Commentaire : Ma note habituelle sera à la fin du chapitre, afin d'éviter de « spoiler » le contenu.
Chapitre 6 – Façade Of RealityTomoki
leva la main devant ses yeux. Il avait effleuré son visage et
ne pouvait croire à présent aux traces rouges qui se
dessinaient sur la peau de ses doigts. Encore une fois… Pourquoi ?
Tout ceci
ne pouvait être qu'un cauchemar. Cela ne pouvait pas être
vrai ! Xuě Fēng ne pouvait pas… Il avait promis de le
protéger et de l'aimer. Il ne pouvait pas faire ça !
Il ne pouvait pas venir et… Et…
Son
regard tomba sur le corps étendu de son père. Une rose
de sang fleurissait sur et sous lui. Ses yeux avaient perdu toute
étincelle de vie.
Tomoki en
voulait à Kenshirô pour tout un tas de choses. Il lui en
voulait mais pas au point de se réjouir de sa mort ou même
de l'avoir seulement souhaitée. Il avait toujours espéré,
au fond de lui-même, que les choses s'arrangent et que son
père comprennent enfin ce qu'il ressentait et vivait jour
après jour.
Tout
espoir venait d'être emporté par cette seule et unique
balle. Elle avait traversé la poitrine de sa cible avec une
efficacité redoutable. Comment une chose si petite
pouvait-elle amener tant de malheurs ? Comment cela avait-il pu
basculer en si peu de temps ?
« -
Xuě ? Pourquoi ? C'est… C'est mon père, »
balbutia Tomoki sans pouvoir quitter le corps du regard. « Pourquoi
as-tu… Je ne voulais pas qu'il… »
Tomoki se
tourna vers son interlocuteur silencieux. Il réalisait peu à
peu que ce qu'il vivait été bien réel et que
l'homme qu'il aimait l'avait sans aucun doute trahi, pour une
raison qu'il ignorait.
Non… Il
avait tué son père ! Ce n'était pas
qu'une trahison. Il l'avait froidement assassiné, sous ses
yeux, comme il avait exécuté le tueur à gage. A
voir son expression, il n'était nullement affecté et
tout n'était qu'une routine un peu ennuyeuse pour lui.
« -
Pourquoi as-tu fait ça ? » s'écria à
nouveau Tomoki, les larmes aux yeux et la gorge serrée. « Je
te faisais confiance ! »
A
nouveau, il n'eut aucune réponse. Il était tout
simplement ignoré. Juste fixé froidement du regard.
L'homme
aux longs cheveux noirs fit mine de s'en aller. Il pivota en
direction de la porte et effectua quelques pas, tournant le dos à
Tomoki.
« -
Xuě ! Répond moi ! » ordonna le garçon
en hurlant presque. Il ne voulait qu'il lui explique pourquoi. Il
devait certainement y avoir une raison ! Peut-être l'y
avait-on obligé ? Oui, il n'avait pas du vouloir…
« -
Je ne m'appelle pas Xuě, » se contenta-t-il de
répliquer.
Les
espoir de Tomoki commencèrent à se briser.
Feilong
s'était arrêté pour dire ces quelques mots mais
il s'éloigna de nouveau sitôt ceux-ci déclarés.
Pris
d'une impulsion irréfléchie, le garçon courut
pour le rattraper et lui saisit le bras pour l'obliger à
faire face. En voyant le regard noir de celui en qui il avait eu
entière confiance, il eut un geste de recul et desserra
légèrement sa prise.
« -
Xuě n'a jamais existé, » ajouta-t-il. « Tu
t'es attaché à une personne qui n'existait pas.
« -
Comment peux-tu dire ça ? » s'exclama Tomoki
avec horreur, tout en se remémorant, malgré lui, les
paroles de Noriko. « Tu as dit que tu m'aimais et que tu
me protégerais ! Tu m'as sauvé la vie, ne
prétend pas que cela non plus n'a pas existé… Xuě.
