Commentaire :
Bon, voilà l'avant dernier chapitre. Il fut trèèèès
long à écrire. Et d'ailleurs il est plus long que les
autres. J'avais à chaque fois une nouvelle chose à
raconter. Par moment je me demande si j'aurai pas du diviser en
deux mais je ne vois pas où couper. A la relecture, je trouve
les liens entre certains passages un peu bancal, je ne suis pas tout
à fait satisfaite. Peut-être qu'une fois terminé
cette histoire, je corrigerais tout ça.
J'ai passé un peu de
temps sur la discussion avec Noriko, car elle est censée jouer
un rôle important dans le dernier chapitre. On apprend aussi le
soit-disant nom de famille de Xue.
Comparé à mon
scénario de base, j'ai coupé la fin plus tôt
que ce que j'avais imaginé. Je suis un peu (beaucoup) déçue
du rendu de la scène du coup, mais je n'avais pas envie de
caser la suite dans ce chapitre. Vous aurez celle-ci dans le chapitre
suivant. J'espère que l'histoire continuera de plaire à
ceux qui avaient aimé, malgré la tournure des
évènements.
Tomoki se
concentra, prenant un air des plus sérieux. Il mira au mieux
la cible en carton et appuya sur la détente. Le bruit lui
vrilla les oreilles et le recul de l'arme lui fit faire un pas en
arrière. Ce n'était pas la première fois qu'il
tirait et il commençait à avoir mal à garder les
deux bras tendus.
« -
Encore raté, » constata Xuě Fēng en jetant un
regard en direction de la cible toujours intacte. « Essaye
de t'impliquer un peu plus.
« -
Je suis impliqué ! » hurla presque Tomoki en
ayant une fichue envie de jeter l'arme à terre et de sauter
dessus à pieds joints.
Xuě Fēng
s'approcha de lui, s'empara du Beretta et le vida de son chargeur
pour en mettre un nouveau. Ce n'était pas le premier qui se
retrouvait à gésir sur le sol de la salle de tir. Puis
il écarta Tomoki pour se placer à sa place. Il tendit
le bras et appuya au moins une dizaine de fois sur la gâchette.
Chaque coup causait un nouveau trou dans la tête de la pauvre
cible. Chaque coup était une nouvelle fissure dans le peu de
fierté de Tomoki.
Il était mauvais, en tout.
« -
Ca n'a pourtant rien de bien compliqué, » fit
remarquer le chinois en relevant le pistolet pour l'appuyer contre
son épaule.
« -
Oui… Bien sûr, pour quelqu'un comme toi, »
ironisa Tomoki tout en faisant mine de s'en aller. « Ca
fait deux jours qu'on essaye et ce n'est clairement pas mon truc.
On peut passer à autre chose maintenant ou tu souhaites encore
me montrer la supériorité que tu as sur moi dans cet
art ? J'en ai marre ! »
Sans même
vérifier si Xuě Fēng le suivait ou pas, il quitta la salle
et passa devant le comptoir sans un regard pour l'hôtesse
d'accueil aussi souriante qu'une de ces top modèles sans
cervelle. Il s'apprêta à sortir quand la main de Xuě
Fēng vint se poser sur son épaule et l'obligea à se
retourner.
« -
Laissons donc tomber les séances de tir, si cela te rend
d'humeur si mauvaise, » annonça-t-il, visiblement
en recherche d'un compromis. « Mais j'aimerai que tu
acceptes de porter une arme avec toi, pour ta sécurité. »
Tomoki
roula des yeux. A cet instant précis, c'était tout
sauf sa préoccupation première.
Il n'en
voulait pas à Xuě Fēng de vouloir lui apprendre à se
défendre. Il lui en voulait de lui montrer, tout comme sa
famille, à quel point il ne savait rien faire. Si seulement
apprendre à tirer avait pu faire émerger chez le garçon
quelques compétences… Mais même pas. Il n'était
vraiment bon à rien. Il doutait même d'être un
partenaire si agréable que ça au lit. Une pareille idée
l'aurait habituellement fait rougir mais il était bien trop
à cran pour se sentir gêné de celle-ci.
« -
Comme tu voudras, » concéda-t-il finalement. « Mais
trouve moi quelque chose de plus léger que ton machin. Je vais
finir par avoir des crampes au bras.
« -
Un glock devrait t'aller parfaitement. »
Tomoki
n'avait aucune idée de ce que pouvait bien être un
glock. Peut-être que si cela avait été une chose
comestible c'en serait-il intéressé. Pour le moment,
son ventre lui signalait le vide désespérant qui s'y
trouvait et l'urgent désir de le remplir.
« -
Allons donc manger quelque part avant de rentrer, »
proposa Xuě Fēng, comme s'il lisait dans ses pensées. A
moins que lui aussi ait terriblement faim.
Le jeune
homme suivit sans dire un mot et grimpa ensuite dans la voiture de
sport. Il croisa tout d'abord les bras, un peu tendu, puis se
relâcha quand le véhicule se mit à avancer plus
lentement en raison de la circulation.
« -
J'ai toujours aimé la cuisine française, »
murmura-t-il soudainement.
Un
sourire se dessina sur les lèvres de Xuě Fēng. Il avait
visiblement saisi qu'il s'agissait d'une chance offerte pour
mettre de bonne humeur son petit ami et lui faire oublier cet
entraînement inefficace.
« -
Je suppose qu'on l'a bien mérité. Ne t'inquiète
pas pour « ça », on ne peut pas être
bon du premier coup.
« -
Alors pourquoi es-tu si dur avec moi ? » demanda
Tomoki avec étonnement. C'était vrai, si Xuě Fēng
lui-même savait qu'apprendre à tirer était
difficile, pourquoi se montrait-il aussi exigeant et le rabaissait-il
presque ?
« -
Parce qu'on ne motive pas toujours les gens avec des sucreries. Ca
peut parfois leur donner trop confiance en eux-même et c'est
ainsi qu'ils font des erreurs. »
Etrange
logique. Tomoki préférait bien plus les sucreries que
les coups de bâtons. Surtout de la part d'une personne qu'il
aimait.
« -
Lorsque tu te comportes ainsi, j'ai l'impression d'entendre la
famille de mon père. Ils n'ont jamais reconnu un seul de mes
mérites. Un jour, j'étais en train de dessiner dans
le salon et mon grand père est arrivé. Il m'a dit que
j'avais certainement mieux à faire, comme mes devoirs, et
que c'était de toute manière inutile car je n'avais
aucun talent, contrairement à l'un de mes cousins, qui lui
était un artiste dont le travail commençait à
être reconnu. »
Tomoki
poussa un soupir et ferma à demi les yeux tout en regardant la
route.
« -
Je n'ai plus osé dessiner après ça. Ce qu'il
m'avait dit me revenait sans cesse à l'esprit et j'avais
honte de mon propre travail. J'en ai honte.
« -
Que sont devenus tes dessins alors ?
