--Ois, Deux, Un… Booooooooooooooooonne Année ! » rugit DJ Dazzler. Ses doigts se sont retirés des platines, ils se lèvent en direction du plafond : des sphères lumineuses inondent la piste d'éclairs multicolores. Un tonnerre d'applaudissements éclate, les couples se défont dans l'euphorie générale, les yeux se tournent vers la cage où des rais de fumée caressent un corps d'ébène en transe : « Steeeeeeeeeeeeeeevie Hunter ! » hulule DJ Dazzler. La star de Broadway acquiesce par un déhanché des plus suggestifs. Les habituées répondent et la fièvre se propage. Musique et danse se marient en un tempo qu'imitent les battements d'un millier de cœurs anonymes. Mais un nom craché dans l'oreillette du DJ rompt l'harmonie du dancefloor. Ses ongles démesurés arrachent une dernière larme au vieux vinyle.

La piste s'est figée, les ronds de lumière dansent sur des visages immobiles. La masse des danseurs est fendue par quelques hommes. Dociles, les habitués attendent. Ils n'ont d'yeux que pour ce petit bout de femme juchée sur des talons improbables, qu'ils devinent à peine derrière les torses bodybuildés et huilés de ses gardes du corps. Ceux-ci s'écartent enfin et libèrent Stevie Hunter qui exécute alors une chorégraphie complexe au centre de la piste. La panthère noire se fait tour à tour liane et volcan. C'est bientôt toute une foule qui vibre et se déhanche sur un remix de DJ Dazzler. Certains tentent de croiser le regard de la jeune femme au teint de porcelaine qui ondule lentement derrière Stevie Hunter. La femme-enfant que l'on nomme la Reine Blanche ne suit pas la cadence, elle danse pour elle-même. Ses cheveux blonds caressent son dos cambré. Ses escarpins se croisent et elle virevolte pour plonger ses yeux verts dans les siens. Lui, c'est l'homme qui a osé profaner le cercle sans qu'elle ne connaisse son nom. Elle le regarde sans ciller. Ennemi ? Elle refuse de lire la réponse dans son esprit, il vient de lui proposer un autre jeu. Les armoires à glace l'entourent, mais la Reine Blanche les désarme d'un regard amusé. Elle relève le défi de l'inconnu.

Les play-boys et leurs groupies entourent la Reine Blanche et son nouveau partenaire. Leurs mouvements deviennent un langage. Elle est glissante et fuyante. Il est rapide et précis, il veut donner le meilleur de lui-même. Une perle de sueur brille sur son front pâle, ses yeux d'éther trahissent un brin de nervosité. Il est déterminé, il veut séduire. Il incline son front et respire le parfum de ses cheveux blonds. Sa main effleure le diamant qui rayonne sur la taille gracile de la Reine Blanche. Il l'enlace, elle ferme les yeux et le devine derrière elle. Elle lui offre sa nuque de neige mais il est déjà à deux mètres d'elle, il danse avec Stevie et reproduit chacun de ses mouvements à la perfection. Autour d'eux, la foule hurle son admiration. Sidérée, la Reine Blanche se fige. Il vient de lui adresser un clin d'œil. Elle ravale sa fierté, marche vers lui, l'arrache à sa cavalière, jette à la foule son chemisier de soie blanche et entame une parade sulfureuse en dévorant des yeux le danseur arrogant. Son front sans âge intrigue la Reine Blanche. Ses traits lui semblent familiers. Il la laisse venir à lui et se dérobe pour mieux revenir se brûler les ailes, laissant son corps s'épanouir sous les lumières.

Ses yeux s'égarent sur le ventre dénudé de la Reine Blanche, serti d'une pierre précieuse qui perd progressivement de son éclat. La jeune femme retient son souffle et frémit. Ses longs cheveux jettent des reflets argentés. Soudain, son nombril est auréolé de paillettes qui courent sur son ventre, disparaissent sous le satin immaculé, resurgissent sur sa poitrine corsetée et montent encore le long de son cou, au coin de ses lèvres étoilées, puis sur sa joue pâle pour enfin mourir dans l'éclat de ses yeux d'émeraude. Incrustée de diamants, sa peau scintille, arrêtant les regards, éblouissant les danseurs. DJ Dazzler plonge la piste dans l'ombre. Lorsque la musique et les lumières reviennent, la Reine Blanche a disparu.

Elle sirote une coupe de champagne en examinant son corps : « l'effet diamant » a disparu, il n'y a plus que son piercing qui scintille. Un courant d'air la fait frissonner. Pourtant la porte de sa loge privée est fermée et surveillée par deux agents de sécurité. Elle jette un coup d'œil pour s'en assurer, porte la coupe à ses lèvres, se retourne et s'étouffe.

« Ravid'ter'voir, Emma. Tum'asallumésurlapist'toutàl'heure, tut'souviens ?

- Je rêve, le vieux m'a envoyé son gigolo. Tu as 2/10ième de seconde pour déguerpir. »