Auteur : Epayss

Titre : Les loups se cachent pour mourir

Date : 2006-05-09

Adamantium

Il grelottait de froid sous sa cape. La nuit était vraiment glacée. Il essayait de penser à ce doux feu qu'il venait de quitter, cette caverne accueillante, mais cela ne parvenait pas à le réconforter. Son esprit était rempli d'inquiétudes, les battements de son cœur accéléraient à chaque minute qui passait, lui rappelant le temps qui filait entre ses doigts et la Lune qui ne tarderait pas à surgir de derrière les montagnes.

Il ressentit les premiers rayons comme une brûlure sur son crâne. Il n'osa pas tourner la tête pour lui faire face, mais il savait qu'Elle était là.

Le picotement habituel commença à se faire sentir, accompagné des même vertiges et douleurs qu'il avait subi aux premières transformations. Harry respira profondément à plusieurs reprises pour oublier ce qu'il se passait sur lui. Il devait avant tout se concentrer sur la Pierre. D'ailleurs elle n'avait toujours pas réagi.

Harry se mit à paniquer. Il regarda autour de lui dans l'espoir de trouver ce qu'il aurait pu avoir oublié, mais c'était peine perdue. La Pierre restait terne et sans vie sur son monticule. Les rayons se firent plus puissants à mesure que la Lune se dévoilait totalement dans le ciel clair. Harry sentit comme si sa peau s'embrasait sous sa cape. Ca brûlait et piquait, comme si on frottait chaque parcelle de sa peau avec une pierre ponce. Les mouvements de la cape sur ses épaules n'arrangeaient rien, et accentuaient le phénomène. Il s'en débarrassa alors d'un geste précipité, et la jeta rageusement au sol. Le froid lui transperça les entrailles mais au moins il avait moins mal.

Il releva la tête en voyant une forme sombre au loin dans la vallée. Elle se rapprochait, mais sa capacité d'analyse réduite par la transformation l'empêcha de savoir qui c'était, jusqu'à ce qu'il soit tout proche. En moins de dix secondes le loup l'avait rejoint. Il frotta sa tête contre le corps de l'humain pour le rassurer. A ce moment précis, la Pierre s'illumina avec force. Aussitôt les deux individus centrèrent leurs regards sur elle. La roche brilla quelques secondes puis son éclat faiblit et révéla un magnifique cristal. Ce qu'il se passait devant les yeux du sorcier lui fit oublier la douleur. C'était le moment. Il avança timidement les mains vers la Pierre brisée, ne sachant par où commencer.

Le loup aboya bruyamment et attrapa le poignet de son ami dans sa gueule. Il guida alors la main vers le plus gros des cristaux détachés de la Pierre. Harry s'en saisit, puis le loup, d'un geste précis de son cou, tira sur la main pour faire correspondre le cristal avec la roche mère. Les deux morceaux fusionnèrent immédiatement, se fondant ensemble comme de l'eau. Puis l'animal relâcha sa prise et fixa son regard sur celui de son partenaire. Harry comprit. Il prit chacun des cristaux et les fit correspondre à la Pierre de Lune. Il n'eut aucun mal à assembler les morceaux, pour l'avoir fait maintes fois auparavant, tantôt sur son lit d'école, tantôt dans la grotte. Il se dépêchait d'autant plus que le cristal perdait petit à petit son éclat, et que ses mains subissaient des transformations de plus en plus gênantes, à commencer par le rétrécissement des phalanges. Quand il eut fini, la Pierre était quasiment devenue noire. En dernier, Harry ramassa la poussière de ses mains jointes et en versa le contenu sur la Pierre. Puis ce fut terminé. L'éclat disparut totalement, laissant sur le socle une Pierre parfaite, noire et brillante comme l'acier le plus sombre. Mais seul le loup put observer ce spectacle. Harry, lui, sombrait doucement dans la folie de la lycanthropie. Il avait réussi inconsciemment à ralentir la transformation pendant qu'il réparait la Pierre mais à présent la Lune exerçait un tel pouvoir qu'il ne pouvait résister plus longtemps. Sa peau se couvrit de poils sombres, tandis que ses membres se modifiaient à une vitesse effrayante. Des dents effilées s'aiguisèrent dans une gueule allongée, une queue touffue lui poussa quand la colonne vertébrale s'allongea de plusieurs vertèbres. Il hurla quand ses membres antérieurs vinrent se placer sous lui, obligeant une réorganisation complète de l'orientation des omoplates et muscles adjacents ; ses oreilles montèrent au-dessus de son crâne, ses deux fémurs se courbèrent pour s'adapter à ses nouvelles pattes...