« -
Je m'appelle Feilong. » Il eut un rictus moqueur et
blessant. « Je me suis servi de toi. J'ai engagé
un tueur pour que tu aies une confiance aveugle en moi. J'espérais
te soutirer des informations mais tu ne savais rien. Alors je me suis
dit que même un père aussi irresponsable que le tien
chercherait à ramener son fils auprès de lui, s'il
lui arrivait quelque chose de grave. J'ai organisé ton
enlèvement, puis je t'ai suivi quand la police a voulu te
ramener auprès de lui. »
Tomoki
tentait de retenir ses larmes, en vain. D'une voix tremblante, il
tenta d'opposer un dernier argument à ce qu'il espérait
être des mensonges :
« -
Mais tu as été blessé…
« -
Une simple mise en scène. »
Feilong
précisa, d'un ton plus dur encore et en libérant
sèchement son bras :
« -
Ne te fais aucune illusion. Je ne t'aime pas. Un gosse pleurnichard
tel que toi n'intéressera jamais quelqu'un comme moi.
C'était parfois amusant mais ne cherche pas à me
revoir. Je ne suis pas Xuě Fēng et je te tuerai toi aussi, si tu me
gênes trop. »
Tomoki
fut incapable de bouger et de parler quand Feilong le laissa à
nouveau. Les yeux embués, il le regarda s'éloigner.
Il était comme dans un état second. C'était à
peine s'il sentait son corps. Les paroles ne cessaient de tourner
en boucle dans son esprit. Il n'arrivait pas à comprendre.
Il avait
été manipulé ? Tout ce qu'il avait vécu
était réellement faux ? Ce n'était pas
possible. Il ne pouvait croire que tout n'était que
mensonge. Que chaque acte de Xuě Fēng n'était qu'un
mensonge, une manipulation !
A
nouveau, il chercha à le rattraper. Pourquoi s'acharnait-il
donc autant ? Il ne savait pas lui-même.
« -
Xuě ! » Il n'y eut aucune réaction.
« Feilong ! »
L'homme
s'arrêta, se retourna vivement et saisit Tomoki par le col,
tout en posant le canon de son arme au niveau de son cœur.
« -
Veux-tu mourir aussi ? » questionna-t-il en appuyant
un peu plus fort avec son arme. « Oublie moi. Je ne t'aime
pas. Je te méprise. »
Il
repoussa violemment Tomoki. Le garçon perdit son équilibre
et tomba à terre. Il fixait Feilong d'un air quelque peu
hébété, puis baissa la tête en restant
assis sur le sol.
« -
Je ne pourrai jamais oublier, » murmura-t-il en fermant
les yeux.
Il
entendit les pas de Feilong qui s'éloignaient mais il ne le
suivit pas cette fois-ci et ne chercha pas non plus à le
rattraper.
Lorsque
quelques instants plus tard, la voix de Noriko lui parvint aux
oreilles, il n'eut quasiment aucune réaction. Il fallut
qu'elle l'appelle une seconde fois pour qu'il relève
enfin la tête dans sa direction mais la fixant d'un regard
vide.
L'épaule
de sa cousine saignait et elle se laissa chuter à côté
de lui en grimaçant de douleur.
« -
Tout est de ma faute, » se lamenta Tomoki. Il tendit les
bras et serra Noriko contre lui. Elle paraissait tout aussi choquée
et ne répondit rien à l'affirmation de son cousin.
« Je lui ai fait confiance. Si mon père est mort,
c'est de ma faute. Qu'est ce que j'ai fait ?
« -
Ce n'est pas de ta faute, » chuchota faiblement Noriko.
« Tu ne pouvais pas savoir.
« -
Non. Mais… J'ai tué mon père. »
Il
régnait dans la pièce une ambiance pesante que Táo
n'osait pas distraire par un quelconque bavardage.
Feilong
était revenu, ce qui aurait habituellement provoqué sa
joie, s'il ne l'avait pas senti aussi troublé. Son maître
demeurait silencieux et songeur, plus encore qu'à son retour
du Japon.
De ce qui l'avait occupé durant ces nombreux jours, il n'en
avait rien dit. Táo avait entendu quelques discussions à
ce sujet mais il n'avait pas compris grand chose.
« -
Fei-sama, votre thé, » murmura Táo en
tendant la tasse à son maître. Celui-ci la prit mais ne
porta pas le liquide chaud à ses lèvres. Il se contenta
de le regarder et de porter le liquide à ses lèvres,
sans le boire. « N'est-il pas bon ? »
s'inquiéta Táo.
