Daria et les personnages associés sont propriété de MTV. Cette oeuvre de fiction amateur est écrite uniquement à des fins de divertissement. Aucun argent, aucune valeur négociable ni autres biens n'ont été échangés.

Richard Lobinske
Traduction pr Mathilde et Mr. Orange

Sauver une Ame Egarée

Jane Lane recula de quelques pas pour avoir une vue d'ensemble de son tableau. Le sujet était juste ébauché, mais reconnaissable. Jake et Hélène Morgendorffer étaient représentés au centre ; Daria se tenait près d'Hélène, et Quinn à côté de Jake, toutes les deux un peu plus en avant que leurs parents. Jane avait peint Jake dans un smoking, Hélène dans une robe du soir rouge foncé, Quinn en bleu et Daria en noir. Sur le haut du chevalet, elle avait épinglé de grandes photos de chacun d'eux dans sa tenue de soirée. A côté se trouvait une table sur laquelle étaient posés quatre mannequins articulés en bois, dans des positions correspondant au sujet du tableau. Des lampes à bras flexible étaient accrochées à la table et fournissaient un éclairage constant. Il faudrait encore des heures de travail avant que le tableau ne soit terminé, mais Jane était contente de sa progression. Son pouce sur le manche du pinceau, elle jaugeait les proportions et la composition du tableau. Pendant qu'elle prenait ces mesures, ses pensées revinrent sur la petite fête qui avait eu lieu chez Daria quelques semaines auparavant.

A côté d'elle, la famille Morgendorffer au complet, ainsi que Jodie et Mack, étaient rassemblés autour de la table de la salle à manger. Ils grignotaient une pizza tout en parlant de la première nouvelle que Daria avait réussi à faire publier. Hélène et Jake avaient disparu un instant et ils étaient revenus avec un gâteau surmonté d'un petit chevalet en plastique sur lequel était écrit "Bravo Jane".

Hélène fit un signe pour attirer l'attention de tout le monde : "Daria m'a dit que nous avions une autre raison de faire la fête ce soir. Jane a fait sa première grosse vente cette semaine. Bravo Jane, et tous nos vœux pour ta future carrière!"

Le seul autre membre de la famille Lane qui était à la maison lorsqu'elle avait fait sa vente était son frère, Trent. Certes, il avait persuadé Spiral Mystik de l'emmener manger une pizza pour fêter ça, mais elle avait dû les aider à payer l'addition. La mère de Jane, Amanda, était rentrée de sa dernière expédition artistique la semaine dernière. Elle avait manqué, tout comme son mari Vincent, la remise des diplômes, et seul Trent avait été présent pour représenter la famille en l'honneur de Jane. Vincent, et les frère et sœurs de Jane, Wind, Penny et Summer, étaient dispersés aux quatre coins du monde, elle ne savait où. A part Trent, Jane avait souvent l'impression que les autres membres de la famille Lane la considéraient comme une pensionnaire plutôt que comme un membre de leur famille. Même s'ils donnaient une nouvelle définition au mot dysfonctionnel, les Morgendorffer l'avaient traitée comme si elle faisait partie de leur famille plus souvent que ne l'avaient fait les Lane ces trois dernières années.

Ce qui avait commencé comme une taquinerie picturale envers son amie s'était alors transformé en quelque chose de plus important. C'était Hélène qui lui avait fourni les photos de Daria et de sa famille au dîner de l'Association du Barreau. L'idée de départ avait été de représenter Daria dans une robe de soirée, pour l'embarrasser en lui montrant combien elle était jolie. Mais lorsque les Morgendorffer lui avaient offert ce gâteau pour fêter son succès, elle avait décidé de changer de plan.

"La probabilité que ces fous réussissent à rester dans la même pièce, suffisamment longtemps pour que je puisse faire leur portrait, sans que le sang ne coule, est de une sur un million", se dit Jane. "J'espère qu'ils vont aimer ce cadeau, en remerciement d'avoir sauver une âme égarée comme la mienne." Elle se souvint d'un commentaire qu'elle avait fait à Daria l'été dernier à ce propos : "Si quelqu'un attend après toi pour ça, c'est qu'il est plus qu'égaré ; il est pratiquement condamné."

Elle secoua la tête et dit : "Et qu'est-ce que ça fait de moi, ça?"

La voix de Trent s'éleva par la porte : "Jane, y a quelque chose de bizarre dans la cuisine, tu sais ce qui c'est passé?"