Le loup avait reculé, observant tristement le spectacle qui se jouait devant ses yeux. Il y était habitué, et il ne pouvait rien faire pour diminuer la souffrance du loup-garou. Enfin non, pas rien. Il avait encore une chose à faire. Harry n'avait pas eu le temps de passer la chaîne autour de son cou, et c'était à lui de le faire. Il prit la chaîne dans sa gueule et s'apprêta, les muscles bandés, à lui passer la Pierre. Le loup-garou s'agita furieusement, hurlant et griffant l'air, pendant plusieurs minutes, jusqu'à la fin de la transformation. Puis il s'arrêta, le souffle court, et regarda autour de lui, les yeux emplis d'une folie destructrice. Il vit le sol gelé, la neige piétinée, le loup devant lui, tenant dans sa gueule une chaîne à laquelle pendait un étrange pendentif. Le loup-garou grogna contre son compagnon, l'avertissant du danger qu'il prenait à se tenir là devant lui. Mais le loup ne bougea pas. Les deux adversaires se jaugèrent du regard. Le loup-garou n'appréciait vraiment pas qu'un autre loup lui ressemblant le nargue à quelques mètres de lui. Dans un hurlement de rage il se jeta sur lui et le fit rouler au sol. Il était plus grand et plus fort, si bien qu'il prit le dessus dès la première attaque. Harry lui mordit la patte pour lui signifier clairement sa supériorité puis s'écarta de lui. Le loup se releva, douloureux, et planta ses yeux ambres dans ceux du loup-garou.

Furieux de ne pas s'être fait comprendre, ce dernier laboura le sol de ses griffes et grogna sourdement, battant l'air de sa queue. Il s'apprêtait à lancer une seconde attaque mais il fut pris de vitesse car le vieux loup bondit vers lui. Harry se souleva sur ses pattes arrière pour le repousser et les deux se retrouvèrent bientôt debout, les pattes appuyée sur l'autre, cherchant à se repousser mutuellement, à faire reculer l'adversaire.

Mais le loup avait une autre idée en tête. Utilisant ses pattes arrière, il effectua un léger saut vers le haut, à la surprise de Harry qui put le repousser sans effort. Mais la manœuvre ne fut pas vaine car ce saut était suffisant pour permettre au loup de faire glisser la chaîne le long du cou du lycanthrope, avant qu'il ne soit expulsé et rejeté sur le sol.

Il sut à ce moment qu'il était sauvé. Le loup-garou sentit la Pierre glisser jusqu'à son poitrail. La Pierre agit alors comme le morceau de Lune qu'elle était et une nouvelle vague de douleur força le loup-garou à battre en retraite. Il voulut prendre la Pierre dans ses pattes pour la retirer mais il ne pouvait pas la toucher. Elle le brûlait et par ses yeux elle ressemblait à un démon enflammé qui alimentait sa folie et la décuplait. Il hurla, de peur cette fois, et ne sachant se défaire de la Pierre, déguerpit subitement, comme si les mètres parcourus pouvaient l'éloigner du pendentif.

Le vieux loup se releva, affaiblit par les coups qu'il avait endurés. Le loup-garou avait disparu de son champ de vision. Il reviendrait bientôt s'il restait là, c'était certain. Mais le plus difficile pour sa propre personne était passé. Il ne risquait plus d'être attaqué par son ami, c'était maintenant à la Pierre de prendre soin de lui.

Bientôt, quand la Pleine Lune sera passée, il aura un autre loup à ses côtés pour l'aider à chasser. Il restait deux mois d'hiver à tenir, et un compagnon canin ne serait pas de refus pour tenir le coup.

Le loup-garou avait traversé le lac sur sa partie gelée, glissant à maintes reprises. Son cœur le brûlait, car la chaîne placée directement derrière ses épaules maintenait fermement la Pierre de Lune contre son poitrail. Il sentait la folie l'habiter et tournoyer dans sa tête, si bien qu'il ne voyait même plus le paysage autour de lui, il ne subsistait plus qu'un tourbillon de couleurs et de formes indistinctes. Seule tout là-haut, la Lune était toujours ce clair cercle lumineux qui lacérait ses yeux de ses rayons s'il lui prenait l'envie de la regarder. Harry n'avait jamais ressenti cet état auparavant. La Pierre rendait sa folie encore plus douloureuse, encore plus puissante. Il n'avait plus même conscience de ses pattes qui couraient sur le sol plat de la vallée, de la neige qui gelait ses pattes, de sa gueule grande ouverte pour évacuer sa chaleur interne. Il passa à nouveau sur le lac gelé et traversa la plaine de part en part. Arrivé à la lisière de la forêt il n'eut d'autre réflexe que de se jeter sur le premier arbre venu et de le lacérer de ses griffes. Ce sentiment de puissance qu'il avait en imposant son châtiment à l'arbre lui donna une décharge d'adrénaline supplémentaire. Il fit demi-tour et repartit vers la falaise. En courant il arrivait à oublier un peu la douleur de la Pierre.

