Commentaire : Pas grand chose à dire. C'est surtout un chapitre pour développer la relation entre les deux protagonistes et éclaircir certaines choses nébuleuses. Enfin bref, il y a plusieurs passages que je voulais écrire depuis un moment et je suis contente d'y être enfin arrivé (la fin se rapproche en plus). Par contre j'ai eu du mal avec la toute fin, je n'ai pas arrêté d'écrire et réécrire. Et sinon ça me fait bizarre de désigner Feilong par le terme « petit ami » dans la narration. Quelqu'un peut-il voir sérieusement Feilong jouer le petit ami de quelqu'un ? Moi pas frissonne d'horreur et se rend compte que c'est ce qui se passe dans ce chapitre iiiiiik !

Chapitre 3 - When Love And Death Embrace

Tomoki ressemblait à cet instant même à une lycéenne angoissée à l'idée de son tout premier rendez-vous. Il avait changé plusieurs fois d'habits, s'était acharné sur ses cheveux décolorés, avait vérifié qu'il n'avait pas de cernes sous les yeux… En fait, il avait effectué en l'espace de moins d'une heure un nombre incalculable de choses. Seule une volonté pure de plaire à autrui pouvait mettre au point un pareil exploit. Surtout lorsqu'autrui n'était pas n'importe qui. Heureusement qu'il n'avait pas à choisir en prime la couleur de son rouge à lèvre ou de son fard à paupière – comme quoi être un garçon concède parfois quelques avantages - .
Ayant finalement décidé de faire simple en optant pour un jean et une chemise, le garçon se précipita dans la cuisine pour boire un verre d'eau – il n'avait toujours rien avalé depuis son réveil – et cela sous le regard impressionné de sa nounou, alias monsieur la garde du corps dont il ne savait toujours par le nom.
« - J'espère qu'elle est jolie au moins. »
Tomoki faillit s'étrangler dans son verre et se retint de justesse de tousser et cracher. Deux questions le turlupinaient :
Comment sa « nounou » savait-il qu'il sortait ?
Est-ce que cette histoire de fille était un sous-entendu à ses préférences cachées ou bien ne se doutait-il vraiment de rien ?
« - Euh… Je suppose que oui, » baragouina le jeune homme avant d'amorcer une retraite prudente vers la sortie de l'appartement. Une fois dans le couloir, il courut jusqu'à l'ascenseur et appuya frénétiquement sur le bouton pour l'appeler.
Lorsqu'il arriva enfin dans le hall de l'immeuble, il s'autorisa à respirer et son ventre à gargouiller. A quoi pensait-il donc ? Il ne devait revoir Xuě Fēng qu'à 13h30 environ, il n'avait rien mangé et il ne savait même pas où ils étaient censés aller ! De plus, n'avait-il pas lu une fois, dans un obscur magazine, qu'il était parfois bon d'arriver en retard pour se faire désirer ? Ne concédait-il pas une victoire trop facile en se pressant ainsi, comme l'avait écrit une chroniqueuse dans ce même magazine ?
Jetant un coup d'œil dans la rue par les portes vitrées, il aperçut une voiture de sport bleue garée sur le trottoir d'en face. Visiblement, il n'était pas le seul à être en avance.

Une heure plus tôt, Tomoki avait tout d'abord était enchanté puis intrigué d'entendre la voix de Xuě Fēng à l'autre bout du fil.
« - Où as-tu eu mon numéro ? » questionna-t-il sans pouvoir faire taire sa curiosité.
L'homme s'était contenté de répondre qu'il avait des relations lui permettant d'obtenir ce genre d'informations. Tomoki s'était inquiété du type de relations en question, ce qui avait fait beaucoup rire son interlocuteur.
« - Tu n'as donc jamais entendu parlé d'internet ? » rétorqua Xuě Fēng à un Tomoki quelque peu contrarié de cette réponse moqueuse.
Ce fut à cet instant là qu'il percuta et se rendit compte qu'ils avaient parlé dès le départ en japonais.
« - Comme se fait-il que tu parles ma langue ? » demanda le jeune homme, non sans une certaine suspicion.
« - Mon travail m'oblige parfois à aller au Japon. »
Xuě Fēng lui apprit qu'il travaillait pour une compagnie spécialisée dans la sécurité. Ils équipaient des banques, des laboratoires, voire parfois la police et l'armée. Quelque fois des particuliers un peu paranoïaque.
