Commentaire : Pas grand chose à dire. C'est surtout un chapitre pour développer la relation entre les deux protagonistes et éclaircir certaines choses nébuleuses. Enfin bref, il y a plusieurs passages que je voulais écrire depuis un moment et je suis contente d'y être enfin arrivé (la fin se rapproche en plus). Par contre j'ai eu du mal avec la toute fin, je n'ai pas arrêté d'écrire et réécrire. Et sinon ça me fait bizarre de désigner Feilong par le terme « petit ami » dans la narration. Quelqu'un peut-il voir sérieusement Feilong jouer le petit ami de quelqu'un ? Moi pas frissonne d'horreur et se rend compte que c'est ce qui se passe dans ce chapitre iiiiiik !
Chapitre 3 - When Love And Death Embrace
Tomoki
ressemblait à cet instant même à une lycéenne
angoissée à l'idée de son tout premier
rendez-vous. Il avait changé plusieurs fois d'habits,
s'était acharné sur ses cheveux décolorés,
avait vérifié qu'il n'avait pas de cernes sous les
yeux… En fait, il avait effectué en l'espace de moins
d'une heure un nombre incalculable de choses. Seule une volonté
pure de plaire à autrui pouvait mettre au point un pareil
exploit. Surtout lorsqu'autrui n'était pas n'importe
qui. Heureusement qu'il n'avait pas à choisir en prime la
couleur de son rouge à lèvre ou de son fard à
paupière – comme quoi être un garçon concède
parfois quelques avantages - .
Ayant
finalement décidé de faire simple en optant pour un
jean et une chemise, le garçon se précipita dans la
cuisine pour boire un verre d'eau – il n'avait toujours rien
avalé depuis son réveil – et cela sous le regard
impressionné de sa nounou, alias monsieur la garde du corps
dont il ne savait toujours par le nom.
« -
J'espère qu'elle est jolie au moins. »
Tomoki
faillit s'étrangler dans son verre et se retint de justesse
de tousser et cracher. Deux questions le turlupinaient :
Comment
sa « nounou » savait-il qu'il sortait ?
Est-ce
que cette histoire de fille était un sous-entendu à ses
préférences cachées ou bien ne se doutait-il
vraiment de rien ?
« -
Euh… Je suppose que oui, » baragouina le jeune homme
avant d'amorcer une retraite prudente vers la sortie de
l'appartement. Une fois dans le couloir, il courut jusqu'à
l'ascenseur et appuya frénétiquement sur le bouton
pour l'appeler.
Lorsqu'il
arriva enfin dans le hall de l'immeuble, il s'autorisa à
respirer et son ventre à gargouiller. A quoi pensait-il donc ?
Il ne devait revoir Xuě Fēng qu'à 13h30 environ, il
n'avait rien mangé et il ne savait même pas où
ils étaient censés aller ! De plus, n'avait-il
pas lu une fois, dans un obscur magazine, qu'il était
parfois bon d'arriver en retard pour se faire désirer ?
Ne concédait-il pas une victoire trop facile en se pressant
ainsi, comme l'avait écrit une chroniqueuse dans ce même
magazine ?
Jetant un coup d'œil dans la rue par les portes vitrées, il
aperçut une voiture de sport bleue garée sur le
trottoir d'en face. Visiblement, il n'était pas le seul à
être en avance.
Une heure
plus tôt, Tomoki avait tout d'abord était enchanté
puis intrigué d'entendre la voix de Xuě Fēng à
l'autre bout du fil.
« -
Où as-tu eu mon numéro ? »
questionna-t-il sans pouvoir faire taire sa curiosité.
L'homme
s'était contenté de répondre qu'il avait des
relations lui permettant d'obtenir ce genre d'informations.
Tomoki s'était inquiété du type de relations
en question, ce qui avait fait beaucoup rire son interlocuteur.
« -
Tu n'as donc jamais entendu parlé d'internet ? »
rétorqua Xuě Fēng à un Tomoki quelque peu contrarié
de cette réponse moqueuse.
Ce fut à
cet instant là qu'il percuta et se rendit compte qu'ils
avaient parlé dès le départ en japonais.
« -
Comme se fait-il que tu parles ma langue ? » demanda
le jeune homme, non sans une certaine suspicion.
« -
Mon travail m'oblige parfois à aller au Japon. »
Xuě Fēng
lui apprit qu'il travaillait pour une compagnie spécialisée
dans la sécurité. Ils équipaient des banques,
des laboratoires, voire parfois la police et l'armée.
Quelque fois des particuliers un peu paranoïaque.