Les yeux
marrons de Feilong se portèrent sur le visage innocent de son
serviteur. Ses sourcil se froncèrent et il reposa la tasse sur
ses genoux.
« -
Ne fais jamais confiance en quelqu'un, » se
contenta-t-il de dire.
« -
Pourquoi donc ? » s'étonna Táo, sans
comprendre où son maître voulait en venir.
« -
Un jour, une personne sans scrupule pourrait en profiter et te
blesser. »
Tomoki
ferma nerveusement les mains tout en courbant légèrement
le dos et la tête.
Il n'osait affronter le regard du vieil homme qui se trouvait en
face de lui, assis dans un fauteuil, tenant une canne. Derrière
lui se tenait Noriko, avec un bras en écharpe. Elle essayait
de conserver un air neutre mais sa nervosité transparaissait
malgré tout.
Tomoki
savait fort bien pourquoi elle était aussi inquiète.
Leur grand père, Mamoru, n'était pas un homme facile.
Il était toutefois plus dur avec Tomoki qu'avec aucun autre
membre de la famille. Il le haïssait. Et une telle situation ne
pouvait que renforcer cette haine à l'égard de son
petit fils.
« -
C'est donc à cause de toi si Kenshirô est mort… ?
Cela ne m'étonne même pas. Tu n'as toujours été
qu'un parasite. Un jour ou l'autre, tu devais causer des
problèmes. Mais pourquoi a-t-il fallu que ce soit à mon
fils ? N'as-tu donc aucune gratitude pour ce qu'il a fait
pour toi ? »
Tomoki se
contenta de baisser un peu plus la tête. Il n'était
pas réellement là. Il ne cessait de repenser à
ce que lui avait dit Feilong, deux jours plus tôt. Sa cruauté
envers lui. Ce brusque changement de personnalité. Il avait
menacé de le tuer.
Le garçon
ne savait pas ce qui était réellement le plus difficile
à vivre : voir une personne que l'on aimait tuer son
propre père ou comprendre que cette même personne
s'était contentée de le manipuler, afin de parvenir à
ses fins.
« -
Et quand je pense que tu as eu l'arrogance de fuir, pour vivre avec
notre ennemi, » ajouta Mamoru avec une expression de rage
sur le visage.
Tomoki
protesta mais sans relever les yeux et d'une faible voix :
« -
Je ne savais pas qui il était. »
Ces
quelques mots suffirent apparemment à augmenter la rancœur de
son interlocuteur.
« -
Tu es donc réellement stupide ? Non seulement tu
t'abaisses à coucher avec un homme, mais en plus un homme
dont tu ne sais rien ! »
Tomoki
voulut riposter. Il pensait savoir qui il était. Mais à
quoi bon ? Il se sentait tellement fatigué et ce n'était
pas comme s'il avait quoique ce soit à défendre.
Il était
seul.
« -
Grand père, Tomoki ne pouvait deviner ce qui allait se
passer, » tenta Noriko d'un ton qui se voulait apaisant.
« -
Si j'ai besoin de ton avis, je te le demanderai. »
Tomoki
osa relever les yeux brièvement. L'expression du vieil homme
fut suffisante pour lui faire baisser à nouveau la tête.
« -
J'avais prévenu Kenshirô. Je lui avais dit que tu
n'avais rien à faire parmi nous ! Il ne m'a jamais
écouté. Il a voulu te garder alors qu'il aurait mieux
valu te noyer à la naissance. Il n'y a aucune raison pour
que tu restes plus longtemps au sein de notre famille. Tu nous as
déshonoré, par ta trahison et ton comportement
pervers. »
Le jeune
homme fut envahi par une soudaine pointe de colère. Il ne
savait toutefois pas réellement quel passage l'avait fait
réagir : le fait de vouloir le noyer à la
naissance ? Celui d'avoir trahi et déshonoré sa
« famille » ? Ou bien son comportement
pervers… ?
« -
Aussi douloureuse que la mort de mon père soit pour vous,
celle-ci n'est qu'un prétexte pour pouvoir me chasser.