« - C'est un secteur très lucratif, » précisa-t-il. « Mais ce n'est pas pour ça que je t'appelle. »
C'était ainsi que Tomoki avait eu son premier rendez-vous. De quoi lui faire oublier tous les mauvais rêves du monde.

Et pourtant, la petite sortie faillit bien vite tourner court. A croire que Tomoki se débrouillait pour que chaque jour de son existence soit auréolée d'un peu plus de guigne. Il leur fallut au moins dix minutes pour se décider quant à leur destination et lorsqu'ils convinrent enfin d'aller au cinéma – après avoir passé dix autres minutes pour choisir le film… -, il fallu que le ventre de Tomoki manifeste sa faim par des gargouillis sonores. Les joues du garçon avait pris la même teinte que le nez rouge d'un clown et Xuě Fēng s'était, bien entendu, amusé de sa réaction :
« - Ton père est assez riche pour avoir un appartement à Central mais pas pour te nourrir ?
« - Ce n'est pas drôle. Je n'ai pas eu le temps de manger.
« - Pas le temps ? Mais qu'as-tu fait durant un heure ? » demanda le chinois, profitant d'un feu rouge pour se tourner vers son passager. Il lui décocha un splendide sourire charmeur mais Tomoki ne parvint pas à visualiser les petites fleurs de cerisier qui accompagnaient habituellement ce genre de chose.
Il faisait, comme on le dit vulgairement, la gueule. Il fut tenté de répondre qu'il s'était préparé, puis songea que cela aurait suscité d'autres moqueries et décida finalement de bouder dans son coin. Il fallut que Xuě Fēng hisse le drapeau blanc pour qu'il se détende à nouveau :
« - Tu n'aimes pas être taquiné, n'est ce pas ? » supposa-t-il d'un ton plus aimable.
« - Pas vraiment, » rétorqua Tomoki laconiquement, examinant avec un soin chirurgical les bâtiments au dehors.
« - Allons manger quelque part alors. »
La proposition eut le mérite de faire naître un sourire contenté sur les lèvres de Tomoki et, quelques instants plus tard, ils se retrouvèrent à la table d'un petit restaurant. Il était déjà tard pour manger mais on leur servit un assortiment de raviolis. Le thé ensuite, qu'ils prirent le temps de boire. La discussion, banale au possible, se porta sur les centres d'intérêts de l'un et de l'autre mais aucun d'eux n'évoqua son passé, les choses importantes qu'ils avaient pu vivre.
« - Tu es donc déjà allé au Japon ? » questionna Tomoki qui se sentait à présent plus en confiance.
« - Seulement à Tokyo et je n'ai malheureusement pas eu le temps de visiter la ville. Mes voyages sont courts et uniquement pour mon travail. »
Le garçon eut une exclamation déçue.
« - C'est dommage, il y a tellement de chose à voir et à faire.
« - Je n'en doute pas, mais au moins je profite gratuitement du service des grands hôtels et de leur restauration.
« - Et ton patron doit sûrement être heureux de voir la note finale… »
Ils se mirent à rire tous les deux puis s'en allèrent ensuite. Quelques minutes plus tard, ils atterrissaient dans une petite salle de cinéma. Tomoki n'aimait habituellement pas les films d'horreur mais il se sentait plus courageux qu'à l'habitude.
Lorsque la salle s'éclaira, juste après le générique de fin, il sembla au japonais que le temps avait passé bien trop vite. Il appréhendait le moment où ils se quitteraient. Comme si cette journée n'avait été qu'un simple encart dans sa vie ennuyeuse et que cette dernière allait retrouver son train train quotidien. Et si celui qu'il avait désigné comme incarnation du prince charmant n'avait pas envie de s'embarrasser de lui ? Et s'il le trouvait ennuyeux et inintéressant ? N'était-il pas affreusement banal pour attirer l'attention bien longtemps de Xuě Fēng ? Des garçons comme lui, on en trouvait par paquet de cent.
Ce furent les questions qui turlupinèrent Tomoki sur le trajet du retour, tant et si bien qu'il ne parvint presque pas à parler. Il se contentait d'écouter Xuě Fēng commenter le film, se moquer des mauvais effets spéciaux ou de la stupidité du scénario.
