôlables, tandis que Drago semblait en proie à une combustion spontanée de sa fierté. Seuls Harry et Rogue ne bronchaient pas. Drago eut le temps de se dire qu'en temps normal Potter aurait au moins pris un air effronté de bernique triomphante, et Rogue aurait exprimé autre chose qu'une vague absence. Seulement il n'y avait pas la moindre lueur de malice dans leurs yeux. Dans un gargouillement d'humiliation, Malefoy s'enfuit en courant vers le château.

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« …un intérêt indiscutable pour ce qui va suivre ! argumentait le Professeur Rogue.

- Et qu'est-ce qui va suivre, dites-le moi ? cingla McGonagall en envoyant un regard à son collègue qui était presque aussi douloureux qu'un coup de coude dans les côtes.

- Je ne sais pas moi, mais si ce que Potter dit est vrai…

- Si vous écoutiez tout ce qui se dit à Poudlard, vous vous seriez rebaptisé Gargamel et feriez la chasse à des homuncules bleus nichant dans des champignons !

- Mais il n'y a pas que ça, les signes…

- Arrêtez donc de jouer votre Sybille Trelawney, Severus ! N'allez pas me dire que vous avez lu dans les tripes de votre caille du dîner que le Mage Noir va débouler dans les cieux français accompagné de son armée de Mangemorts !

- Mais…

- Mais, mais, mais ! cravacha McGonagall. Fichez-moi donc la paix avec vos mais ! Vous croyez que Celui-dont-on-…rho, fichtre, vous croyez que l'autre à rallonge va s'intéresser à une petite école de magie qui représente autant une menace pour lui qu'une larve de moustique ?

- Mais les larves deviennent…

- ASSEZ ! hurla le professeur de Métamorphoses, sous le regard médusé du tout Riveclair. Vous avez gagné, avec votre paranoïa ridicule ! A croire que vous avez inhalé du concentré de Potter !

Et, levant ses mains ridées au ciel, la sorcière partit comme une tornade vers sa chambre, laissant là un Rogue tout cogitant. Inhalé du concentré de Potter… Inhalé… Une petite bulle floue sur le pourtour se forma dans l'imagination du professeur de Potions, et un souvenir récent se déroula à l'intérieur. Potter et lui étaient sur son vieux balai du temps où il était élève à Poudlard. Severus eut une moue dégoûtée. Potter avait posé ses fesses sur son balai ! Tous deux avaient survolé les vignobles de la région, masqués par un sort de camouflage. Puis ils avaient traversé des marais, où des miasmes puants s'étaient infiltrés dans leurs bronches.

C'était donc ça… Ces vapeurs n'étaient pas naturelles. C'était une sorte de gaz invoqué par un sorcier. Un gaz invoqué par Voldemort lui-même, probablement. Potter avait donc dit vrai. Le Mage Noir avait d'abord tenté de détruire Harry en lui sautant dessus sous forme d'une loche, puis, n'ayant pas réussi, il avait pris la forme d'une brume sombre. Une brume nihiliste.

Ça expliquerait donc pourquoi lui, Severus Rogue, se sentait tout flasque depuis qu'il avait volé au secours de ce Gryffondor. L'homme eut un violent soubresaut. Pas volé au secours, rectifia-t-il intérieurement, empêché un incident diplomatique. Maintenant qu'il y songeait, c'était étonnant qu'il n'ait pas rouspété sur Harry depuis plus de 24h, alors qu'il l'avait eu sous la main. Rogue eut un hoquet d'écœurement : mais il l'avait vraiment eu sous la main ! Il lui avait tapoté l'épaule d'un air compatissant. Il avait partagé son fardeau de persécuté !

Sans plus de tergiversations, le Professeur monta dans ses quartiers faire sa malle. Son cachot lui manquait, son ample cape lui manquait, ses chaudrons lui manquaient, ses bocaux visqueux lui manquaient. Le mal du pays était en train de faire de lui un cafard ambulant. Le nihilisme le tenait. Il fallait qu'il regagne l'Angleterre, et vite.