« -
Je les ai brûlé. »
Lorsque
Tomoki s'éveilla le lendemain matin, il ne trouva pas Xuě
Fēng dans l'appartement, ce qui au départ l'inquiéta
énormément. Il ne se rappelait que trop la fois où
celui-ci était sorti et où le tueur en avait profité
pour se glisser chez lui. Et pour la première fois, Tomoki
trouva la perspective d'une arme à feu à proximité
très rassurante. Il prit alors le glock que lui avait trouvé
Xuě Fēng le soir précédent. C'était à
croire qu'il avait une vraie armurerie et il se demandait ce qu'il
pouvait encore cacher dans ses tiroirs magiques.
Le glock
était un pistolet vraiment léger comparé au
Beretta. Seules quelques pièces étaient en métal,
tel le canon de l'arme. Le reste était dans une étrange
matière qui lui rappelait du plastique noir, en beaucoup plus
solide.
Tomoki
prit donc son petit déjeuner avec son nouvel ami à côté
de lui, posé sur la table, puis se lava avec celui-ci
surveillant sur une pile de vêtements, puis s'habilla alors
qu'il était jeté sur le lit. Lorsqu'il se rendit au
salon et s'installa dans le canapé, il le déposa sur
la table basse et fit mine de prendre la télécommande
de la télé.
Ce fut
grâce à cela qu'il remarqua alors un élément
inhabituel dans le décor. Sur cette même table basse, on
avait déposé bien en évidence un paquet de
feuille blanche, un crayon et une boite de pastel. Il n'était
pas difficile de deviner qui était ce « on ».
Tomoki
s'étonna tout d'abord, car il ne voyait vraiment pas Xuě
Fēng dessiner. De plus, les feuilles étaient entièrement
vierges, les crayons tout à fait neufs. Ce fut alors qu'il
se rappela de leur conversation de la journée précédente
et il se demanda… Il se demanda si la disposition en évidence
de ces divers éléments n'était pas une
tentation.
« -
Je ne pourrai jamais, cela fait trop longtemps, » se
murmura-t-il à lui-même.
Il
regarda le matériel de dessin comme s'il s'agissait de la
pomme que'Eve avait innocemment tendue à Adam.
« -
Et puis, je ne suis pas doué, de toute manière. »
Il avait
brûlé ses dessins. Il s'en souvenait comme si c'était
hier. Il avait pleuré de l'humiliation, il avait pris un
briquet, il était sorti dans le jardin et il avait brûlé
les feuilles une à une. Il l'avait regretté ensuite
et il avait encore pleuré. Puis il avait tenté de
redessiner mais sa main avait été comme paralysée
chaque fois qu'il tentait de faire un trait sur une feuille. A quoi
bon, il était mauvais. Son grand père était
peut-être un vieil homme aigri et méchant mais il avait
raison. Tomoki l'avait toujours su au fond de lui, avant qu'il ne
le dise, il était mauvais et c'était tout.
Et
pourtant, Tomoki finit par tendre la main pour prendre le matériel.
Peut-être cela ferait-il plaisir à Xuě Fēng de la voir
dessiner ? Il ne voulait pas décevoir son amant.
Il se leva du canapé pour rejoindre la cuisine et s'installa
à la grande table de style occidental. Posant l'une des
feuilles à plat, il la considéra durant de très
longues minutes, les mains sur les genoux. Il ne savait par quoi
commencer. Il y avait bien des images qui lui venaient à
l'esprit mais il ne se sentait pas la force de les créer. Il
n'en était pas capable. C'était trop compliqué.
Il en était convaincu.
Il se décida enfin à prendre le crayon, d'une main un
peu tremblante et qui n'était guère assurée.
Une image plus simple s'était imposée dans ses
pensées. Il n'était pas certain de pouvoir la
reproduire telle qu'il l'imaginait mais il avait envie d'essayer.
Quand Xuě Fēng revint aux environs de midi, Tomoki n'avait guère
vu le temps passé. Il avait bien trop été
préoccupé à crayonner et le sol de la cuisine
était jonché de papiers chiffonnés par un
artiste trop dur envers lui-même.
« - Je vois que tu as trouvé mon cadeau. »
Tomoki releva la tête, le crayon dans la bouche. Il ne pouvait
s'empêcher de le mordiller nerveusement alors qu'il en
était à examiner chaque défaut de sa nouvelle
tentative. C'était la phase qui précédait
toujours le chiffonnage furieux du papier.
Xuě Fēng se pencha et ramassa l'un d'entre eux, ce qui causa
une exclamation de réprobation chez le garçon.
« - Xuě ! Ne regarde pas. Ce n'est pas réussi, »
protesta-t-il en se levant de la chaise.
« - Qui est cette femme ? » se contenta de
demander Xuě Fēng qui avait déplié le papier. Il en
avait déjà pris un second pour voir le même
visage, à peu de chose près. « C'est le
moment où je dois me montrer jaloux, je crois… »
Au ton qu'il avait pris, il était clair qu'il plaisantait
mais Tomoki se sentit pourtant embarrassé et détourna
le regard.
« - Ne dis pas de bêtises. C'est vrai que je ne
l'ai que dessiné mais… C'est ma mère… Enfin je
crois.
« - Tu crois ?
« - C'est que je ne me souviens plus vraiment de son
visage. »
Et il n'avait aucune photo pour s'en rappeler.
Tomoki se baissa finalement pour ramasser les dessins et les déplier,
essayant de les lisser de la main pour ensuite les empiler. Xuě Fēng
l'aida dans sa tâche, puis passa les bras autour des épaules
du jeune homme pour l'attirer dos contre son torse.
« - Je me demande… » commença Tomoki
avec hésitation. « Quand mon père aura enfin
témoigné, est-ce qu'il n'y aura plus aucun danger ?
« - Il y aura toujours un danger mais il sera moins
présent.
« - Alors, ça veut dire aussi que je devrais
rentrer avec lui au Japon… » supposa-t-il non sans
tristesse. « Mais je n'ai pas spécialement envie
de retourner là bas. J'aimerai…
« - Rester ici ? »
Tomoki se libéra des bras de l'homme pour lui faire face. Il
serra nerveusement ses mains l'une contre l'autre pour
continuer :
« - Je sais que je n'ai pas terminé mes études
et qu'on ne se connaît pas depuis si longtemps et qu'aux
yeux de la loi japonaise je suis encore mineur… Mais je crois que
j'aimerai, oui. »
Xuě Fēng porta sa main sur la joue du garçon, la caressant
avec tendresse. Tomoki crut lire sur le visage de son amant une
expression étrange. Comme de la tristesse ou du regret. Mais
cette impression fugace disparut pour laisser place à un
sourire.
« - Je ne vois pas de raisons de m'y opposer. Mais ton
père risque de ne pas apprécier la nature de ta
fiancée, » fit-il remarquer non sans moquerie.