Lorsque la voiture s'arrêta définitivement, devant l'immeuble où il habitait, le ventre de Tomoki se tordit sous l'angoisse. Xuě Fēng lui promit de l'appeler et il ne put qu'acquiescer en réponse. Il s'apprêta à sortir de la voiture mais fut arrêté… Encore une fois. Les lèvres de l'homme se posèrent sur les siennes, avec douceur, réclamant ne serait-ce qu'un baiser d'au revoir ; du moins, c'était ce que se plaisait à imaginer Tomoki en cet instant. Il se laissa faire, d'abord timidement, avant d'oser glisser les bras autour du cou de Xuě Fēng. Il avait plus chaud soudainement et cette sensation n'était cette fois-ci pas due à la température extérieure.

Cette nuit là, Tomoki s'endormit paisiblement. S'il y eut cauchemar, il n'en garda aucun souvenir à son réveil. Jamais il n'avait été aussi heureux et il priait pour que ce bonheur perdure le plus longtemps possible.
Le baiser que lui avait offert Xuě Fēng valait à ses yeux toutes les déclarations d'amour au monde.
Il était sûr et certain, qu'à présent, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Aussi, lorsque le lendemain matin son garde du corps lui annonça qu'il ne pouvait plus sortir seul de l'appartement, il fit ce que toute personne amoureuse et normale aurait fait à sa place : il piqua une crise.

« - Comment ça vous viendrez avec moi où que j'aille ? » s'exclama Tomoki d'une voix tirant sur les aiguë de l'hystérie.
La nounou d'un mètre quatre vingt dix resta inflexible face à la panique du garçon.
« - J'ai discuté avec votre père et il pense qu'il est dangereux, dans une telle situation, que vous sortiez sans protection. Je suis de son avis. »
Quelle situation ? Celle dans laquelle son père s'était fourré comme un grand et l'avait peut-être engagé lui aussi, en l'emmenant à Hong Kong avec lui ? Tomoki songea qu'il avait un sacré culot de lui imposer ses choix alors qu'il n'était même pas là pour lui en parler. Il se cachait quelque part alors que lui courrait les vrais risques. Ah oui… Ca c'était un père digne de ce nom ! Tomoki bouillait de rage.
« - Il n'avait cas y penser plus tôt ! » rétorqua-t-il en croisant les bras. Il chercha rapidement une idée, quelque chose de valable à opposer à pareille nouvelle. « Et que dois-je dire à ma… Petite amie ? Qu'à présent un gorille va nous suivre partout même pour aller acheter la moindre glace ? »
Son interlocuteur eut un froncement dangereux des sourcils. Tomoki se demanda s'il avait bien fait de dire cela et déglutit péniblement.
« - Votre vie est plus importante qu'elle, non ? Vous devriez rompre. »
Cette dernière phrase acheva le jeune homme, plus obnubilé par sa relation que par sa vie. Serrant les dents, il gagna sa chambre et se décida à faire la chose la plus stupide qui soit.

Laissant de côté les tentatives de suicides habituelles, Tomoki fouilla pourtant dans l'armoire à pharmacie de la salle de bain afin de dénicher quelques somnifères. Un sourire aux lèvres, il vida dans sa main le flacon et compta les gélules. Puis, regardant la posologie, il vérifia combien de comprimés il fallait exactement, en ajouta un de plus pour être sûr de son coup, rangea les autres et remit le flacon dans l'armoire. Il ressortit de la salle de bain, les cachets dans sa poche, et passa encore quelques minutes dans sa chambre pour faire croire qu'il boudait. Lorsqu'il jugea qu'il avait suffisamment attendu, il revint dans le salon.
Le garde du corps regardait une émission de variété chinoise à la télé.
« - Je vais faire du thé, » déclara d'un ton morne Tomoki en se rendant dans la cuisine.
Une fois dedans, il fit bouillir l'eau puis fit infuser, avant de diluer les cachets dedans. Lorsqu'il eut terminé son opération, il mit la théière et les tasses sur un plateau. De retour au salon, il déposa le tout sur la table basse.
Il prétexta le fait que le thé fut trop chaud à son goût pour ne pas le boire tout de suite. Puis, feignant de s'intéresser à l'émission, il attendit.
Lorsque quelques ronflements sonores s'élevèrent dans la pièce, il eut un sourire satisfait. Il regagna sa chambre à pas de loup, même si à ce stade il n'était guère nécessaire de se montrer discret. Tout en ouvrant l'une des armoires pour sortir un sac de voyage et le jeter sur le lit, il prit son portable et parcourut la liste de ses contacts jusqu'à trouver le nom voulu.

