Commentaire : Hum, sur la fin, on entre enfin plus dans le vif du sujet. Le chapitre 3 devrait être bien plus intéressant (non pas que j'estime celui là mauvais ou inintéressant, mais comme le précédent il amorce le scénario et il se passe encore peu de choses). Ce fut un chapitre fastidieux à écrire (alors qu'il ne fait que 6 pages sous word), notamment car je bloquais sur la mise en scène d'un passage crucial. Pas vraiment autre chose à dire.

Chapitre 2 – You Are The One

Táo rangea soigneusement les tasses de porcelaine après les avoir lavées. Puis il quitta la petite pièce en soupirant.
Feilong n'était toujours pas revenu et, ce qui était le plus inquiétant, c'était que personne ne semblait savoir où il avait bien pu passer. Depuis son départ, une agitation inhabituelle avait peu à peu miné ses hommes de mains. Táo avait entendu toute sorte de supposition et pas des plus gentilles envers son maître. Face à leur dirigeant, ils faisaient profils bas. Mais dès que l'occasion se présentait… C'était un nid de vipères, guettant la moindre faiblesse pour prendre la place du roi. Oh, bien sûr, il y en avait quelques uns qui faisaient preuve d'une fidélité à toute épreuve… Mais ils semblaient se faire rare.
Ils pensaient que Feilong avait été profondément blessé par sa défaite face à Asami et que cette même défaite était un signe de faiblesse de sa part. Hors, si leur chef faisait preuve de faiblesse, c'est qu'il n'était plus digne de les diriger et qu'il était peut-être temps de songer à le remplacer.
Et Táo ne pouvait strictement rien faire, à part attendre avec angoisse le retour de son maître. Qu'était donc en train de faire Feilong ? Que manigançait-il au juste ? Et, surtout, pourquoi être parti ainsi ?

Tomoki n'arrivait pas à trouver le sommeil. Il cherchait à se convaincre que la faute en revenait à la pluie violente qui tambourinait contre les vitres. Que la chaleur humide qui régnait dans l'appartement, malgré la climatisation, rendait son sommeil difficile.
Il savait au fond de lui que ce n'était pas vrai. Certes le temps pénible de l'été le gênait mais pas plus que les autres jours. Il n'arrivait tout simplement pas à oublier ce qui s'était passé, 48 heure plus tôt. Dans ce bar où il s'était aventuré. Où il avait bu. Et où il avait failli être violé. Où il avait été sauvé par cet homme.
Cet homme étrange, énigmatique : Xuě Fēng.
Pourquoi l'avait-il aidé, au risque d'être blessé ? Pourquoi l'avait-il aidé, lui, alors qu'ils ne se connaissaient même pas ? Tomoki avait toujours cru être une personne insignifiante et inintéressante et, soudainement, voilà que l'on prenait des risques pour lui. Qu'un inconnu prenait des risques pour lui !
Il avait d'abord eu peur lorsque Xuě Fēng s'était présenté. Cet homme ne pouvait avoir agi d'une façon désintéressée, il devait certainement attendre quelque chose en retour. Quelque chose que le garçon n'avait pas envie de lui offrir. Il avait beau avoir bu, il gardait son idéalisme amoureux à toute épreuve…
Mais non… L'homme s'était contenté de le gronder sèchement sur son inconscience. Aller ainsi dans un bar sans être accompagné, se saouler et tomber dans les bras du premier venu. A son âge surtout ! Il avait été idiot !
Oui, Tomoki était prêt à admettre avoir été idiot. Mais un idiot charmé.
Car la crainte avait laissé place à une fascination nouvelle pour son sauveur. Il était judicieux de comparer le japonais à une princesse ensorcelée par un chevalier valeureux. Et quel chevalier !
Tomoki avait envie de le revoir. Mais il ne savait comment faire. L'homme n'avait pas laissé d'adresse ou de numéro de téléphone. Le jeune homme avait été trop déconnecté pour songer à lui demander. Et sans savoir quel était son nom de famille, autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Hong Kong n'avait rien d'un petit village.
Il était vraiment idiot. Cela n'aurait absolument rien coûté de demander à Xuě Fēng où il habitait. Rien coûté à par un peu de fierté en cas de refus. Pourquoi ne lui avait-il pas demandé ? Pourquoi avait-il fallu qu'il ait la tête ailleurs ?
