Commentaire : Ma note habituelle sera à la fin du chapitre, afin d'éviter de « spoiler » le contenu.

Chapitre 6 – Façade Of Reality

Tomoki leva la main devant ses yeux. Il avait effleuré son visage et ne pouvait croire à présent aux traces rouges qui se dessinaient sur la peau de ses doigts. Encore une fois… Pourquoi ?
Tout ceci ne pouvait être qu'un cauchemar. Cela ne pouvait pas être vrai ! Xuě Fēng ne pouvait pas… Il avait promis de le protéger et de l'aimer. Il ne pouvait pas faire ça ! Il ne pouvait pas venir et… Et…
Son regard tomba sur le corps étendu de son père. Une rose de sang fleurissait sur et sous lui. Ses yeux avaient perdu toute étincelle de vie.
Tomoki en voulait à Kenshirô pour tout un tas de choses. Il lui en voulait mais pas au point de se réjouir de sa mort ou même de l'avoir seulement souhaitée. Il avait toujours espéré, au fond de lui-même, que les choses s'arrangent et que son père comprennent enfin ce qu'il ressentait et vivait jour après jour.
Tout espoir venait d'être emporté par cette seule et unique balle. Elle avait traversé la poitrine de sa cible avec une efficacité redoutable. Comment une chose si petite pouvait-elle amener tant de malheurs ? Comment cela avait-il pu basculer en si peu de temps ?
« - Xuě ? Pourquoi ? C'est… C'est mon père, » balbutia Tomoki sans pouvoir quitter le corps du regard. « Pourquoi as-tu… Je ne voulais pas qu'il… »
Tomoki se tourna vers son interlocuteur silencieux. Il réalisait peu à peu que ce qu'il vivait été bien réel et que l'homme qu'il aimait l'avait sans aucun doute trahi, pour une raison qu'il ignorait.
Non… Il avait tué son père ! Ce n'était pas qu'une trahison. Il l'avait froidement assassiné, sous ses yeux, comme il avait exécuté le tueur à gage. A voir son expression, il n'était nullement affecté et tout n'était qu'une routine un peu ennuyeuse pour lui.
« - Pourquoi as-tu fait ça ? » s'écria à nouveau Tomoki, les larmes aux yeux et la gorge serrée. « Je te faisais confiance ! »
A nouveau, il n'eut aucune réponse. Il était tout simplement ignoré. Juste fixé froidement du regard.
L'homme aux longs cheveux noirs fit mine de s'en aller. Il pivota en direction de la porte et effectua quelques pas, tournant le dos à Tomoki.
« - Xuě ! Répond moi ! » ordonna le garçon en hurlant presque. Il ne voulait qu'il lui explique pourquoi. Il devait certainement y avoir une raison ! Peut-être l'y avait-on obligé ? Oui, il n'avait pas du vouloir…
« - Je ne m'appelle pas Xuě, » se contenta-t-il de répliquer.
Les espoir de Tomoki commencèrent à se briser.
Feilong s'était arrêté pour dire ces quelques mots mais il s'éloigna de nouveau sitôt ceux-ci déclarés.
Pris d'une impulsion irréfléchie, le garçon courut pour le rattraper et lui saisit le bras pour l'obliger à faire face. En voyant le regard noir de celui en qui il avait eu entière confiance, il eut un geste de recul et desserra légèrement sa prise.
« - Xuě n'a jamais existé, » ajouta-t-il. « Tu t'es attaché à une personne qui n'existait pas.
« - Comment peux-tu dire ça ? » s'exclama Tomoki avec horreur, tout en se remémorant, malgré lui, les paroles de Noriko. « Tu as dit que tu m'aimais et que tu me protégerais ! Tu m'as sauvé la vie, ne prétend pas que cela non plus n'a pas existé… Xuě.
