Chapitre 21 – Des paroles difficiles

La fuite de Mikasa avait figé Livaï sur place. Il se flagellait mentalement. Il avait agit comme un imbécile, il en avait conscience. Il ignorait pourquoi il avait dérapé ainsi, tout en lui lui hurlait de ne pas continuer, mais il avait quand même tout fait capoté.
Cependant, il ne regrettait pas totalement cette discussion, car il était profondément las de voir la naïveté de Mikasa l'empêcher de remarquer ce qui se tramait autour d'elle. Il aurait aimé qu'elle réalise que sa relation avec lui avait perdu son caractère innocent depuis un certain temps déjà, il aurait aimé qu'elle réalise qu'elle l'avait fait changé rien que par sa présence auprès de lui, qu'elle lui avait donné l'envie de s'intéresser à autrui et de s'ouvrir à elle.
Du reste, il désirait par dessus tout qu'elle envoie paître cet imbécile de Jean Kirschtein !

En route pour les appartements de son Caporal-chef, la Major Hansi croisa une jeune Mikasa qui courrait presque et qui avait l'air absolument bouleversée. Elle tenta de la stopper pour lui demander quelques explications mais la jeune femme l'esquiva et accéléra le pas. Elle dévala les escaliers et sortie du champs de vision de la Major en un éclair.

Bien qu'elle était surprise et inquiète par cette rencontre peu commune, la Major devait impérativement s'entretenir avec Livaï et continua donc son chemin. Elle se jura tout de même d'aller prendre des nouvelles de la soldate un peu plus tard afin de s'assurer que rien de sérieux ne se tramait.

Elle frappa, entra, et écarquilla les yeux devant un Livaï à demi nu, furax, planté au milieu de la pièce.

- Euh... tu m'expliques ?

- T'expliquer quoi la bigleuse ?!

- Et bien, il ne faut pas chercher bien longtemps pour comprendre que la jeune Ackerman sors de chez toi. Or, comment dire ? Ce que tu dégages là tout de suite ... c'est plutôt inquiétant...

- Mêle-toi de c'qui t'regardes, gronda-t-il.

- Ô mais ça me regarde, mon cher Livaï, car vous êtes tous deux sous mes ordres. Et quoi qu'il se soit passé ici, les larmes qui coulaient sur les joues de Mikasa me disent que ce n'avait rien de guilleret ! Qu'est-ce que tu lui as fait, Livy ? demanda-t-elle pleine d'inquiétude.

- Rien du tout ! Qu'est-ce que tu vas imaginer ?!

- Et bien... elle pleurait, et toi tu as l'air très en colère et... en caleçon...

- Simple coïncidence ! C'est une gamine perturbée, elle a mal pris un truc que j'ai dit, c'est tout...

- Donc il ne s'est rien passé de... J'hallucine de devoir parler de ça avec TOI, dit-elle en se massant la tempe. Est-ce que tu lui as fais une proposition qu'elle a refusé ?

- Quoi ? Non !

- Et est-ce qu'elle t'as fait des avances et tu l'a repoussée un peu trop brutalement ?

- Tss, tu y es pas du tout... souffla-t-il.

- Mouais... Disons que je te crois parce que là j'ai vraiment d'autres chats à fouetter, mais j'y reviendrai ! Il fallait que je te parle de ta mission, ça se précise. Mais, euh... tu peux mettre des vêtements avant ?

Une fois leur discussion terminée et Hansi repartie, Livaï prit quelques minutes pour peser le pour et le contre. Tout lui dictait de ne pas poursuivre ses désirs de plus en plus ardents et de laisser la jeune Ackerman hors de sa vie privée. Pour autant, il n'arrivait pas à s'y résoudre.

Ainsi, persuadé de faire une monumentale erreur, il partit à la recherche de celle qui devait être en train de le détester au plus au point. Il vérifia la salle d'entrainement par acquis de conscience mais ne fut pas surpris de la trouver vide. Il hésita avant d'ouvrir très précautionneusement la porte de la chambre de Mikasa et Sasha. Fort heureusement pour lui, la mangeuse de patates avait un sommeil plutôt lourd et elle ne se réveilla pas. De ce fait, il pu apercevoir le lit vide et non défait de Mikasa. Il chercha ensuite dans la salle de réfectoire, la cuisine, puis la cour. Il espérait fortement la trouver assise sur le rebord de la fontaine à admirer les étoiles, mais rien à nouveau. Idem à l'écurie.

Il commençait à s'inquiéter sérieusement au fur et à mesure que ses idées se raréfiaient, quand il eut soudain une épiphanie. D'un pas assuré, il se dirigea vers l'extérieur du château, passa la grille sans souci et fonça presque jusqu'à la forêt.