Lorsque la voiture de sport se gara dans la rue passante, un sentiment de soulagement envahi Tomoki. Le sac passé à son épaule, il se précipita en direction du véhicule et ouvrit la portière pour s'engouffrer à l'intérieur. Son bagage ne tarda pas à se retrouver sur le siège arrière, puis il tourna la tête en direction de Xuě Fēng. Celui-ci avait une mine quelque peu soucieuse mais gardait son regard rivé sur la rue.
« - Es-tu sûr que cela soit une bonne idée ? » finit-il par demander en lui adressant un rapide coup d'œil.
« - Je n'ai pas envie de vivre reclus sous prétexte qu'un homme, qui ne se soucie jamais de moi, l'a brusquement décidé, » rétorqua Tomoki avec une moue contrariée. Il n'avait toujours pas digéré cette décision de son « père ». « De toute manière, je suis presque majeur, où est le problème ? »
Il n'eut pas de réponse. La voiture démarra et s'engagea dans la circulation.
Tomoki regarda Xuě Fēng non sans une soudaine inquiétude. Les choses s'étaient passées si rapidement. A vrai dire, il n'avait aucunement réfléchi, seul son instinct l'avait poussé à faire cela. Il avait appelé… Celui qu'il pouvait à présent qualifier de « petit ami », même si le terme sonnait d'une façon bizarre… C'était la première fois qu'il l'employait. Il l'avait supplié de l'héberger. C'était ça ou ils ne pourraient plus se voir alors qu'ils commençaient à peine à sortir ensemble. Et lui avait accepté de l'accueillir chez lui. Pourtant, cet événement ne semblait guère l'enthousiasmer et cette humeur se reportait sur Tomoki qui se sentait à présent morose et angoissé.
Avait-il commis une erreur ? Il en était de plus en plus certain. Mais d'un autre côté, que pouvait-il faire d'autre ? Il ne pouvait pas renoncer à sa première relation sérieuse ainsi… A cause de cet homme qui se trouvait être son père biologique.
« - Tu sembles être devenu plus sûr de toi depuis hier, » fit soudainement Xuě Fēng.
Surpris par cette remarque, le japonais mit un moment à répondre.
« - C'est que… Je… » Il se sentit rougir. « En fait…
« - Ou peut-être pas, » conclut l'homme avec un sourire amusé.
Tomoki ne put que lui jeter un regard noir. Il n'était pas encore habitué des moqueries. Toutefois, il parvint à contenir sa mauvaise humeur et en profita pour contempler Xuě Fēng. Ses cheveux noirs étaient attachés cette fois-ci, dégageant son visage. Même si cela permettait de profiter pleinement de la beauté de ses traits, Tomoki n'appréciait pas réellement ce changement. Il préférait lorsque ses cheveux étaient libres. Cela lui donnait un côté plus… Sombre et mystérieux. Hors, comme beaucoup de personne, le garçon avait tendance à être attiré par le mystère.
Il eut soudainement une pensée étrange : Xuě Fēng travaillait-il vraiment pour une entreprise de sécurité ? Car à en juger par son physique très avantageux et sa taille, il avait tout d'un mannequin.
Le japonais secoua la tête et se maudit de son idiotie. Il n'y avait aucune raison pour que son petit ami lui mente au sujet de son métier.

L'appartement de Xuě Fēng se trouvait à la périphérie de Central, dans un immeuble de taille plus modeste que celui où habitait Tomoki… Quoique modeste… Tout était relatif à Hong Kong. Dans d'autres villes, l'immeuble en question aurait été énorme.
C'était un bâtiment dans un quartier assez ancien. Il paraissait avoir été rénové ces derniers mois. Le hall respirait le neuf. L'odeur de la peinture, entre autre. Il en fut de même dans l'ascenseur et les couloirs.
L'appartement en lui-même n'était pas spécialement grand et il était dépourvu de climatisation. Tomoki se sentait écrasé par la chaleur.
Il y avait un petit hall qui donnait directement dans le salon. Celui-ci était d'une taille commune. Une porte donnait sur la cuisine, deux autres sur les chambres. Il apprit que l'une d'entre elle avait été reconvertie en bureau et qu'il n'y avait donc qu'un seul lit. Tomoki fut embarrassé, pour une fois parvint de justesse à ne pas rougir et déclara qu'il allait prendre le canapé. Xuě Fēng eut un étrange sourire dont le garçon ne parvint pas à comprendre le sens.