Qu'il apprécie ou pas, Tomoki s'en fichait bien. Il ne
voulait pas retourner au Japon, il ne voulait pas revoir sa pseudo
famille, il ne voulait pas à nouveau sortir avec des amis qui
ignoraient tout de lui. Il ignorait combien de temps les choses
pourraient durer avec Xuě Fēng. Il espérait, secrètement,
que cela fut pour toujours. Cet homme lui apportait tout ce qu'il
avait toujours désiré : de l'amour, de la
compréhension, une protection.
« - Je dois aller travailler. »
Tomoki tenta d'émerger de ses songes, peinant à
analyser ce que venait de lui dire Xuě Fēng. Tout ce qu'il
parvint à saisir en ouvrant les yeux, c'étaient les
chiffres lumineux du cadran.
« - Il est 6h du matin, » grogna-t-il en se
cachant sous les draps, essayant d'échapper aux lèvres
de son amant qui avait effleuré sa joue. « Ce n'est
pas l'heure pour ça.
« - En effet, je dois aller travailler, »
répéta patiemment Xuě Fēng, non sans laisser échapper
un rire. « Les congés sont terminés mais, si
ça t'emballe tant, je m'occuperai de toi ce soir. »
Tomoki glissa sa tête sous les draps pour une bonne raison. Ses
joues s'étaient embrasées d'un seul coup. Il
imaginait des choses beaucoup trop… Enfin ça donnait chaud…
Il essaya de changer de sujet de conversation, bien qu'il se
doutait que son petit ami ne devait pas avoir le temps pour
discuter :
« - A force, je pensais que tu n'allais jamais
travailler et qu'on te payait à rester chez toi, »
s'étonna-t-il tout en se demandant si sa remarque n'était
pas mal placée.
« - Ce serait agréable mais, malheureusement, ce
n'est pas le cas. Je serai de retour ce soir. Appelles moi si tu as
un problème. »
Même si cela n'aurait guère été sérieux,
Tomoki avait envie de l'appeler même s'il n'y avait aucun
problème. Lorsque la porte d'entrée claqua, il se
rendit compte qu'il allait passer sa première journée
seul dans l'appartement. Ce fut une sensation étrange,
teintée d'angoisse. Il n'allait certainement pas sortir
seul, alors il se cloîtrerait dans le salon et regarderait la
télé.
Si seulement il avait su cuisiner, il aurait pu préparer un
bon repas pour quand Xuě Fēng serait de retour. C'était un
peu agir comme une femme au foyer toute dévouée à
son mari et il s'en sentait un peu confus. L'idée lui
plaisait pourtant. Malheureusement, il ne savait pas faire grand
chose de ses dix doigts. Il avait bien un peu d'argent mais cela
nécessitait de sortir, dehors, pour trouver un plat tout fait
qui ne soit pas mauvais au goût. Hors, il se refusait à
mettre un seul orteil à l'extérieur sans la présence
de Xuě Fēng.
Quand Tomoki entendit la sonnette, aux environs de midi, il fut
quelque peu surpris. Jusqu'à présent, personne
n'était jamais venu à l'appartement, si on
exceptait le tueur à gage. Xuě Fēng ne semblait pas avoir
d'amis à inviter chez lui. Et voilà que, le jour même
où son petit ami reprenait le travail, quelqu'un avait la
subite envie de venir lui rendre visite.
Dans un élan de panique, le garçon alla récupérer
le glock que lui avait offert Xuě Fēng et s'approcha de la porte
d'entrée.
« - Oui, qui est là ? »
demanda-t-il en essayant de ne pas laisser sa voix trembler.
« - Monsieur Tián a commandé un repas. »
Monsieur Tián ? Tián ? Tomoki songea tout
d'abord que le pauvre livreur s'était trompé
d'adresse, puis il se rappela une courte conservation où Xuě
Fēng lui avait dit que son nom de famille était Tián.
Sans doute avait-il songé qu'il n'allait pas le laisser
mourir de faim ce midi et avait-il commandé en secret un repas
tout fait. Tomoki priait pour une pizza. Il avait une soudaine envie
de pizza.
Tomoki ouvrit la porte et se retrouva aussitôt avec un tissu
collé contre le visage. Une odeur chimique s'en dégageait.
Il chercha à se débattre mais se sentit de plus en plus
vidé de toute énergie. Il était trop tard pour
chercher à retenir sa respiration et il se laissa glisser dans
les ténèbres.
Lorsqu'il revint à lui, des pensées chaotiques se
bousculèrent dans sa tête. Sa mémoire s'était
fragmentée, il peinait à se rappeler ce qui était
arrivé. Quand tout se fit plus net, il regretta de ne plus
être plongé dans le brouillard et d'ignorer ce qui
s'était passé. Le brouillard était rassurant,
au moins il pouvait imaginer et espérer. Là, il savait
pertinemment qu'il était mal barré, quels que furent
ses espoirs.
Tomoki prit le temps d'observer la pièce où il se
trouvait. Dans sa situation, il ne pouvait pas faire grand chose
d'autre. Il avait les pieds et les poings liés, en plus
d'être bâillonné. On s'était non
seulement assuré qu'il ne puisse pas s'enfuir, mais qu'il
ne puisse pas non plus appeler à l'aide. Il n'était
pas allongé par terre mais assis, adossé à l'un
des murs.
La pièce où il était enfermé – il
supposait que la seule et unique porte était fermée à
clef – ressemblait à une sorte de débarras. Une
petite lucarne en haut de l'un des murs laissait passer la lumière
timide du crépuscule. Il faisait extrêmement chaud et
étouffant. Une odeur de produits ménagers régnait,
il y avait plusieurs seaux de différentes tailles, des balais
et des serpillières, ainsi que tous les autres instruments de
torture de la parfaite ménagère.
Toutefois, comme il doutait d'avoir affaire à une vieille
femme de ménage psychopathe, il jugea que ces éléments
n'étaient aucunement un indice sur l'identité de
ses ravisseurs.
Mais avait-il vraiment besoin d'un indice ? N'était
ce pas évident, au vu de tout ce qu'il savait de la
situation de son père ?
Au moins, il y avait une certaine amélioration. La petite voix
intérieure Raisonnable essayait en tout cas de l'en
persuader. C'était vrai : ils avaient d'abord envoyé
un tueur qui s'était fait tuer. Maintenant ils se
contentaient de le kidnapper. Après tout, ils auraient pu
faire l'inverse. Le kidnapper et ensuite lui envoyer un tueur.
Malheureusement, l'autre petite voix intérieure prénommée
Sainte Panique voulu ajouter un bémol à cet exposé :
« Et peut-être qu'ils vont te laisser partir
aussi, avec un mot d'excuse, quand ils t'auront à nouveau
questionné sur l'endroit où se trouve ton père, »
s'exclama-t-elle de sa petite voix nasillarde.
« Ne soit pas aussi négatif, » rétorqua
sa consœur d'un ton blasé. « Xuě Fēng viendra
te sauver, comme toujours.
« Xuě ne sait même pas où je suis et ne dois
même pas encore savoir que j'ai été kidnappé,
si ça tombe, » pleurnicha Sainte Panique en se
recroquevillant dans un coin de l'esprit de Tomoki. Raisonnable
poussa un soupir désespéré et alla bouder dans
un autre coin. De toute façon, personne ne l'écoutait
dans cet esprit suicidaire.