« - Je m'appelle Feilong. » Il eut un rictus moqueur et blessant. « Je me suis servi de toi. J'ai engagé un tueur pour que tu aies une confiance aveugle en moi. J'espérais te soutirer des informations mais tu ne savais rien. Alors je me suis dit que même un père aussi irresponsable que le tien chercherait à ramener son fils auprès de lui, s'il lui arrivait quelque chose de grave. J'ai organisé ton enlèvement, puis je t'ai suivi quand la police a voulu te ramener auprès de lui. »
Tomoki tentait de retenir ses larmes, en vain. D'une voix tremblante, il tenta d'opposer un dernier argument à ce qu'il espérait être des mensonges :
« - Mais tu as été blessé…
« - Une simple mise en scène. »
Feilong précisa, d'un ton plus dur encore et en libérant sèchement son bras :
« - Ne te fais aucune illusion. Je ne t'aime pas. Un gosse pleurnichard tel que toi n'intéressera jamais quelqu'un comme moi. C'était parfois amusant mais ne cherche pas à me revoir. Je ne suis pas Xuě Fēng et je te tuerai toi aussi, si tu me gênes trop. »
Tomoki fut incapable de bouger et de parler quand Feilong le laissa à nouveau. Les yeux embués, il le regarda s'éloigner. Il était comme dans un état second. C'était à peine s'il sentait son corps. Les paroles ne cessaient de tourner en boucle dans son esprit. Il n'arrivait pas à comprendre.
Il avait été manipulé ? Tout ce qu'il avait vécu était réellement faux ? Ce n'était pas possible. Il ne pouvait croire que tout n'était que mensonge. Que chaque acte de Xuě Fēng n'était qu'un mensonge, une manipulation !
A nouveau, il chercha à le rattraper. Pourquoi s'acharnait-il donc autant ? Il ne savait pas lui-même.
« - Xuě ! » Il n'y eut aucune réaction. « Feilong ! »
L'homme s'arrêta, se retourna vivement et saisit Tomoki par le col, tout en posant le canon de son arme au niveau de son cœur.
« - Veux-tu mourir aussi ? » questionna-t-il en appuyant un peu plus fort avec son arme. « Oublie moi. Je ne t'aime pas. Je te méprise. »
Il repoussa violemment Tomoki. Le garçon perdit son équilibre et tomba à terre. Il fixait Feilong d'un air quelque peu hébété, puis baissa la tête en restant assis sur le sol.
« - Je ne pourrai jamais oublier, » murmura-t-il en fermant les yeux.
Il entendit les pas de Feilong qui s'éloignaient mais il ne le suivit pas cette fois-ci et ne chercha pas non plus à le rattraper.
Lorsque quelques instants plus tard, la voix de Noriko lui parvint aux oreilles, il n'eut quasiment aucune réaction. Il fallut qu'elle l'appelle une seconde fois pour qu'il relève enfin la tête dans sa direction mais la fixant d'un regard vide.
L'épaule de sa cousine saignait et elle se laissa chuter à côté de lui en grimaçant de douleur.
« - Tout est de ma faute, » se lamenta Tomoki. Il tendit les bras et serra Noriko contre lui. Elle paraissait tout aussi choquée et ne répondit rien à l'affirmation de son cousin. « Je lui ai fait confiance. Si mon père est mort, c'est de ma faute. Qu'est ce que j'ai fait ?
« - Ce n'est pas de ta faute, » chuchota faiblement Noriko. « Tu ne pouvais pas savoir.
« - Non. Mais… J'ai tué mon père. »

Il régnait dans la pièce une ambiance pesante que Táo n'osait pas distraire par un quelconque bavardage.
Feilong était revenu, ce qui aurait habituellement provoqué sa joie, s'il ne l'avait pas senti aussi troublé. Son maître demeurait silencieux et songeur, plus encore qu'à son retour du Japon.
De ce qui l'avait occupé durant ces nombreux jours, il n'en avait rien dit. Táo avait entendu quelques discussions à ce sujet mais il n'avait pas compris grand chose.
« - Fei-sama, votre thé, » murmura Táo en tendant la tasse à son maître. Celui-ci la prit mais ne porta pas le liquide chaud à ses lèvres. Il se contenta de le regarder et de porter le liquide à ses lèvres, sans le boire. « N'est-il pas bon ? » s'inquiéta Táo.
Les yeux marrons de Feilong se portèrent sur le visage innocent de son serviteur. Ses sourcil se froncèrent et il reposa la tasse sur ses genoux.
