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Chaos.

La foule se débat dans des mouvements contradictoires, telles des vagues désordonnées dans une bassine d'eau. Reflux. Acclamations. Crainte et joie. Le cosmodragon dégage un espace vide autour de lui. Tochiro en profite pour couvrir les derniers mètres qu'il lui reste à parcourir jusque l'arène.

— Tadashi ! appelle-t-il. Dick !

Il pointe le cosmodragon sur la chimère. Si cette monstruosité est toujours en état de combattre, alors il lui montrera qu'il possède quantité de munitions ! Mais la créature se dissout peu à peu en volutes poisseuses, laissant Tadashi interdit au milieu de monceaux informes, l'épée encore dressée.

— Bien joué, gamin ! crie quelqu'un.

Tochiro ne s'en préoccupe pas. Le danger ne viendra pas des supporters, mais du service de sécurité et de sa rapidité à intervenir. Même si personne ne l'a encore accusé d'avoir triché, il doute que les patrons des Murs aient apprécié sa petite démonstration pyrotechnique.

— Allez, on s'arrache !

Ce qui est sûr, c'est qu'ils ne vont pas rester pour fêter la victoire. Inutile d'offrir à la pègre locale la quasi-totalité de l'état-major de l'Arcadia sur un plateau, capitaine compris.
Tochiro se renfrogne. Harlock… Où son ami se trouve-t-il, dans cette foule ? A-t-il vu le tir du cosmodragon ? L'a-t-il reconnu ? Est-il en danger ?

La cohue est indescriptible. La plupart des gens s'écartent – leur groupe est armé, après tout. Dick a pris Lydia dans ses bras et agite un découpeur laser comme s'il s'était agi d'un fouet. Le doc, moins exubérant, a dégainé un petit blaster magnétique. Tadashi n'a pas lâché son épée. Et le cosmodragon… fait le job. Tochiro se demande fugitivement vers où tirer pour ne pas faire trop de dégâts si jamais il doit lancer un coup de semonce. Vers le plafond ? Au-dessus des têtes ? Quelle est la probabilité de couper un innocent en deux par inadvertance avec cette arme de fou furieux ? Harlock ne se serait pas posé tant de questions. Okay, Tochiro admet volontiers qu'il en est le concepteur (et il en est fier, d'ailleurs), mais Harlock a davantage l'habitude de ce truc que lui.

À la sortie des Murs, deux hommes en uniforme tentent de s'approcher, mais font marche arrière dès que Tochiro les met en joue. Pas assez nombreux, pas assez payés… Peu importe la raison, pourvu qu'ils ne les empêchent pas de rejoindre la navette.

— Quelqu'un a vu Kei ? lance-t-il.

Le doc secoue la tête. Merde. Ils ne peuvent pas partir sans elle. Ils ne peuvent pas partir sans Harlock. Hélas, ils sont trop peu nombreux pour faire face à une riposte organisée – seule la surprise leur a permis ce coup d'éclat, mais qui sait combien de dizaines de sbires les maîtres des Murs sont en mesure de déployer ?
« Je me donne une minute », songe Tochiro. Il sait au fond de lui qu'il attendra en réalité jusqu'au dernier moment. Et il sait qu'il devra se faire violence pour ne pas lui-même retourner en arrière.

— Prof, ils nous envoient leurs gorilles !

L'exclamation de Dick le ramène à la navette. Zero et Lydia sont déjà à l'intérieur. Une minute. Si nécessaire, Kei saura s'exfiltrer seule, il lui fait confiance. Mais Harlock ?

Un cordon de sécurité se met rapidement en place à une vingtaine de mètres d'eux. Les « gorilles » ne sont pas suicidaires, et s'abritent derrière les colonnes et les murets. Dans peu de temps il y aura une première sommation, ou non, puis ils se feront canarder. Tant pis, décide Tochiro. Le blindage de la navette en a vu d'autres, il les protégera. Une minute.

Remue-ménage. À l'entrée, la foule oscille, certains protestent, les mieux placés fuient. Kei surgit arme au poing. Tochiro cille. Harlock ! Kei a trouvé Harlock. Elle le porte d'une main, il s'accroche à son cou, elle court vers la navette suivie de la femme qui les a accueillis à leur arrivée. Une minute. Surpris, les gorilles réagissent avec un temps de retard. Trop tard.

— Tir de couverture ! crie Tochiro.

Le cosmodragon oblige l'autre camp à reculer lorsque des pans entiers de maçonnerie s'effondrent.

Kei les rejoint avant que Dick n'ait ajusté la visée de la tourelle mobile. Quelques tirs sporadiques les encadrent, mais le sas de la navette s'est déjà refermé sur eux. Coque blindée selon les mêmes standards que l'Arcadia. Les armes légères ne la transperceront pas.

— J'leur balance une rafale pour les calmer, prof ? demande Dick depuis le poste de pilotage.
— Non, pas le temps de s'amuser ! le rabroue Tochiro. On décolle !

Dick ne proteste pas.

— On rentre ?

Évidemment. Que faire d'autre ?

— Non, intervient Kei. On retourne au temple abandonné.

Tochiro lève un sourcil sceptique, mais Kei lui répond d'une moue déterminée. Dans ses bras, Harlock garde ses doigts crispés sur le col de la jeune femme, le regard absent.

— C'est là où tout a commencé et c'est là que ça doit finir, poursuit Kei.

Elle baisse les yeux sur Harlock. Il ne montre aucun signe de la reconnaître. Il ne montre aucun signe de reconnaître qui que ce soit.

— … et il faut qu'on le fasse maintenant, termine-t-elle. On n'a plus le temps.