Le feu de la cheminée est comme une image, irréelle, imagination humaine, et pourtant il est là et produit de la chaleur. Une personne est assise sans le voir, pourtant elle sait que le feu change. Le mal de tête dont elle souffre fréquemment revient. Il grandit et les flammes se transforment.

Elle entend une fois deElle sent la peur et l'angoisse,

plus les hurlements. elle sent la fin du monde.

La fin de ce monde qui n'est ni plus ni moins qu'une nourriture pour l'être qui vient de naître.

Des flammes et encore des flammes. La destruction et la rage.

Une planète… qui explose…

puis plus rien. Le noir. Affolant.

Le corps secoué de spasmes revient au présent, pour s'évader du peu de futur qu'il a entrevu. Cette personne sort des ténèbres, démunie, alors qu'elle était armée de tout ce qui à présent lui fait défaut. Irène Adler se cogne fréquemment contre le futur, dont elle peut parfois déjouer les plans horribles. Elle venait d'entrevoir une menace pour la planète, et même l'univers entier.

Assise sur son canapé, comme d'habitude, Irène saisit sa canne blanche, marche lentement jusqu'à l'armoire, remplit son porte-monnaie de billets en les pliant selon la somme de ses malheureux bouts de papier. Elle en aura besoin pour voyager. Elle sort de son appartement, la clef n'est pas dans sa poche, elle n'en aura plus besoin.

Comme toujours avant et après ses visions, elle est prise de violents maux de tête. Elle marche à présent dans la rue, laissant sa canne la guider. Cette décision ne datait pas d'aujourd'hui, elle est née de cette vision. Irène ne peut pas lire l'avenir : c'est plutôt le futur qui lui envoie quelques images, des sentiments, des perceptions. Il n'y a rien de réjouissant à cela ; à l'instar de Cassandre, personne ne la croit.

Elle marche dans cette rue qu'elle côtoie tous les jours et elle essaye de remettre de l'ordre dans cette vision, de récapituler tout ce qu'elle sait et qu'elle a ressenti.

Des flammes naîtrait une créature, un pouvoir, une nouvelle ère. Un oiseau de feu, au pouvoir absolu, qui meurt pour mieux vivre. Un pouvoir qui détruira des milliers de vies. C'est un phœnix, qui renaît de ses cendres. Pas n'importe lequel, c'est Le Phœnix. Le Phœnix qui enlèvera au monde cinq milliards de vies, une planète entière, et qui bouleversera le système galactique. Le Phœnix, source de pouvoir sans faille et sans fin.

Le Phœnix, immortel, invincible, incontrôlable et destructeur.

Irène a décidé de rejoindre des personnes qui la croiront peut-être, maintenant qu'elle a suffisamment d'éléments pour en parler. Jusqu'à maintenant, elle était partagée entre le besoin de revoir des personnes comme elle, et celui de rester seule. Il lui fallait une bonne raison pour rentrer chez elle, là où elle pourra s'épanouir comme autrefois, là où elle pourra utiliser ses dons de voyance, chez son alter-ego, chez cette partie d'elle-même qu'elle a trop longtemps étouffée : chez Destinée. Mais là-bas, ce n'est pas non plus le paradis ! Elle va bien sûr retrouver des personnes qu'elle n'apprécie pas vraiment, et qui ne l'apprécient pas plus.

Perdue dans ses pensées, Irène 'Destinée' Adler se laisse guider par sa fidèle canne. Comme d'habitude, le calme de la rue est brisé par le brouhaha et l'ambiance déchaînée de la boîte de nuit. Ces sens lui jouent souvent des tours, devant cet endroit, la musique est toujours trop forte et ses oreilles deviennent sourdes. Elle arrive cependant à percevoir un petit bruit dissimulé sous les autres. Un petit bruit si faible qu'elle doit prêter l'oreille et rester concentrée pour savoir de quoi il s'agit. On aurait dit un sanglot d'enfant… un sanglot refoulé, étouffé, qui vous brise le cœur. Irène s'approche doucement, elle pose sa canne lentement pour éviter qu'elle ne roule loin d'elle. Puis elle approche à tâtons et perçoit un mouvement de recul. Troublé par des sanglots, ce corps fragile ravale ses larmes et murmure :

« D-D-Destinée… »