Jane songea : "Je vous en prie, faites que ce ne soit pas Maman qui ait recommencé avec son vernis." Elle se retourna vers la silhouette de Trent qui s'approchait. "Tu peux me donner une définition de bizarre?"

"Il y a des boîtes dans le frigo, et on dirait qu'il y a de la nourriture à l'intérieur."

"T'as gagné le gros lot, Trent. La bonne fée de la nourriture vient de nous rendre visite."

"Hein?"

"J'ai fait les courses hier. J'en avais marre de Pizza Prince, Cluster Burger et du chinois Good Times."

"Cool. Où est-ce que t'as trouvé le fric? Je croyais que Maman cachait ses chèques en blanc quand elle rentrait à la maison."

"J'ai vendu un autre tableau. Et en plus, je suis payée pour tout le temps que je passe à la galerie de Gary."

"Ah ouais… T'es vachement responsable en ce moment." Trent s'approcha du chevalet et jeta un œil sur les photos de référence. "Ouah! Daria est super sexy là dessus."

"C'est un portrait de famille pour les Morgendorffer. Je me suis inspirée de ces photos. Elles ont été prises pendant le dîner pour lequel j'ai accompagné Daria faire les magasins le mois dernier." Un léger sourire se dessina sur ses lèvres et elle continua : "Je suis sûre qu'elle adorerait t'entendre dire ça. Elle est libre en ce moment, tu sais."

Trent secoua la tête en se remémorant la longue conversation qu'il avait eue avec Daria au début de l'été. "Commence pas avec ça. Au fait, pourquoi tu peins un tableau pour les Morgendorffer?"

"Parce qu'ils se sont souvenus de moi et de ma première vente lors de la fête chez Daria. Ils m'avaient fait venir pour les aider à décorer et ils ont quand même réussi à me faire la surprise. Ils ont ramené un gâteau et tout. A part toi, ce sont vraiment les gens dont je me sens la plus proche, comme une famille."

"Ils sont gentils. C'est sympa de ta part de faire leur portrait. Dis-donc, est-ce qu'il y a un mode d'emploi avec la nourriture?"

Jane se mit à rire. "Oui Trent. J'ai fait bien attention à ce que toutes les boîtes aient des modes d'emploi pour la cuisson. Au fait, je voulais te dire, ce festin est pour nous, pas pour le groupe. Ils peuvent bien apporter leur propre nourriture.

Trent se dirigea hors de la pièce. "Bien raisonné, Jane. Il faudra que je fasse en sorte qu'ils ne rentrent pas dans la cuisine ce soir après la répèt'."

"Flûte." Jane prit un air inquiet et commença à reboucher ses tubes de peinture et à mettre les objets fragiles en sécurité.


Le lendemain matin, dans la chambre de Jane, un poing en colère s'abattit cruellement sur le réveil pour en arrêter la sonnerie. Jane s'extirpa de son lit à quatre pattes.

"Huit heure du mat'. Mais qu'est ce qui m'a pris?"

Arrivée aux deux tiers du chemin la menant à sa porte, elle réussit enfin à se tenir debout, mais en gardant quand même la main sur le mur pour se retenir. A neuf heure moins le quart, Jane se dirigeait vers la porte d'entrée, vêtue d'un jean noir et d'une chemise rouge froissée. D'une main, elle portait son sac à dos, tout en tenant fermement un grand mug rempli de café de l'autre. Après avoir déposé le sac à dos sur le siège passager de la voiture de Trent, elle démarra et commença à reculer dans l'allée. Dix minutes plus tard, elle était derrière la Galerie de Gary et en ouvrit la porte avec ses clés.

Le regard de Jane allait et venait entre les copies des photos et un carnet de croquis sur lequel elle dessinait par intermittence. Elle jeta un coup d'œil à la pendule : 12h45. En soupirant, elle ajouta avec application quelques détails au visage de Daria, déposa les copies des photos dans son carnet et le referma. Elle sortit de son sac un deuxième carnet apparemment identique et commença à dessiner une esquisse plutôt abstraite de sa maison.

Cinq minutes plus tard, Daria entra dans la galerie. Elle portait une de ses jupes noires et un T-shirt vert décoré d'un cafard et des mots "Que la Métamorphose soit avec vous".

"Salut Jane. Prête pour aller manger?"

