Chapitre 22 – Le calme…

Les jours qui suivirent ne furent pas des plus gais entre le Caporal et la jeune soldate. Livaï avait passé les dernières nuits dans son fauteuil à se morfondre en observant Mikasa du coin de l'œil, leurs échanges verbaux étaient très réduits et ceux visuels encore plus.
Mikasa ne se savait pas aussi rancunière, mais c'était plus fort qu'elle : elle ressentait un mélange de colère et de frustration, agrémenté d'une pointe de tristesse.
De son côté, Livaï essaya à mille reprises de faire un pas vers Mikasa, mais dès lors qu'il ouvrait la bouche pour lui parler sa voix prenait la poudre d'escampette, ce qui le frustrait grandement.

Et puis, un soir, Mikasa soupira longuement avant de l'inviter à la rejoindre sous les draps.

- Ne prend pas ça pour ce que ça n'est pas : je t'en veux toujours.

- D'accord, répondit-il en essayant de masquer sa frustration.

- La prochaine fois je risque de ne pas m'arrêter à une gifle.

- Faisons donc en sorte que ça n'arrive plus.

Mikasa acquiesça d'un signe de tête puis la pausa sur l'oreiller. Livaï s'étendit à ses côtés et entrelaça la jeune femme, dont le corps légèrement tendu témoignait de la rancœur toujours en elle. Cependant, alors que le sommeil la gagnait peu à peu, le Caporal sentit celui-ci se détendre, s'apaiser. Il retrouva avec plaisir le mouvement de la cage thoracique de la belle endormie se soulevant et s'affaissant au rythme lent de sa respiration. C'était pour lui le métronome sur lequel il se concentrait afin de faire le vide en son esprit et se laisser guider vers Morphée. Ce doux son d'expiration, ce va-et-vient à peine perceptible, étaient devenu comme une drogue pour lui, il s'en était brutalement rendu compte lorsqu'il en avait été privé. Le retrouver était des plus satisfaisant.

Conscient de la fragilité de son statut aux yeux de la brune, Livaï préféra ne pas aborder le sujet de sa mission future pour l'instant. Néanmoins, le jour de son départ approchait à grands pas et il redoutait la conversation qu'il allait devoir avoir. D'une part parce qu'il ne souhaitait pas particulièrement partir loin d'elle aussi "tôt", d'autre part parce qu'il savait qu'elle serait contre son départ, contre sa propre éviction de la mission, et contre la solitude qui l'attendait.

Il laissa donc couler quelques jours tranquilles, profitant de chaque instant qu'ils arrivaient à glaner. Cependant, ils savaient que leur attitude commençait à semer le doute dans les rangs du Bataillon : on les voyait partir l'un après l'autre du réfectoire, échanger des sourires subtils en salle d'entraînement, on les avaient même aperçu quittant le château ensemble et disparaitre pendant presque une journée entière. Interrogée par ses camarade, la jeune Mikasa était restée très évasive à ce sujet et avait promptement détourné la conversation avant de s'éclipser. Se justifier ou se couvrir ne l'importait guère pour le moment, ce qu'elle voulait était avant tout de profiter de l'instant présent, peu importe les conséquences de demain.

Les deux soldats vivaient alors comme des adolescents, fuyant la surveillance de leurs parents pour roucouler paisiblement dans le foin de l'écurie ou sur la branche d'un grand chêne. Dès lors qu'ils étaient à l'abri des regards importuns, leurs doigts s'entrelaçaient, leur voix ricanait et leurs lèvres se retrouvaient pour de longs baisers passionnels.
Toutefois, Livaï ne pouvait nier qu'il était de plus en plus difficile de retenir le feu qui brûlait en son for intérieur. Certaines de ses étreintes se faisaient plus explicites, mais la douce brune ne répondait pas à ses invitations non-verbales. Il avait hésité quelques fois à lui exprimer plus clairement ses désirs, mais avait renoncé de peur de brusquer celle qui - excepté l'amour inconditionnel envers Jäger - n'avait encore jamais offert quoi que ce soit d'elle à qui que ce soi.

- Oooooh Mikasa, quelle surprise ! s'écria Connie ne voyant la brune entrer dans la chambre qu'il partageait avec Jean.

- Tu nous honores enfin de ta présence aux soirées cartes, mais quelle bonté... railla son amie Sasha.

- Tu joues ? demande plus innocemment Armin qui était sur le point de distribuer.

- C'est pour ça que je suis là.

- Installe-toi là ! s'empressa de suggérer - d'ordonner - Jean en désignant l'espace à sa droite.

La soldate esquissa un sourire et prit place sur le sol. L'espace entre les deux lits était exigu et les joueurs de poker étaient serrés les uns contre les autres. Les joyeux compères discutaient de tout et de rien en grignotant des biscuits sortis de Dieu sait où, enchaînant les parties sans se soucier de l'heure qui se faisait tardive. Sans grande surprise, Armin était un excellent joueur et son butin de haricots secs était bien supérieur à ceux de ses adversaires.