« Parce que tu es idiot, » lui répéta une petite voix intérieure un brin nasillarde. « Et puis, qu'est-ce que tu espères, Cendrillon ? Vivre le grand amour avec un inconnu ? Oh, oui, il est beau comme un dieu. Mais il a peut-être une personnalité exécrable, il te fera peut-être souffrir. Arrête de rêver. »
Peut-être, peut-être, toujours des si et des peut-être. Tomoki en avait assez des suppositions. Il voulait vérifier par lui-même. Quitte à en être blessé. Quitte à verser ensuite toutes les larmes de son corps.

Le lendemain soir, Tomoki effectua sa seconde escapade nocturne au sein de la ville tumultueuse de Hong Kong. Bien entendu, ce n'était pas pour plaire à son garde du corps. Son père n'était-il pas censé avoir des ennuis ? Et lui n'avait-il pas intérêt à faire profil bas ?
Sauf que son père et la police semblaient avoir omis de le protéger. Alors autant vaquer à ses obsessions comme si de rien n'était. S'il se faisait tuer, ce serait tant pis pour eux.
Et puis, il devait retrouver Xuě Fēng. Tout simplement. Il ne parvenait pas à l'oublier et, plus le temps passait, plus penser à lui devenait douloureux. Une journée suffisait pour accroître cette curieuse souffrance, alors s'il laissait une semaine s'écouler… A force de soupirer rêveusement et se démoraliser, il finirait par être à ramasser à la petite cuillère.
Ce Xuě Fēng…
Il était tout ce dont Tomoki rêvait. Beau et fort. Il ne connaissait nullement son caractère mais cela n'avait aucune importance ! Il était victime du coup de foudre. Et s'il voulait mettre la main sur lui, il avait tout intérêt à « se magner le train » – comme le lui disait fréquemment l'un de ses amis à Kyoto, lorsqu'il tentait de le pousser vers une jolie fille. Le temps n'était plus à la timidité et à l'hésitation. Il devait agir ! Promptement.
Tomoki avait même passé plusieurs heures à réfléchir à ce qu'il allait dire. Préparant soigneusement cette seconde rencontre. Il ne devait pas précipiter les choses, ni les faire traîner. Simplement faire comprendre son intérêt. Avec l'espoir qu'il soit partagé.
Le seul moyen de retrouver la piste de l'objet de son attention était de retourner à cette boite de nuit qui avait été le théâtre de la rencontre, au sein de Soho, un coin de Central bourré de night club. Avec un peu de chance, il s'agissait d'un client habituel. Peut-être quelqu'un le connaissait-il ! Tomoki priait pour en tout cas.
Car si ce n'était pas le cas… Alors il n'aurait plus aucune chance… Cet homme ne resterait qu'un rêve inaccessible de plus. Un fantasme intouchable.

L'ambiance n'avait guère changé depuis sa première venue. Aussi désagréable et pesante, il commençait déjà à avoir la tête qui tournait. Le garçon décida de se faire discret autant que possible alors qu'il détaillait chaque personne se trouvant dans la boite.
Malheureusement, nul visage familier. Ce qui versa les premières gouttes de la déception dans son cœur. Il y avait des couples, des gens qui flirtaient, dansaient ou buvaient, mais nulle trace de Xuě Fēng.
N'importe qui serait resté jusqu'à la fermeture ou bien aurait retenté sa chance un autre jour, mais Tomoki était de ceux qui baissaient facilement les bras malgré leurs bonnes résolutions, car peu abonnés à la chance. Il n'était là que depuis quelques minutes mais pour lui la partie affichait déjà en grand « game over ». La petite voix agaçante de sa conscience se fichait même de lui : « Trop tard, mon gars. T'as encore loupé le coche et c'est pas demain la veille que tu vivras le grand amour et que tu perdras ta sacro sainte virginité avec quelqu'un qui t'es cher. »
Il poussa un long soupir tout en se sermonnant. Se traitant encore d'idiot, parce que c'était ce qu'il était après tout. Pour mille et une raison, il n'était qu'un imbécile. Dépressif et suicidaire, qui plus est. Un garçon inintéressant, juste bon à se faire draguer par d'autres imbéciles, de nature plus violente.
Il avisa finalement le bar. La tentation. L'alcool ne lui réussissait pas. Mais l'alcool était doux sur la langue, une consolation. Il sentait encore son goût agréable, mélangé à un jus de fruit. La sensation de chaleur. Les carcans qui se brisaient, ou presque.
Il fit un pas, puis un autre, comme un petit automate rouillé qui peinait à mettre en marche ses rouages défectueux. Il fit encore un autre pas moins hésitant que le précédent. Mais une main se posa sur son épaule pour l'arrêter.