La salle de bain, quant à elle, n'était pas accessible depuis le salon mais, dans la chambre et le bureau, une porte permettait d'y entrer. Elle se trouvait entre les deux pièces.
Comme demandé par Xuě Fēng, Tomoki déposa ses affaires dans une armoire. Lorsque cela fut fait, il se demanda ce qu'ils allaient bien pouvoir faire à présent. Son hôte devait travailler et il était sans aucun doute plus une gêne qu'autre chose.
« - C'est gentil de m'accueillir ici, en tout cas, » murmura Tomoki lorsqu'il fut installé sur le canapé, un verre d'eau glacé à la main.
Xuě Fēng était resté debout. Il se tenait bras croisé, dos au mur et juste à côté d'une fenêtre. Son visage était légèrement tournée en direction de celle-ci, il devait regarder dehors. D'où il était, Tomoki ne voyait rien.
« - J'ai entendu dire que l'affaire était grave. »
Le japonais mit un instant à comprendre de quoi il voulait parler. Puis il se rendit compte que le terme « affaire » faisait sans aucun doute référence au problème qui Monsieur Imaya son père. Il n'avait pas spécialement envie d'aborder le sujet, aussi chercha-t-il un moyen rapide de conclure.
« - Je ne sais pas. On ne m'a rien dit. Et il n'y a rien à ce sujet dans les journaux. »
Xuě Fēng se décolla du mur et s'approcha. Ses yeux marrons se posèrent sur Tomoki. Il semblait plus sévère qu'à l'habitude et le jeune homme frissonna.
« - C'est une histoire d'argent sale. L'entreprise de ton père y a été mêlé en faisant des affaires avec une autre société. Il doit témoigner s'il ne veut pas aller en prison ou subir une lourde amende.
« - De l'argent sale ? » répéta Tomoki comme s'il ne voulait y croire. « Mon père ne ferait certainement pas ça ! »
Il ne savait pas pourquoi il prenait soudainement la défense de cet homme. Les mots s'étaient frayés un chemin jusqu'à ses lèvres. Le temps qu'il prenne conscience de ses paroles, il était déjà trop tard.
« - Peut-être… Mais peut-on en dire de même de ses collaborateurs ?
« - Je ne sais pas, » avoua-t-il. Quelque part, il se sentait honteux de ne rien savoir de tout cela. « Mais pourquoi est-ce qu'il risque sa vie en témoignant ? Pourquoi a-t-il besoin d'être protégé, et moi avec ? Je veux dire… Ce n'est qu'une affaire d'entreprises, non ? De trafic d'argent, tout ça… »
Xuě Fēng secoua la tête, ce qui ne rassura guère Tomoki.
« - L'autre entreprise en question est soupçonnée de recycler l'argent issu du commerce de la drogue. Si ton père témoigne, ce cartel perdra certainement beaucoup. Bien entendu, c'est ce que la police souhaite. Il faut donc qu'elle fasse tout pour assurer la sécurité de son témoin.
« - Et elle ne prend pas autant de précaution avec la mienne, » murmura Tomoki avec amertume. Tout cela était donc une histoire de mafia ?
« - J'ai entendu dire que ton père avait volontairement voulu te tenir à l'écart de cela.
« - C'est réussi. De toute façon, il n'a jamais rien fait de bien pour moi. Je ne sais même pas où il se trouve en ce moment. Tout ce que j'ai, c'est un garde du corps incapable. J'ai réussi à l'endormir avec des somnifères dans du thé ! Il ne serait même pas capable de me protéger d'un tueur à gage ! »
Il avait envie de pleurer. Il avait peur à présent. Vraiment peur. Son cœur lui serrait.
« - Moi je te protégerai. »
Tomoki releva la tête en direction de Xuě Fēng, battant des cils pour essayer de chasser les larmes qui lui venaient. Il respira un grand coup, essayant vainement de retrouver son calme. L'affirmation de son petit ami flottait dans ses pensées. Il avait envie d'y croire. Il n'y parvenait pas.