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Irascible comme une hyène venant de mettre bas, le professeur McGonagall distribua à tous les élèves des poignées de poudre de cheminette. Elle ne supportait plus, pour le moment, la présence de Severus Rogue, qui par décence avait enfourché son Plume de Piaf pour rentrer par voie des airs.

- Miss Granger, lâchez ce guide, pour l'amour de Merlin ! Vous trouverez les mêmes alluvions à disséquer à Poudlard ! grognonna McGonagall, au bord de l'explosion. Pour une fois dans votre vie, intéressez-vous à ce qui se trouve autour de vous ! Ce livre ne va pas vous transporter à Poudlard, alors faites-moi le plaisir de prendre votre poudre de cheminette et de déguerpir de là, et plus vite que ça !

Avec un regard mortifié, Hermione prit la poudre en question et disparut sans plus attendre. Parmi les murmures consternés des élèves, certains crurent discerner un « vieille carne » qui les plongea dans un profond désarroi. Ce fut au tour de Ron de passer, tout sourire, tenant à la main une crosse de hockey et une tenue qui faisait de lui quelqu'un de musculeux quoique triangulaire. Puis vint le tour d'Harry, toujours aussi déprimé, et d'Angelina Jonhson qui semblait s'être frotté les paupières avec des doigts tâchés de peinture, puis de moult autres élèves, et enfin vint Malefoy, les yeux rougis d'orgueil fracassé, ses sbires décérébrés ayant eu ordre de le laisser seul.

- Un souci, Malefoy ? s'enquit McGonagall en se penchant vers lui.

La joue gauche du Serpentard tiqua.

- Non, Madame. C'est juste le décalage horaire, dit-il d'une voix molle.

La sorcière le scruta un long moment sans rien dire, tandis que Drago gardait le regard baissé sur ses pieds.

- Que me chantez-vous là ? fit la femme d'un ton qu'elle n'avait pas voulu brusque.

Chant. Berceuse. Ça le ramena à son enfance traumatisante où il devait jouer aux osselets au lieu des petites voitures, où il devait méditer sur les mille façons de pourrir un repas dans le caveau familial, alors qu'il aurait préféré se construire une cabane dans un arbre, où il apprenait à combattre les bonnes fées du jardin à coup d'estoc au lieu de jouer au pirate, où il devait enterrer ses doudous câlins fabriqués à partir des chiffons des elfes de maison pour qu'on ne découvre pas qu'il aspirait à une enfance tendre, à feindre le dégoût quand venait Noël, alors qu'il aurait rêvé s'asseoir sur les genoux du Père Noël pour lui demander le puzzle avec les montagnes où s'ébattaient des lièvres tout doux.

Malefoy sembla fondre sur lui-même. Avec un « hou-euhou » rauque, il jeta sa poudre dans la cheminée et disparut. McGonagall pinça les lèvres. Qu'est-ce qu'elle avait encore dit ? C'était la lune qui les rendait tous comme ça ? Rogue qui avait de l'empathie pour Potter, Malefoy qui troquait son arrogance pour de l'hypersensibilité… Il n'y avait bien que Potter qui restât fidèle à lui-même, persécuté par ses pensées. Quel séjour pitoyable ! maugréa-t-elle. Quelle image pour Poudlard… Je vais devoir rendre des comptes à Albus, et il va vraiment croire que sans lui tout vire au chaos.

Toujours aussi remontée, Minerva McGonagall fit un pas dans le foyer et lâcha sa poudre de cheminette. Dès qu'elle regagnerait sa chambre, elle enfilerait sa robe de chambre et son bonnet à carreaux, fourrerait ses pieds au chaud dans ses pantoufles en forme de grenouille et se vautrerait dans son fauteuil moelleux aux accoudoirs masseurs en sirotant un thé à la canneberge. Elle laisserait voguer ses pensées, et ensuite ferait probablement un saut dans le bureau d'Albus pour toucher un mot à sa Pensine, et plus jamais on ne l'y reprendrait à sortir ces élèves braillards et bêtes comme leurs pieds.

FIN