C'est ce que vous avez toujours voulu et tout le monde le sait. Je
n'ai jamais rien attendu de votre famille, car vous n'avez jamais
voulu me laisser une seule chance… Je suis peut-être stupide
et responsable de ce qui est arrivé mais vous êtes
l'homme le plus cruel qu'il m'ait été de
rencontrer. »
Tomoki se
redressa et posa les yeux sur son grand père, avec une audace
dont il ne se serait jamais cru capable. Mamoru semblait sur le point
d'exploser et de hurler. Pourtant, au dernier moment, il se relâcha
et eut un étrange sourire sur les lèvres.
« -
Liu Feilong semble t'avoir rendu un peu plus mal élevé
encore. Depuis quand oses-tu me répondre ainsi ? C'est
ainsi que tu espères faire amende honorable ? »
Cela
faisait deux jours que Tomoki n'espérait plus rien. Son cœur
était comme mort, il peinait à porter attention au
monde qui l'entourait. Si l'occasion s'était présentée,
il aurait certainement renoué avec l'une de ses activités
préférées : essayer de se tuer.
« -
Rien de ce que je pourrais faire amènera votre pardon, »
se contenta finalement de répondre le garçon en
baissant à nouveau la tête. Ce n'était pas en
signe de crainte et de soumission, il était à présent
lassé de la discussion et des regards meurtriers que lui
adressait son grand père.
« -
Oh, tu te trompes…
« -
Grand père, s'il vous plait, » intervint Noriko
en lui coupant la parole. « Ne lui demandez pas ça… »
« -
Si tu tues le meurtrier de ton père, je te pardonnerai. Je
subviendrai à tes besoins, jusqu'à ce que tu termines
tes études, car cela aurait été la volonté
de mon fils. Mais uniquement si tu tues Feilong et retrouve ton
honneur. »
Tomoki
releva les yeux pour fixer Mamoru. Le visage du garçon était
on ne peut plus inexpressif. Puis il porta son regard sur Noriko, qui
paraissait un peu plus anxieuse.
« -
Tu n'es pas obligé de…
« -
J'accepte, » déclara Tomoki tout en coupant la
parole à sa cousine.
Et sans
ajouter un mot de plus, il quitta la pièce.
Alors
qu'il avait gagné le couloir, il sentit la main de Noriko
sur son épaule et se tourna vers elle.
« -
C'est du suicide ! » s'exclama-t-elle. « Tout
ce qu'il veut, c'est te voir mourir ! Et tu aimais Feilong,
peut-être même l'aimes-tu encore ! Tu ne penses
pas sérieusement tuer cet homme ?
« -
Bien sûr que si, » se contenta de répondre
Tomoki avec un sourire presque amusé. « Les gens
qui passent leur temps à pleurnicher sur leur sort sont
faibles. Et ceux qui sont faibles finissent par être tués,
car ils sont dépendants des autres. »
L'expression
choquée de sa cousine ne sembla pas le déranger outre
mesure et il poursuivit :
« -
L'homme que j'aimais n'a jamais existé. Feilong n'est
rien de plus que l'inconnu qui a tué mon père. Me
venger de lui ne me pose aucun problème de conscience.
« -
Il est légitime de vouloir te venger mais… Pas comme ça…
Tu n'as aucune chance. »
Tomoki
passa la main dans ses cheveux, puis poussa un soupir.
« -
Cela me fait plaisir que tu t'inquiètes pour moi Noriko.
J'ai quelque chose à te confier. Je n'ai personne d'autre
à qui le dire… »
Elle
l'écouta, car c'était bien la seule chose qu'elle
pouvait faire pour le moment.
Tomoki
contemplait le coucher de soleil. Celui-ci avait embrasé la
mer et le ciel de teinte rouge sang. Les bateaux se découpaient
comme des ombres chinoises sur la toile carmine du paysage. Un avion
laissait une traînée blanche dans un ciel dépourvu
de tout nuage.
Le clapotis de l'eau contre la jetée était reposant.
Le garçon ferma les yeux et inspira profondément l'air
iodé. La tension qu'il ressentait s'amenuisa et il eut
l'impression d'être enfin en paix, pour quelques instants.
Lorsqu'une voix l'interpella, il se retourna et offrit un visage
fermé, vide de toute émotion. Mains dans les poches de
son jean, il fixa Feilong comme si tous deux n'avaient absolument
rien partagé, si ce n'est la mort de Kenshirô. Seule
la haine et la rancœur semblait l'habiter à présent.
Tomoki esquissa un simulacre de sourire. Il n'avait nullement l'air
heureux de revoir cet amant qui était brutalement devenu son
ennemi.
