Chapitre 16
Mustang accompagné de ses hommes frappa à la porte de la maison du vieil homme qui avait renseigné Falman et Breda. Il attendit à peine une minute avant que la porte ne s'ouvre sur le parfait sosie de l'homme qui lui avait parlé dans l'auberge.
« Bonsoir Colonel, je vous attendais. Entrez je vous en prie. »
Roy se tourna vers le reste de ses hommes : « Attendez moi là. ».
La pièce dans laquelle il entra était faiblement éclairée.
« Entrez Colonel Mustang. Excusez moi pour la faible lumière, mais vous le comprendrez, elle n'est là que pour vous. Je vous en prie, prenez un siège. Je nous prépare du café. Vous en prendrez bien un, n'est-ce pas ? »
« Oui, je vous remercie. »
Roy s'installa dans un fauteuil et attendit le retour de son hôte qui ne tarda pas à le rejoindre avec une cafetière et deux tasses qu'il déposa sur la table basse entre le fauteuil qu'occupait Mustang et celui où il prit place.
« Il y a un sucrier derrière vous. »
Roy se tourna et se saisit du sucre.
« Merci Colonel.
« Vous connaissez mon nom mais moi je ne connais pas le vôtre.
« Les noms ne sont pas très importants Colonel, seuls les actes le sont. Mais, je reconnais que pour mener une conversation, c'est plus commode. Je m'appelle Zarate, vous avez rencontré mon défunt frère, Kassan, il y a de cela plusieurs jours maintenant.
« Je me rappelle parfaitement de lui. Mais vous avez dit 'défunt' ?
« Oui, j'en ai bien peur. Mes songes me l'ont appris. Et ils ne se trompent jamais. »
Un silence plana entre les deux hommes alors qu'ils tournaient leur café.
« Colonel, des forces obscures sont en mouvement et je crains que le final soit terrible. C'est dommage que vous n'ayez pas compris l'avertissement de Kassan. Vous n'auriez jamais dû amener cette jeune femme avec vous.
« Malheureusement, l'avertissement n'était pas assez précis. Votre frère m'a seulement dit « vous ne devez pas l'emmener avec vous », il était difficile pour moi de deviner qu'il s'agissait de mon premier lieutenant.
« Oui, c'est bien dommage tout de même. »
Zarate prit une gorgée de son café.
« C'est tout le malheur de mon frère. De nous deux, il était le moins bon. Ses visions n'étaient jamais assez claires, du coup il avait du mal à se faire comprendre et parfois même entendre tout simplement. »
Une nouvelle gorgée de café interrompit son discours.
« Aujourd'hui, il est mort. Voyez-vous Colonel, nous étions jumeaux. Nous avons toujours maintenu un lien entre nous, renforcé par le partage de nos visions. Et depuis plusieurs jours, je ne le sens plus. Je crois que j'ai su à l'instant même où Kassan poussait son dernier soupir qu'il n'était plus. »
« Je suis désolé.
« Je ne vous demande pas d'être désolé Colonel. Je vous demande de prendre au sérieux ce que je vais vous dévoiler ce soir. »
Zarate se cala dans son fauteuil.
« J'ai déjà raconté à vos deux collègues la légende de la déesse Kâa et sa faim de chair humaine toujours plus grandissante. Ce n'est qu'une partie de l'histoire. Imaginez-vous une cité belle, immense, fière de sa prospérité. Chaque maison comptait plusieurs patios, des fontaines coulaient d'une eau claire où jouaient des poissons multicolores. Les femmes étaient couvertes des plus belles étoffes et des plus beaux bijoux. Les enfants couraient insouciants dans les rues. »
Mustang était complètement sous le charme du récit de Zarate et sa voix de conteur. Il avait l'impression qu'il lui aurait suffit de fermer les yeux pour se retrouver au milieu des rues de la cité. Il parvenait presque à percevoir le bruit de l'eau dans les fontaines, des arcs-en-ciel formés par le soleil dans chaque gouttes, les enfants qui trempent leurs mains dans l'eau, les femmes portant des pichets sur leur tête et se réunissent sur les places. Les hommes se pavanent et comparent femmes, enfants, chevaux et richesses.