« - Je te protégerai, » répéta Xuě Fēng avec insistance. Et il se pencha, pour caresser les lèvres de Tomoki des siennes et essuyer ses joues avec les doigts. Tomoki rapprocha son visage pour réclamer un baiser, une étreinte réconfortante.

Une semaine passa.
Ils ne reparlèrent que très peu de la menace planant sur Tomoki durant ces quelques jours. Le principal concerné n'avait pas envie d'évoquer le sujet et Xuě Fēng semblait respecter cela. Pourtant, le garçon percevait parfois le regard soucieux de son petit ami posé sur lui.
Xuě Fēng était-il vraiment de taille pour le protéger ? Il se le demandait vraiment. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il travaillait dans une entreprise de sécurité, qu'il allait souvent au Japon, qu'il était en ce moment même en vacances et… C'était tout. Savait-il manier une arme ? Avait-il des informateurs ? Connaissait-il les habitudes des tueurs de la Triade ? Tomoki l'ignorait et voulait rester ignorant, en imaginant que cela fut le cas.
Pourtant, il n'osait pas sortir, même accompagné.
Son anxiété était-elle que ses cauchemars étaient revenus. Ou plutôt LE cauchemar.
Seule la lumière du jour parvenait à calmer ses rêves.
Comme il dormait dans le canapé et qu'il ne criait jamais dans son sommeil, Xuě Fēng ne pouvait se douter de ses nuits agitées. Pour Tomoki, c'était quelque part un soulagement, car il voulait tenter d'oublier les effroyables images sitôt éveillés. Il était persuadé qu'en racontant ce qui le perturbait, il ne parviendrait plus jamais à ignorer ce souvenir.
A vrai dire, la seule chose qu'il recherchait, c'était la tendresse de Xuě Fēng. Il aimait se blottir dans ses bras et être embrassé.
Ce n'était pas allé plus loin pour le moment.
Tomoki ne se sentait pas prêt à pareille chose et il pensait même que cela n'était pas nécessaire. L'idée de faire l'amour avec quelqu'un lui faisait peur, car à son âge il ne l'avait jamais fait et il ignorait d'ailleurs comment faire. Surtout avec un homme.
Profitant du fait que Xuě Fēng n'avait aucunement manifesté un désir de ce genre envers lui, le garçon avait gardé cette question sous silence. Un amour platonique lui suffisait. Dans le fond c'était ce dont il avait même toujours rêvé. Les autres auraient certainement trouvé ça bête mais il pensait que le sexe détruisait à chaque fois l'amour. Ses amis couchaient avec de nombreuses filles sans jamais rien construire de durable. Ils se vantaient de leur conquête pour cacher le propre vide de leurs relations sentimentales. Et lui ne voulait pas d'une histoire sans lendemain, sitôt terminée une fois atterri dans un lit.
Une telle chose lui aurait brisé le cœur et ses tendances suicidaires n'avaient pas besoin de ça.
Parfois, son esprit mesquin lui disait Ô combien son attitude était ridicule : « tu n'es pas dans un conte de fée, tout homme normal rêve de posséder la personne qui l'attire. » Il préférait balayer pareilles pensées, en se convaincant qu'il n'avait jamais aspiré à cela. Ce à quoi son esprit répondait inévitablement : « en vérité, tu préfères fuir tes peurs plutôt que de les affronter. »

Un bruit dans l'appartement réveilla Tomoki mais il n'avait guère le courage de se lever. Les yeux à demi-fermés, il se contenta de regarder fixement le plafond, une main sur le front.
Il faisait jour.
Il faisait déjà chaud.
Son T-shirt était humide de sueur. Il s'était endormi tout habillé, les précédentes nuits n'ayant guère étaient reposantes.
Mais il ne trouvait vraiment pas la force de se lever pour prendre une douche glacée.
Le cauchemar le démoralisait. Il voulait prendre son temps pour l'effacer et afficher un autre visage que celui d'un dépressif en stade terminal. Cela aurait inquiété Xuě Fēng et amené des questions embarrassantes et inutiles.
Lorsqu'il se sentit enfin prêt, Tomoki se leva. Passant à côté de la cuisine à la porte ouverte, il vit son petit ami installé. Il prenait son déjeuner tout en lisant un journal. Toutefois, cela ne l'empêcha pas de remarquer sa présence d'une façon ou d'une autre et de relever la tête pour lui sourire. Tomoki le lui rendit, avec un bref « bonjour », puis gagna la salle de bain.
