« Aujourd'hui maman est morte, ou peut-être était-ce hier ». Je n'ai jamais pu comprendre cette phrase sortie tout droit d'un livre moldu. Je n'ai jamais compris comment quelqu'un pouvait oublier quand sa propre mère était morte. Aujourd'hui, tout est différent. Aujourd'hui, maman est morte, ou peut-être était-ce hier.

Les yeux embués et le vague à l'âme, je déambule dans le Terrier, trébuchant sous le poids de la tristesse. Je ne sais pas l'heure qu'il est, aucune idée de ce que j'ai bien pu faire de ma journée ni même si une journée s'est réellement écroulée depuis que nous avons appris cette nouvelle. Maman est morte… cette phrase je la hais… cette phrase tourne dans ma tête comme une mauvaise mélodie qui s'accroche à mon cerveau telle une araignée à sa toile. J'aimerais oublier, juste un instant.

Les souvenirs emprisonnent mon esprit et m'amènent toujours au même raisonnement : ce qui est passé ne reviendra jamais. Je n'ai pas su prendre mon temps. Pas su réaliser que c'était bien ma mère qui allait partir avant moi. Pas su réaliser que je n'étais qu'un enfant… un enfant qui avait désespérément besoin de sa mère dans les moments les plus rudes. Un enfant perdu qui se demande si réellement il pourra remonter la pente, comme on dit.

Mon cœur meurtri semble s'arrêter lorsque mon corps s'immobilise devant une porte close. Je sais qui je trouverai derrière… celle qu'elle fut n'est plus qu'un corps immobile sur un drap blanc. Sa chaleur me manque… ses baisers et ses étreintes étouffantes. Comment ai-je pu un instant avoir honte d'elle ? Comment ai-je pu un instant repousser ses assauts de mère possessive ? De mère aimante ? J'aimerais qu'elle m'étreigne à nouveau à m'en faire perdre l'équilibre. J'aimerais qu'elle passe une main dans mes cheveux pour les recoiffer. J'aimerais qu'elle tire sur ma cravate, jamais assez droite. J'aimerais qu'elle soit là.

Je pose ma main sur la cliche de la porte et la pousse doucement, comme pour ne pas la gêner dans son sommeil éternel. Je la vois… sereine au milieu des bougies bien plus morbides que la situation elle-même. Des poches bleues se sont formées autour de ses yeux et ses cheveux roux contrastent avec sa peau blanche. Je pose ma main sur son front… sursaute en sentant sa peau froide agresser mes souvenirs.

Des larmes ruissellent sur ma joue et pour la première fois je réalise que la mort est un état à part. Je pleure comme un enfant. Où est ma mère ? Pourquoi ne me dit-elle pas que tout va aller mieux? Pourquoi ne me dit-elle pas d'être courageux ? Là où cette vertu me fait défaut, j'ai l'impression que plus jamais je ne pourrai l'être.

J'ai chaud… soumis à un état fiévreux qu'apportent la tristesse, le manque de sommeil et la colère. Je hais la terre entière et ma mère plus particulièrement. Pourquoi nous a-t-elle fait venir au monde pour nous laisser si rapidement ? Pourquoi a-t-elle été aussi parfaite durant tant d'années pour commettre maintenant la pire des fautes ?

Pourquoi est-ce que mon père n'est pas capable de réagir ? Pourquoi sourit-il ? Comprend-t-il qu'il a perdu à jamais la moitié de son cœur ? La folie a cela de plus triste encore qu'elle enlève la notion de perte.

Je niche ma tête contre son cou froid et j'essaie de me calmer comme je le faisais il y a longtemps… trop longtemps… trop rarement. Les souvenirs reviennent… je me relève, caresse une dernière fois ses joues et essuie mes larmes d'un revers de la main. Dehors un monde m'attend, ici la mort est la seule présente.

Tout est calme dans cette fichue maison et je ne la reconnais plus comme étant notre. Elle était le refuge de l'amour de mes parents. Celui-ci s'est enfui quand des mangemorts leur ont fait perdre la raison.

Mes pas m'éloignent volontairement de ce couloir et j'avance sans réfléchir, aveuglé par la colère. Je pousse une silhouette avec force et n'entend pas de protestation venir jusque moi. Dommage… j'aurais bien eu le besoin de me défouler un peu. Les marches qui mènent au grenier grincent sous mon poids et j'arrive dans une pièce que même la goule a désertée. Plus rien n'est comme avant…

- Ron…

Voix puissante et contradictoirement tremblante. Il m'a suivi jusque là… je veux être fort. Lui montrer que je tiens le coup. Mais quand mes yeux croisent ceux d'Harry, toute logique s'effondre. Je craque. Et il retient mon corps qui menace de s'effondrer.

- Allez vieux… pleure un bon coup… c'est ce qu'il faut.

- Non il… ne le faut pas… je dois être fort… pour Ginny… pour papa…

- Ton père est avec les jumeaux. Et Ginny dort… loin d'ici. Elle ne t'entendra pas.

Je sais qu'il a raison et il n'a pas besoin de me convaincre. Mes sanglots se font plus forts comme si toute la tristesse de ma vie se tenait dans ce moment là. Je me raccroche à mon meilleur ami, mettant de côté toute fierté que j'entretenais à son égard. Je pleure comme un enfant, étouffant ma douleur dans une respiration de plus en plus saccadée. J'ai l'impression que cet état ne cessera jamais et quand ça devient réellement le cas, ça en devient presque douloureux de culpabilité.

- Allez… ça va aller…

S'il n'était pas mon meilleur ami et orphelin par-dessus le marché, je vous promets que je lui aurait fait ravalé cette phrase. Mais il a raison, il faut l'avouer. Je ne suis pas le seul à avoir perdu ma mère… et j'ai la chance d'avoir encore une famille. Une famille qui se morfond sans que je sois là.

Je redescends les marches, plus que jamais déterminé à être présent. Je m'arrête dans la chambre de Ginny et m'assois au près de son lit… elle sursaute… elle dormait d'un sommeil trop superficiel et panique en me voyant là.

- Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Rien… rien Ginny. Ne t'inquiètes pas…

Je pose ma main derrière sa tête et la force à se rallonger… en boule… comme un enfant dans le ventre de sa mère. Elle est exténuée et s'endort sans plus de mal. Je reprends ma route vers le reste de la famille dans l'étage du bas. Ils sont là, silencieux, autour d'un café et je fais mon entrée, la tête baissée. Presque honteux de les avoir laissé seuls.

Je tourne la tête lorsque je vois la porte s'ouvrir et regarde Fred s'avancer seul. Il hoche négativement la tête et nous dit :

- Rien de neuf… il n'a toujours pas réagi.

Mon courage me fait faux bond une nouvelle fois. Fred sort de nouveau, rejoint George adossé à la clôture. Ils sont dans leur monde. Ils sont deux.

- Pourquoi…

Ce simple mot sorti de ma bouche fait frissonner tout un groupe. Charlie se lève et je me rends compte que la tendresse et la seule chose qu'il nous reste. Nous, des grands gaillards… je le vois m'enlacer sans aucune honte… pourquoi faut-il un mort pour avoir un geste aussi fraternel ? Bientôt Bill en fait de même… et Percy… je suis le plus jeune… je le réalise... et toute la pression que je m'étais mise transparaît sur mes aînés.

Merlin qu'il est bon d'avoir une famille.