« Les habitants étaient tellement sûrs de leur supériorité qu'ils en vinrent à défier les dieux. Et comme vous pouvez l'imaginer, les dieux sont assez ombrageux. Ils décidèrent de mettre à genoux la cité impudente et ils envoyèrent la plus maléfique des déesses. Kâa. La déesse aux serpents »
Zarate laissa le silence planer une fois de plus.
« Il faut savoir que Kâa était d'une beauté à couper le souffle, loin de ce à quoi elle ressemble à présent, et son appétit charnel était presque aussi grand que celui de chair fraîche. Sa beauté n'avait d'égale que sa cruauté. Très peu ont survécu à leur rencontre avec la déesse. Elle s'attaqua aux hommes de Minoen qui avaient le malheur de traîner dans les rues le soir. On retrouvait leurs corps déchiquetés au petit matin, à moitié nus. Au chagrin des épouses s'ajoutait un sentiment de honte. Et puis, on commença à retrouver des corps de femmes et pour finir de jeunes enfants. La terreur s'installa au sein de la cité. Un groupe de notables décida d'aller consulter un oracle. C'était mon arrière grand-père. Il leur apprit que s'ils voulaient calmer la colère des dieux, ils devaient construire un temple dédié à la déesse aux serpents et la pourvoir une fois par an en sacrifice humain. »
Zarate prit une nouvelle gorgée de sa tasse. Mustang se dit que le café devait être froid à présent.
« Mon aïeul fut accusé de complicité avec la déesse et il fut lynché par la foule. Les morts continuèrent, la cité dépérissait. Finalement, le temple fut construit et on procéda aux sacrifices demandés et la prospérité revint. Cela fonctionna quelques dizaines d'années, jusqu'à ce que les demandes de sacrifice augmentent et que les morts recommencent. Je crois que c'est à ce moment là que Kâa dévoila sa vraie apparence, celle que j'ai décrite à vos collègues. Le Conseil de Minoen se réunit de nouveau et cette fois, il fut décidé de se débarrasser de Kâa. Beaucoup périrent dans cette mission. Finalement, la déesse fut vaincue. Mais, vous vous en doutez sûrement, on ne peut tuer une déesse. Elle fut donc enfermée dans un tombeau au sein même du temple qui lui était consacré. »
Zarate tourna son visage vers Roy qui buvait chacune de ses paroles.
« Je pressens votre question Colonel. Comment fut-elle vaincue et enfermée ? Malheureusement, je ne peux répondre à cette question. Par contre, ce que je peux vous dire, c'est que peu de temps après, Minoen se réveilla un matin complètement en ruines et les habitants avaient disparu. »
Roy posa sa tasse sur la petite table.
« Vous pensez que c'est cette déesse qui aurait pris possession de mon lieutenant.
« Je ne le pense pas Colonel. J'en suis sûr. Je vous l'ai dit au début de cet entretien, des forces obscures sont en marche. Je ne discerne pas encore très bien quels sont leurs plans, mais elles sont très fortes. Ce sont elles qui ont libéré la déesse de sa prison et qui sont derrière les enlèvements de ces pauvres malheureux. »
Zarate se pencha vers Mustang et lui saisit sa main, la serrant à lui faire mal :
« Colonel, vous devez trouver le temple et y enfermer de nouveau Kâa si vous voulez sauver la jeune femme. Il vous faudra aussi combattre ces forces maléfiques qui étendent leur main sur le pays et le plonge dans l'ombre. »
Zarate relâcha enfin la main de Mustang.
« Je vous ai dit que très peu ont survécu à leur rencontre avec Kâa. En fait, Colonel, un seul en est revenu. »
Roy déglutit.
« Maintenant Colonel, je voudrais que vous me laissiez, toute cette discussion m'a fatigué. »
Roy se leva de son siège imité par Zarate qui le raccompagna jusqu'à sa porte.
« Une dernière chose avant que nous nous quittions. Rien n'arrive par hasard, mais il va vous falloir apprendre le pouvoir des adieux. »
Roy resta dubitatif.
« Ne m'en demandez pas plus Colonel. Allez, il est temps pour vous de retrouver vos collègues. »
Roy sortit dans la nuit. Encore une énigme. Une de plus.