L'échange en resta là pour le moment et Tomoki prit
le relais pour se lamenter sur son sort dans un long monologue
intérieur.
Quand la
nuit tomba, le garçon se sentit d'autant plus oppressé.
La pièce était plongée dans l'obscurité
la plus totale. Il commençait à attraper des crampes.
Il ne pouvait bouger et ses mains étaient ramenées dans
son dos, en une position peu naturelle. Sa bouche était sèche
et le tissu qui l'empêchait de parler lui cisaillait les
commissures des lèvres.
Il avait
faim et son ventre se faisait douloureux mais ce n'était pas
pire que la soif qu'il ressentait en cet instant. Sa gorge était
comme pleine de poussière. Il voulait tousser mais ne pouvait
pas. Ses lèvres lui brûlaient. Et il avait chaud.
Tellement chaud qu'il n'arrivait pas à se concentrer. Ses
pensées flottaient dans son esprit comme des bulles de savon
sur l'eau. Dès qu'il essayait d'en pointer une du doigt
et la toucher, elle explosait. Il essayait alors de s'intéresser
à une autre et la même chose se reproduisait. Son esprit
était plein de réflexions étranges mais il ne
parvenait pas à s'attacher à une seule d'entre
elles.
La
lumière jaillit d'une ampoule électrique pendue au
plafond par un simple fil. Elle oscilla légèrement,
projetant des ombres mouvantes dans le débarras. Des monstres
noirs rampant sur le sol et les murs, se cachant derrière des
objets pour mieux réapparaître ensuite.
Tomoki
ferma à demi les yeux, le temps de s'habituer à cette
nouvelle luminosité.
Il
n'avait pas entendu la porte s'ouvrir quelques instants plus tôt,
ni vu l'homme qui avait appuyé sur l'interrupteur.
Le
bâillon fut dénoué mais Tomoki n'avait pas la
force d'en profiter pour crier. Il passa la langue sur ses lèvres
desséchés et conserva son attitude amorphe tout en
posant un regard vitreux sur son visiteur.
Un de ses
ravisseurs, certainement. Un homme on ne peut plus commun, avec des
cheveux noirs coupés courts et des yeux marrons. Un homme
insignifiant… Juste une apparence. Ce fut tout ce que parvint à
se dire le garçon en cet instant.
« -
Tu as soif ? » questionna l'homme.
Sa voix faisait le même effet à Tomoki que du papier de
verre frotté contre sa peau. Désagréable au
possible. Le japonais tenta de reprendre un peu de poil de la bête
et parvint à acquiescer.
Tomoki sentit le goulot d'une bouteille venir buter sur ses lèvres
et inclina la tête en arrière pour boire. Il savait que
la gentillesse de l'homme était feinte et qu'il s'agissait
surtout de l'amadouer. Sans aucun doute dans l'espoir de lui
soutirer des informations qu'il n'avait pas.
L'eau avait un goût étrange, désagréable,
un peu métallique. Elle était tiède, presque
chaude. Mais Tomoki buvait malgré tout, non sans une certaine
maladresse puisqu'il en faisait couler à côté.
Il ne pouvait pas se montrer difficile et réclamer quelque
chose de meilleur. Et puis, il avait bien trop soif.
La chute du liquide dans son estomac raviva le trop grand vide qui
s'y trouvait et sa faim.
Lorsque la bouteille lui fut retirée brusquement, trop
rapidement à son goût, il poussa un murmure contrarié.
Toutefois, il décida de ne pas se plaindre plus. L'eau avait
déjà eu le mérite de lui rendre les idées
un peu plus claire.
« - Que me voulez-vous ? » demanda le
garçon. Surpris par le propre son de sa voix, il se racla la
gorge. Elle lui paraissait tellement faible et éraillée.
« C'est encore à propos de mon père, c'est
ça ? »
L'homme s'était relevé entre temps. La bouteille
d'eau était restée posée par terre.
« - Où est-il ? »
Tomoki s'apprêta à répondre qu'il ne savait
pas, puis se rappela de ce qui s'était passé avec le
tueur. Il avait voulu l'assassiner parce qu'il avait donné
cette réponse.
« - Si je vous le dis, vous allez le tuer ensuite, »
murmura Tomoki en essayant de gagner un peu de temps.
Au sourire qui se dessinait sur les lèvres de son
interlocuteur, il devina qu'il avait vu juste. D'un autre côté,
n'était ce pas une évidence ? Si c'était
seulement pour boire un thé et discuter affaire, on ne
prendrait pas la peine de le kidnapper ou d'essayer de
l'assassiner.
« - Pourquoi voulez-vous le tuer ? Vous pourriez lui
demander de ne pas témoigner, » ajouta-t-il d'une
voix légèrement tremblante. Il ne posait pas seulement
ces questions pour gagner du temps. Pourquoi cherchait-il à en
savoir plus ? Xuě Fēng lui avait déjà expliqué
en quoi consistait l'affaire et il était sans doute
dangereux de questionner ainsi son ravisseur. Il n'était pas
vraiment en position de force pour un pareil interrogatoire.
« - La police est décidée à nous
coincer, elle fera tout pour qu'il témoigne quelles que
soient les menaces ou les pots de vin. S'il meurt, une partie des
charges s'effondreront. Notre société, si elle est
condamnée, aura une sentence moins lourde pour ses petits
soucis de finance. Alors que si elle est démantelée
parce qu'il est prouvé que l'argent venait bien de la
vente de drogue, nous perdrons beaucoup et la police ne nous lâchera
plus, dans l'espoir de nous détruire.
« - Mais pourquoi la société de mon père
a-t-elle été mêlée à tout ça ?
Mon père n'était pas au courant, n'est ce pas ? »
L'homme se mit à rire et Tomoki se sentit mal à
l'aise. Enfin plus qu'il ne l'était déjà,
si cela était possible. Son ventre commençait à
lui faire mal. L'angoisse lui tordait les tripes.
« - N'est ce pas ? » répéta-t-il
avec une pointe de doute et de désespoir dans la voix.
« - Tu es vraiment stupide et naïf, alors ?
Lorsque l'on veut écouler une certaine somme d'argent
d'origine douteuse, on finance des projets ou on donne à des
œuvres de charité, ou on le réinjecte dans des
entreprises. Il arrive parfois qu'un employé trop
consciencieux découvre des malversations et il rapporte ses
découvertes à la police avant que l'on puisse lui
remettre les idées en place. Parfois, nos partenaires ne sont
pas au courant de l'origine de cet argent… Mais dans le cas de
ton père… On m'avait dit que tu étais tenu à
l'écart de la famille Imaya mais j'aurai au moins pensé
que tu savais quelles étaient leurs activités… »
Tomoki écarquilla les yeux. La famille de son père…
Des activités illégales ? Et son père était
au courant ? Sa famille aidait volontairement la mafia ?