L'eau froide lui fit le plus grand bien et il passa plus de temps que escompté sous la douche. Une fois vêtu de vêtement propre et les autres mis à laver, Tomoki ressortit et retourna dans la cuisine. Il ne trouva qu'un message de Xuě Fēng, disant qu'il était sorti les ravitailler en rations de survie. Cela fit sourire le garçon, qui chercha ensuite de quoi se faire un petit déjeuner digne de ce nom.
Lorsqu'il entendit du bruit à la porte d'entrée, il ne s'inquiéta pas outre mesure même s'il s'étonna. Après s'être débattu durant quelques secondes pour ouvrir un pot de nouille instantané, il sortit de la cuisine.
« - Tu es déjà rentré ? » commença-t-il avant de rapidement s'interrompre en voyant un homme inconnu, debout devant la porte menant au hall. Il avait les cheveux noirs mais courts et le visage de quelqu'un qui n'a aucune hésitation à tuer femmes et enfants.
La bouche de Tomoki se dessécha. Il n'y avait pas besoin de réfléchir bien longtemps pour savoir que ce type n'était pas là pour lui vendre une assurance. Le jeune homme recula, l'intrus se précipita alors dans sa direction.
Il l'attrapa violemment par le bras et Tomoki se débattit pour se libérer à coups de poings et de pieds. Son adversaire était malheureusement trop fort. Il fut violemment repoussé et tomba dos à terre. Le choc fut douloureux. Avant d'avoir pu esquisser un seul geste pour se relever, le canon d'un pistolet s'écrasa sous son menton.
L'homme avait prit place au dessus de lui, assis sur ses jambes. Sa main libre le saisit par le col de son T-shirt pour l'obliger à redresser le haut du corps et le canon froid ne cessa de se presser contre sa peau tout le long de l'opération.
« - Où est Imaya ? » demanda-t-il d'un ton brusque et sec.
Tomoki commença par secouer la tête, puis répondit d'une voix étranglée :
« - Je ne sais pas. »
Un sourire cruel étira les lèvres du tueur. Le japonais comprit qu'il aurait encore mieux valu prétendre le contraire, même si c'était faux.
« - Très bien. Alors espérons que la mort de son bâtard de fils le poussera à se montrer… »
Le canon vint cette fois-ci s'appuyer sur son front. Tomoki sentit les larmes couler le long de ses joues. Il ne pouvait rien faire. Strictement rien faire. A part attendre le moment où l'homme appuierait sur la gâchette et lui exploserait le crâne.
« - Je ne crois pas que cela soit une bonne idée. »
C'était la voix de Xuě Fēng mais Tomoki ne s'en rendit pas immédiatement, tant elle était froide et hostile, tant lui était paniqué et incapable de réagir.
Le tueur se retourna. La surprise s'était lu dans son regard jusqu'alors implacable.
« - Vous ? »
Il n'eut guère l'occasion d'aller plus loin. Il n'eut même plus jamais l'occasion de parler.
Une balle lui traversa le crâne, aspergeant au passage le visage de Tomoki quand elle ressortit de l'autre côté.
Xuě Fēng baissa son pistolet muni d'un silencieux. Son regard ne reflétait rien d'autre qu'une farouche détermination. Une pensée effleura Tomoki : on aurait dit que tuer ne lui posait pas problème, que cela était une habitude.
Le garçon baissa les yeux sur la flaque de sang qui se répandait sur le sol. Le tapis blanc qui se trouvait non loin commença à absorber le liquide rouge comme une éponge.
Il porta ensuite une main tremblante à son visage. Il était humide et il fixa le bout de ses doigts tâchés.
C'était comme dans son rêve. Quand le sang l'éclaboussait.
C'était comme dans ses souvenirs.
Il entendit distinctement Xuě Fēng lui parler tout en le prenant par les épaules. Il le comprenait mais ne parvenait à lui répondre. Il ne pouvait cesser de regarder ses doigts.
« - Il est mort, » murmura-t-il tout bas alors que ce rouge le fascinait tout en le plongeant à la fois dans le plus grand effroi.
« - C'était lui ou toi, » répondit le chinois tout en lui essuyant le visage avec un tissu mouillé. Peut-être pensait-il que Tomoki lui adressait un reproche mais ce n'était pas ça.
« - Il y avait du sang aussi quand elle est morte, » poursuivit Tomoki d'une voix atone.