Il arriva à nouveau aux abords du lac. Ses deux précédents passages avaient fragilisé la couche de glace et créé de profondes fissures. Et ce qui devait arriver arriva. Il n'avait pas fait vingt mètres que la glace céda sous son poids. Le loup-garou, sentant le sol s'effondrer, bondit en avant d'un coup. Mais ses pattes glissèrent sur son support et le loup s'étala sur le bloc de glace. Celui-ci, rendu instable par la charge supplémentaire du loup, bascula sur le côté et se retourna, emmenant le loup-garou avec lui et le précipitant vers le fond.

Harry se sentit sombrer dans une eau glacée qui le poignardait de ses lames de glace. Il essayait de battre des pattes, mais le froid avait paralysé ses muscles et il glissait dans l'obscurité du lac sans possibilité d'en sortir. L'eau était peu profonde, à peine 3 mètres à l'endroit où il se trouvait, mais malgré cela, il ne pouvait pas sortir. Le loup-garou suffoqua. Il ne voulait pas mourir ici. Il valait mieux encore subir la Pierre que de geler dans ce monde aquatique. La folie l'habitait toujours, mais face à ce genre de situation, l'instinct de conservation prenait toujours le dessus. Le loup-garou dégagea une formidable énergie qu'il concentra dans les muscles de ses pattes postérieures. Puis y insufflant toute sa volonté, il les détendit subitement et se propulsa vers la surface. Sa tête jaillit de l'eau, percutant violemment la plaque de glace brisée qui l'avait envoyée au fond. Aussitôt il battit des pattes afin de rattraper un bloc et de s'en servir comme flotteur. La plupart n'étaient malheureusement pas assez solides pour supporter son poids, si bien qu'il dut se résoudre à regagner le rivage avant de pouvoir se reposer, une vingtaine de mètres plus loin. Son corps transit de froid avait beaucoup de peine à se déplacer, et chaque mouvement était une torture, d'autant que plus il avançait, plus la glace était soudée et compacte, mais jamais suffisamment pour lui apporter un bon support. Il lutta plusieurs minutes contre ces obstacles coupants avant d'atteindre la rive. Il fit quelques pas dans la neige, haletant, gueule ouverte, pour reprendre son souffle. Il recommençait à sentir le pouvoir de la Pierre et une grande douleur du côté de sa poitrine s'ajouta au froid. Le vent s'engouffra dans ses poils, le glaçant encore plus que s'il était resté dans l'eau. Il tremblait, sa gorge était en feu… ses yeux le piquaient affreusement… et son cœur qui brûlait toujours… et son environnement qui tournait toujours en une bouillie infâme hypnotisante… trop de sensations… trop de douleur… trop…

Le loup-garou se réveilla, tremblant de froid dans la neige. Il faisait déjà jour. La lumière agressa ses yeux peu habitués à la blancheur de la neige, mais surtout… c'était la première fois qu'il voyait la lumière du jour par ses yeux de loup. Il se releva sur ses quatre pattes. Le monde était si pâle, et si beau. Il ne se souvenait plus de ce qu'il s'était passé il y a plusieurs heures, avant qu'il ne s'évanouisse au bord du lac gelé. Mais il savait que la douleur l'avait quitté. La Pierre, toujours suspendue à son coup, ne calcinait plus son corps mais ne dispensait plus maintenant qu'une sensation un peu étourdissante, un peu anesthésiante. Quelque chose de pas très agréable, mais de pas douloureux non plus.

Le ciel s'était recouvert d'épais nuages gris clair, empêchant toute chaleur d'atteindre le sol. Et dans la vallée s'éternisait un brouillard humide qui rendait toutes les formes et les couleurs plus monotones. Il n'y avait pas un bruit, rien pour lui rappeler que le temps filait toujours.

Il était toujours un loup-garou, mais il n'était plus fou. Il était plutôt dans le flou. Il avait l'impression que s'il se rendormait, ou s'il fermait les yeux, il reviendrait à cette nuit fatidique où il avait enfilé le pendentif.