Ils avaient bien tué sa mère, après tout…
Mais, à ce point… ? Cela lui paraissait irréaliste
et impossible. C'était certainement un mensonge, pour le
déstabiliser.
« - Pourquoi penses-tu que ce… Comment s'appelle-t-il
déjà ? Ah oui… Xuě Fēng. Pourquoi penses-tu
qu'il essaye de te protéger ? Parce qu'il t'aime
bien ? Peut-être. Mais surtout pour s'attirer les bonnes
grâces de ton père. Peut-être même de ta
famille car s'il empêche quiconque de se servir de toi, ton
père pourra témoigner et n'ira pas en prison. Ce qui
arrange leurs affaires. »
Tomoki baissa la tête, entaillant sa lèvre des dents.
Non,
c'était faux ! Jamais Xuě Fēng n'aurait fait une
chose pareille ! Il ne lui aurait pas menti. Il n'aurait pas
pu faire ça. C'était Tomoki qui avait cherché
à le revoir. C'était lui qui avait demandé à
ce qu'il l'héberge durant quelques jours ! Alors, si
Xuě Fēng l'avait protégé, ce n'était
certainement pas à cause de sa famille qu'il l'avait fait
mais bien parce qu'il l'aimait. S'il avait voulu se servir de
lui, il lui aurait proposé de le protéger dès le
départ, lors de leur première rencontre.
« -
C'est faux, » chuchota le garçon pour lui-même.
« Il n'aurait pas fait ça.
« -
Alors, tu ne sais rien d'utile, je suppose ? »
demanda l'homme dont le ton se faisait soudainement agacé.
Tomoki
mit quelques secondes à réagir à la question et
releva les yeux sur son interlocuteur.
« -
Bien sûr que si, » se défendit-il sans
pouvoir s'empêcher de trembler face au regard bien plus dur
de son ravisseur.
« -
Pas la peine d'essayer de gagner du temps. C'est évident
que tu ne sais rien si tu n'es même pas au courant des
activités de ta famille. Ils ne te font pas confiance, ils ne
te confient pas ce genre d'informations. »
Tomoki se
mordit à nouveau la lèvre inférieure alors qu'il
se brûlait les poignets sur les cordes en essayant de se
libérer. Elles étaient si serrées qu'elles lui
coupaient la circulation.
« -
Peut-être que je devrais te tuer, » ajouta l'homme
en s'agenouillant devant Tomoki pour lui saisir le menton d'une
main. Il obligea le garçon à le regarder. Alors que la
lèvre du japonais se mettait à saigner, emplissant sa
bouche d'un goût désagréable, l'autre se mit
à sourire lentement.
Tomoki
tomba violemment sur le bitume. Ses genoux avaient heurté le
sol et s'étaient meurtris malgré la maigre protection
qu'offrait son pantalon. S'il n'avait pas eu des soucis plus
important dans l'immédiat, le garçon se serait
plaint.
Une main
le tira en arrière par le col pour l'obliger à se
tenir droit. Tomoki essaya d'opposer une résistance, ce qui
était guère simple lorsque l'on avait toujours les
mains attachées et les jambes flageolantes. Il jeta un rapide
coup d'œil aux hommes qui l'entouraient. Il aurait aimé
pouvoir se lever et courir, parvenir miraculeusement à se
débarrasser des liens autour de ses poignets et sauter sur
l'un des vieux bateaux amarrés au port pour s'enfuir. Mais
au lieu de cela, il se retrouvait agenouillé juste au bord de
l'eau noire. Il n'y avait aucun éclairage même s'il
distinguait les masses des bâtiments et des navires. Il se
doutait qu'à cette heure il ne devait pas y avoir grand
monde en ce lieu.
Il
s'imaginait raisonner celui qui le tenait et avec qui il avait
précédemment discuter. Peut-être était-il
leur chef ? Oui, certainement, il avait l'air de diriger.
Tomoki pouvait peut-être lui faire comprendre que le tuer ici
n'était pas une bonne idée. Qu'il fallait le
relâcher car cela ne leur rapporterait strictement rien.
Il avait
ce discours en tête mais il était incapable de dire un
seul mot. Parce qu'il savait, au fond de lui, que ce genre de
discussions était inutile avec pareils individus. Il ne
voulait pas l'admettre, ni l'accepter, mais il le savait.
C'était
donc ainsi qu'il allait mourir ? Exécuté par des
inconnus pour une histoire qui ne le concernait nullement ? Il
se demandait si l'issue aurait été la même s'il
avait pu leur dire où se trouvait son père. Sans doute
que non. Ces personnes n'étaient pas du genre à
laisser des témoins, n'est ce pas ?
Il
n'arrivait pas à pleurer. Tout était si irréel,
quand on y réfléchissait bien. Vraiment…
« -
Une dernière chose à déclarer avant de
mourir ? »
Tomoki
releva son regard sur l'homme.
« Je
te souhaite de souffrir autant que moi, connard, » pensa
Tomoki avec une soudaine rage. Pensa seulement, car il n'aurait
jamais eu assez de cran et de courage pour rétorquer cela à
voix haute. Pourtant, une pareille phrase n'aurait pas changé
grand chose à son funeste destin.
Une
détonation claqua brutalement et l'un des hommes s'écroula
juste sous le nez de Tomoki. Alors qu'il se tordait de douleur –
la balle ne l'avait apparemment touché qu'à la
jambe -, les autres s'agitaient en saisissant leurs armes, tant et
si bien qu'ils semblèrent totalement oublier sa présence.
Tomoki ne
savait ni qui, ni pourquoi – et il n'avait d'ailleurs pas envie
de savoir qui et pourquoi - mais sa paralysie prit congé et il
en profita pour sauter sur ses pieds et courir en direction de
l'abris le plus proche.
Les coups
de feu avaient commencé à résonner, tout comme
les exclamations des tueurs.
Le garçon
se jeta derrière les caisses les plus proche, abandonnées
sur le quais. Il s'agissait de grandes caisses de métal,
bien plus hautes et larges qu'un homme. Pour les déplacer,
il fallait certainement user d'une grue ou de quelque chose comme
cela. Au prise avec une fusillade, c'était la meilleure
solution qu'il avait trouvé.
Tomoki
chercha à se débarrasser de ses liens en tirant dessus
mais il ne fit que se blesser un peu plus la peau. Serrant les dents,
il se déplaça prudemment derrière les caisses
pour essayer de rejoindre l'entrepôt le plus proche.
Il stoppa lorsqu'il se rendit compte que l'agitation autour de
lui était retombée.
Il tendit l'oreille, essayant de percevoir le moindre bruit
suspect. Toutefois, il resta bien sagement à sa place. Il
n'avait guère envie d'aller vérifier qui avait
dominé dans cet intermède imprévu. Il n'avait
tout simplement pas envie d'aller jouer les héros même
s'il était dans sa nature d'être parfois suicidaire.
Quand deux mains s'abattirent sur ses épaules, il ne put que
hurler.