« - Ne fais jamais confiance en quelqu'un, » se contenta-t-il de dire.
« - Pourquoi donc ? » s'étonna Táo, sans comprendre où son maître voulait en venir.
« - Un jour, une personne sans scrupule pourrait en profiter et te blesser. »

Tomoki ferma nerveusement les mains tout en courbant légèrement le dos et la tête.
Il n'osait affronter le regard du vieil homme qui se trouvait en face de lui, assis dans un fauteuil, tenant une canne. Derrière lui se tenait Noriko, avec un bras en écharpe. Elle essayait de conserver un air neutre mais sa nervosité transparaissait malgré tout.
Tomoki savait fort bien pourquoi elle était aussi inquiète. Leur grand père, Mamoru, n'était pas un homme facile. Il était toutefois plus dur avec Tomoki qu'avec aucun autre membre de la famille. Il le haïssait. Et une telle situation ne pouvait que renforcer cette haine à l'égard de son petit fils.
« - C'est donc à cause de toi si Kenshirô est mort… ? Cela ne m'étonne même pas. Tu n'as toujours été qu'un parasite. Un jour ou l'autre, tu devais causer des problèmes. Mais pourquoi a-t-il fallu que ce soit à mon fils ? N'as-tu donc aucune gratitude pour ce qu'il a fait pour toi ? »
Tomoki se contenta de baisser un peu plus la tête. Il n'était pas réellement là. Il ne cessait de repenser à ce que lui avait dit Feilong, deux jours plus tôt. Sa cruauté envers lui. Ce brusque changement de personnalité. Il avait menacé de le tuer.
Le garçon ne savait pas ce qui était réellement le plus difficile à vivre : voir une personne que l'on aimait tuer son propre père ou comprendre que cette même personne s'était contentée de le manipuler, afin de parvenir à ses fins.
« - Et quand je pense que tu as eu l'arrogance de fuir, pour vivre avec notre ennemi, » ajouta Mamoru avec une expression de rage sur le visage.
Tomoki protesta mais sans relever les yeux et d'une faible voix :
« - Je ne savais pas qui il était. »
Ces quelques mots suffirent apparemment à augmenter la rancœur de son interlocuteur.
« - Tu es donc réellement stupide ? Non seulement tu t'abaisses à coucher avec un homme, mais en plus un homme dont tu ne sais rien ! »
Tomoki voulut riposter. Il pensait savoir qui il était. Mais à quoi bon ? Il se sentait tellement fatigué et ce n'était pas comme s'il avait quoique ce soit à défendre.
Il était seul.
« - Grand père, Tomoki ne pouvait deviner ce qui allait se passer, » tenta Noriko d'un ton qui se voulait apaisant.
« - Si j'ai besoin de ton avis, je te le demanderai. »
Tomoki osa relever les yeux brièvement. L'expression du vieil homme fut suffisante pour lui faire baisser à nouveau la tête.
« - J'avais prévenu Kenshirô. Je lui avais dit que tu n'avais rien à faire parmi nous ! Il ne m'a jamais écouté. Il a voulu te garder alors qu'il aurait mieux valu te noyer à la naissance. Il n'y a aucune raison pour que tu restes plus longtemps au sein de notre famille. Tu nous as déshonoré, par ta trahison et ton comportement pervers. »
Le jeune homme fut envahi par une soudaine pointe de colère. Il ne savait toutefois pas réellement quel passage l'avait fait réagir : le fait de vouloir le noyer à la naissance ? Celui d'avoir trahi et déshonoré sa « famille » ? Ou bien son comportement pervers… ?
« - Aussi douloureuse que la mort de mon père soit pour vous, celle-ci n'est qu'un prétexte pour pouvoir me chasser. C'est ce que vous avez toujours voulu et tout le monde le sait. Je n'ai jamais rien attendu de votre famille, car vous n'avez jamais voulu me laisser une seule chance… Je suis peut-être stupide et responsable de ce qui est arrivé mais vous êtes l'homme le plus cruel qu'il m'ait été de rencontrer. »
Tomoki se redressa et posa les yeux sur son grand père, avec une audace dont il ne se serait jamais cru capable. Mamoru semblait sur le point d'exploser et de hurler. Pourtant, au dernier moment, il se relâcha et eut un étrange sourire sur les lèvres.