« -
C'est un secteur très lucratif, » précisa-t-il.
« Mais ce n'est pas pour ça que je t'appelle. »
C'était
ainsi que Tomoki avait eu son premier rendez-vous. De quoi lui faire
oublier tous les mauvais rêves du monde.
Et
pourtant, la petite sortie faillit bien vite tourner court. A croire
que Tomoki se débrouillait pour que chaque jour de son
existence soit auréolée d'un peu plus de guigne. Il
leur fallut au moins dix minutes pour se décider quant à
leur destination et lorsqu'ils convinrent enfin d'aller au cinéma
– après avoir passé dix autres minutes pour choisir
le film… -, il fallu que le ventre de Tomoki manifeste sa faim par
des gargouillis sonores. Les joues du garçon avait pris la
même teinte que le nez rouge d'un clown et Xuě Fēng
s'était, bien entendu, amusé de sa réaction :
« -
Ton père est assez riche pour avoir un appartement à
Central mais pas pour te nourrir ?
« -
Ce n'est pas drôle. Je n'ai pas eu le temps de manger.
« -
Pas le temps ? Mais qu'as-tu fait durant un heure ? »
demanda le chinois, profitant d'un feu rouge pour se tourner vers
son passager. Il lui décocha un splendide sourire charmeur
mais Tomoki ne parvint pas à visualiser les petites fleurs de
cerisier qui accompagnaient habituellement ce genre de chose.
Il faisait, comme on le dit vulgairement, la gueule. Il fut tenté
de répondre qu'il s'était préparé,
puis songea que cela aurait suscité d'autres moqueries et
décida finalement de bouder dans son coin. Il fallut que Xuě
Fēng hisse le drapeau blanc pour qu'il se détende à
nouveau :
« -
Tu n'aimes pas être taquiné, n'est ce pas ? »
supposa-t-il d'un ton plus aimable.
« -
Pas vraiment, » rétorqua Tomoki laconiquement,
examinant avec un soin chirurgical les bâtiments au dehors.
« -
Allons manger quelque part alors. »
La
proposition eut le mérite de faire naître un sourire
contenté sur les lèvres de Tomoki et, quelques instants
plus tard, ils se retrouvèrent à la table d'un petit
restaurant. Il était déjà tard pour manger mais
on leur servit un assortiment de raviolis. Le thé ensuite,
qu'ils prirent le temps de boire. La discussion, banale au
possible, se porta sur les centres d'intérêts de l'un
et de l'autre mais aucun d'eux n'évoqua son passé,
les choses importantes qu'ils avaient pu vivre.
« -
Tu es donc déjà allé au Japon ? »
questionna Tomoki qui se sentait à présent plus en
confiance.
« -
Seulement à Tokyo et je n'ai malheureusement pas eu le temps
de visiter la ville. Mes voyages sont courts et uniquement pour mon
travail. »
Le garçon
eut une exclamation déçue.
« -
C'est dommage, il y a tellement de chose à voir et à
faire.
« -
Je n'en doute pas, mais au moins je profite gratuitement du service
des grands hôtels et de leur restauration.
« -
Et ton patron doit sûrement être heureux de voir la note
finale… »
Ils se
mirent à rire tous les deux puis s'en allèrent
ensuite. Quelques minutes plus tard, ils atterrissaient dans une
petite salle de cinéma. Tomoki n'aimait habituellement pas
les films d'horreur mais il se sentait plus courageux qu'à
l'habitude.
Lorsque
la salle s'éclaira, juste après le générique
de fin, il sembla au japonais que le temps avait passé bien
trop vite. Il appréhendait le moment où ils se
quitteraient. Comme si cette journée n'avait été
qu'un simple encart dans sa vie ennuyeuse et que cette dernière
allait retrouver son train train quotidien. Et si celui qu'il avait
désigné comme incarnation du prince charmant n'avait
pas envie de s'embarrasser de lui ? Et s'il le trouvait
ennuyeux et inintéressant ? N'était-il pas
affreusement banal pour attirer l'attention bien longtemps de Xuě
Fēng ? Des garçons comme lui, on en trouvait par paquet
de cent.
Ce furent
les questions qui turlupinèrent Tomoki sur le trajet du
retour, tant et si bien qu'il ne parvint presque pas à
parler. Il se contentait d'écouter Xuě Fēng commenter le
film, se moquer des mauvais effets spéciaux ou de la stupidité
du scénario.
Lorsque
la voiture s'arrêta définitivement, devant l'immeuble
où il habitait, le ventre de Tomoki se tordit sous l'angoisse.