A cinq mètres de lui, Feilong lui rendit un regard glacial. Il
était vêtu d'une longue tunique vietnamienne rouge,
avec des dragons brodés dessus. Ses cheveux coulaient comme
une cascade d'encre sur sa tenue.
« - Ne te fais pas d'illusions. Je suis venu pour mettre
les choses définitivement au clair avec toi, »
lança le chinois en ouvrant les hostilités.
« - Je n'ai jamais imaginé autre chose, »
répondit Tomoki avec calme, sans quitter un seul instant son
interlocuteur du regard.
Feilong fronça des sourcils mais ne dit nullement ce qui
venait de causer son trouble. Peut-être était ce tout
simplement l'attitude du garçon, fort inhabituelle quand on
le connaissait. Lui qui était si sensible, voilà qu'il
agissait… Comme s'il était devenu une autre personne ou
que l'on avait brisé en lui toute gentillesse.
« - Que veux-tu ? » demanda Feilong après
un temps de silence.
« - Je te l'ai dit, je ne pourrai jamais oublier. »
Feilong poussa un soupir agacé et détourna le visage
avec un air exaspéré.
« - Tu as dit aussi que tu me tuerai si je te gênais
trop, » ajouta Tomoki.
« - Tu commences à m'en donner de plus en plus
l'envie, » fit-il à mi-voix tout en reposant le
regard sur lui.
Le japonais haussa des épaules et glissa la main derrière
son dos.
« - Je sais. C'est pourquoi j'ai décidé
de prendre les devants, » annonça Tomoki d'une
voix vide de tout sentiment. Sa main réapparut et il pointa un
pistolet en direction de Feilong. Celui-ci ne cilla pas mais fronça
à nouveau des sourcils, légèrement surpris par
la tournure des évènements.
« - A quoi joues-tu ?
« - Ce n'est pas un jeu. Tu as dit… Non, pardon… Xuě
a dit que les faibles ne s'en sortaient jamais et que je devais
apprendre à me défendre. Tu vois, je met ses conseils
en application pour te tuer. »
Feilong se mit à sourire non sans amusement.
« - Tu n'oseras pas.
« - Je le ferai.
« - Tu essayes de paraître dur mais tu n'es qu'un
gamin incapable d'appuyer sur la détente.
« - Je le ferai ! » répéta
Tomoki d'une voix plus forte et rageuse.
« - Alors, cesse de le prétendre et fais le, »
répliqua Feilong tout en prenant sa propre arme et en visant à
son tour Tomoki. « Tu veux vraiment te venger ? Tue
moi. Mais si tu me rates, je ne te donnerai pas de seconde chance.
« - Tant mieux. Je ne comptais pas te rater. »
Quelques secondes s'écoulèrent sans que rien ne se
produise. Ils se fixaient tout deux, avec une expression fort
semblable. A la fois calme et froide. Feilong finit par déclarer,
en baissant légèrement son arme :
« - Je le savais, tu n'es pas capable de… »
La détonation lui vrilla les oreilles et il appuya à
son tour sur la détente, ajustant rapidement son tir. Il
n'avait même pas eu le temps de terminer sa phrase.
Les deux armes dégagèrent une légère
fumée. Feilong constata sur le champ qu'il n'était
pas blessé et son attention se reporta sur Tomoki.
« - De te tuer… ? Non, » termina Tomoki
avant de basculer par terre.
Feilong resta tout d'abord interdit puis se précipita auprès
du japonais. Une tache rouge grossissait sur sa poitrine, du côté
droit. Il s'agenouilla à côté de lui mais en ne
sachant réellement ce qu'il pouvait faire.
« - C'est étrange… J'ai mal mais… En même
temps. »
Feilong aperçut la douille et la ramassa pour l'examiner. Il
la jeta ensuite dans un geste de fureur et reporta son attention sur
le jeune homme blessé. Du sang commençait à
s'écouler au coin de ses lèvres.
« - Une balle à blanc ? Quel genre d'imbécile
es-tu ? » cria le chinois en essayant d'empêcher
l'écoulement du sang en comprimant la blessure.