« - Liu Feilong semble t'avoir rendu un peu plus mal élevé encore. Depuis quand oses-tu me répondre ainsi ? C'est ainsi que tu espères faire amende honorable ? »
Cela faisait deux jours que Tomoki n'espérait plus rien. Son cœur était comme mort, il peinait à porter attention au monde qui l'entourait. Si l'occasion s'était présentée, il aurait certainement renoué avec l'une de ses activités préférées : essayer de se tuer.
« - Rien de ce que je pourrais faire amènera votre pardon, » se contenta finalement de répondre le garçon en baissant à nouveau la tête. Ce n'était pas en signe de crainte et de soumission, il était à présent lassé de la discussion et des regards meurtriers que lui adressait son grand père.
« - Oh, tu te trompes…
« - Grand père, s'il vous plait, » intervint Noriko en lui coupant la parole. « Ne lui demandez pas ça… »
« - Si tu tues le meurtrier de ton père, je te pardonnerai. Je subviendrai à tes besoins, jusqu'à ce que tu termines tes études, car cela aurait été la volonté de mon fils. Mais uniquement si tu tues Feilong et retrouve ton honneur. »
Tomoki releva les yeux pour fixer Mamoru. Le visage du garçon était on ne peut plus inexpressif. Puis il porta son regard sur Noriko, qui paraissait un peu plus anxieuse.
« - Tu n'es pas obligé de…
« - J'accepte, » déclara Tomoki tout en coupant la parole à sa cousine.
Et sans ajouter un mot de plus, il quitta la pièce.
Alors qu'il avait gagné le couloir, il sentit la main de Noriko sur son épaule et se tourna vers elle.
« - C'est du suicide ! » s'exclama-t-elle. « Tout ce qu'il veut, c'est te voir mourir ! Et tu aimais Feilong, peut-être même l'aimes-tu encore ! Tu ne penses pas sérieusement tuer cet homme ?
« - Bien sûr que si, » se contenta de répondre Tomoki avec un sourire presque amusé. « Les gens qui passent leur temps à pleurnicher sur leur sort sont faibles. Et ceux qui sont faibles finissent par être tués, car ils sont dépendants des autres. »
L'expression choquée de sa cousine ne sembla pas le déranger outre mesure et il poursuivit :
« - L'homme que j'aimais n'a jamais existé. Feilong n'est rien de plus que l'inconnu qui a tué mon père. Me venger de lui ne me pose aucun problème de conscience.
« - Il est légitime de vouloir te venger mais… Pas comme ça… Tu n'as aucune chance. »
Tomoki passa la main dans ses cheveux, puis poussa un soupir.
« - Cela me fait plaisir que tu t'inquiètes pour moi Noriko. J'ai quelque chose à te confier. Je n'ai personne d'autre à qui le dire… »
Elle l'écouta, car c'était bien la seule chose qu'elle pouvait faire pour le moment.

Tomoki contemplait le coucher de soleil. Celui-ci avait embrasé la mer et le ciel de teinte rouge sang. Les bateaux se découpaient comme des ombres chinoises sur la toile carmine du paysage. Un avion laissait une traînée blanche dans un ciel dépourvu de tout nuage.
Le clapotis de l'eau contre la jetée était reposant. Le garçon ferma les yeux et inspira profondément l'air iodé. La tension qu'il ressentait s'amenuisa et il eut l'impression d'être enfin en paix, pour quelques instants.
Lorsqu'une voix l'interpella, il se retourna et offrit un visage fermé, vide de toute émotion. Mains dans les poches de son jean, il fixa Feilong comme si tous deux n'avaient absolument rien partagé, si ce n'est la mort de Kenshirô. Seule la haine et la rancœur semblait l'habiter à présent.
Tomoki esquissa un simulacre de sourire. Il n'avait nullement l'air heureux de revoir cet amant qui était brutalement devenu son ennemi.