"Je meurs de faim. On peut y aller dès que Gary est là." Jane déposa son carnet sur le comptoir et se mit à recompter l'argent qui se trouvait dans sa caisse en confrontant le total avec les factures. "Tu sais, un de ces jours, j'aimerais bien être présente quand un de mes tableaux se vendra." En disant cela, elle désigna du menton l'arrière-salle du magasin, où des artistes locaux exposaient les œuvres qu'ils voulaient vendre. Dans cette pièce, la moitié de l'un des murs était consacrée aux œuvres de Jane, ce qui n'était pas si mal, étant donné que plus d'une douzaine d'autres artistes locaux exposaient aussi.

"Tu pourras me récupérer une copie de ce que filme la caméra de sécurité? Je veux voir la tête que tu feras, et aussi celle de ton client quand tu lui auras donné une grosse bise bien baveuse."

"Petite vicieuse."


Arrivées au restaurant chinois Good Times, Jane et Daria s'installèrent dans une alcôve. Rapidement, un des serveurs s'approcha, leur versa du thé à chacune, et leur donna un menu avant de se retirer. Daria sortit une liasse de feuilles d'une pochette et la tendit à Jane. "C'est pour toi et Trent. Je me suis inspirée de votre attitude vis à vis des vacances, et de votre impression qu'il y a toujours quelque chose de bizarre ici", expliqua Daria en indiquant de la main le restaurant.

" Les Jours de Fête ", dit Jane en lisant le titre. Elle commença à lire le début, puis pencha la tête à droite et ajouta : "Daria, pourtant, tu sais bien ce qu'on dit : un monde sans drogue, c'est possible."

"Ne t'inquiète pas, aucune cellule cérébrale n'a été sacrifiée pour les besoins de cette histoire, même si je crois que certaines d'entre elles n'adressent toujours pas la parole aux autres. C'était intéressant, pour changer, d'écrire quelque chose d'aussi absurde."

"Comme si nos vies n'étaient pas déjà assez absurdes, tu as écrit quelque chose dans lequel elles le sont encore plus?"

"Je pense que tu peux appeler ça un don."

"Tu sais Daria, le mois de juillet se termine. L'été est presque à moitié écoulé."

"Ne me le rappelle pas. Même si j'ai hâte de recevoir enfin une véritable éducation, c'est quand même l'été le plus agréable que j'aie jamais eu. Je n'ai pas du tout envie qu'il se termine."

"Tu ferais bien de faire attention", dit Jane en comptant sur ses doigts. "Tu t'es fait coincer dans une activité estivale structurée, tu t'es acheté une robe de soirée que tu as portée deux fois, tu as écrit un discours pour ta mère, tu as créé une société honorifique à partir de rien, tu as réussi à nous persuader d'en être les membres et tu as accepté d'être la présidente. Soit tu as réussi à accomplir six choses impossibles avant même d'entrer à l'université, soit il ne manque plus qu'un signe annonciateur avant l'apocalypse."

"Je n'ai pas l'intention qu'elle se produise avant le jour où tu vas emménager dans ta chambre à la fac, onze heure."

"Daria, tu t'en es souvenue! Comme c'est mignon!"

"Fais-moi juste ce plaisir : je ne veux pas de photos."

Jane secoua la tête : "La vache, on commence à se sentir frustrées. Comment on a fait pour en arriver à ce sujet? A part ça, j'allais te proposer quelque chose que nous n'avons encore jamais fait : un périple en voiture."

"Jane, est-ce qu'on devrait pas d'abord avoir une voiture pour ça?"


Jane avait refusé d'aller chez Daria après manger, sous prétexte qu'il fallait qu'elle aide sa mère à régler le nouveau thermostat de son four. Elle avait très envie de continuer son tableau, même si elle voyait bien que Daria commençait à avoir des soupçons quand Jane l'abandonnait pour la Casa Lane, et passait de moins en moins de temps avec elle. Cependant, Jane voulait travailler le plus longtemps possible sur son tableau ce soir là. Sa mère était dans la cuisine quand Jane rentra à la maison.

"Jane, est-ce que tu te souviens quand j'ai acheté tout ça? On dirait du sous vide."

"Maman, c'est pas toi qui l'as acheté, c'est moi", répondit Jane amèrement.

"Pourquoi as-tu fait ça?"

L'amertume de Jane se transforma en colère : "Parce que je voulais qu'il y ait quelque chose à manger dans cette maison! J'en ai marre de trouver des trucs bizarres qui poussent sur ce qui est censé être de la nourriture. J'en ai marre de devoir aller manger dehors pour avoir enfin quelque chose de comestible. Maman, il n'y a pas eu autant de réserves dans la cuisine depuis la dernière fois que tout le monde était à la maison et que tu avais préparé le dîner. Tu avais acheté de la nourriture pour une semaine et tout le monde est parti au bout d'une journée."