Le loup baissa la tête pour regarder la Pierre à la lumière du jour. D'un noir profond, parcourue de reflets, ses cristaux se jetaient vers le ciel, lisses et aiguisés comme des lames. La Pierre était bien plus lourde à présent, et rien, plus rien ne pourrait le pousser à vouloir la retirer. En réalité, elle le fascinait. Etait-ce son pouvoir qui lui faisait cet effet ou alors éprouvait-il réellement cette sensation d'attachement, il ne savait trop. La Pleine Lune passée, la Pierre avait perdu sa source d'énergie venant de la Lune mère et agissait à présent en empêchant le retour du loup-garou à l'état d'être humain.

Le loup-garou s'ébroua et vint laper un peu d'eau glacée au lac. Qu'allait-il faire maintenant ? Il avait envie de courir encore, de bouger, de dépenser une énergie trop contenue. Il avait oublié tout ce qu'il connaissait de cette vallée, jusqu'à la grotte qui l'avait accueilli et l'hôte qui l'avait hébergé. Il n'avait en réalité pas encore repris toute sa conscience. Et la seule chose qui lui faisait envie était d'aller parcourir son territoire de chasse, sa propriété. Examiner chaque arbre, chaque cailloux, inspirer l'air glacé de l'hiver, sentir battre son cœur dans une course effrénée, bref, se sentir vivre.

Et il se mit à courir, soudainement et rapidement. La neige sous ses pattes lui faisait un matelas naturel qui amortissait chacune de ses foulées. Le vent s'infiltra dans ses longs poils, le faisant frissonner. Mais rien de plus. Il n'avait pas froid, il savait que sa fourrure le protégeait. Son museau était excité par de multiples odeurs nouvelles venant de toutes les directions : l'odeur de la terre mouillée, de la souche pourrissante, de la carcasse d'un oiseau mort. Et puis les bruits, tous amplifiés : le vent dans la montagne, la neige déboulant sur une pente voisine, le mouvement des branches des arbres, l'envol d'un oiseau, le ruissellement d'une source d'eau. Il entendait tout ça, mais il n'écoutait rien. Concentré uniquement sur ce sentiment grisant de courir sans se fatiguer, de parcourir chaque mètre avec l'impression qu'au prochain il s'envolerait vers les cieux. Peut-être arriverait-il à rejoindre la Lune de cette façon.

Il commença à grimper le flanc de la montagne qui se tenait devant lui. Il s'enfonça à plusieurs reprises dans des trous de neige et dérapa sur les cailloux glissants. Il s'élançait sans savoir ce qu'il y avait sous ses pieds, au risque de se rompre une patte.

Puis il s'arrêta soudainement, quand ses muscles le tiraillèrent, lui rappelant qu'il gagnerait des crampes s'il continuait. Il avait le souffle court et malgré sa gueule exposée au froid pour le refroidir il peinait à évacuer son trop plein de chaleur.

Il n'avait pas réussi à atteindre la Lune. Tant pis, ce serait pour une autre fois. Car maintenant il avait faim, et rien à se mettre sous la dent.

-

Quand le loup est gouverné par la roche,

Quand la roche est gouvernée par l'astre,

Pour que le loup se retrouve,

Nécessite le déclin de l'astre.

-

Plus tard...

Et il se retrouvait là, au même endroit qu'il y a quatre jours, à la même heure. Assis autour du feu, avec l'autre loup devant lui. Harry était revenu à la grotte ce matin-même. La Lune avait perdu de sa puissance et son effet sur la Pierre s'était éteint, permettant au loup-garou de recouvrer tous ses souvenirs. Il avait regagné sa conscience, et cette fois, il était décidé à ne plus la laisser filer, Pleine Lune ou pas.

Tous les deux étaient différents, Harry le savait. L'autre était un loup, et lui, toujours un loup-garou. Il était un peu plus grand et possédait ses petites différences notoires qui faisaient qu'il n'était pas pareil que l'autre. Et pourtant les deux pouvaient se comprendre. C'était très plaisant de pouvoir communiquer avec son compagnon. Pour l'instant les conversations n'étaient pas hautement philosophiques – Harry ne parvenait pas à exprimer des termes et expressions très complexes pour l'instant – mais ce n'était qu'une question de temps.

A son retour le loup lui avait apporté un peu de la rare nourriture qu'il avait récupérée, afin qu'il récupère des forces. Le loup lui avait expliqué clairement : à deux ils auraient plus de chances de capturer des proies, alors il fallait que Harry soit en forme.