A cinq mètres de lui, Feilong lui rendit un regard glacial. Il était vêtu d'une longue tunique vietnamienne rouge, avec des dragons brodés dessus. Ses cheveux coulaient comme une cascade d'encre sur sa tenue.
« - Ne te fais pas d'illusions. Je suis venu pour mettre les choses définitivement au clair avec toi, » lança le chinois en ouvrant les hostilités.
« - Je n'ai jamais imaginé autre chose, » répondit Tomoki avec calme, sans quitter un seul instant son interlocuteur du regard.
Feilong fronça des sourcils mais ne dit nullement ce qui venait de causer son trouble. Peut-être était ce tout simplement l'attitude du garçon, fort inhabituelle quand on le connaissait. Lui qui était si sensible, voilà qu'il agissait… Comme s'il était devenu une autre personne ou que l'on avait brisé en lui toute gentillesse.
« - Que veux-tu ? » demanda Feilong après un temps de silence.
« - Je te l'ai dit, je ne pourrai jamais oublier. »
Feilong poussa un soupir agacé et détourna le visage avec un air exaspéré.
« - Tu as dit aussi que tu me tuerai si je te gênais trop, » ajouta Tomoki.
« - Tu commences à m'en donner de plus en plus l'envie, » fit-il à mi-voix tout en reposant le regard sur lui.
Le japonais haussa des épaules et glissa la main derrière son dos.
« - Je sais. C'est pourquoi j'ai décidé de prendre les devants, » annonça Tomoki d'une voix vide de tout sentiment. Sa main réapparut et il pointa un pistolet en direction de Feilong. Celui-ci ne cilla pas mais fronça à nouveau des sourcils, légèrement surpris par la tournure des évènements.
« - A quoi joues-tu ?
« - Ce n'est pas un jeu. Tu as dit… Non, pardon… Xuě a dit que les faibles ne s'en sortaient jamais et que je devais apprendre à me défendre. Tu vois, je met ses conseils en application pour te tuer. »
Feilong se mit à sourire non sans amusement.
« - Tu n'oseras pas.
« - Je le ferai.
« - Tu essayes de paraître dur mais tu n'es qu'un gamin incapable d'appuyer sur la détente.
« - Je le ferai ! » répéta Tomoki d'une voix plus forte et rageuse.
« - Alors, cesse de le prétendre et fais le, » répliqua Feilong tout en prenant sa propre arme et en visant à son tour Tomoki. « Tu veux vraiment te venger ? Tue moi. Mais si tu me rates, je ne te donnerai pas de seconde chance.
« - Tant mieux. Je ne comptais pas te rater. »
Quelques secondes s'écoulèrent sans que rien ne se produise. Ils se fixaient tout deux, avec une expression fort semblable. A la fois calme et froide. Feilong finit par déclarer, en baissant légèrement son arme :
« - Je le savais, tu n'es pas capable de… »
La détonation lui vrilla les oreilles et il appuya à son tour sur la détente, ajustant rapidement son tir. Il n'avait même pas eu le temps de terminer sa phrase.
Les deux armes dégagèrent une légère fumée. Feilong constata sur le champ qu'il n'était pas blessé et son attention se reporta sur Tomoki.
« - De te tuer… ? Non, » termina Tomoki avant de basculer par terre.
Feilong resta tout d'abord interdit puis se précipita auprès du japonais. Une tache rouge grossissait sur sa poitrine, du côté droit. Il s'agenouilla à côté de lui mais en ne sachant réellement ce qu'il pouvait faire.
« - C'est étrange… J'ai mal mais… En même temps. »
Feilong aperçut la douille et la ramassa pour l'examiner. Il la jeta ensuite dans un geste de fureur et reporta son attention sur le jeune homme blessé. Du sang commençait à s'écouler au coin de ses lèvres.
« - Une balle à blanc ? Quel genre d'imbécile es-tu ? » cria le chinois en essayant d'empêcher l'écoulement du sang en comprimant la blessure.
« - Je me disais… Si tu me tues… Peut-être que tu serais triste ? »
Tomoki ferma à moitié les yeux. Il voyait trouble. La silhouette de Feilong, penché au dessus de lui, devenait de moins en moins nette. Il essaya pourtant de se concentrer et leva la main en direction de son visage.
