- Tu as déjà confirmé ta présence ? Tu peux toujours annuler, lâcha Magnus avant de prendre une gorgée du thé qu'il venait de se faire.
Stiles secoua la tête. Annuler ne faisait pas partie de ses options et ce, pour plusieurs raisons. Il sentait qu'il devait y aller, qu'il avait besoin de sortir un peu d'ici, de prendre l'air, de revoir ses amis. Oh, bien sûr, il était encore en piteux état mental, si bien que cacher son mal s'avèrerait très probablement impossible à faire, mais… Peut-être qu'ils pourraient passer outre, s'il le leur demandait. Il y avait aussi sa responsabilité de membre de la meute : il était son stratège, l'un de ses deux cerveaux – Lydia étant le deuxième – et n'aimait pas rater les réunions. Il avait besoin de l'information orale, bien plus complète et directe qu'un simple résumé. Derek lui avait indiqué, dans un message qu'il avait vu au petit matin – parce que le sommeil avait fini par le rattraper entretemps –, qu'une espèce surnaturelle dont ils n'avaient pas la connaissance avait commencé à faire des siennes à Beacon Hills. Outre sa nature curieuse, Stiles ne s'imaginait pas laisser ses amis s'occuper seuls de ce problème sans donner la main à la patte. Puisqu'il n'était bon qu'à faire des recherches et que de toute manière, il n'était pas en forme et avait un moral approximatif, eh bien, il les ferait, ces recherches. Pour une fois, il ne s'en plaindrait pas, au contraire. Il pourrait faire ça de chez lui ou bien ici, chez Magnus, chez qui il commençait peu à peu à se sentir à l'aise et à trouver ses marques. Il fallait dire que son hôte était charmant et aux petits soins avec lui. Mais surtout, il voyait à chacun de ses regards inquiets cette chose qu'ils avaient en commun, cette espèce de secret qu'ils avaient, cette compréhension tacite.
L'hyperactif prit sa tête dans ses mains et se secoua un peu en lâchant d'un air désespéré :
- Pourquoi je parle toujours sans réfléchir ?
- Parce que tu es quelqu'un de spontané, ce qui est autant un défaut qu'une qualité, répondit Magnus d'un air compatissant. Mais je me répète, tu peux toujours prévenir ce Derek et lui dire que finalement, tu ne le peux pas.
- Non… Non, ça je ne le ferai jamais. J'annulerai pas, soupira Stiles en se redressant.
Magnus eut l'air pensif, encore plus lorsque son petit protégé lui expliqua les raisons de cette décision. D'un simple regard sur sa personne, le sorcier sut que l'adolescent serait inflexible et ne changerait pas d'avis malgré ses peurs et faiblesses actuelles. C'était d'autant plus courageux qu'il en était lui-même conscient. Non, Stiles n'était pas dans le déni et savait qu'il n'était pas prêt à retrouver sa vie, ses amis, les affaires surnaturelles de la meute. Et pourtant, cela pouvait peut-être l'aider, pour ne pas dire le sauver. Alors, Magnus ne chercha pas à essayer de le dissuader d'aller à cette réunion qui se tiendrait d'ici deux jours. Il fut simplement objectif, l'aida à peser les pours et les contres et surtout, il discuta avec lui des questionnements qu'il se posait, tout en se renseignant sur lesdits amis.
Magnus avait toujours été quelqu'un de patient et de compréhensif. C'était dans sa nature. Néanmoins, jamais il n'avait dû l'être autant. Avoir Stiles face à lui, c'était comme se retrouver nez à nez avec lui-même. Il avait réellement l'impression de se voir, quelques temps après avoir lui-même manqué de perdre le peu de santé mentale qu'il lui restait. La rune d'agonie avait fait perdre la tête à plus d'un prisonnier, quand elle n'avait pas tué. Si l'on n'avait pas découvert son identité à temps… Magnus Bane, ou du moins sa personnalité, aurait fini aux oubliettes. Néanmoins, la marque brûlante lui avait laissé des traces à la fois indélébiles et invisibles, des traces qui creuseraient à jamais des failles dans son esprit.
Ce qui l'impressionnait le plus chez son petit protégé, c'était justement sa force d'esprit. Une nuit pouvait suffire à briser n'importe qui. Stiles l'était, assurément, mais en lui persistait un semblant d'étincelle de vie qui lui permettait de se battre, dans un sens, de ne pas se laisser couler. Il s'était passé à peine quelques jours depuis cette fameuse nuit et l'hyperactif envisageait déjà de retrouver son monde. Bon, à la base, cela partait d'un manque de réflexion, mais ça pouvait marcher, surtout que sa décision était prise et qu'il ne reviendrait pas dessus. Stiles avait l'air d'être du genre à tenir ses promesses, quoi qu'il lui en coûte. Ce pouvait être une qualité, c'en était même certainement une, mais cela pouvait relever de l'idiotie. Le brun avait beau être lucide, c'était comme s'il évitait de considérer sa situation à sa juste valeur. Il avait beau être conscient de son état mental, il avait l'air de se dire qu'il pouvait passer outre.
- Je te propose un deal, finit par lâcher Magnus.
L'hyperactif releva un regard curieux en sa direction et ses traits se tendirent. Il avait peut-être confiance en Magnus, mais le fait était qu'il continuait d'avoir peur. L'on ne pourrait pas la lui retirer, pas tout de suite. Constatant cela grâce à ses yeux particulièrement observateurs, Magnus posa doucement sa main sur son épaule et continua :
- Tu y vas mais si tu n'y arrives pas, si au bout d'un moment tu sens que tu ne peux plus assurer, tu reviens ici.
