IX
Le lendemain, ils furent réveillés par un fracas épouvantable. Faute d'attention, ils n'avaient pas entendu quarante bottes militaires monter les escaliers de l'hôtel et défoncer la porte de leur chambre. Les allemands poussèrent Marcus Brody devant eux. Celui-ci cria :
Je n'ai pas pu les en empêcher, Indy !
Deux hommes se précipitèrent sur Lily et la bâillonnèrent. Le professeur Jones eût beau jouer des pieds et des mains, dépouillé de ses armes et de son fouet, il ne parvient pas la sauver. Les allemands repartirent aussi vite qu'ils étaient entrés, laissant Marcus Brody abasourdi et Indiana Jones dans une rage folle. Il enfila son blouson de cuir, attacha ses armes autour de sa taille et rajusta son chapeau pour dévaler les escaliers à leur suite. A la sortie de l'hôtel, il les vit tourner à droite au coin de la rue. Il sauta dans la jeep et démarra au quart de tour. Suivre trois voitures militaires dans les étroites rues crétoises n'était pas une mince affaire. Indy du éviter les piétons, renversa plusieurs étalages de fruits, faillit plus d'une fois perdre de vue ses ennemis. A la sortie de la ville, la vue était plus dégagée. Indy, en voyant la direction qu'ils prenaient, sut immédiatement où ils allaient. Il fit mine de les perdre. Ils ne feraient rien à Lily, pensa-t-il, tant que lui ne se montrerait pas.
Il retourna à l'hôtel pour prendre le maximum d'armes, de munitions et de choses utiles, et retourna vers les ruines du palais de Phaistos, car c'était là, en effet, que s'étaient rendus les militaires. Les fouilles de ce site avaient été arrêtées deux ans auparavant, et constituaient a cachette parfaite. Indy arrêta la jeep à quelques mètres de l'entrée principale du palais, pour ne pas se faire entendre. Il se faufila dans les couloirs, et entendit des voix :
Heidberg, il me semble que votre jeune protégée n'a pas envie de nous dire quoi que ce soit. Aidez-la à se délier la langue, s'il vous plait. Indiana entendit le claquement d'une gifle magistrale, et ferma les yeux en compatissant à la douleur de Lily. Mais celle-ci ne dit rien.
Pourtant, Heidberg, vous êtes bien sûr de ce que vous avez vu hier ?
Oui mon colonel, absolument sûr et certain.
Et bien mademoiselle, reprit le colonel de sa voix doucereuse, allez-vous enfin nous dire comment s'ouvre cette porte ? Et comment disposer de la force dégagée par le trésor qu'elle contient ?
Pour que vous massacriez des milliers de personnes ? Mais il n'en est pas question ! Et puis de toute façon, la force destructrice des sept dieux s'abattrait aussi sur vous !
Non, car je connais le moyen de me protéger, ainsi que les personnes que j'aurai choisies. Vous souvenez-vous ? Il tira les dernières pages du journal d'Evans de sa poche. Il avait trouvé la clef de l'énigme…
Mais il me faut savoir comment ouvrir cette porte, aussi…
Mais puisque je vous dis que je ne connais pas le moyen !
Tss tss tss…petite menteuse. Mais ce n'est pas grave. Je vais vous laisser croupir ici jusqu'à ce que vous deveniez raisonnable. Ou que votre ami le professeur Jones arrive sur son cheval blanc pour vous sauver. Nous le cueillerons juste à point pour lui soutirer les informations que vous ne voulez pas nous livrer. Le colonel fit un signe à ses soldats pour que tous sortent de la pièce. Indy se colla au mur.
Dans une heure nous reviendrons. C'est une femme, elle aura tellement peur qu'elle nous dira tout sans problèmes.
C'est que vous ne la connaissez pas, pensa Indy en souriant pour lui. A peine furent-ils éloignés, qu'il entra dans la salle vide pour desserrer les liens de Lily. Dès qu'elle le vit elle se mit à se tortiller sur sa chaise en ouvrant de grands yeux. Quand il lui enleva son bâillon, elle se mit à crier :
Ils savent que… Indy la fit taire en l'embrassant.
Tu me raconteras tout ça après, chuchota-t-il. Viens. Il finit de couper ses liens et la tira par la main pour sortir à l'air libre. Il faut se dépêcher, on doit aller jusqu'à la mer !
Mais pour quoi faire ? Je suis pieds nus je te le rappelle !
Les trois statues bien sûr ! Ils montèrent dans la jeep et foncèrent en déplaçant des nuages de poussière. Lily se retourna :
Les allemands ! Ils nous suivent ! Cria-t-elle.
Prends ça, dit-il en sortant un fusil du coffre. Et vise bien !
Mais je ne sais pas m'en servir !
Il est armé, il n'y a plus qu'à appuyer ! Lily s'exécuta.
La première voiture fit un écart dangereux et fonça s'exploser dans un rocher. Indiana avait assisté au spectacle depuis son rétroviseur.
- Bravo ! Bien visé, ma grande ! Lily rajusta son fusil et atteint en pleine tête le conducteur de la deuxième voiture, qui alla zigzaguer dans les cailloux, empêchant la dernière voiture d'avancer. Indy réussit à les semer et gara sa jeep sous les falaises, ayant emprunté un chemin escarpé pour descendre jusqu'à la mer. Un petit bateau les attendait, chargé de pièces de boeuf.
Monte là-dedans, dit-il en la poussant. Lily esquissa un mouvement de dégoût à la vue des carcasses.
Mais qu'est-ce que tu veux faire ?
Les offrandes, bien sûr !
Pardon ?