Xuě Fēng lui promit de l'appeler et il ne put qu'acquiescer en
réponse. Il s'apprêta à sortir de la voiture
mais fut arrêté… Encore une fois. Les lèvres de
l'homme se posèrent sur les siennes, avec douceur, réclamant
ne serait-ce qu'un baiser d'au revoir ; du moins, c'était
ce que se plaisait à imaginer Tomoki en cet instant. Il se
laissa faire, d'abord timidement, avant d'oser glisser les bras
autour du cou de Xuě Fēng. Il avait plus chaud soudainement et
cette sensation n'était cette fois-ci pas due à la
température extérieure.
Cette
nuit là, Tomoki s'endormit paisiblement. S'il y eut
cauchemar, il n'en garda aucun souvenir à son réveil.
Jamais il n'avait été aussi heureux et il priait pour
que ce bonheur perdure le plus longtemps possible.
Le baiser
que lui avait offert Xuě Fēng valait à ses yeux toutes les
déclarations d'amour au monde.
Il était
sûr et certain, qu'à présent, tout irait pour
le mieux dans le meilleur des mondes.
Aussi,
lorsque le lendemain matin son garde du corps lui annonça
qu'il ne pouvait plus sortir seul de l'appartement, il fit ce que
toute personne amoureuse et normale aurait fait à sa place :
il piqua une crise.
« -
Comment ça vous viendrez avec moi où que j'aille ? »
s'exclama Tomoki d'une voix tirant sur les aiguë de
l'hystérie.
La nounou
d'un mètre quatre vingt dix resta inflexible face à
la panique du garçon.
« -
J'ai discuté avec votre père et il pense qu'il est
dangereux, dans une telle situation, que vous sortiez sans
protection. Je suis de son avis. »
Quelle
situation ? Celle dans laquelle son père s'était
fourré comme un grand et l'avait peut-être engagé
lui aussi, en l'emmenant à Hong Kong avec lui ? Tomoki
songea qu'il avait un sacré culot de lui imposer ses choix
alors qu'il n'était même pas là pour lui en
parler. Il se cachait quelque part alors que lui courrait les vrais
risques. Ah oui… Ca c'était un père digne de ce
nom ! Tomoki bouillait de rage.
« -
Il n'avait cas y penser plus tôt ! »
rétorqua-t-il en croisant les bras. Il chercha rapidement une
idée, quelque chose de valable à opposer à
pareille nouvelle. « Et que dois-je dire à ma…
Petite amie ? Qu'à présent un gorille va nous
suivre partout même pour aller acheter la moindre glace ? »
Son
interlocuteur eut un froncement dangereux des sourcils. Tomoki se
demanda s'il avait bien fait de dire cela et déglutit
péniblement.
« -
Votre vie est plus importante qu'elle, non ? Vous devriez
rompre. »
Cette
dernière phrase acheva le jeune homme, plus obnubilé
par sa relation que par sa vie. Serrant les dents, il gagna sa
chambre et se décida à faire la chose la plus stupide
qui soit.
Laissant
de côté les tentatives de suicides habituelles, Tomoki
fouilla pourtant dans l'armoire à pharmacie de la salle de
bain afin de dénicher quelques somnifères. Un sourire
aux lèvres, il vida dans sa main le flacon et compta les
gélules. Puis, regardant la posologie, il vérifia
combien de comprimés il fallait exactement, en ajouta un de
plus pour être sûr de son coup, rangea les autres et
remit le flacon dans l'armoire. Il ressortit de la salle de bain,
les cachets dans sa poche, et passa encore quelques minutes dans sa
chambre pour faire croire qu'il boudait. Lorsqu'il jugea qu'il
avait suffisamment attendu, il revint dans le salon.
Le garde
du corps regardait une émission de variété
chinoise à la télé.
« -
Je vais faire du thé, » déclara d'un ton
morne Tomoki en se rendant dans la cuisine.
Une fois
dedans, il fit bouillir l'eau puis fit infuser, avant de diluer les
cachets dedans. Lorsqu'il eut terminé son opération,
il mit la théière et les tasses sur un plateau. De
retour au salon, il déposa le tout sur la table basse.
Il
prétexta le fait que le thé fut trop chaud à son
goût pour ne pas le boire tout de suite. Puis, feignant de
s'intéresser à l'émission, il attendit.
Lorsque
quelques ronflements sonores s'élevèrent dans la
pièce, il eut un sourire satisfait. Il regagna sa chambre à
pas de loup, même si à ce stade il n'était
guère nécessaire de se montrer discret. Tout en ouvrant
l'une des armoires pour sortir un sac de voyage et le jeter sur le
lit, il prit son portable et parcourut la liste de ses contacts
jusqu'à trouver le nom voulu.