Stiles le regarda un instant, baissant le regard.
- Dans l'idée c'est… C'est pas con. Mais reste à savoir comment y aller… C'est à Beacon Hills, en Californie… Il faut que je m'y prenne tout de suite si je veux pouvoir trouver un billet d'avion pas trop cher, ou un train, je…
Il parlait bas, si bas que le sorcier dut tendre l'oreille pour capter l'intégralité de ses paroles. Il lui caressa doucement le dos en tentant de le rassurer, endiguant à l'avance la potentielle crise de panique qui commençait à naître en lui.
- Je t'amènerai et te ramènerai à ta guise. N'oublie pas que je suis un sorcier et que les portails n'ont aucun secret pour moi.
- Magnus… Ne put qu'articuler l'hyperactif.
Dans son regard se disputaient l'admiration, la curiosité, la peur, la timidité. Malgré lui, Stiles resterait terrifié un bon moment.
- Je préfère t'amener et savoir où tu atterris. Au moins, je sais qu'il ne t'arrivera rien sur la route.
Magnus couvait son protégé du regard et dans ses yeux, l'on voyait toute l'affection qu'il éprouvait déjà pour lui, ce petit oisillon que l'on avait brutalement chassé de son nid.
Cet adolescent qui, s'il avait déjà dû voir un tas de choses dans sa vie, n'avait sans doute jamais été privé aussi violemment d'une forme d'innocence qu'il avait encore intacte.
Alors oui, le sorcier pouvait l'avouer, il avait peur pour lui, d'une certaine manière. Il avait trouvé ce garçon agonisant psychiquement dans sa cellule et avait déjà du mal à se dire qu'il se devait d'accepter de le laisser partir. Parce qu'à son avis… Bien sûr que c'était trop tôt, beaucoup trop tôt. Mais sans doute nécessaire. Et puis de toute manière, qui était-il pour lui interdire de faire ce qu'il voulait ? Personne. Avant cette histoire, ils ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam. Magnus savait que Stiles lui faisait confiance, mais pas complètement non plus, ce qui était tout à fait normal. Le sorcier, à défaut de pouvoir le retenir et le pousser à prendre soin de lui avant de penser aux autres, pouvait au moins assurer sa sécurité en l'escortant personnellement.
- Mais t'es pas obligé, tu… Enfin… Je peux me débrouiller, je…
Le volume de Stiles toujours si atrocement bas lui fit mal au cœur. A quoi ressemblait-il, avant que la rune d'agonie le détruise ? Riait-il souvent ? Sans trop savoir comment ni pourquoi, Magnus arrivait à imaginer le soleil qu'il avait pu être par le passé. Un moulin à parole, de ce qu'il lui avait dit une fois. Il était difficile pour lui de superposer les deux images, qui semblaient être devenues incompatibles à jamais. Sans doute le jeune homme trouverait-il le moyen de se reconstruire, mais il ne serait certainement jamais comme avant. C'était le cas de Magnus. Il avait beau aller mieux et ne plus craindre de voir un shadow hunter, quelque chose en lui s'était brisé et il savait que son regard le trahissait parfois.
- Alors, on fait ça ? Demanda le sorcier en esquissant un doux sourire.
Comme s'il ne trouvait pas ses mots, Stiles eut un moment de flottement avant de faire un léger mouvement de tête.
- Faire quoi ? S'enquit une voix masculine.
L'hyperactif se tendit instantanément et leva rapidement les yeux vers le propriétaire de cette voix, qui, s'il l'avait déjà entendue, ne lui paraissait pas familière pour autant. La première chose qu'il vit d'Alec fut le tatouage sur son cou. Suivirent les autres, sur ses bras laissés à découvert par son t-shirt. Et d'un coup, des flashes déferlèrent dans sa tête, à une vitesse aussi ahurissante qu'impossible à suivre. Il se revit, attaché à cette chaise, subissant la réactivation régulière de sa marque. Se sentit frémir. Posa instinctivement la main sur son cou. Se recula dans le canapé.
Et se mit à trembler.
Incapable de détacher son regard terrifié du jeune homme qui avançait doucement, Stiles priait. Il priait qu'aucun mal ne lui soit fait. C'était l'homme qu'il avait entendu parler la veille au soir, et également celui qui avait été avec Magnus lorsqu'il avait été sorti de sa cellule. Mais il ne le connaissait pas, ne savait rien de lui. Ses tatouages signifiaient pourtant une menace. Il était comme ceux qui l'avaient détruit.
Aussitôt qu'il le vit changer d'expression, Magnus l'entoura de ses bras et lui assura d'une voix pas si assurée que ça que tout allait bien, que ce jeune homme s'appelait Alec et n'allait absolument rien lui faire. Mais Stiles ne l'écoutait pas. Il s'accrocha simplement à lui, se blottit contre le sorcier tout en essayant de se cacher. Il avait terriblement besoin de soutien, tout comme il se savait incapable de chercher à fuir. Complètement démuni, Magnus ne put que constater que les progrès que son protégé avait faits étaient bancals. Alors qu'il lançait un regard non pas courroucé, mais désespéré à Alec – qui semblait tout aussi perdu que lui, si ce n'est plus –, Magnus caressa d'un geste extrêmement doux les cheveux de son protégé tout en se faisant la réflexion que les prochaines heures risquaient d'être particulièrement longues.