« - Comment m'as-tu trouvé ? »
s'exclama Tomoki pour ensuite se raidir parce que le couteau avait
heurté l'un de ses poignets, heureusement pas du côté
coupant.
« - C'est mon travail, » répondit
simplement Xuě Fēng en défaisant les cordes qui retenaient
le garçon.
Une fois libéré, il eut pour premier réflexe de
sauter au cou de son amant. Il l'avait encore sauvé. Il
s'écarta pourtant bien vite en sentant Xuě Fēng se
crisper.
« - Qu'y a-t-il ? » commença
Tomoki d'un ton inquiet. Il aperçut alors une tache sombre
sur la chemise du chinois, juste à côté du pant
droit de son blouson, au niveau du ventre. Avant que Xuě Fēng ait
pu s'éloigner, Tomoki porta la main sur le tissu humide et
se retrouva avec la substance sur le bout des doigts. Sa voix explosa
alors : « Et c'est ton travail aussi de te faire
tuer ? Espèce d'imbécile !
« - Ce n'est que superficiel, » voulut le
rassurer Xuě Fēng en détournant la tête.
« - Superficiel ? Et qu'est ce que je fais si tu
meurs la prochaine fois ? Je ne veux pas que tu meurs à
cause de moi ! » déclara Tomoki en pleine
crise d'hystérie.
Avant d'avoir pu poursuivre dans son élan, le jeune homme se
retrouva bâillonné par la main de son petit ami. Une
partie de son esprit songea qu'il aurait préféré
ses lèvres, l'autre qu'il n'avait pas terminé de
dire ce qu'il avait sur le cœur.
« - Cesse de crier comme ça. Je ne sais pas si je
les ai tous éliminé, » prévint Xuě
Fēng. Le terme « d'éliminer » choqua
le garçon mais il ne dit rien. Il se demandait simplement
comment Xuě Fēng pouvait parler aussi froidement de la mort
d'autrui. Ennemi ou pas.
Il fut ensuite tiré par la main et il suivit en se laissant
faire. Tomoki se doutait qu'il faisait des efforts pour se tenir
droit et ne pas montrer qu'il avait été touché.
Il n'était pour autant pas idiot. Il devait souffrir
terriblement de cette blessure.
« - Xuě, je suis désolé, »
murmura Tomoki. « C'est de ma faute.
« - Arrête de pleurnicher, » demanda-t-il
en s'arrêtant à l'extrémité de la
rangée des caisses. Il lâcha la main de Tomoki et saisit
son pistolet à deux mains pour jeter un regard de l'autre
côté.
« - Tu aurais pu être tué, »
insista-t-il pourtant, l'angoisse dans la voix.
Lorsque Xuě Fēng s'avança à nouveau, Tomoki le
suivit telle son ombre, jetant tout d'abord des regards nerveux
autour de lui. Lorsqu'il aperçut plusieurs corps inanimés
sur le sol, il décida de se focaliser sur le dos du chinois
plutôt que de rendre le peu d'eau qu'il avait avalée.
Il ne pouvait pas s'y habituer et il se demandait comment son amant
faisait pour rester aussi impassible. Cela ne provoquait chez lui
aucun sentiment d'admiration. Il se sentait au contraire mal à
l'aise. Est-ce qu'il lui avait bien tout dit sur lui ?
Travaillait-il vraiment pour une entreprise chargée de la
sécurité ? Il ne voyait pas un simple employé
d'entreprise être capable de se transformer en machine à
tuer, même pour protéger la personne qu'il aimait. Il
ne put s'empêcher de penser à nouveau à ce que
lui avait dit l'homme. Que Xuě Fēng cherchait simplement à
s'attirer les bonnes grâce de la famille Imaya.
Tomoki n'eut toutefois pas l'occasion de se poser plus de
questions sur les intentions de son amant.
Celui-ci vacilla en arrière à la suite d'un nouveau
coup de feu.
« -
Désolé, vraiment désolé ! J'aurai
pu viser mieux mais je suppose qu'une balle dans l'épaule
fait vraiment mal ? »
Tomoki,
tout en soutenant Xuě Fēng, adressa un regard noir à celui
qui venait de parler. Il se sentait terriblement impuissant alors que
le chef de la bande de malfrats agitait son arme tout en souriant
d'un air moqueur. Il était seul, il se tenait à
quelques mètres de distance d'eux. Ni Xuě Fēng, ni Tomoki
ne l'avait vu arriver. Et il avait tiré, blessant un peu
plus le chinois. Celui-ci se tenait l'épaule de la main
gauche. Sa peau se couvrait de sang. Il avait toujours son arme dans
son autre main mais Tomoki doutait qu'il fut capable de se servir
de son bras blessé.
« -
Vous êtes vraiment pitoyables, » insista l'homme
en vidant le chargeur de son arme pour le remplacer par un autre.
« Vous pensiez vraiment pouvoir vous échapper comme
ça ? »
Tomoki
sentit Xuě Fēng se crisper et regarder autour de lui comme s'il
cherchait une quelconque issue sur les quais.
Il n'y
en avait qu'une, à vrai dire…
Tomoki
manqua de boire la tasse alors qu'il venait tout juste de remonter
à la surface. Il ne voyait quasiment rien, si ce n'est les
vagues qui l'entouraient et un morceau en béton du quais.
Il
n'avait rien eu le temps de voir venir. Alors qu'il était
pourtant blessé, Xuě Fēng s'était redressé
et l'avait empoigné pour le tirer à sa suite. Et ils
avaient plongé tout deux, alors que l'autre malade leur
tirait dessus.
Une fois
sous l'eau, Tomoki avait totalement perdu Xuě Fēng. Sa main
l'avait relâché mais il ne s'en était pas
aperçu tout de suite. Il était bien trop occupé
à s'éloigner de l'endroit où se trouvait le
tueur tout en essayant de battre des records d'apnée. Il
avait suivi la coque en bois d'un bateau et avait émergé
une fois derrière celle-ci.
C'était
là qu'il s'était rendu compte qu'il était
seul.
Il
n'entendait plus de coups de feu mais il ne savait pas non plus où
était son amant.
L'angoisse
l'avait aussitôt envahi, il faillit l'appeler pour qu'il
le rejoigne mais un peu de présence d'esprit l'en retint.
Ce n'était jamais le moment de crier lorsque qu'un homme
cherchait à vous tuer. Il ne devait pas montrer où il
se trouvait.
Alors il
se contenta de s'éloigner un peu plus en longeant l'arrière
des navires amarrés, songeant que s'il aurait fort bien pu
se noyer s'il n'avait pas su nager. Cette pensée en amena
une autre, bien plus inquiétante et qui acheva de le plonger
dans une certaine terreur :
Quelles
étaient les chances de Xuě Fēng de s'en sortir, avec une
épaule et le ventre blessé ? Pouvait-il seulement
nager ? Et s'il avait relâché Tomoki uniquement
parce qu'il coulait ? Et si… Et s'il était en train
de mourir. Ou s'il était déjà mort.