Lorsque
la voiture de sport se gara dans la rue passante, un sentiment de
soulagement envahi Tomoki. Le sac passé à son épaule,
il se précipita en direction du véhicule et ouvrit la
portière pour s'engouffrer à l'intérieur.
Son bagage ne tarda pas à se retrouver sur le siège
arrière, puis il tourna la tête en direction de Xuě
Fēng. Celui-ci avait une mine quelque peu soucieuse mais gardait son
regard rivé sur la rue.
« -
Es-tu sûr que cela soit une bonne idée ? »
finit-il par demander en lui adressant un rapide coup d'œil.
« -
Je n'ai pas envie de vivre reclus sous prétexte qu'un
homme, qui ne se soucie jamais de moi, l'a brusquement décidé, »
rétorqua Tomoki avec une moue contrariée. Il n'avait
toujours pas digéré cette décision de son
« père ». « De toute manière,
je suis presque majeur, où est le problème ? »
Il n'eut
pas de réponse. La voiture démarra et s'engagea dans
la circulation.
Tomoki
regarda Xuě Fēng non sans une soudaine inquiétude. Les
choses s'étaient passées si rapidement. A vrai dire,
il n'avait aucunement réfléchi, seul son instinct
l'avait poussé à faire cela. Il avait appelé…
Celui qu'il pouvait à présent qualifier de « petit
ami », même si le terme sonnait d'une façon
bizarre… C'était la première fois qu'il
l'employait. Il l'avait supplié de l'héberger.
C'était ça ou ils ne pourraient plus se voir alors
qu'ils commençaient à peine à sortir ensemble.
Et lui avait accepté de l'accueillir chez lui. Pourtant, cet
événement ne semblait guère l'enthousiasmer et
cette humeur se reportait sur Tomoki qui se sentait à présent
morose et angoissé.
Avait-il
commis une erreur ? Il en était de plus en plus certain.
Mais d'un autre côté, que pouvait-il faire d'autre ?
Il ne pouvait pas renoncer à sa première relation
sérieuse ainsi… A cause de cet homme qui se trouvait être
son père biologique.
« -
Tu sembles être devenu plus sûr de toi depuis hier, »
fit soudainement Xuě Fēng.
Surpris
par cette remarque, le japonais mit un moment à répondre.
« -
C'est que… Je… » Il se sentit rougir. « En
fait…
« -
Ou peut-être pas, » conclut l'homme avec un
sourire amusé.
Tomoki ne
put que lui jeter un regard noir. Il n'était pas encore
habitué des moqueries. Toutefois, il parvint à contenir
sa mauvaise humeur et en profita pour contempler Xuě Fēng. Ses
cheveux noirs étaient attachés cette fois-ci, dégageant
son visage. Même si cela permettait de profiter pleinement de
la beauté de ses traits, Tomoki n'appréciait pas
réellement ce changement. Il préférait lorsque
ses cheveux étaient libres. Cela lui donnait un côté
plus… Sombre et mystérieux. Hors, comme beaucoup de
personne, le garçon avait tendance à être attiré
par le mystère.
Il eut
soudainement une pensée étrange : Xuě Fēng
travaillait-il vraiment pour une entreprise de sécurité ?
Car à en juger par son physique très avantageux et sa
taille, il avait tout d'un mannequin.
Le
japonais secoua la tête et se maudit de son idiotie. Il n'y
avait aucune raison pour que son petit ami lui mente au sujet de son
métier.
L'appartement
de Xuě Fēng se trouvait à la périphérie de
Central, dans un immeuble de taille plus modeste que celui où
habitait Tomoki… Quoique modeste… Tout était relatif à
Hong Kong. Dans d'autres villes, l'immeuble en question aurait
été énorme.
C'était
un bâtiment dans un quartier assez ancien. Il paraissait avoir
été rénové ces derniers mois. Le hall
respirait le neuf. L'odeur de la peinture, entre autre. Il en fut
de même dans l'ascenseur et les couloirs.
L'appartement
en lui-même n'était pas spécialement grand et
il était dépourvu de climatisation. Tomoki se sentait
écrasé par la chaleur.
