Chapitre 9
J'entrai dans la petite boutique déserte. Une clochette carillonna pour signaler mon entrée.
Un homme sortit de ce que j'imaginais être une réserve et se planta derrière le comptoir.
Son crâne en forme d'obus était dégarni et seule une mèche de cheveux fillasses lui retombait sur le front. Sa pâleur quasi translucide laissait apparaître un réseau de veines bleues sous sa peau grasse qui exsudait de sueur. Ses petits yeux noirs enfoncés dans leurs orbites couplés avec son nez allongé lui conféraient un air de famille avec les rongeurs. Sa bouche était déformée par un bec de lièvre.
Le sourire qu'il affichait n'arrivait pas à rendre sa physionomie plus agréable à regarder. Laideur était l'adjectif qui correspondait le mieux pour le décrire.
Il sortit un mouchoir crasseux de sa poche arrière et s'essuya le visage. Un tic le faisait fréquemment sortir sa langue et la passer sur sa lèvre supérieure.
Tout en lui était repoussant.
Je fis un effort pour cacher ma répugnance et m'approcher de lui en affichant un sourire de circonstance.
« Bonjour Mademoiselle, que puis-je pour vous ? »
Sa voix était haut perchée et m'agressait les oreilles comme le crissement de la craie sur un tableau noir.
« Figurez-vous que je suis perdue, je devais retrouver un ami, mais j'ai égaré son adresse. »
Ses yeux tombèrent sur ma poitrine et son tic le reprit de plus belle.
« Si je peux, je me ferai un plaisir de vous aider. Est-ce quelqu'un que je connais ? J'imagine que oui, sinon, vous ne seriez pas venue ici. »
Je poussais un petit soupir tout à fait féminin.
« Eh bien oui. Il se trouve que vous connaissez cet ami. Et je suis sûre que vous pourrez m'aider.
« Comment s'appelle cet ami ?
« Nasta Elbadi, mais il aime à se faire aussi appeler Le Prêcheur. »
Je ne pensais pas qu'on puisse pâlir encore plus qu'il n'était. Et pourtant, j'avais à peine fini de prononcer ce nom, qu'il perdit le peu de couleurs qu'il affichait.
« Je… je…je ne co…connais pas cette pe… pers…personne. »
La terreur le faisait bégayer.
J'effaçai mon sourire pour le remplacer par une expression dure et sortais mon arme que je pointai directement sur son torse.
« Et moi, je suis bien persuadée du contraire. Ne vous a-t-on jamais dit qu'il ne fallait pas contrarier une femme ? Surtout si celle-ci pointe une arme chargée sur vous. »
« Il nous faut découvrir qui est cet autre homme sur la photo. Avec une tête pareille, ça ne doit pas être compliqué. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi laid de ma vie. »
Mustang rendit la photo à Havoc :
« Havoc, vous vous y collez. Falman vous continuez d'éplucher le contenu de la valise avec Breda. Fuery, nous verrons plus tard pour ce dont vous m'avez parlé, vous aidez Havoc avec l'identification de l'homme sur la photo. Moi, je reprends le décryptage du journal de Douglas. »
Chacun s'attela à la tâche qui lui avait été assignée.
Mustang chassa de ses pensées le mystère de l'uniforme de Riza pour l'instant pour reprendre la lecture du journal.
Les premières pages ne relataient rien de vraiment important pour l'avancement de leur enquête, d'après ce que pouvait en deviner Roy, Douglas avait été très longtemps brimé durant sa jeunesse non seulement par ses camarades à l'école mais aussi à la maison par son père qui taquinait un peu trop souvent le goulot, battait sa femme et insultait ses gosses à loisir.
Douglas avait eu son compte de coups de boucle de ceinturon.
Voila, battez un enfant, et voyez ce que ça peut donner…Un homme frustré, à la colère refoulée qui ne pense qu'à rendre le mal qu'on lui a fait en s'en prenant à des innocents.
Ne trouvant rien de plus intéressant dans les pages qu'il survolait, il passa quelques entrées pour arriver à la rencontre de Douglas avec un homme qui avait bouleversé le cours de sa vie.
Mustang en déduisit qu'il s'agissait sûrement de Nasta Elbadi.
Douglas s'était retrouvé par hasard dans une réunion qui se tenait dans la crypte d'une église abandonnée. Un homme s'était avancé et avait harangué ses auditeurs. Beaucoup avaient quitté la salle avant la fin du prêche mais Douglas avait semble-t-il bu chacune des paroles du prédicateur qui prônait la fin du monde qu'ils connaissaient par la rébellion et le chaos.
Ces paroles apocalyptiques avaient semble-t-il trouvé un échos chez Douglas qui était resté à la fin de la réunion pour rencontrer le Prêcheur.