Oui ! Les trois statues sont sous la mer désormais, et ce soir il nous faudra leur faire des offrandes, non ? C'est toi-même qui me l'as dit. Les pêcheurs m'ont indiqué où se trouvaient les statues.
Et bien sûr, il va falloir que je plonge ?
Oui, puisque les statues sont sous l'eau.
Dans cette tenue ? Demanda-t-elle en soulevant le tissu de sa nuisette.
Désolé que les nazis ne t'aient pas laissé le temps de te changer, mais oui. Lily fit une moue dépitée.
Des offrandes à des statues sous l'eau, on aura tout vu.
Indiana, en quelques coups de rames, était arrivé près d'un rocher affleurant à la surface de l'eau. En réalité, c'était la tête de la plus grande des trois statues. Il enleva ses bottes, son blouson et son chapeau pour plonger dans l'eau. Il remonta à la surface après quelques instants.
Passe-moi un des morceaux.
Ouf, mais ça pèse une tonne cette carcasse-là !
C'est là tout l'intérêt ! C'est bien ce que je pensais, dit-il après être remonté une nouvelle fois de sous l'eau. Ces carcasses font le poids idéal pour déclencher le mécanisme du pied.
Pardon ?
Oui, elles pèsent le poids exact de celles utilisées dans les cérémonies antiques, dit-il en sortant tant bien que mal la deuxième carcasse du bateau. Il replongea sous l'eau.
Comment le sais-tu ?
J'ai étudié, tu sais. Accessoirement, je suis professeur. Il plaça la troisième carcasse au pied de la troisième statue. Les stèles sur lesquelles elles étaient posées s'affaissèrent toutes en même temps de quelques centimètres.
Que c'est-il passé ?
La porte est à moitié ouverte, je présume. Il nous faudra attendre ce soir pour actionner le mécanisme des statuettes. Indy fit mine de remonter sur le bateau et prit la main de Lily pour l'attirer à lui. Il l'entraîna avec lui sous l'eau en rigolant.
Ce n'est pas le moment de plaisanter, dit-elle en remontant sur le bateau, les cheveux dégoulinants.
Personne ne saura où nous sommes avant ce soir ; profitons-en un peu.
Pour retourner à l'hôtel, oui. Je veux me changer, et relire un passage du journal d'Evans qui t'intéressera beaucoup.
Soit…soupira-t-il. Il remonta sur la barque. Ils reprirent la route de leur hôtel, essayant de passer inaperçus. Lily se changea et enfila un pantalon, vêtement un tant soit plus commode pour une expédition comme celle du soir qu'une nuisette. Elle sortit le journal d'Evans, chercha la page qu'elle souhaitait et se mit à la parcourir avec attention. Après quelques minutes, elle dit à Indiana Jones :
C'est bien ce que je pensais. Tu sais la force dont parlait le colonel ? En réalité, ce qui se trouve derrière le mur, c'est une force phénoménale capable de détruire quiconque n'est pas digne d'y toucher. Les sept dieux correspondent aux sept planètes surveillant cette arme : c'est-à-dire Séléné pour la Lune, Gaia pour la terre, Jupiter, Saturne, Mercure, Mars et Vénus. Ils surveillent Poséidon monté sur son fameux taureau. C'est lui qui a déclenché le raz-de-marée qui a fait disparaître l'île de Théra, autrement appelée l'Atlantide.
Je comprends mieux ce que recherchaient les Allemands. Et qui selon toi n'est pas digne de posséder cette arme ?
Cela, je ne le sais pas. Le colonel pense que ce sont les païens.
Oui, mais c'est idiot, nous sommes tous des païens de nos jours. En plus les nazis fonctionnent avec le christianisme.
C'est ce que je leur ai dit. Mais il semble, lui, avoir trouvé la solution pour se protéger.
Nous avons en tous les cas un avantage extrême sur eux, et ceci grâce à toi : eux ne savent pas l'heure précise à laquelle accomplir la cérémonie. Nous si, et je trouverai un moyen de les éloigner tandis que tu ouvriras la porte.
Et que ferai-je ensuite ?
Tu ne toucheras à rien tant que je ne serai pas revenu.
Je ne pense pas que ce soit la meilleure solution.
Et que faudrait-il donc faire, selon toi ?
Usez un peu de votre cervelle, voyons, Mister Jones, dit-elle avec un sourire. La violence ne nous mènera à rien ici. On se fera descendre avant même d'avoir mis un pied dans le labyrinthe. Il faut qu'ils croient avoir toutes les cartes en main, or j'en suis une, de carte. S'il m'ont à nouveau de leur côté il te croiront également hors-jeu, et tu pourras alors travailler pour nous. L'idéal serait qu'ils m'enlèvent et qu'ils te croient mort.
Et comment voudrais-tu faire ça ?
En nous trouvant sur leur chemin. En restant ici par exemple, car c'est le premier endroit où ils nous chercherons, nous n'avons pas été très fins sur ce coup-là.
Et moi, alors, je fais comment pour « faire semblant » d'être mort ? Lui lança-t-il avec un air narquois.
Un peu d'imagination, que diable ! Tu as vécu des aventures encore pires que celle-là, non ? Indy se mit à réfléchir, suivit le regard de Lily qui allait sans cesse de la table à lui, et comprit enfin qu'elle lui suggérait d'utiliser le plateau de thé comme gilet pare-balle. Il accrocha une ficelle à la poignée, qu'il passa autour de son cou, et cacha le plateau sous sa chemise, qui, pour une fois, était boutonnée jusqu'en haut.
Ingénieux système.
Je n'ai pas que des défauts, tu sais. Indy l'attira à lui.
Ce n'est pas très agréable, ce plateau.