Il y
avait un petit hall qui donnait directement dans le salon. Celui-ci
était d'une taille commune. Une porte donnait sur la
cuisine, deux autres sur les chambres. Il apprit que l'une d'entre
elle avait été reconvertie en bureau et qu'il n'y
avait donc qu'un seul lit. Tomoki fut embarrassé, pour une
fois parvint de justesse à ne pas rougir et déclara
qu'il allait prendre le canapé. Xuě Fēng eut un étrange
sourire dont le garçon ne parvint pas à comprendre le
sens.
La salle
de bain, quant à elle, n'était pas accessible depuis
le salon mais, dans la chambre et le bureau, une porte permettait d'y
entrer. Elle se trouvait entre les deux pièces.
Comme
demandé par Xuě Fēng, Tomoki déposa ses affaires dans
une armoire. Lorsque cela fut fait, il se demanda ce qu'ils
allaient bien pouvoir faire à présent. Son hôte
devait travailler et il était sans aucun doute plus une gêne
qu'autre chose.
« -
C'est gentil de m'accueillir ici, en tout cas, »
murmura Tomoki lorsqu'il fut installé sur le canapé,
un verre d'eau glacé à la main.
Xuě Fēng
était resté debout. Il se tenait bras croisé,
dos au mur et juste à côté d'une fenêtre.
Son visage était légèrement tournée en
direction de celle-ci, il devait regarder dehors. D'où il
était, Tomoki ne voyait rien.
« -
J'ai entendu dire que l'affaire était grave. »
Le
japonais mit un instant à comprendre de quoi il voulait
parler. Puis il se rendit compte que le terme « affaire »
faisait sans aucun doute référence au problème
qui Monsieur Imaya son père. Il n'avait pas spécialement
envie d'aborder le sujet, aussi chercha-t-il un moyen rapide de
conclure.
« -
Je ne sais pas. On ne m'a rien dit. Et il n'y a rien à ce
sujet dans les journaux. »
Xuě Fēng
se décolla du mur et s'approcha. Ses yeux marrons se
posèrent sur Tomoki. Il semblait plus sévère
qu'à l'habitude et le jeune homme frissonna.
« -
C'est une histoire d'argent sale. L'entreprise de ton père
y a été mêlé en faisant des affaires avec
une autre société. Il doit témoigner s'il ne
veut pas aller en prison ou subir une lourde amende.
« -
De l'argent sale ? » répéta Tomoki
comme s'il ne voulait y croire. « Mon père ne
ferait certainement pas ça ! »
Il ne
savait pas pourquoi il prenait soudainement la défense de cet
homme. Les mots s'étaient frayés un chemin jusqu'à
ses lèvres. Le temps qu'il prenne conscience de ses paroles,
il était déjà trop tard.
« -
Peut-être… Mais peut-on en dire de même de ses
collaborateurs ?
« -
Je ne sais pas, » avoua-t-il. Quelque part, il se sentait
honteux de ne rien savoir de tout cela. « Mais pourquoi
est-ce qu'il risque sa vie en témoignant ? Pourquoi
a-t-il besoin d'être protégé, et moi avec ?
Je veux dire… Ce n'est qu'une affaire d'entreprises, non ? De
trafic d'argent, tout ça… »
Xuě Fēng
secoua la tête, ce qui ne rassura guère Tomoki.
« -
L'autre entreprise en question est soupçonnée de
recycler l'argent issu du commerce de la drogue. Si ton père
témoigne, ce cartel perdra certainement beaucoup. Bien
entendu, c'est ce que la police souhaite. Il faut donc qu'elle
fasse tout pour assurer la sécurité de son témoin.
« -
Et elle ne prend pas autant de précaution avec la mienne, »
murmura Tomoki avec amertume. Tout cela était donc une
histoire de mafia ?
« -
J'ai entendu dire que ton père avait volontairement voulu te
tenir à l'écart de cela.
« -
C'est réussi. De toute façon, il n'a jamais rien
fait de bien pour moi. Je ne sais même pas où il se
trouve en ce moment. Tout ce que j'ai, c'est un garde du corps
incapable. J'ai réussi à l'endormir avec des
somnifères dans du thé ! Il ne serait même
pas capable de me protéger d'un tueur à gage ! »
Il avait
envie de pleurer. Il avait peur à présent. Vraiment
peur. Son cœur lui serrait.
« -
Moi je te protégerai. »
Tomoki
releva la tête en direction de Xuě Fēng, battant des cils
pour essayer de chasser les larmes qui lui venaient. Il respira un
grand coup, essayant vainement de retrouver son calme. L'affirmation
de son petit ami flottait dans ses pensées. Il avait envie d'y
croire. Il n'y parvenait pas.