Les deux hommes s'étaient entretenus longuement, et Elbadi avait certainement vu là une opportunité parfaite d'infiltrer l'armée en son sein même grâce à ce jeune soldat empli de colère. Mieux encore, les services Communications, centre névralgique de l'armée.
D'après ce que lisait Roy, Douglas était complètement sous le charme de celui qu'il nommait avec beaucoup de déférence « Le Prêcheur » qu'il considérait comme un père.
Il n'avait pas fallu le persuader beaucoup pour qu'il intègre les rangs d'Elbadi et trahisse son pays.
Les pages suivantes relataient les diverses opérations entreprises et le décompte des victimes. Chaque rencontre était soigneusement retranscrite, ainsi la teneur des informations qu'il avait transmises à Elbadi. Il était aussi fréquemment fait mention d'un autre personnage sous le nom de Tête de Fouine qui semblait être le bras droit du Prêcheur, poste que convoitait Douglas.
L'animosité entre Douglas et Tête de Fouine était flagrante.
Et si Tête de Fouine était l'homme de la photo ? Mustang visualisa le cliché et la physionomie particulière de l'homme en compagnie d'Elbadi.
Ca pourrait tout à fait être ça.
Mustang reprit le cours de sa lecture, il était presque arrivé à la fin du cahier lorsque son regard fut attiré par la mention de son propre nom.
Lundi 26 avril 19xx
L'équipe du Colonel Mustang a été mise sur l'affaire des attentats et se trouve à nos trousses. J'ai prévenu Le Prêcheur qu'il devait se méfier. Sous ses airs de ne rien y toucher, Mustang est plus dangereux qu'il ne le laisse bien voir. Le Prêcheur semble m'avoir pris au sérieux.
Roy regarda de nouveau la date de l'entrée. Il en arrivait aux jours précédents la mort tragique de Riza.
Son souffle s'accéléra en anticipation de ce qu'il s'apprêtait à lire.
Mercredi 8 juin 19xx
Ce petit Colonel impétueux semble se rapprocher dangereusement de notre organisation. Il devient urgent de freiner ses ardeurs et de frapper là où ça mal. J'ai de nouveau mis en garde Le Prêcheur. Il m'a demandé de surveiller le Colonel de plus près. J'ai essayé d'approcher son bras droit, le Lieutenant Hawkeye à la machine à café, je n'étais pas là depuis deux minutes que Mustang a débarqué en me lançant des regards à me faire rentrer sous terre. Hawkeye n'a même rien remarqué. Je suis sûr qu'il était jaloux que sa jolie petite blonde me parle. J'en ai fait immédiatement part au Prêcheur qui était très content et m'a félicité.
Mustang releva sa tête de sa lecture, il se souvenait parfaitement de ce jour. Il passait dans le couloir lorsqu'il avait vu un jeune gringalet tourner autour de Riza à la machine à café, du moins c'est ce qu'il en avait déduit à la vue du soldat qui rougissait et souriait comme un âne. Son sang n'avait fait qu'un tour et il n'avait pu s'empêcher d'intervenir. Ce jeune soldat était donc Douglas !
Mustang reprit sa lecture à l'endroit où il l'avait interrompue.
Samedi 11 juin 19xx
Le Prêcheur a eu une idée. J'en connais un qui va se mordre les doigts de s'être frotté à nous. Il va moins jouer les malins. Dommage qu'il faille sacrifier une fille aussi jolie. En plus, elle a toujours été gentille avec moi.
Les mains de Roy se mirent à trembler. Il ne faisait aucun doute qu'il était question de Riza. Ainsi c'était son arrogance et son affection qui l'avaient condamnée.
Vendredi 17 juin 19xx
Ca y est, le piège est en place. Ce n'est plus qu'une question de jours voire d'heures. Je me sens excité et en même temps j'ai peur.
Dimanche 19 juin 19xx
C'est fait. Elle est morte. Le Prêcheur l'a tuée. Une balle en pleine tête. Elle n'a même pas essayé de se défendre ou de se sauver. Elle n'a rien dit. Je crois qu'elle savait.
Les épaules de Roy se secouèrent. Une larme s'écrasa sur la page, suivie d'une autre. Le journal lui échappa des mains et tomba au sol.
Pourquoi ? …Pourquoi Riza ? …Pourquoi ne pas avoir essayé de te sauver, de faire quelque chose ? De lutter pour ta vie…pour moi ! J'ai tellement besoin de toi.
Seul dans son bureau, Roy s'effondra.
Je veux que tu reviennes Riza, je t'en prie, reviens… ne sois pas morte, reviens…
