Note : UA où Wanda survit au Snap.
Sous le froid du silence
Enfermée dans sa bulle de douleur, Wanda ne peut rien faire. Elle voit Thanos qui récupère la pierre de l'esprit sur le front de Vision, elle observe le corps désormais gris du synthézoïde en train de heurter le sol. Si elle aimerait hurler sa colère et sa souffrance, elle ne parvient cependant pas à parler, sa gorge est nouée, ses yeux noyés de larmes. Elle ne réagit plus lorsque les autres Avengers viennent les rejoindre pour tenter d'éliminer le Titan alors qu'il brandit fièrement sa main gantée et les six gemmes qui brillent dessus. Elle ne bouge pas plus lorsque Thor, descendant du ciel à vive allure, plante Stormbreaker dans le torse de leur ennemi. Elle ne se relève pas à l'instant où le Titan, amusé par l'erreur du dieu du tonnerre, claque ses doigts et met en branle la disparition de la moitié de l'univers.
C'est un silence mortel qui s'abat sur eux tous. Les oiseaux ont cessé de chanter, les hommes ont arrêté leur lutte, les animaux se figent. Même le vent lui-même semble avoir perdu de son souffle, il passe dans les feuilles des arbres qu'il agite lentement, comme si le moindre bruit pouvait être néfaste. Une sensation d'étouffement étreint Wanda, elle cligne des paupières pour détailler son environnement qui lui paraît différent : autour d'elle, certaines silhouettes se désintègrent, se morcellent, s'effacent, sans un mot, sans un cri, sans une explication. Barnes, Wilson, T'Challa, Groot, et tant d'autres suivent le mouvement, éclats de vie disséminés si soudainement, arrachés à leur existence pour devenir des souvenirs.
Égoïstement, la jeune femme attend son tour, presque impatiente. Elle tend une main devant elle, fixe ses doigts bien trop réels, prie avec force un dieu quelconque en demandant à disparaître. Mais alors que les Avengers prennent conscience de ce qui se passe, alors que les Wakandais commencent à comprendre que leur pays a perdu son roi, Wanda s'effondre, terrassée par une survie qu'elle voudrait refuser. Elle sent à peine les bras de Steve qui l'entourent, les doigts frais de Natasha qui effleurent son front, elle se coupe du monde, écartelée à l'intérieur comme si, une fois encore, quelqu'un venait de lui arracher ce qu'elle a de plus précieux, comme si son cœur cessait de battre.
Elle sait qu'elle est de retour au Quartier Général des Avengers car les lieux ont changé, et les murs sont douloureusement familiers. Elle connaît chaque détail de cette pièce qui était sa chambre, là où elle a appris à revivre après le décès de Pietro, là où elle a si longuement parlé avec Vision, là où elle a découvert l'ampleur de la catastrophe qu'elle a commise en faisant exploser cette bombe quelques années plus tôt – dans une autre vie, autrefois, dans un passé qui n'est plus le sien tant il lui semble appartenir à une autre personne. Elle ne dit rien mais serre son oreiller contre elle, hurle dans les plis de ses draps, en silence, tout en versant des larmes amères dont le flot grandit sans se tarir.
Plusieurs fois par jour, Natasha et Steve tentent de la forcer à aller de l'avant. Ils lui apportent à manger, lui parlent du monde qui tourne encore, de leurs amis qui sont là, de l'été qui réchauffe les corps et les cœurs. Mais au fond d'elle, Wanda est gelée, ses poumons ne sont que des amas de glace, son souffle une brise froide, ses pleurs des torrents de neige. Elle n'est qu'un pantin qui partage la table des Avengers, sans grande envie d'être véritablement parmi eux Tony est revenu grâce à une femme extraterrestre et a retrouvé Pepper, Steve organise au mieux les recherches pour dénicher des survivants, Natasha l'aide autant qu'elle le peut, Rhodey fait le lien entre les héros et les autorités locales, Bruce s'enferme des heures dans le laboratoire du Quartier Général pour maugréer contre son alter, Rocket tente de communiquer avec l'espace pour avoir un aperçu de ce qui s'est passé ailleurs.
Thor, pour sa part, est aussi silencieux que Wanda. Il enchaîne les bières, se tasse dans un canapé, ne discute avec personne, tout comme elle – à la différence qu'elle ne se noie que dans des verres d'eau et dans la douceur de ses draps. Il tait sa douleur, elle murmure le sienne dans le silence de la nuit. Elle le comprend, plus que les autres, plus que tous ces gens qui estiment savoir ce qu'est la perte d'un être cher. Parfois, quand elle remarque son regard hagard, ses doigts serrés sur une nouvelle bouteille, elle l'envie. Parce que même s'il est un dieu, même si son organisme est bien plus fort que celui des humains, il a réussi à trouver une porte de sortie vers laquelle apaiser son âme il semblerait que les vapeurs d'alcool aient emporté ses pensées dans un endroit où il souffre moins.
Et puis les saisons s'écoulent, l'automne arrive puis laisse sa place à l'hiver, aux ténèbres, aux fêtes de fin d'année qui ne sont rien de plus que des pierres en plus dans l'édifice de ce deuil qui plane au-dessus d'eux. Le printemps refleurit, les maisons se relèvent, les familles se reconstruisent difficilement, et la date fatidique porte désormais trois cent soixante-cinq jours derrière elle. Derrière sa fenêtre, Wanda resserre les pans de sa robe de chambre – elle a encore froid, toujours, et son corps amaigri peine à tenir debout. Elle voit les arbres qui portent les couleurs du renouveau alors que la seule teinte qui envahit ses yeux est le rouge : celui de sa colère, celui de sa magie, celui de la peau de Vision, celui de son cœur ensanglanté qui ne bat plus aussi bien qu'avant. De l'autre côté de sa porte, Natasha s'acharne pour entrer mais son pouvoir maintient le battant scellé, à la manière d'une prison.
Depuis près d'un an, Wanda ne parle qu'à ses illusions, à cette silhouette parfois étrange qu'elle dessine dans sa chambre. Elle ne dit rien aux autres, elle s'en éloigne, et ne s'attache qu'à ce rêve qui l'anime. Bientôt, se promet-elle, elle sera libérée de ce poids et retournera se lover dans les bras de la nuit.