« - Peut-être que tu m'aimerais… ? » précisa-t-il avant d'effleurer sa joue.
« - Tais-toi. Je vais appeler une ambulance. Je ne te laisserai pas mourir d'une façon aussi stupide ! » s'exclama l'autre tout en prenant son portable.
Tomoki se mit à sourire. Puis il toussa en crachant du sang.
« - Je crois… Que j'ai un poumon de… J'ai du mal à respirer… Je savais… Que tu ne raterais pas ta cible…, » déclara-t-il d'une voix faible, en fermant cette fois-ci totalement les yeux.
« - Restes avec moi ! »
La main levée de Tomoki retomba mais celui-ci murmura pourtant d'une façon presque imperceptible :
« - Est-ce que… C'est douloureux ? De m'avoir tué ? »
Feilong savait que c'était une erreur et que chaque seconde comptait. Il cessa pourtant de composer le numéro des secours afin de répondre.
« - Oui.
« - Est-ce que tu viendras sur ma tombe ?
« - Oui, » répondit à nouveau Feilong, après un instant d'hésitation.
« - Dans ce cas, je suis heureux. »
C'était tout ce qu'il avait souhaité, durant ces derniers jours. Il l'avait compris à l'instant où son grand père lui avait demandé de commettre un meurtre sur la personne qu'il aimait toujours. C'était sa vengeance.
Mourir dans les bras de Feilong, pour que celui-ci s'aperçoive au dernier moment ce qu'il avait perdu.
Lorsque Tomoki perdit connaissance, il avait un sourire gravé sur les lèvres. Celui-ci semblait ne jamais devoir s'effacer…

Mamoru porta la tasse de thé à ses lèvres. Noriko n'était pas revenue après cette discussion avec son « petit fils ». Elle semblait avoir acquis de la sympathie pour le meurtrier de Kenshirô et cela le mettait en rage. Ce petit bâtard et sa mère n'avaient fait que causer des soucis à la famille Imaya. A sa réputation, par exemple. Sa disparition était la meilleure chose pouvant lui arriver. Il n'avait pas eu besoin de se salir les mains. Feilong l'avait fait pour lui, sans le deviner sans doute.
Il avait été surpris que Tomoki accepte de rétablir son « honneur ». Il ne pensait pas qu'il avait connaissance de cette valeur essentielle. Il le pensait aussi trop lâche pour vouloir venger son père. Mais peut-être n'était ce qu'une façon de se suicider. Il savait que le garçon avait toujours eu ce genre de désirs. Si seulement il avait pu avoir le courage de la faire plus tôt.
« - Es-tu bien certain qu'il est mort ? » demanda-t-il à son serviteur.
Celui-ci s'inclina respectueusement.
« - Ils n'ont pas réussi à le réanimer. Il est mort dans l'ambulance. »
Mamoru eut un bref sourire. Il s'en réjouissait mais un doute subsistait malgré tout.
« - Je ne le croirai que lorsque j'aurai vu son corps de mes propres yeux. »
Il avala une autre gorgée de thé, puis il tendit l'oreille en entendant un esclandre à l'extérieur du salon où il se trouvait. Fronçant des sourcils, il tourna la tête en direction de son serviteur et celui-ci s'apprêta à quitter la pièce pour voir ce qu'il se passait.
Il avait à peine fait un pas que la porte s'ouvrit avec violence.
« - Vous n'avez pas le droit d'entrer comme ça ! » s'écria un homme derrière le nouveau venu.
Ce n'était pas comme si Feilong se souciait des règles imposées par un vieil homme cruel et des employés terrorisés par celui-ci. Son regard vrilla immédiatement Mamoru lorsqu'il l'aperçut, assis dans un fauteuil, en train de boire du thé.
« - Je vous conseille de quitter Hong Kong au plus vite. Je n'aimerai pas qu'un malheureux accident vous arrive, Imaya Mamoru, » déclara-t-il en faisant quelques pas dans le salon.