Il tourna la tête pour apercevoir deux yeux marrons qui le fixaient sérieusement.
« - Tu n'as donc toujours pas compris que ce n'était pas un endroit pour toi ? »

Tomoki avait eu beau préparer à l'avance ces retrouvailles, il ne put qu'ouvrir la bouche, émettre un murmure incompréhensible et garder ses lèvres entrouvertes comme un poisson hors de l'eau. Il aurait pu être tout aussi bien ivre, cela n'aurait pas changé grand chose à son comportement.
Xuě Fēng était si… Son visage était si… Etait-il mannequin, par hasard ? Oh, Dieu, les miracles existaient, il l'avait retrouvé !
Et il ne tarda pas à réaliser à quel point il devait paraître ridicule, ce qui le poussa à refermer sa bouche béatement ouverte. Il fit ensuite de son mieux pour aligner deux pensées cohérentes, ce qui fut pour le moins difficile car son héros le traînait vivement hors de la boîte de nuit.
Non, ça n'allait pas ça ! Il devait vraiment se ressaisir, il était pitoyable !
« - Rentre chez toi, » ordonna l'homme lorsqu'ils furent dehors.
Trouver une idée. Vite. Vite ! Avant qu'il ne s'en aille.
« - Je n'ai pas d'argent pour le taxi… » La voix de Tomoki mourut lorsque Xuě Fēng lui jeta un regard, avec un magnifique haussement de sourcil intrigué. Il revint vers lui, tendant la main pour toucher sa joue.
Le japonais flottait sur un petit nuage de bonheur, avec des pétales de cerisiers volant autour de lui façon Shôjo manga. IL était revenu, IL lui avait touché la joue, IL…
« - Est-ce que tu es drogué ? » questionna Xuě Fēng d'un ton soupçonneux.
Il… Il ? Uh ?
Tomoki écarquilla les yeux.
« - Hein ! M-mais non ! »
Le jeune homme venait enfin de retrouver ses deux pieds sur terre. Ce qui lui permit de devenir par ailleurs rouge cramoisi de honte.
Mais pourquoi agissait-il ainsi ? Il se savait idiot mais à ce point ! De un, il n'était pas une fille alors il n'allait pas commencer à avoir un comportement ridicule devant le premier mec rencontré – même si niveau mec, il venait de taper dans le grand luxe, et qu'il avait un peu cherché à le rencontrer -. De deux… De deux… Arg, concentration ! De deux, il devait rester raisonnable, ce qui rejoignait plutôt le un. Il n'était pas une groupie !
« - Eh bien, eh bien… Tu n'as pourtant pas l'air d'avoir la tête sur les épaules présentement. C'est une habitude ou… Bien… ? »
Ou bien quoi ?
Tomoki fit plus que revenir sur terre, il se calma net et retrouva la tête froide, perdit les rougeurs à ses joues. Il était vraiment temps. Il pouvait encore sauver la situation du désastre total. Du moins il l'espérait… Il priait Dieu, les Kami, Bouddha de lui accorder un peu de self control pour qu'il arrête de se ridiculiser.
« - Je suis désolé. Je crois que cet endroit… » Il jeta un regard en direction de l'entrée de la boite. « … Me rend un peu malade.
« - Alors, pourquoi y vas-tu ? »
Ahah, ça c'était une bonne question ! Et il n'en avait pas la réponse. Enfin si… Mais il ne se voyait pas annoncer tout de go qu'il était venu parce qu'il n'arrivait plus à oublier le visage d'un inconnu. C'était le plus sûr moyen pour se faire rire au nez.
Dans le fond, la situation dans laquelle il se trouvait était vraiment désespérante. Il ne savait rien de rien en matière de séduction, il se comportait d'une façon irraisonnée, il ignorait comment poursuivre la conversation. Il avait voulu poursuivre un rêve. Et, le problème était justement que cela n'était qu'un rêve.
« - Je ne sais pas exactement pourquoi j'y vais… »
Ca, c'était de la réponse dénuée de sens. Tomoki se mordilla nerveusement la lèvre tout en n'osant plus regarder Xuě Fēng. Il imaginait fort bien son expression moqueuse ou alors affligée. Le froncement de ses sourcils noirs et fins, la mimique agacée sur ses lèvres sensuelles. Un coup de poignard dans le cœur d'un garçon trop innocent et naïf pour oser des avances plus claires.