Harry se tenait à l'affût derrière un buisson de ronces, les yeux fixés droit devant lui. A tout moment la proie allait surgir. Son compagnon de chasse avait pris la charge de la dépister et de la ramener du côté du loup-garou. Celui-ci, posté tout près du terrier de la victime, n'aurait alors plus qu'à sauter sur la pauvre bête. Il ne se passa pas 5 minutes avant qu'un bruit de course effrénée ne vint titiller ses oreilles. Harry ne devait pas rater ce coup-là et il apprêta ses muscles à réagir. Quelques secondes plus tard, à une vingtaine de mètre, il vit débouler un lapin, suivit de près par son chasseur. Le lapin, comme prévu, se dirigeait vers son terrier, droit sur Harry. A peine fut-il arrivé à deux mètres de l'abri que le loup-garou bondit de sa cachette et se jeta sur la créature. Mais il fut un peu trop court et rata sa proie. Cependant comme son corps bloquait l'entrée du terrier, le lapin n'eut d'autre choix que de repartir dans une nouvelle direction, et déguerpit à toute allure. Harry se lança à sa poursuite aussitôt, laissant ainsi son compagnon reprendre son souffle. Le lapin sous-estima son ennemi : le loup-garou était plus grand, plus vigoureux, et donc plus rapide. Après quelques dizaines de mètres, il rattrapa la créature dans un dernier bond et la serra entre ses crocs jusqu'à lui tordre le cou. Mission accomplie, ils auraient de quoi se nourrir aujourd'hui.

Cela faisait deux semaines que Harry portait la Pierre et il s'y était habitué. Quand il partait en chasse il s'arrangeait pour que la chaîne soit bien calée derrière ses épaules, pour éviter qu'elle ne glisse vers l'avant. Sinon en dehors de la chasse les deux loups sortaient peu. Il faisait trop froid dehors et l'intérieur de la grotte était bien plus agréable. Alors ils avaient passé beaucoup de temps à parler dans un langage de loup, à raconter leur vie passée, les rencontres communes qu'ils avaient faites… Le loup lui avait enseigné comme survivre et chasser dans la vallée, comment utiliser soigneusement ses atouts pour garder son équilibre à tout moment dans les virages, accélérer rapidement ou bondir sur une proie. Harry avait bien assimilé et le résultat était assez net : ils arrivaient à capturer de la viande fraîche une fois tous les trois jours, bien meilleure que la viande dure qu'ils ingurgitaient d'habitude. Dans la peau du loup-garou, Harry ne rechignait plus à manger la viande crue et à lécher le sang de leurs victimes. Cela lui était venu tout naturellement, d'autant plus que le sang était bon pour sa santé. Et puis en plein hiver, quand la faim tenaille le ventre, qu'on soit loup, homme ou insecte, il faut se nourrir, quel que soit la nourriture.

Le loup lui avait expliqué ce qu'ils pourraient manger dès le printemps.

« Bon nombre de rongeurs, parfois quelques petits cervidés, des oiseaux, des baies, des fruits. Les fruits sont généralement à éviter pour nous, mais quand tu seras redevenu humain, tu seras sûrement content d'en trouver. »

« Il y a des arbres fruitiers dans le coin ? » demanda Harry.

« Tout un tas. Au cours de toutes ces années avec Carin, on a fait quelques plantations pour favoriser l'apparition de ces arbres. On a aussi planté des plantes appréciées particulièrement par nos proies naturelles. Elles sont donc plus nombreuses qu'avant dans la forêt. »

« Très ingénieux. » remarqua Harry.

« On a eu du temps pour ça… »

« Tu es là depuis combien de temps ? »

« Je ne compte pas les années. J'ai décidé d'en finir avec ma vie passée, c'est ici que je vis. J'en ai même oublié mon nom. Il n'y en a pas besoin chez les loups. Il n'y a pas de désignation personnelle dans une troupe. »

Au cours de ces longues journées passées avec le loup, il en apprit beaucoup sur la vie des troupes d'anciens loups-garous, la façon dont ils se regroupaient, leurs comportements sociaux. Le loup les connaissait car ils leur arrivaient de descendre dans la vallée pour se restaurer, se reposer ou se tenir au courant des aventures de la Pierre de Lune. A entendre toutes ces histoires, qui ressemblaient parfois à quelque aventure épique, ou à une grande bataille pour la survie, il avait parfois le désir de vivre également cette histoire. Et cela lui faisait peur. Il avait dit au loup qu'il désirait absolument redevenir humain. C'est peut-être pour ça que chaque fois qu'ils discutaient de leurs vies, le loup s'arrangeait toujours pour que Harry termine la conversation sur sa propre vie. C'était étrange car cela se passait toujours de cette façon, comme si le loup voulait que Harry garde toujours en tête les souvenirs de son propre passé, et non ceux de la vie d'un loup.

Fin du chapitre 31