« - Un malheureux accident ? » répéta le vieil homme comme s'il avait mal compris et se demandait si on osait vraiment le menacer.
« - Tomoki avait une conception de la vengeance plus subtile que la mienne. Moi je me contente de tuer la personne qui m'a nuie. Vous, en l'occurrence. A votre place, je quitterai Hong Kong et je n'y reviendrai pas. »
Feilong continua de le regarder durant encore quelques secondes, puis se détourna, repoussant au passage les quelques hommes de mains pour partir. Ceux-ci avaient beau obéir aveuglément à Mamoru, ils n'avaient guère envie de se frotter au dirigeant d'une Triade. Surtout à un dirigeant aussi craint que Feilong.

Noriko patientait nerveusement à l'arrière de la voiture. Elle en était à se ronger les ongles, tout en jetant des coups d'œil furtif en direction de l'entrée de l'immeuble. Une vitre épaisse et sans teint la séparait du chauffeur mais elle n'avait guère envie d'engager une conversation avec celui-ci, de toute manière.
Lorsqu'elle vit réapparaître Feilong, un sentiment de soulagement l'envahit mais son inquiétude n'avait pas encore entièrement disparut.
« - Est-ce qu'il est convaincu ? » demanda-t-elle d'une voix hésitante quand l'homme aux longs cheveux noirs prit place à côté d'elle.
« - Je ne crois pas qu'il voudra retrouver le corps de Tomoki, comme preuve de sa mort, » répondit Feilong en regardant fixement devant lui. « Mes menaces lui ont suffit. »
La voiture démarra. Un silence suivit.
« - Les médecins ne savent pas s'il se réveillera un jour, » murmura Noriko. « Son coma est profond. Si mon grand père avait trouvé l'hôpital où il se trouve… Je crois qu'il aurait usé de son influence pour que l'on arrête les soins. Mais moi, je veux croire qu'il se réveillera. Pas vous ? »
Feilong poussa un soupir.
« - J'aimerai partager vos espoirs mais... »
Il ferma les yeux et émit encore un autre soupir.
« - L'imbécile, » ajouta-t-il simplement.
« - Avant de partir, il m'a dit qu'il voulait une tombe à Aoyama, s'il lui arrivait quelque chose. C'est là où sa mère se trouve.
« - Je le ferai. Je lui ai promis de venir le voir. »
Feilong eut un étrange sourire, plein d'amertume. Non, Tomoki ne se réveillerait pas, il en était certain. Mais au moins pouvait-il respecter ses dernières volontés.

Le retour du commentaire : Fin dramatique ? Pas tant que ça. Au départ, Tomoki devait mourir, tout simplement. Point barre. Amen. Mais je me suis attachée à son personnage, j'ai eu une idée pour une autre histoire (la suite d'Ikigai qui est déjà la suite de cette histoire là mais que j'ai écrite avant) et j'ai voulu lui laisser une chance de revenir. En même temps, je ne voulais pas gâcher la fin que j'avais imaginé, en faisant une happy end (ça n'aurait pas du tout été, car dans ce cas j'aurai du changer un passage d'une autre fanfic et je me serais auto-insultée). Alors j'ai pensé que le coma était un bon compromis. Le problème avec une personne dans le coma (mais là je n'apprend rien à personne), c'est qu'on ne peut pas savoir quand elle se réveillera, ni si son état empirera. Ce qui explique pourquoi Tomoki est réellement mort, pour Feilong, mais pas pour Noriko qui continue à espérer.
Sinon j'ai été embêtée pour la balle dans le poumon. Je ne savais pas si Tomoki pourrait parler avec ça. Puis comme je ne trouvais aucune information sur les sites de médecine, j'ai décidé de faire les choses à mon goût et voilà tout. Donc merci de ne pas me crucifier si c'est irréaliste à vos yeux, j'ai vraiment fait des recherches !
Pour la balle à blanc, les douilles de ce type de munition sont différentes des autres, d'où le fait que Feilong parvient à la reconnaître du premier coup d'oeil.
J'ai encore quelques remerciements à placer mais je le ferai dans l'épilogue (si, si, y a un épilogue ! J'aime les épilogues…).