« - J'espère que tu n'habites pas à l'autre bout de la ville. »
Tomoki releva la tête. Xuě Fēng s'était éloigné, profitant des quelques secondes d'inattention du jeune homme pour prendre la poudre d'escampette. Du moins c'est ce qu'imaginait le japonais. Il avait une telle confiance en lui ! Impossible pour lui de songer un seul instant que Xuě Fēng s'arrêtait à côté d'une splendide Toyota coupé sport pour le raccompagner chez lui.
Un coupé sport ? Les yeux de Tomoki se mirent à briller d'intérêt. La carrosserie était bleu métallisé, un bleu foncé, la forme était élégante, les sièges étaient en cuir, les vitres teintées, il y avait quatre place… Non pas que le jeune homme avait une passion pour la mécanique et les voitures mais il adorait ce type de véhicule en particulier.
Ce fut bien simple, il oublia totalement de demander à Xuě Fēng s'il souhaitait réellement le ramener chez lui, histoire d'être vraiment sûr. Il se retrouva comme par magie sur le siège passager à jouer avec l'autoradio qui semblait pouvoir contenir plusieurs CDs.
« - Fais comme chez toi, » fit le chinois d'un ton ironique, mais Tomoki n'y prêta aucune attention. Il était bien trop absorbé par les six vitesses de la boite.
« - Tu habites où alors ? » demanda Xuě Fēng alors que le moteur du véhicule vrombissait déjà.
« - Plus loin dans Central. »
Tomoki se sentit curieusement gêné lorsque l'autre lui jeta un rapide regard avant de reporter son attention sur la route.
« - A l'hôtel ?
« - Non, dans un appartement… A mon père. »
Tomoki ne savait pas pourquoi il avait ajouté cette dernière précision. Peut-être parce qu'il avait eu le sentiment qu'il était presque incongru qu'un jeune homme tel quel lui habite dans un quartier aussi riche.
« - Il a plusieurs sociétés. Il est venu à Hong Kong pour les affaires et je l'ai accompagné, » poursuivit le garçon, essayant d'entretenir tant bien que mal la conversation. « Ceux sont les vacances d'été au Japon, en ce moment, alors ça ne posait problème que…
« - Tu parles bien le cantonais, » l'interrompit Xuě Fēng. « Ce n'est pas facile à prononcer pour un Japonais. »
Non, ce n'était facile. Le visage de Tomoki se fit attristé mais son interlocuteur ne sembla s'apercevoir de rien. Ou peut-être fit semblant de ne pas s'en apercevoir.
« - C'est parce que je suis né ici. »

Une demi heure plus tard, la voiture s'arrêta devant un gratte-ciel. Un parmi tant d'autres dans le Central.
Tomoki jeta un regard distrait en direction de la façade vitrée du bâtiment. Dans la grande rue se trouvaient quelques boutiques et restaurants, ainsi que d'autres building, la plupart contenant les bureaux d'entreprises. Des hommes d'affaires circulaient, ainsi que des ados venus faire des emplettes dans les magasins chics et des couples cherchant sûrement un bon endroit où manger. Il y avait aussi beaucoup d'étrangers, y compris des Occidentaux, venus ici pour le travail ou les vacances.
« - Eh bien, nous voilà arrivé à bon port. »
Le japonais acquiesça. Il n'avait pas particulièrement envie de descendre alors qu'il était finalement resté silencieux tout le long du trajet. Il s'était retrouvé mal à l'aise, sans que cela ne soit de la faute de Xuě Fēng. Il avait simplement repensé à des choses qu'il aurait préféré oublier au plus profond de sa mémoire.
« - Ton enthousiasme fait plaisir à voir.
« - Je n'ai pas spécialement envie de rentrer, » répondit mollement Tomoki.
« - Et je n'ai pas spécialement envie d'attendre que tu te décides à rentrer. »
Tomoki tourna la tête en direction de Xuě Fēng pour lui décocher un regard des plus noir. Eh bien, voilà que la source de tous ses fantasmes ne correspondait pas vraiment à l'idée qu'il se faisait du parfait petit copain. A croire qu'il était définitivement voué à tomber de haut chaque fois qu'il entreprenait quelque chose.
« - Vous vous entraînez pour être aussi désagréable ou bien c'est naturel ? » grogna-t-il en ouvrant la portière de la voiture. Alors qu'il s'apprêtait à sortir, il fut tiré en arrière et atterrit à nouveau sur le siège passager. Ce n'était pas vraiment pour lui plaire, il avait à présent envie de déguerpir au plus vite. Dire qu'il s'était donné tant de mal.
« - Pourquoi devrais-je être aimable ? » questionna le chinois en gardant sa main sur l'épaule de Tomoki.