« - Je me disais… Si tu me tues… Peut-être que
tu serais triste ? »
Tomoki ferma à moitié les yeux. Il voyait trouble. La
silhouette de Feilong, penché au dessus de lui, devenait de
moins en moins nette. Il essaya pourtant de se concentrer et leva la
main en direction de son visage.
« - Peut-être que tu m'aimerais… ? »
précisa-t-il avant d'effleurer sa joue.
« - Tais-toi. Je vais appeler une ambulance. Je ne te
laisserai pas mourir d'une façon aussi stupide ! »
s'exclama l'autre tout en prenant son portable.
Tomoki se mit à sourire. Puis il toussa en crachant du sang.
« - Je crois… Que j'ai un poumon de… J'ai du mal à
respirer… Je savais… Que tu ne raterais pas ta cible…, »
déclara-t-il d'une voix faible, en fermant cette fois-ci
totalement les yeux.
« - Restes avec moi ! »
La main levée de Tomoki retomba mais celui-ci murmura pourtant
d'une façon presque imperceptible :
« - Est-ce que… C'est douloureux ? De m'avoir
tué ? »
Feilong savait que c'était une erreur et que chaque seconde
comptait. Il cessa pourtant de composer le numéro des secours
afin de répondre.
« - Oui.
« - Est-ce que tu viendras sur ma tombe ?
« - Oui, » répondit à nouveau
Feilong, après un instant d'hésitation.
« - Dans ce cas, je suis heureux. »
C'était tout ce qu'il avait souhaité, durant ces
derniers jours. Il l'avait compris à l'instant où
son grand père lui avait demandé de commettre un
meurtre sur la personne qu'il aimait toujours. C'était sa
vengeance.
Mourir dans les bras de Feilong, pour que celui-ci s'aperçoive
au dernier moment ce qu'il avait perdu.
Lorsque Tomoki perdit connaissance, il avait un sourire gravé
sur les lèvres. Celui-ci semblait ne jamais devoir s'effacer…
Mamoru porta la tasse de thé à ses lèvres.
Noriko n'était pas revenue après cette discussion
avec son « petit fils ». Elle semblait avoir
acquis de la sympathie pour le meurtrier de Kenshirô et cela le
mettait en rage. Ce petit bâtard et sa mère n'avaient
fait que causer des soucis à la famille Imaya. A sa
réputation, par exemple. Sa disparition était la
meilleure chose pouvant lui arriver. Il n'avait pas eu besoin de se
salir les mains. Feilong l'avait fait pour lui, sans le deviner
sans doute.
Il avait été surpris que Tomoki accepte de rétablir
son « honneur ». Il ne pensait pas qu'il
avait connaissance de cette valeur essentielle. Il le pensait aussi
trop lâche pour vouloir venger son père. Mais peut-être
n'était ce qu'une façon de se suicider. Il savait
que le garçon avait toujours eu ce genre de désirs. Si
seulement il avait pu avoir le courage de la faire plus tôt.
« - Es-tu bien certain qu'il est mort ? »
demanda-t-il à son serviteur.
Celui-ci s'inclina respectueusement.
« - Ils n'ont pas réussi à le réanimer.
Il est mort dans l'ambulance. »
Mamoru eut un bref sourire. Il s'en réjouissait mais un
doute subsistait malgré tout.
« - Je ne le croirai que lorsque j'aurai vu son corps de
mes propres yeux. »
Il avala une autre gorgée de thé, puis il tendit
l'oreille en entendant un esclandre à l'extérieur
du salon où il se trouvait. Fronçant des sourcils, il
tourna la tête en direction de son serviteur et celui-ci
s'apprêta à quitter la pièce pour voir ce qu'il
se passait.
Il avait à peine fait un pas que la porte s'ouvrit avec
violence.
« - Vous n'avez pas le droit d'entrer comme ça ! »
s'écria un homme derrière le nouveau venu.
Ce n'était pas comme si Feilong se souciait des règles
imposées par un vieil homme cruel et des employés
terrorisés par celui-ci. Son regard vrilla immédiatement
Mamoru lorsqu'il l'aperçut, assis dans un fauteuil, en
train de boire du thé.
« - Je vous conseille de quitter Hong Kong au plus vite.
Je n'aimerai pas qu'un malheureux accident vous arrive, Imaya
Mamoru, » déclara-t-il en faisant quelques pas dans
le salon.