"Hélène avait raison : j'ai fini par récupérer la maison. Mais je ne pensais pas que ça marcherait aussi vite."

"Et bien, c'est formidable. Pourquoi t'as pas continué sur cette lancée, au moins quand tu es à la maison?"

"Toi et Trent, vous vous débrouillez tellement bien : je ne me suis pas inquiétée."

"Génial. Ça fait je sais pas combien d'années que c'est comme ça. Trent et moi, on a l'air de survivre, alors tu n'as pas l'impression qu'il faut que tu fasses des efforts. Je me demande même si tu sais que j'existe. Tu sais quel âge j'ai, au moins?"

"Et bien, tu es née en 81, donc tu dois avoir bientôt 18 ans. Au fait, quand est-ce que tu passe ton bac?"

La colère de Jane se transforma en rage : "Ça fait un mois et demi que je l'ai passé! Mais tu étais trop occupée à faire Dieu sait quoi pour revenir me féliciter!" Elle fit demi-tour et sortit précipitamment de la maison.

Amanda serra doucement les mains devant elle. "Je ferais mieux de dire à Trent de ne pas fermer la porte à clé ce soir, comme ça elle pourra rentrer."


Jane courut jusqu'à la voie de chemin de fer qui contournait la ville. Quand elle l'atteignit, elle la longea en marchant. Arrivée au niveau de la gare, elle passa de l'autre côté de la voie pour éviter la foule qui attendait le train, et retraversa une fois la gare dépassée. Elle franchit un parking et atteignit le bout de Dega Street. Il n'y avait que quelques voitures qui roulaient dans la chaleur de l'après-midi, ce qui convenait mieux à l'humeur de Jane que l'agitation de la foule. Tranquillement, elle se mit à marcher au hasard, rentrant parfois dans un magasin, ou s'arrêtant de temps à autre pour regarder les vitrines. Elle s'immobilisa un instant devant Funky Doodle.

"Beurk… Qui est-ce qui accepterait de porter un machin pareil? Pas étonnant qu'il soit dans cette vitrine depuis plus de deux ans."

Secouant la tête, elle continua à marcher en direction de chez Axl. "C'est pas que j'aie besoin d'un autre trou dans la tête, mais plutôt d'un nouveau truc à mettre dedans."

"Mais qui avons-nous là? L'élancée et enivrante femme en rouge, mademoiselle Lane."

Jane sentit son estomac se retourner au son de la voix mielleuse et indubitablement repoussante d'Upchuck.

"Et où, je vous prie, se trouve la sublime et mystérieuse tentatrice en noir, mademoiselle Morgendorffer?

Il a dû lire le journal local, se dit Jane en regardant le rouquin qui s'approchait d'elle. L'interruption de sa promenade ajouta de l'agacement au dégoût qu'elle ressentait déjà.

Ses yeux bleus lançant des éclairs, Jane articula entre ses dents : "Upchuck, tu as cinq secondes pour disparaître de ma vue si tu veux que tous tes appendices restent attachés à ton corps."

"Grr! Sauv…age." Sa voix se transforma en chuchotement lorsqu'il vit la fureur qui se reflétait dans les yeux de Jane, et qu'il ne voulait surtout pas voir dirigée contre lui. Il fit trois pas en arrière, puis tourna les talons et s'enfuit en courant dans la rue la plus proche.

Ne voulant pas lui donner l'occasion de changer d'avis, Jane se mit à trottiner et arriva rapidement chez Axel.

"Oh bonjour ma chérie. J'ai appris la bonne nouvelle pour tes tableaux", dit une voix provenant de derrière le comptoir, rapidement suivie par la tête de son propriétaire.

"Hein? Oh, merci Axel. Qui est-ce qui t'en a parlé?"

"C'est Trent qui me l'a dit la dernière fois qu'il est venu. Il était super content pour toi."

"Il était presque aussi heureux que moi. Au moins, il y a une personne dans ma famille qui a remarqué quelque chose."

"Ça se passe mal chez toi? Laisse-moi deviner, les autres membres de ta famille sont revenus."

Jane s'assit sur un tabouret de l'autre côté du comptoir, face à Axel, soulagée d'avoir trouvé quelqu'un à qui parler. "Maman est rentrée la semaine dernière. Elle et mon père, ils ont tous les deux raté ma remise des diplômes, mais elle est rentrée à la maison comme si de rien n'était. Elle passe pratiquement toute la journée devant son four à céramique, mais elle a trouvé le moyen de me faire des réflexions parce que j'ai acheté de la nourriture pour qu'on ait des réserves. Et soudain, elle a réalisé qu'il fallait qu'elle me demande si je passais bientôt mon bac. A ce moment là, j'en ai eu vraiment marre et je me suis cassée."