« Parce que c'est ce que ferait tout humain normalement constitué, pauvre con, » eut soudainement envie de répondre Tomoki. Mais il parvint à ravaler ses griefs. Il y avait des choses que l'on ne disait pas à un inconnu capable de terrasser en quelques secondes plusieurs hommes.
« - Je n'ai rien fait, » se défendit plaintivement Tomoki.
Les yeux dorés de Xuě Fēng le fixaient avec amusement. Un sourire étira les lèvres de l'homme. Tomoki ne savait plus vraiment que penser, aussi se tassa-t-il un peu plus sur son siège. Son ventre se faisait soudainement noué. Le regard que lui envoyait Xuě Fēng lui donnait des frissons. Le moteur de la voiture continuait de ronronner et la chaleur extérieure s'infiltrait par la portière ouverte, réchauffait l'atmosphère climatisée de l'habitacle.
« - Je sais ce que tu désires, » murmura Xuě Fēng tout en se penchant vers Tomoki. Sa main vint se poser sur la joue du japonais. Celui-ci se raidit un peu plus qu'il ne l'était déjà.
« - Non, je ne crois pas, » s'étrangla-t-il alors que le visage de l'homme s'était rapproché. Dans quel pétrin s'était-il encore fourré ? La partie la plus lubrique de son cerveau l'engueula alors : qu'avait-il donc à jouer les vierges effarouchées alors qu'un bel homme jouait les séducteurs pour lui ? L'autre, ancrée dans le pessimisme, rappela à son amie que la dernière fois qu'un type avait voulu le séduire, c'était pour le violer avec d'autres de ces camarades. « Et alors ? » s'enquit la première. « Tu es totalement stupide et tu t'es donné tout ce mal pour rien ? »
Finalement, la dispute intérieure entre les deux consciences de Tomoki se retrouva court-circuitée lorsque Xuě Fēng l'embrassa. Ce n'était pas un baiser violent mais pas un baiser prude et doux non plus. C'était le genre de baiser qui chamboulait tout votre petit monde intérieur et Tomoki eut besoin de cinq bonnes minutes pour rétablir une pensée cohérente.
Lorsqu'il émergea enfin, il se trouvait débout sur le trottoir. Seul.

Tomoki eut du mal à s'endormir cette nuit là, car il ne cessait de tourner et de retourner dans sa tête la scène cruciale de cette journée. Il ne savait s'il devait être heureux d'avoir reçu ce baiser volé ou s'affoler en pensant qu'il n'avait été qu'un jouet, qu'il ne reverrait plus Xuě Fēng. Etait-ce un mal, dans le second cas ? Il était si désagréable…
Là où certains en auraient sans doute profité pour faire quelques rêves des plus charnels, Tomoki eut le droit à un de ces cauchemars que l'on préférerait oublier au plus vite, une fois réveillé. Le Cauchemar qui avait peuplé ses nuits lorsqu'il n'était qu'un enfant et qu'il avait petit à petit oublié à l'adolescence.
Il courrait, il était à bout de souffle mais une femme continuait de le tirer à sa suite, par la main. Il avait peur mais ce n'était pas elle qui l'effrayait, car il savait au plus profond de lui-même que jamais elle ne lui ferait de mal.
Et soudainement, elle s'arrêtait brutalement. Lui trébuchait. Ses genoux heurtaient le macadam et il se mettait à pleurer parce qu'il saignait. Parce qu'il était fatigué, parce qu'il était terrorisé par cette ombre qui se rapprochait d'eux.
La jeune femme le serait alors dans ses bras en murmurant des paroles rassurantes, puis elle criait à l'adresse de cet inconnu de les laisser tranquille. Ou d'au moins épargner son fils. Mais la seule et unique réponse était cette flamme jaillissant du canon d'un revolver et le bruit assourdissant du coup de feu.
Le sang éclaboussait toujours Tomoki à cet instant précis.
Une sonnerie stridente tira le garçon du songe cruel. Posant un regard perdu autour de lui, il passa la main sur son front en sueur. Il se redressa sur le lit au drap emmêlé puis aperçut enfin le portable posé sur sa table de nuit. Grommelant, essayant d'oublier la terre que lui causait toujours ce rêve, il prit le téléphone.
« - Il est tard, qui que vous soyez faites vite, » marmonna-t-il avec une mauvaise humeur grandissante.
Un rire lui répondit.
« - Tard ? Il est presque midi, » lui répondit-on en japonais.
Tomoki laissa de côté le détail de la langue employée. Les battements de son cœur s'accélérèrent d'un cran. Xuě Fēng l'avait appelé, lui.