Tomoki
eut envie de rebrousser chemin, qu'importaient les risques. Il eut
vraiment envie de le faire. Mais… S'il se faisait tuer… Si Xuě
Fēng était vivant, il ne pourrait plus le retrouver. Et s'il
était mort… Il serait mort pour rien.
Le garçon
continua donc, luttant par moment contre les vagues et ne sachant
plus si c'était le sel ou les larmes qui lui piquaient les
yeux.
« -
Quand l'avez-vous retrouvé ? » demanda
l'inspectrice au policier dans son bureau« - Il y a à
peine une heure. Ceux sont des pêcheurs qui nous ont averti. Il
était caché dans leur bateau et n'osait pas sortir.
Au départ, ils pensaient que c'était juste un
vagabond mais ils ont compris que quelque chose n'allait pas avec
lui et ils nous ont appelé.
« -
Et il a dit ce qui lui était arrivé ?
« -
Non. Mais il ne cesse de demander si on sait où est Xuě Fēng.
Je crois que cette personne devait être avec lui avant qu'on
ne le retrouve. Nous avons mené des recherches, avec le peu
d'informations qu'il a su nous donner, pour retrouver l'endroit
où il travaillait et son appartement mais… C'est comme
s'il n'avait jamais existé. Nous ne lui avons pas encore
dit que cet homme lui a sans doute menti sur son identité. Il
est en état de choc. De toute façon, ce Xuě Fēng
aurait pris deux balles dans le ventre et l'épaule. Il n'y
a que très peu de chance qu'il ait survécu et l'on
retrouvera certainement son corps d'ici quelques jours. »
L'inspectrice
contourna son bureau et s'approcha de la porte entrouverte pour
jeter un regard à l'extérieur, dans la salle bien
agitée du commissariat. Tomoki Imaya était assis sur
l'une des chaises, les pieds posés dessus et les genoux
ramenés contre lui. Il fixait le vide d'un regard mort.
« -
Pauvre gosse, » constata-t-elle en refermant la porte et
en se tournant à nouveau vers le policier. « Son
père a appelé il y a quelques minutes. Il tient à
le voir au plus vite. Un interrogatoire, au vu de son état,
serait inutile. »
Tomoki
peinait à quitter la léthargie dans laquelle il était
tombée, depuis l'instant même où il avait pu
sortir de l'eau et trouver abris dans un des bateaux. Il n'avait
guère réagi lorsque les pêcheurs lui avaient
ordonné de sortir pour ensuite avertir la police de sa
présence. Il n'avait pas réagi non plus quand ces
mêmes policiers l'avaient emmené. Il avait bien marché
jusqu'à la voiture mais son esprit était déconnecté
de toute réalité. Il ne pensait à vrai dire qu'à
une seule et unique chose.
Xuě Fēng
était-il… Apparemment, ils ne l'avaient pas retrouvé…
Il avait
peur.
Lorsque
l'on vint le chercher, pour le conduire auprès de son père,
il n'eut aucune réaction. Ou, plutôt, il suivit tel un
automate les agents de police. Il monta dans leur véhicule,
mit sa ceinture et resta immobile durant tout le trajet, le regard
perdu sur les bâtiments et la circulation. Quand ils
s'arrêtèrent enfin, ce fut pour prendre l'un des
ferry reliant l'île de Hong Kong à celle de Lamma.
Le trajet dura une demi-heure environ.
Lamma Island n'avait pas énormément d'habitants,
surtout si l'on comparait à la densité de Hong Kong.
Il n'y avait même pas de voitures, les lieux étaient
réputés pour leur tranquillité.
Tomoki quitta durant quelques instants ses pensées morbides
une fois arrivé à Yung Shue Wan, l'un des ports de
l'île. C'était donc là que son père
avait trouvé refuge, en attente d'un procès ? Il
observa les façades des maisons, celles des restaurants et des
boutiques mais n'eut pas le temps de s'attarder. Les policiers le
menèrent sur un chemin gagnant l'extérieur du port.
Il faisait un soleil de plomb et Tomoki se sentit bien vite fatigué
de marcher.
Lorsqu'ils atteignirent les grilles d'une propriété,
il se sentit soulagé. Enfin, plus ou moins, car il y avait
plusieurs gardes armés jusqu'aux dents.
La maison ne comptait que deux étages et le parc n'était
pas des plus grands, toutefois elle était particulièrement
bien gardée. C'était le genre de traitement que l'on
aurait imaginé pour un homme politique… Ou alors pour le
chef d'une organisation mafieuse.
Les grilles s'ouvrirent et il entra, seul, car les policiers
avaient déjà rebroussé chemin.
Une jeune femme sortit de la maison et se pressa dans sa direction.
Tomoki, quelque peu ailleurs, ne reconnu l'une de ses cousines
qu'uniquement lorsqu'elle se tint devant lui. C'était
une femme de trente ans environ, toujours habillée dans un
tailleur sévère avec les cheveux attachés en
chignon. Elle était grande, plus que lui, ce qui faisait
qu'elle inspirait le respect et une certaine crainte aux membres de
la famille. Elle avait un mari, deux enfants mais Tomoki ne la voyait
quasiment jamais car elle s'occupait des affaires de leur grand
père, telle une brave secrétaire.
« - Noriko, » commença-t-il d'une voix
faible.
« - Ton père t'attend à l'intérieur.
Suis moi. Il était très inquiet. »
Inquiet ? Tomoki avait peine à y croire.
Derrière ses lunettes, le regard de sa cousine ne laissait
transparaître aucune émotion. Ni joie, mais ni
hostilité. Ce qui, pour un membre de la famille Imaya, était
plutôt inhabituel. Généralement, on le regardait
comme s'il n'était qu'un cafard.
« - Tu as osé fuguer en un pareil moment, »
poursuivit-elle alors que tout deux remontaient la courte allée.
« Si les choses n'étaient pas si graves, cet
exploit aurait pu susciter un simple agacement.
« - Je suis désolé, » murmura
Tomoki par automatisme.
« - Grand père était fou furieux,
évidemment. »
Le garçon répéta à nouveau les mêmes
mots. Son esprit était à nouveau reparti sur un tout
autre sujet d'inquiétude. Il ne s'aperçut pas
immédiatement que Noriko s'était arrêtée
et il manqua de lui rentrer dedans.
« - Quel est cet homme qui a disparu ? »
demanda-t-elle abruptement. « L'inspectrice a rappelé
et nous en a brièvement parlé. Tu étais avec lui
durant tout ce temps ? »
Tomoki ouvrit la bouche pour répondre mais la referma
aussitôt. Il ne savait que dire exactement. De toute manière,
sa gorge était si serrée qu'il n'était pas
certain de pouvoir prononcer un seul mot.
« - Ce n'était pas une « petite
amie », alors ? » ajouta-t-elle face à
son mutisme.
Tomoki eut à nouveau la bouche béante mais eut cette
fois-ci du mal à la refermer. Un sourire étira les
lèvres de Noriko mais il ne parvint pas à avoir s'il
s'agissait d'un signe de mépris ou une marque de
sympathie.