« -
Je te protégerai, » répéta Xuě Fēng
avec insistance. Et il se pencha, pour caresser les lèvres de
Tomoki des siennes et essuyer ses joues avec les doigts. Tomoki
rapprocha son visage pour réclamer un baiser, une étreinte
réconfortante.
Une
semaine passa.
Ils ne
reparlèrent que très peu de la menace planant sur
Tomoki durant ces quelques jours. Le principal concerné
n'avait pas envie d'évoquer le sujet et Xuě Fēng
semblait respecter cela. Pourtant, le garçon percevait parfois
le regard soucieux de son petit ami posé sur lui.
Xuě Fēng
était-il vraiment de taille pour le protéger ? Il
se le demandait vraiment. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il
travaillait dans une entreprise de sécurité, qu'il
allait souvent au Japon, qu'il était en ce moment même
en vacances et… C'était tout. Savait-il manier une arme ?
Avait-il des informateurs ? Connaissait-il les habitudes des
tueurs de la Triade ? Tomoki l'ignorait et voulait rester
ignorant, en imaginant que cela fut le cas.
Pourtant,
il n'osait pas sortir, même accompagné.
Son
anxiété était-elle que ses cauchemars étaient
revenus. Ou plutôt LE cauchemar.
Seule la
lumière du jour parvenait à calmer ses rêves.
Comme il
dormait dans le canapé et qu'il ne criait jamais dans son
sommeil, Xuě Fēng ne pouvait se douter de ses nuits agitées.
Pour Tomoki, c'était quelque part un soulagement, car il
voulait tenter d'oublier les effroyables images sitôt
éveillés. Il était persuadé qu'en
racontant ce qui le perturbait, il ne parviendrait plus jamais à
ignorer ce souvenir.
A vrai
dire, la seule chose qu'il recherchait, c'était la
tendresse de Xuě Fēng. Il aimait se blottir dans ses bras et être
embrassé.
Ce
n'était pas allé plus loin pour le moment.
Tomoki ne se sentait pas prêt à pareille chose et il
pensait même que cela n'était pas nécessaire.
L'idée de faire l'amour avec quelqu'un lui faisait peur,
car à son âge il ne l'avait jamais fait et il ignorait
d'ailleurs comment faire. Surtout avec un homme.
Profitant du fait que Xuě Fēng n'avait aucunement manifesté
un désir de ce genre envers lui, le garçon avait gardé
cette question sous silence. Un amour platonique lui suffisait. Dans
le fond c'était ce dont il avait même toujours rêvé.
Les autres auraient certainement trouvé ça bête
mais il pensait que le sexe détruisait à chaque fois
l'amour. Ses amis couchaient avec de nombreuses filles sans jamais
rien construire de durable. Ils se vantaient de leur conquête
pour cacher le propre vide de leurs relations sentimentales. Et lui
ne voulait pas d'une histoire sans lendemain, sitôt terminée
une fois atterri dans un lit.
Une telle chose lui aurait brisé le cœur et ses tendances
suicidaires n'avaient pas besoin de ça.
Parfois,
son esprit mesquin lui disait Ô combien son attitude était
ridicule : « tu n'es pas dans un conte de fée,
tout homme normal rêve de posséder la personne qui
l'attire. » Il préférait balayer pareilles
pensées, en se convaincant qu'il n'avait jamais aspiré
à cela. Ce à quoi son esprit répondait
inévitablement : « en vérité, tu
préfères fuir tes peurs plutôt que de les
affronter. »
Un bruit
dans l'appartement réveilla Tomoki mais il n'avait guère
le courage de se lever. Les yeux à demi-fermés, il se
contenta de regarder fixement le plafond, une main sur le front.
Il
faisait jour.
Il
faisait déjà chaud.
Son
T-shirt était humide de sueur. Il s'était endormi
tout habillé, les précédentes nuits n'ayant
guère étaient reposantes.
Mais il
ne trouvait vraiment pas la force de se lever pour prendre une douche
glacée.
Le
cauchemar le démoralisait. Il voulait prendre son temps pour
l'effacer et afficher un autre visage que celui d'un dépressif
en stade terminal. Cela aurait inquiété Xuě Fēng et
amené des questions embarrassantes et inutiles.
Lorsqu'il
se sentit enfin prêt, Tomoki se leva. Passant à côté
de la cuisine à la porte ouverte, il vit son petit ami
installé. Il prenait son déjeuner tout en lisant un
journal. Toutefois, cela ne l'empêcha pas de remarquer sa
présence d'une façon ou d'une autre et de relever
la tête pour lui sourire. Tomoki le lui rendit, avec un bref
« bonjour », puis gagna la salle de bain.
