Un vent froid balaye ma cuisine et je garde les yeux rivés sur mon assiette de soupe aux pois rebaptisée pour l'occasion, en soupe à la grimace. Maman est partie voir une amie qui vient d'accoucher, du moins, c'est ce qu'elle prétend. Comme si on ne savait pas qu'elle se rend à une réunion de l'ordre du phénix. Ou alors, son amie à un temps de gestation qui dépasse la logique…
Résultat, je suis dans la cuisine en compagnie de deux filles… le rêve en somme. Si seulement la première n'était pas ma sœur et la seconde en proie à des envies de meurtre. Je reste devant mon assiette remplie d'A.N.I (aliments non identifiés), et je m'amuse à les remuer en prenant soin de faire rebondir ma cuillère sur les parois. Au moins, si personne ne m'adresse la parole, on sait que je suis là. Quoi que… le débit de paroles des deux filles s'intensifie en même temps que le rythme de ma chanson endiablé augmente, résultat : ma soupe fini sa course par terre à la grande joie de Pattenrond.
Je bougonne contre ma maladresse et contre l'indifférence dont fait preuve Hermione. Je grimace à Ginny et lui dit de se la fermer. Bien sûr, elle n'en fait qu'à sa tête, je m'énerve et me sent obligé de lui rappeler que sa gaminerie ne pousserait pas Harry à revenir vers elle. Elle passe au rouge et se lève en poussant son assiette si près du bord que Pattenrond croit désormais en noël.
- T'es un piètre crétin…
- … Ronald.
- Quoi ?
- Rien Hermione, je finis ta phrase. A propos, il serait peut-être tant de changer de dictionnaire, celui-là ce fait vieux il me semble.
- Il serait peut-être temps de t'en acheter un !
Je ne la regarde même pas s'éloigner, le feu aux joues, je n'ai qu'une envie, rejoindre ma chambre et oublier cette sale journée. Mais hélas c'est bien quand on croit que rien ne peut être pire que le destin s'amuse à nous prouver le contraire. Ainsi, je rejoints ma chambre, me préparant au pire et sens la fatigue m'envahir à mon plus grand bonheur. Sauf que… Pas le temps de rêver à un monde où enfin je serais respecté que quelqu'un vient frapper à la porte de ma chambre. Je ne bouge pas, si vraiment s'est important on viendra me réveiller. Et c'est ce qu'on fait.
- Ron réveille-toi !
Je suis réveillé et à moins que ce ne soit pour me demander pardon, je lui conseille de déguerpir. Non pas que ça ne me fait pas plaisir de voir Hermione mais… si c'est ça en fait.
- A moins que ce soit pour me demander pardon, je te conseille de déguerpir !
Sur ces mots, j'enfoui ma tête dans mon oreiller, mais pas assez pour étouffer le son de sa voix pourtant bien faible.
- Tes parents Ronald, ils ne sont pas encore rentrer…
- Grmbl…
Je tends ma main en dehors de mon lit et tâtonne pour trouver cette vieille montre qu'on a dû réparer une bonne trentaine de fois. Puis je la regarde d'un œil, essayant de passer outre la trotteuse qui égare mon esprit fatigué.
- Hermione, il n'est que neuf heures… c'est tôt pour rentrer de tu-sais-où.
- Neuf heures du matin Ron !
Je me lève dans un bond, réalisant que le soleil m'irrite bien plus que la présence d'Hermione. Elle a raison, il fait jour… Je me dirige vers l'étage inférieur et parcourt des yeux toutes les salles, regardes avec dégoût la soupe gisant encore sur le sol et réalise que ma mère n'aurait jamais laissé ça comme ça. Je passe en trombe devant Ginny qui pleure dans les escaliers et passe en revue chaque pièce… Je dois me rendre à l'évidence, mes parents ne sont plus là.
Je n'ai qu'une seule réaction : m'effondrer le long du mur comme le gamin paumé que je suis le ferais. Et je tente d'aligner deux pensées logiques, en vain. Que faire dans ce cas là ? Jamais cette maison ne m'avait semblé aussi vide… aussi grande… aussi triste. Me voilà à penser au pire et je m'efforce de croire qu'il y a une raison plausible à tout ça. Espèce de crétin, bien sûr qu'il y a une raison plausible mais… est-ce que l'issue en est la bonne ?
Il faut prévenir mes frères… avant tout la famille. Eux sauront quoi faire et puis, surtout, je ne me sens pas la force de réfléchir au-delà de cette décision qui déjà m'étonne de moi. Ceci est la voix d'une raison que je croyais enfuie… Une raison qui finalement ne devait pas être la mienne puisque j'entends l'écho de la voix de mes frères. Fred et George viennent d'arriver et de la même manière que je l'ai fait quelques minutes auparavant, ils font le tour de chaque pièce en nous ignorant, moi et Ginny, et viennent s'effondrer à mes côtés. Enfin, Fred semble remarquer qu'il a un autre frère et me regarde comme si je venais de débarquer dans son espace. Personne ne sait quoi dire et finalement, c'est peut-être le mieux.
- Je vais chercher Charlie.
Les seuls mots de Fred et il vient de disparaître. Je regarde alors George, les yeux rivés sur ses chaussures, elles semblent prendre une beauté particulière. Et à son tour, il disparaît. D'ici quelques minutes, ma famille sera devant moi… ou presque.
J'essaye de vider mon esprit de toutes ces choses inutiles, ce qui en soit ne devait pas être si compliqué. Et je vois Ginny passer en trombe devant moi, les joues rougies et les larmes noyant son regard bleuté. Je l'attrape au détour du couloir et la prends machinalement dans mes bras, retirant son poing fermé de sa bouche qu'elle mordille de tristesse.
Merlin que c'est bon de la sentir là, vivante. Je respire son parfum infantile et remplis mon esprit de souvenirs. Souvenirs fugaces et vivaces, vestiges d'une époque où tout ce qui m'importait était de la faire rire… et de voir sous les jupes de notre cousine. Une époque ou les parfums de fleurs traversaient notre jardin pour embaumer la cuisine, époque ou l'on n'avait pas peur de laisser les fenêtres ouvertes. Des moments à rire tous ensemble, à sept dans une chambre, les jumeaux offrant gentiment de dormir par terre. Fous rires sous la couette maintenue par un bâton… Batailles d'oreiller sous une pluie de plumes… Veillée autour d'un feu de bois, papa nous montrant comment les moldus faisaient le feu à l'âge de Paul… euh… de Pierre. Les courses de balai dans les couloirs de notre maison et les soirées à jouer au Dragon sans queue. Les bonbons de noël et l'odeur de gâteau suffisant à apaiser n'importent quelles colères. Ginny et moi dans un même lit parce qu'elle a peur du monstre savamment inventé par les jumeaux. Ginny et moi dans un même lit, simplement parce que le sommeil nous a surpris dans notre conversation.
Mais Merlin que son parfum me rappelle tant de choses désormais regrettées.