Ils entrèrent enfin dans le hall de la maison.
« - E-est ce qu'ils l'ont retrouvé ? Ils
ont retrouvé Xuě ? » questionna Tomoki d'une
voix hésitante. Il se demandait s'il était judicieux
de demander cela.
« - Non, » répondit tout d'abord sa
cousine, avec la plus grande simplicité. « Les
choses ne s'annoncent pas simples. C'est comme s'il n'avait
jamais existé, selon cette inspectrice. »
Tomoki stoppa net, faisant cette fois-ci transparaître sa
surprise par deux yeux ronds comme des billes et des lèvres
tremblantes.
« - Comment ça ?
« - Eh bien, il y a l'appartement mais aucune
information sur lui. Pas de papiers, de photo… Ils ont fait des
recherches dans diverses entreprises mais il n'y a pas d'employé
correspondant. Il est possible qu'il t'ait menti sur ses
activités et son identité.
« - Certainement pas ! » s'écria
brutalement Tomoki. « Il m'a sauvé la vie
plusieurs fois, je lui fais confiance, il ne m'aurait pas menti !
Et il est peut-être mort, à cause de moi ! Je veux
qu'ils le retrouvent ! »
Le souffle court, il s'arrêta aussi subitement qu'il avait
commencé et baissa la tête en serrant les poings. Il
était si impuissant. Lorsque la main de Noriko vint se poser
sur son épaule, il eut un geste de recul et lui adressa un
regard quasi méfiant.
« - Je ferai en sorte qu'ils fassent leur possible.
Maintenant, viens, ton père t'attend. »
Le père de Tomoki était un homme aux tempes déjà
grisonnantes et au visage généralement chaleureux. En
cet instant même, il ne se gênait pas pour exprimer son
inquiétude par un froncement des sourcils. Assis derrière
son bureau, il n'avait cessé de consulter sa montre. La
chaleur l'avait contraint à quitter la veste de son costume
et sa cravate pour adopter une simple chemise blanche.
Il n'était ni grand, ni fort. C'était l'homme le
plus banal au monde.
Quand son fils entra dans le bureau, son visage s'éclaira
légèrement mais il resta à sa place, sans
manifester d'effusion de joie. Aussi chaleureux que pouvait l'être
Kenshirô Imaya avec des inconnus, il gardait toujours une
certaine distance avec Tomoki.
Le garçon posa un regard vide sur son père et resta
tout d'abord immobile. Puis il s'approcha du bureau et resta à
un mètre de distance.
« - Ne me dis pas que tu es désolé, »
fit-il d'un ton froid. Alors qu'il s'apprêtait à
poursuivre, il craqua et se fit plus agressif. « Tu n'as
jamais rien fait pour moi. Tu n'as même pas eu la décence
de m'informer de toute cette affaire. Et je ne compte pas rester
ici, quels que soient les risques dehors. Je dois retrouver mon petit
ami. Oh, oui, au cas où tu ne t'en serais jamais aperçu,
ce qui ne serait pas étonnant, je suis gay. »
Kenshirô se leva brutalement et frappa des poings sur le
bureau.
« - Comment oses-tu dire ça ? Tu ne sais pas
ce que j'ai sacrifié pour te garder ! »
tempêta son père.
« - Sacrifier ? » reprit Tomoki, dont la
colère et la frustration explosaient à présent.
C'était la première fois qu'il osait s'adresser
ainsi à cette homme. Les derniers évènements le
poussaient sans doute à révéler enfin ce qu'il
avait sur le cœur. « Ta famille m'a toujours
traité comme un moins que rien et tu n'as jamais rien fait
pour démontrer le contraire ! J'ai du subir en silence
toutes leurs humiliations, parce que personne ne s'est jamais
intéressé à ce que je ressentais. Je ne suis
même pas officiellement ton fils ! C'est ça, ton
sacrifice ? Xuě a fait plus de choses pour moi en quelques
jours que toi en des années. Il m'a protégé,
il m'a aimé, il a essayé de me montrer que je valais
quelque chose ! Alors ne viens pas me faire la morale !
J'en ai assez de l'hypocrisie qui règne dans cette
famille ! De ton hypocrisie ! »
Kenshirô s'affaissa légèrement mais sans pour
autant se rasseoir dans son fauteuil, ni quitter son fils du regard.
« - C'est donc vraiment ce que tu penses ? »
Tomoki voulut répondre par l'affirmative mais un tintamarre
épouvantable l'en empêcha. Il mit quelques instants à
réaliser qu'il s'agissait de coups de feu, provenant de
l'extérieur. Son père, lui, avait déjà
réagi promptement et se dirigeait vers la porte lorsque
celle-ci s'ouvrit sur Noriko.
« - Ne bougez pas d'ici. Je vais essayer de savoir ce
qui se passe. »
Les détonations avaient déjà cessé.
Noriko referma la porte et Tomoki entendit son père grogner.
« - Cela m'étonnerait qu'ils aient trouvé
cet endroit. Comment auraient-ils pu le trouver… Toutes les
précautions étaient prises. Quelqu'un a peut-être
parlé… Ils s'en prennent d'abord à mon fils, et
maintenant… »
Le bruit d'une arme à feu se fit à nouveau entendre.
Tomoki se plaça à côté de son père.
Il avait l'impression que toute cette violence ne prendrait jamais
de fin. La terreur l'envahissait à nouveau. Ce n'était
pas tant la situation qui l'angoissait que l'immobilisme de
Kenshirô.
« - Tu ne vas donc rien faire à part attendre ? »
s'exclama-t-il, non sans une certaine stupeur. Xuě Fēng lui
aurait déjà promis de le protéger et aurait
cherché un moyen de le faire sortir d'ici, sain et sauf.
« - Même si c'est eux, ils ne pourront pas entrer.
Non, ils ne pourront pas. La maison est bien gardée par des
hommes entraînés. Ils seront obligés de battre en
retraite. Il suffit d'attendre, » répondit son
père comme s'il avait appris ces quelques mots par cœur. Il
se tourna légèrement vers Tomoki. « Tu n'as
peut-être pas tort, je n'ai pas toujours été un
bon père. Mais j'étais vraiment inquiet, suite à
ta disparition. »
La
porte s'ouvrit soudainement et Tomoki sentit son cœur faire un
bond dans sa poitrine. La joie le submergea sur le champ.
Xuě Fēng
était vivant. Il était ici ! Il n'était
pas… Blessé… ?
Le garçon
avait voulu se jeter dans les bras de son amant mais ce détail
le stoppa net dans son élan. Il ne comprenait pas. Quelques
heures à peine avaient passé. Il ne pouvait avoir guéri
ainsi de ses blessures ! Et pourquoi était-il armé ?
« -
Vous êtes donc venu vous-même jusqu'ici ? »
s'écria Kenshirô en reculant. « Comment
avez-vous trouvé cet endroit, Feilong ! »
Une
détonation éclata.
Le sang
aspergea le visage et les vêtements de Tomoki.