L'eau
froide lui fit le plus grand bien et il passa plus de temps que
escompté sous la douche. Une fois vêtu de vêtement
propre et les autres mis à laver, Tomoki ressortit et retourna
dans la cuisine. Il ne trouva qu'un message de Xuě Fēng, disant
qu'il était sorti les ravitailler en rations de survie. Cela
fit sourire le garçon, qui chercha ensuite de quoi se faire un
petit déjeuner digne de ce nom.
Lorsqu'il
entendit du bruit à la porte d'entrée, il ne
s'inquiéta pas outre mesure même s'il s'étonna.
Après s'être débattu durant quelques secondes
pour ouvrir un pot de nouille instantané, il sortit de la
cuisine.
« -
Tu es déjà rentré ? »
commença-t-il avant de rapidement s'interrompre en voyant un
homme inconnu, debout devant la porte menant au hall. Il avait les
cheveux noirs mais courts et le visage de quelqu'un qui n'a
aucune hésitation à tuer femmes et enfants.
La bouche
de Tomoki se dessécha. Il n'y avait pas besoin de réfléchir
bien longtemps pour savoir que ce type n'était pas là
pour lui vendre une assurance. Le jeune homme recula, l'intrus se
précipita alors dans sa direction.
Il
l'attrapa violemment par le bras et Tomoki se débattit pour
se libérer à coups de poings et de pieds. Son
adversaire était malheureusement trop fort. Il fut violemment
repoussé et tomba dos à terre. Le choc fut douloureux.
Avant d'avoir pu esquisser un seul geste pour se relever, le canon
d'un pistolet s'écrasa sous son menton.
L'homme avait prit place au dessus de lui, assis sur ses jambes. Sa
main libre le saisit par le col de son T-shirt pour l'obliger à
redresser le haut du corps et le canon froid ne cessa de se presser
contre sa peau tout le long de l'opération.
« - Où est Imaya ? » demanda-t-il
d'un ton brusque et sec.
Tomoki commença par secouer la tête, puis répondit
d'une voix étranglée :
« - Je ne sais pas. »
Un sourire cruel étira les lèvres du tueur. Le japonais
comprit qu'il aurait encore mieux valu prétendre le
contraire, même si c'était faux.
« - Très bien. Alors espérons que la mort de
son bâtard de fils le poussera à se montrer… »
Le canon vint cette fois-ci s'appuyer sur son front. Tomoki sentit
les larmes couler le long de ses joues. Il ne pouvait rien faire.
Strictement rien faire. A part attendre le moment où l'homme
appuierait sur la gâchette et lui exploserait le crâne.
« - Je ne crois pas que cela soit une bonne idée. »
C'était la voix de Xuě Fēng mais Tomoki ne s'en rendit
pas immédiatement, tant elle était froide et hostile,
tant lui était paniqué et incapable de réagir.
Le tueur se retourna. La surprise s'était lu dans son regard
jusqu'alors implacable.
« - Vous ? »
Il n'eut guère l'occasion d'aller plus loin. Il n'eut
même plus jamais l'occasion de parler.
Une balle
lui traversa le crâne, aspergeant au passage le visage de
Tomoki quand elle ressortit de l'autre côté.
Xuě Fēng
baissa son pistolet muni d'un silencieux. Son regard ne reflétait
rien d'autre qu'une farouche détermination. Une pensée
effleura Tomoki : on aurait dit que tuer ne lui posait pas
problème, que cela était une habitude.
Le garçon
baissa les yeux sur la flaque de sang qui se répandait sur le
sol. Le tapis blanc qui se trouvait non loin commença à
absorber le liquide rouge comme une éponge.
Il porta
ensuite une main tremblante à son visage. Il était
humide et il fixa le bout de ses doigts tâchés.
C'était
comme dans son rêve. Quand le sang l'éclaboussait.
C'était
comme dans ses souvenirs.
Il
entendit distinctement Xuě Fēng lui parler tout en le prenant par
les épaules. Il le comprenait mais ne parvenait à lui
répondre. Il ne pouvait cesser de regarder ses doigts.
« -
Il est mort, » murmura-t-il tout bas alors que ce rouge le
fascinait tout en le plongeant à la fois dans le plus grand
effroi.
« -
C'était lui ou toi, » répondit le chinois
tout en lui essuyant le visage avec un tissu mouillé.
Peut-être pensait-il que Tomoki lui adressait un reproche mais
ce n'était pas ça.
« -
Il y avait du sang aussi quand elle est morte, »
poursuivit Tomoki d'une voix atone.
