- Que leurs âmes reposent à jamais…

L'homme tout en noir jette une poignée de terre détrempée sur les cercueils et le monde se met à pleurer. Quelle bande de crétins… comme si Hermione avait besoin de ça. Je la regarde s'avancer à son tour et en faire de même, la tête droite, elle semble plus attirée par le ciel couvert que par la terre qui va ensevelir le corps de ses parents.

Je crois que cette image restera à jamais gravée dans mon âme. Je hais les enterrements. Je hais les enterrements moldus. Pourquoi ont-ils besoin de nous montrer ça ? Celui de Dumbledore était moins dur à supporter… Je ne sais pas comment elle fait pour rester là, à les regarder jeter cette fichue terre et l'embrasser en lui racontant tous les mêmes choses… Tu es courageuse… Nom d'un Dragon, qu'est-ce que ça peut bien lui foutre d'être courageuse. Elle a perdu ses parents et on lui dit qu'elle est courageuse. A-t-elle le choix ?

Je reste là dans ce costume détrempé qui laisse apparaître le haut de mes chaussettes. Je reste là à pleurer maladroitement et en croyant que la pluie confond mes larmes. Oui je pleure. Et je défie quiconque de me dire que je n'ai aucune raison à cela. Il n'y a rien de plus insupportable que de voir son amie pleurer, rien de plus insupportable que de se dire que d'ici quelques jours, ce sera peut-être nous, debout là, regardant le corps de ses parents disparaîtrent de la surface de la terre, et recueillant d'un air faussement hypocrite les condoléances de ces gens que l'on ne connaît pas.

- Ron, il faut y aller !

Duncan a laissé tomber son parapluie pour venir me rejoindre et me tirer vers ce trou que la pluie vient agrandir peu à peu. Il a de la chance d'être le seul de cette famille à connaître mon prénom, quand je pense que sa petitesse me vaut cette allure de géant coincé dans les habits d'un enfant. Je le rattrape dans la file de ces gens et prend la peine de lui demander :

- Je dois faire quoi ?

- Tu prends de la terre bénite et tu l'as jette sur les cercueils.

Rien de bien compliqué n'est-ce pas ? Sauf lorsque l'on est la personne la plus maladroite du monde sorcier et moldu rassemblé. La file rétrécie et j'en profite pour tourner la tête derrière moi, histoire de sécher mes larmes et me rend compte que je suis le dernier. Les embrassades se font plus longues et je dois rester plus longtemps devant ce trou qui ne laisse plus rien filtrer des cercueils. Je ferme les yeux, prend cette terre et la laisse tomber sur les dépouilles de ces personnes qui finalement, je n'ai jamais connu. Et voilà le moment que je redoute tant.

Devant Hermione, une file de six personnes représentant la famille des défunts… parents et frères et sœurs. Je suit Duncan et sert la main de chacun, marmonnant un « toutes mes condoléances », paraissant si possible convaincant. Et ne peut me résoudre à cela devant Hermione.

Sitôt qu'elle eut relevé la tête vers moi, je ne peux m'empêcher de la serrer dans mes bras. Cet enterrement m'a ramollie le cœur et je me surprends à cet excès de tendresse qui n'a rien de moi. Mais c'est si bon de la tenir, si bon de la sentir vivante. Si bon de savoir que quoi qu'il arrive, je serais heureux d'avoir connu la fille la plus courageuse qui m'est été donné de rencontrer.

Ce sinistre jour s'est enfin achevé et je me retrouve pour la dernière nuit dans cette chambre de bonne. Le corps sur les couvertures, je maudis ce soleil de fin de soirée qui a surchauffée la pièce et je fixe le plafond en me remémorant les dernières heures que je me suis pourtant juré d'oublier. Je suis là à me lamenter sur mes malheurs, maudissant cette insomnie alors que je sais qu'en bas, se trouve un être bien plus touché que moi. Elle non plus ne doit pas dormir… Et je chasse cette image, trop dure de l'imaginer… pleurante… Je ne peux rester là.

Je déambule dans les escaliers et m'arrête sur le pas de la porte. Je ne peux décidemment pas faire ça. Ce n'est pas moi… Ronald Weasley ne connaît le mot amitié que pour l'avoir entendu de la bouche d'autres personnes… Ronald Weasley vient tout juste de découvrir qu'il pouvait se conjuguer au féminin… Et ce Ronald Weasley n'a surtout aucune idée de la manière dont il doit se comporter. Alors il se laisse tomber le long du mur, remonte ses genoux sous son menton et apaise sa conscience en se disant que si vraiment elle a besoin d'aide, il sera là.

Quel crétin, je l'entends pleurer et je me contente d'attendre… d'attendre qu'elle fasse ce pas qui finalement l'amène à me regarder de haut en bas. Je me relève dans un bond, n'ayant rien prévu dans ce cas. Je ne sais quoi lui dire et finalement, cette perspective ne me semble pas si mauvaise.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Sa voix est rauque et cassée d'avoir trop pleuré. Ses yeux sont cernés et la forte Hermione de jadis m'apparaît comme une enfant perdue.

- Je n'arrivais pas à dormir…

- Je suis désolée… ce lit ne doit pas être très confortable.

Comment lui dire que ceci n'est qu'une futile raison ? Comment lui dire que la seule idée de la voir pleurer me fait perdre l'envie de fermer l'œil ? Comment lui dire que même dans le meilleur des lits, je n'aurais pu trouver le sommeil ? Comment lui dire tout ça alors qu'à ce moment même, elle m'entraîne dans sa chambre et glisse son corps entre les draps, m'invitant à en faire de même.

- Ca va Ron, on n'est plus des enfants. On ne fait que dormir…

On ne fait que dormir… pourquoi est-ce que sa phrase me trouble tant ? Peut-être parce que je sais que je ne serais pas apte à fermer l'œil de la nuit, une fille autre que Ginny partageant mon lit. Néanmoins, la voyant se retourner à l'opposé, je me glisse dans ce lit en prenant garde de ne pas démonter les draps si bien bordés, en prenant garde de ne pas la toucher… surtout, ne pas la toucher.

Je me contente des vingt centimètres que me laisse la bienséance pour tenter de bien me poser. Et je prie pour qu'elle n'ait pas un sommeil agité. Sauf que, dans un nouveau sursaut de larmes, je sens son corps frôler le mien et le parfum de sa chevelure étalée sur mon torse, chatouiller de sa douce odeur mes narines.

Elle a enfin trouvé le sommeil. Mais ce n'est pas comme ça que deux amis doivent se comporter dans un même lit, n'est-ce pas ?