- Argh ! Tu triches j'en suis sûr, grogna Connie après une énième défaite.

L'assemblée se moqua gentiment de la frustration de leur camarade, l'ambiance était bonne enfant et tous passaient un bon moment. Soudain, leurs rires et bavardages furent interrompus par la porte qui s'ouvrit à la volée. Dans l'encadrement se tenaient la Major Hansi et le Caporal-chef Livaï - dont le pied se reposait seulement sur le sol après avoir ouvert la porte.

- Jeunes gens, le couvre-feu est dépassé depuis bien longtemps, sermonna la Major. Vous devriez de ce fait être dans vos chambres respectives et en train de dormir !

Depuis qu'il avait remarqué que Mikasa se trouvait dans le groupe, et qui plus est aux côtés de Jean, Livaï n'avait détourné son regard de la jeune femme. Les soldats ramassèrent leurs affaires et étaient sur le point de se lever lorsqu'il prit la parole :

- Pas si vite, les rebelles. Puisque vous n'avez pas l'air d'avoir sommeil, vous allez aller me faire 20 tours de cour.

Tous - à l'exception de Mikasa - se lamentèrent.

- Soupirez encore et je double la mise.

Mikasa leva enfin les yeux vers le Caporal et fut saisie par la crispation sur son visage.
Hmm, il n'a pas l'air ravi... Je sens que je la conversation va être joyeuse au coucher. Enfin... s'il nous laisse aller nous coucher à un moment !

Après de nombreux tours dans la cour, illuminés seulement par les lueurs de la lune, les soldats s'écroulèrent sur le sol à l'instant même où leur Caporal leur souffla « Ça suffit pour cette fois, je suis las de vous regarder soulever de la poussière. » avant de s'éclipser.
Les soldats à bout de force s'entraidèrent pour rejoindre leurs quartiers, bien que l'heure du lever était méchamment proche.

Essayant de se faire le plus discrète possible, Mikasa fila les pas de son supérieur et frappa tout doucement à sa porte. Celle-ci s'ouvrit à moitié et alors que la jeune femme entrait, elle fut saisi par le poignet et plaquée contre le mur. Le Caporal-chef Livaï se tenait très près d'elle et la regarda longuement, les sourcils froncés et le souffle puissant, avant de s'exprimer sur un ton froid qu'il n'avait plus utilisé avec elle depuis un certain temps :

- Tu as passé une bonne soirée ?

- Plutôt, jusqu'à ce que mon supérieur ne l'interrompe et me punisse, répondit-elle nonchalamment.

- Ça te fait rire, Ackerman ? rétorqua-t-il en serrant un peu plus son poignet.

- "Ackerman", hein ? Tu es énervé à ce point ?

Il plissa un peu plus les yeux en faisant le point avec lui-même : pourquoi avait-elle l'air de prendre sa autant à la légère tandis qu'il était profondément agacé ?

- Roooh, ne soit pas rabat-joie s'il te plait. Cela faisait une éternité que je n'avait pas passé un peu de temps avec mes amis. Et c'était agréable !

- Et il fallait que tu sois collée à Kirschtein ?!

Mikasa le repoussa légèrement afin de se dégager du mur.

- Encore ?! Qu'est-ce qu'il a bien pu faire de mal pour t'énerver cette fois ?

- Ne fais pas l'innocente, tu étais quasiment assise sur ses genoux !

Mikasa balaya l'air de ses bras et s'écroula sur le fauteuil.

- Tu sais quoi Liv' ? Pas cette fois ! Je ne veux pas rentrer dans ton jeu. Tu sais pourquoi ?

Livaï allait répondre mais la jeune femme ne lui en laissa pas le temps.

- Parce que c'est ridicule !

- Mais...

- Non ! Stop ! Que tu puisses imaginer que j'ai un quelconque attrait pour Jean est stupide, j'ai déjà du mal à gérer mes sentiments pour toi, je n'ai vraiment pas les épaules pour aller courir vers PLUSIEURS hommes à fois. Alors si tu ne peux t'empêcher d'être jaloux, soit, mais sois-le en silence !

Elle laissa sa tête et ses bras retomber et ferma les yeux. Livaï était contrarié de n'avoir pu placer un mot, mais curieux :

- Sentiments ... ?

- Roh tais-toi donc grand benêt ! souffla-t-elle sans prendre la peine de bouger. Je suis trop fatiguée, on ne se demandera pas à qui la faute !

Livaï pouffa et se dirigea vers la salle de bain afin de se préparer à se mettre au lit. Une fois ressorti, il trouva Mikasa complètement endormie à l'endroit où il l'avait laissée quelques minutes plus tôt.
Il vint glisser un bras sous ses genoux et un sous ses épaules afin de la déplacer sur le lit. Puis, il se glissa à son tour sous les draps et déposa un baiser sur le front de la brune avant de s'endormir à ses côtés.