« - Qui ça ?
« - Maman. »
Un silence suivit, puis Tomoki se sentit soulever. Il se laissa faire et vint se blottir contre le torse de son sauveur alors qu'il le portait jusqu'à la chambre. Xuě Fēng le déposa ensuite assis sur le lit et s'agenouilla face à lui. Il poussa un soupir et lui prit les mains.
« - Tomoki, est-ce que tu me comprends ? » fit le chinois, comme s'il craignait que l'état de choc du garçon soit plus grave qu'il n'y paraissait. « Je vais appeler quelqu'un pour qu'il nous débarrasse du corps. En attendant, je veux que tu restes ici et que tu te reposes. Je t'ai dit que je te protégerai, n'ai pas peur. Tomoki, regarde moi… » Il attrapa le visage du garçon et le ramena dans sa direction. « Tu as bien compris ? »
Lorsque Tomoki eut acquiescer, il le relâcha enfin et se releva. Un dernier regard et il quitta la pièce.
Le jeune homme se glissa alors sous les draps et y resta recroquevillé, la tête posée sur l'oreiller.

Ne parvenant à fermer les yeux, il se concentra sur les bruits. Ceux de la circulation dans la rue, avec les klaxons et les moteurs qui ronflaient, ceux qui régnaient dans l'appartement. Il entendit ainsi Xuě Fēng parler au téléphone. Puis la porte d'entrer s'ouvrir de longue minute plus tard et une discussion interminable prendre forme. Il ne chercha pas à comprendre ce qui se disait, il écoutait simplement les sons que les deux hommes produisaient. Au moins, cela lui permettait de ne pas réfléchir, de ne pas penser au sang, à cet homme qui avait essayé de le tuer… A sa mère dont la mort hantait son sommeil perpétuellement ces derniers jours.
Il sursauta quand Xuě Fēng entra dans la chambre.
Assis sur le lit, Tomoki lui lança tout d'abord un regard effrayé puis sembla le reconnaître. Le soulagement se lut alors sur son visage.
« - Je suis… Je suis désolée, » balbutia-t-il en baissant les yeux. « Tout ça, c'est de ma faute… »
Le chinois secoua négativement la tête. Ses longs cheveux suivirent le mouvement et une mèche dégringola le long de son visage. Il s'approcha du lit et s'assit au bord de celui-ci. Tendant la main, il la posa sur la tête de Tomoki et l'attira ensuite contre lui, caressant sa chevelure décolorée.
« - Ce serait arrivé ici ou ailleurs. Mieux valait que cela soit ici, tu ne crois pas ? » s'enquit Xuě Fēng.
Tomoki ne put s'empêcher de frissonner au souvenir de ce qui était arrivé au tueur. Il n'éprouvait pas de pitié, simplement une peur incontrôlable à l'idée qu'il aurait pu mourir à sa place.
« - Où… ? Où as-tu appris ça… ? » hésita le jeune homme.
« - Tu veux parler de… Cela fait parti de mon travail aussi de protéger les gens, » déclara Xuě Fēng. « Est-ce que je te fais peur ?
« - Non… Bien sûr que non. Mais j'ai cru… Vraiment cru que… »
Tomoki ne termina pas sa phrase. D'abord parce qu'il ne trouvait pas ses mots, ensuite parce que, mu par une soudaine impulsion, il avait embrassé Xuě Fēng. C'était la première fois qu'il prenait ainsi les devants. Il avait besoin de sentir les lèvres de l'homme sur les siennes pour se rassurer. Il avait besoin de sentir sa chaleur pour oublier. Il avait besoin de… Peut-être de plus.
Lentement, le japonais noua ses bras autour du cou de son petit ami et se pressa un peu plus contre lui. Les mains de Xuě Fēng se posèrent sur son dos. Elles glissèrent le long de celui-ci, remontant jusqu'au cou et descendant ensuite au niveau des reins. Il sentit les doigts se glisser sous son T-shirt pour caresser sa peau mais il ne protesta pas. Ce contact avait quelque chose d'électrisant. Il lui permettait d'oublier, un peu. Il le réconfortait. Il lui offrait cette délicieuse chaleur qu'il avait déjà expérimentée, celle qui libérait son esprit de toute angoisse.
Il avait besoin de plus. Plus qu'un baiser.
Il voulait plus.
Quelque chose que seul Xuě Fēng pouvait lui offrir…