« -
Qui ça ?
« -
Maman. »
Un
silence suivit, puis Tomoki se sentit soulever. Il se laissa faire et
vint se blottir contre le torse de son sauveur alors qu'il le
portait jusqu'à la chambre. Xuě Fēng le déposa
ensuite assis sur le lit et s'agenouilla face à lui. Il
poussa un soupir et lui prit les mains.
« -
Tomoki, est-ce que tu me comprends ? » fit le
chinois, comme s'il craignait que l'état de choc du garçon
soit plus grave qu'il n'y paraissait. « Je vais
appeler quelqu'un pour qu'il nous débarrasse du corps. En
attendant, je veux que tu restes ici et que tu te reposes. Je t'ai
dit que je te protégerai, n'ai pas peur. Tomoki, regarde
moi… » Il attrapa le visage du garçon et le
ramena dans sa direction. « Tu as bien compris ? »
Lorsque
Tomoki eut acquiescer, il le relâcha enfin et se releva. Un
dernier regard et il quitta la pièce.
Le jeune
homme se glissa alors sous les draps et y resta recroquevillé,
la tête posée sur l'oreiller.
Ne
parvenant à fermer les yeux, il se concentra sur les bruits.
Ceux de la circulation dans la rue, avec les klaxons et les moteurs
qui ronflaient, ceux qui régnaient dans l'appartement. Il
entendit ainsi Xuě Fēng parler au téléphone. Puis la
porte d'entrer s'ouvrir de longue minute plus tard et une
discussion interminable prendre forme. Il ne chercha pas à
comprendre ce qui se disait, il écoutait simplement les sons
que les deux hommes produisaient. Au moins, cela lui permettait de ne
pas réfléchir, de ne pas penser au sang, à cet
homme qui avait essayé de le tuer… A sa mère dont la
mort hantait son sommeil perpétuellement ces derniers jours.
Il
sursauta quand Xuě Fēng entra dans la chambre.
Assis sur
le lit, Tomoki lui lança tout d'abord un regard effrayé
puis sembla le reconnaître. Le soulagement se lut alors sur son
visage.
« -
Je suis… Je suis désolée, » balbutia-t-il
en baissant les yeux. « Tout ça, c'est de ma
faute… »
Le
chinois secoua négativement la tête. Ses longs cheveux
suivirent le mouvement et une mèche dégringola le long
de son visage. Il s'approcha du lit et s'assit au bord de
celui-ci. Tendant la main, il la posa sur la tête de Tomoki et
l'attira ensuite contre lui, caressant sa chevelure décolorée.
« -
Ce serait arrivé ici ou ailleurs. Mieux valait que cela soit
ici, tu ne crois pas ? » s'enquit Xuě Fēng.
Tomoki ne
put s'empêcher de frissonner au souvenir de ce qui était
arrivé au tueur. Il n'éprouvait pas de pitié,
simplement une peur incontrôlable à l'idée
qu'il aurait pu mourir à sa place.
« -
Où… ? Où as-tu appris ça… ? »
hésita le jeune homme.
« -
Tu veux parler de… Cela fait parti de mon travail aussi de protéger
les gens, » déclara Xuě Fēng. « Est-ce
que je te fais peur ?
« -
Non… Bien sûr que non. Mais j'ai cru… Vraiment cru que… »
Tomoki ne
termina pas sa phrase. D'abord parce qu'il ne trouvait pas ses
mots, ensuite parce que, mu par une soudaine impulsion, il avait
embrassé Xuě Fēng. C'était la première fois
qu'il prenait ainsi les devants. Il avait besoin de sentir les
lèvres de l'homme sur les siennes pour se rassurer. Il avait
besoin de sentir sa chaleur pour oublier. Il avait besoin de…
Peut-être de plus.
Lentement,
le japonais noua ses bras autour du cou de son petit ami et se pressa
un peu plus contre lui. Les mains de Xuě Fēng se posèrent
sur son dos. Elles glissèrent le long de celui-ci, remontant
jusqu'au cou et descendant ensuite au niveau des reins. Il sentit
les doigts se glisser sous son T-shirt pour caresser sa peau mais il
ne protesta pas. Ce contact avait quelque chose d'électrisant.
Il lui permettait d'oublier, un peu. Il le réconfortait. Il
lui offrait cette délicieuse chaleur qu'il avait déjà
expérimentée, celle qui libérait son esprit de
toute angoisse.
Il avait
besoin de plus. Plus qu'un baiser.
Il
voulait plus.
Quelque
chose que seul Xuě Fēng pouvait lui offrir…