« - Un malheureux accident ? » répéta
le vieil homme comme s'il avait mal compris et se demandait si on
osait vraiment le menacer.
« - Tomoki avait une conception de la vengeance plus
subtile que la mienne. Moi je me contente de tuer la personne qui m'a
nuie. Vous, en l'occurrence. A votre place, je quitterai Hong Kong
et je n'y reviendrai pas. »
Feilong continua de le regarder durant encore quelques secondes, puis
se détourna, repoussant au passage les quelques hommes de
mains pour partir. Ceux-ci avaient beau obéir aveuglément
à Mamoru, ils n'avaient guère envie de se frotter au
dirigeant d'une Triade. Surtout à un dirigeant aussi craint
que Feilong.
Noriko patientait nerveusement à l'arrière de la
voiture. Elle en était à se ronger les ongles, tout en
jetant des coups d'œil furtif en direction de l'entrée de
l'immeuble. Une vitre épaisse et sans teint la séparait
du chauffeur mais elle n'avait guère envie d'engager une
conversation avec celui-ci, de toute manière.
Lorsqu'elle vit réapparaître Feilong, un sentiment de
soulagement l'envahit mais son inquiétude n'avait pas
encore entièrement disparut.
« - Est-ce qu'il est convaincu ? »
demanda-t-elle d'une voix hésitante quand l'homme aux
longs cheveux noirs prit place à côté d'elle.
« - Je ne crois pas qu'il voudra retrouver le corps de
Tomoki, comme preuve de sa mort, » répondit Feilong
en regardant fixement devant lui. « Mes menaces lui ont
suffit. »
La voiture démarra. Un silence suivit.
« - Les médecins ne savent pas s'il se réveillera
un jour, » murmura Noriko. « Son coma est
profond. Si mon grand père avait trouvé l'hôpital
où il se trouve… Je crois qu'il aurait usé de son
influence pour que l'on arrête les soins. Mais moi, je veux
croire qu'il se réveillera. Pas vous ? »
Feilong poussa un soupir.
« - J'aimerai partager vos espoirs mais... »
Il ferma les yeux et émit encore un autre soupir.
« - L'imbécile, » ajouta-t-il
simplement.
« - Avant de partir, il m'a dit qu'il voulait une
tombe à Aoyama, s'il lui arrivait quelque chose. C'est là
où sa mère se trouve.
« - Je le ferai. Je lui ai promis de venir le voir. »
Feilong eut un étrange sourire, plein d'amertume. Non,
Tomoki ne se réveillerait pas, il en était certain.
Mais au moins pouvait-il respecter ses dernières volontés.
Le
retour du commentaire : Fin dramatique ? Pas tant
que ça. Au départ, Tomoki devait mourir, tout
simplement. Point barre. Amen. Mais je me suis attachée à
son personnage, j'ai eu une idée pour une autre histoire (la suite d'Ikigai qui est déjà la suite de cette histoire là mais que j'ai écrite avant) et
j'ai voulu lui laisser une chance de revenir. En même temps,
je ne voulais pas gâcher la fin que j'avais imaginé,
en faisant une happy end (ça n'aurait pas du tout été,
car dans ce cas j'aurai du changer un passage d'une autre fanfic
et je me serais auto-insultée). Alors j'ai pensé que
le coma était un bon compromis. Le problème avec une
personne dans le coma (mais là je n'apprend rien à
personne), c'est qu'on ne peut pas savoir quand elle se
réveillera, ni si son état empirera. Ce qui explique
pourquoi Tomoki est réellement mort, pour Feilong, mais pas
pour Noriko qui continue à espérer.
Sinon j'ai été
embêtée pour la balle dans le poumon. Je ne savais pas
si Tomoki pourrait parler avec ça. Puis comme je ne trouvais
aucune information sur les sites de médecine, j'ai décidé
de faire les choses à mon goût et voilà tout.
Donc merci de ne pas me crucifier si c'est irréaliste à
vos yeux, j'ai vraiment fait des recherches !
Pour la balle à blanc, les douilles de ce type de munition sont différentes des autres, d'où le fait que Feilong parvient à la reconnaître du premier coup d'oeil.
J'ai encore quelques
remerciements à placer mais je le ferai dans l'épilogue
(si, si, y a un épilogue ! J'aime les épilogues…).