Là, malgré la pénombre, il distingua sa silhouette appuyée contre un arbre à l'orée du bois. Il prit une seconde pour la regarder avant qu'elle ne s'aperçoive de sa présence : elle était essoufflée et la lueur de la lune laissait percevoir son visage peiné. Son regard quant à lui se perdait dans la prairie. Il s'avança délicatement, de peur qu'une arrivée trop vive la fasse fuir à nouveau.

- Mikasa ?

Elle sursauta et, réalisant que c'était lui, commença à lui tourner le dos pour partir.

- Non, attends ! S'il te plait. Laisse-moi te parler.

- Et pourquoi je ferai ça ? prononça-t-elle sur un ton bien plus glacial que ce qu'elle avait prémédité.

- T'as raison, j'ai merdé.

- Oui.

- J'suis un con.

- Oui.

- Mais...

Il marqua une pause et Mikasa, agacée, amorça un premier pas pour s'éloigner.

- Attends ! cria-t-il. Puis, presque plus pour lui même que pour elle, il continua : je... Putain d'merde, je pensais pas que ça s'rait aussi difficile... Je suis capable de trucider des titans de 15 mètres en un coup de lame, de me débarrasser d'une armée de ces putain d'monstres tout seul, j'suis le soldat le plus fort de toute cette foutue Ile, alors pourquoi j'arrive pas à te parler comme je le voudrais ? POURQUOI tu me terrifie comme ça ?

Il ne pouvait détourner ses yeux du dos de la brune, qui gardait les poings fermés et semblait attendre la moindre occasion pour s'échapper. Livaï soupira avant de reprendre son laïus.

- Mikasa je... je suis désolé.

Aussi loin que sa mémoire remontait, jamais il n'avait eu autant de mal à s'adresser à quelqu'un. Mais aussi, jamais il n'avait été aussi sincère. Nonobstant, cette déclaration ne fut pas accueillie comme il l'avait imaginé : Mikasa restait silencieuse, immobile, crispée.

Puis après ce qui lui avait semblé être une éternité, détachant chaque mot, elle répondit enfin :

- C'est un peu facile, non ?

- Probablement, répondit-il penaud. Écoute, tu sais que c'est pas mon genre de parler, de me confier... d'avoir des sentiments. Je sais pas vraiment c'qui se passe dans ma tête et ça m'épuise d'essayer de comprendre ce bordel.

Il se laissa tomber au sol, ne trouvant soudain plus la force de rester debout.

- Même si ça me fait clairement chier, on devrait pas être ensemble. C'est contraire à toutes les règles. C'est dangereux. Mais j'y peux rien... j'ai beau lutter de toutes mes forces contre toi, j'arrive pas à te sortir de ma tête.

Il marqua à nouveau une pause, espérant un geste, une parole de la part de la jeune femme. Faire cet aveu lui avait demandé un effort surhumain et cela n'avait pour l'instant malheureusement pas le résultat attendu.

- Mikasa, il faut que tu comprennes ce que je suis en train de te dire, parce que j'ai vraiment pas plus de vocabulaire pour faire mieux qu'ça.

Elle se retourna vers lui, usant de toute sa fierté pour se tenir le plus droite et digne possible malgré les larmes qui lui coulaient lentement le long du visage. Elle avait envie de le gifler, pire, de lui décocher des coups jusqu'à ce qu'il s'effondre et ne puisse se relever.

- Rentre avec moi ? Je t'en prie.

- Pourquoi je ferai ça ?

- Parce que j'ai besoin de toi.

Elle s'avança vers lui jusqu'à se tenir à quelques centimètres à peine. La nuit était sombre mais la jeune femme réussit à planter son regard dans celui de son interlocuteur. Sèchement, elle affirma:

- Tu m'as faite souffrir.

- Je sais.

- Tu avais promis de prendre soin de moi. Tu étais sensé me protéger.

Livaï se releva pour faire face à la jeune femme.

- J'essaie. J'te jure j'essaie de faire les choses bien. Mais le soldat en moi arrête pas de me dire de m'éloigner alors que l'homme que je suis voudrait ne jamais te quitter. C'est une excuse à la con je sais, mais j'ai jamais fait... ce genre de choses, auparavant. J'ai pas été préparé à cette situation.

Mikasa ne trouva pas la force de continuer cette conversation. Elle lui en voulait terriblement, mais une partie d'elle ne pouvait nier qu'elle était heureuse qu'il soit venu à sa recherche. Tout en observant le visage meurtri par le remord du Caporal, Mikasa tenta de faire le point sur ce qu'elle désirait. Elle pouvait choisir de tout envoyer valser, se faciliter la vie en abandonnant ce semblant de relation qui naissait entre eux et revenir à sa vie de soldate disciplinée qui n'a d'attache que pour son frère adoptif. Mais était-ce vraiment ce qu'elle voulait ?

Elle se mis en marche, dépassant la Caporal qui effectua une rotation et la suivit en silence. Il comprit que le pardon était loin d'être acquis mais que tout n'était pas encore perdu, ce qui fit souffler un vent de soulagement et d'espoir en lui.