"Je veux pas te vexer, chérie, et je suis content que tu sois venue me parler. Mais tu crois pas que ce serait mieux si tu discutais de ça avec une bonne amie, comme Daria?"

"Ben, elle aussi, elle fait partie du problème, enfin, elle et sa famille au moins."

"Comment ça?"

"Ça fait trois ans que Daria est ma meilleure amie. En gros, sa famille est un tas de lunatiques, mais ils veulent bien faire et ils ont bon cœur. A leur façon, ils m'ont acceptée et j'ai l'impression que je fais plus partie de leur famille que de la mienne, à part pour Trent. J'avais l'intention de travailler sur un tableau pour eux aujourd'hui quand les choses ont dégénéré avec Maman. J'ai l'intention de leur faire une surprise, mais si j'étais allée discuter avec Daria aujourd'hui, j'aurais sûrement craché le morceau. En plus, j'ai l'impression que ma loyauté est déchirée en deux." Jane s'arrêta, puis ajouta : "Est-ce que ça a un sens au moins?"

Axel sourit. "Ça fait combien de temps que je fais des piercings pour Mystic Spiral? J'ai appris à faire avec leur logique tordue ; ce que tu me racontes à un sens."

Jane émit un petit rire. "Merci."

"Trent m'a aussi parlé d'une cérémonie où on t'aurait remis une récompense ou quelque chose comme ça ; ta mère a pu y aller?"

"Elle était un peu étonnée, mais oui, elle est venue."

Axl tapota doucement la main de Jane : "Donc elle s'intéresse à toi, quand elle s'en souvient, ou plutôt quand tu lui rappelles."

"Tu dois avoir raison. Mais j'aimerais bien qu'elle s'en souvienne un peu plus souvent."

"On dirait un enfant qui ne se souvient de rien. D'après ce que m'a dit Trent, c'est vous deux qui avez été les vrais adultes depuis quelques années. Chez vous, il a fallu que vous grandissiez vite, mais au moins, on dirait qu'il y a un endroit ou tu peux encore être jeune."

"Voilà, tu as bien résumé la situation."

"Peut-être que maintenant tu devrais aller parler à ta mère."

"T'as raison, il faut que j'aille lui parler, mais pas tout de suite. T'as reçu de nouvelles boucles d'oreille?"


Jane rentra chez elle en début de soirée ; elle se retrouva dans une maison vide dont la porte n'était pas fermée à clé. Elle alla dans la cuisine pour se préparer à manger. Une petite somme d'argent et une note étaient accrochées au frigo par un clip magnétique.

Jane,
J'ai trouvé le ticket de caisse du magasin dans un des sacs vides. S'il te plait préviens-moi la prochaine fois, comme ça tu n'auras pas besoin de dépenser ton argent. Au fait, les nouilles chinoises réchauffées au four sont vraiment bonnes.

Maman

Jane sortit dans le jardin et entra dans l'abri à poterie. Amanda était assise à un établi et appliquait du vernis sur une série de vases en terre cuite.

"Salut Maman! Je peux te parler une minute?"

"Bien entendu. La communication est ce qui nous permet de rester ensemble."

Jane se força à ne pas rouler des yeux. "Maman, combien de fois avons-nous communiqué dernièrement?"

"Oh, pas beaucoup, c'est vrai."

"Je voudrais essayer de terminer ce qu'on avait commencé cet après-midi."

"Je me doutais que tu allais revenir pour en parler. Si tu essaies de garder un…"

Jane coupa sa mère abruptement. "Ne recommence pas avec ta saleté de papillon. Maman, tu as raté ma remise des diplômes. Tous les autres avaient leur famille qui était venue, et moi j'avais juste Trent. Ça m'a fait mal." Les épaules de Jane s'affaissèrent et ses yeux s'embuèrent.

"Oh, tu es allée à ta remise des diplômes? Je suis désolée, je ne pensais pas que tu irais, étant donné qu'aucun de tes frères et sœurs n'y est allé."

"Ah bon. Je le savais pour Trent et Penny, mais je suis trop jeune pour me souvenir de ce qu'ont fait Summer et Wind. Quand même, ç'aurait été gentil de penser à demander."

"Oui, je pense que j'aurais dû. Toi et Trent, vous avez toujours été des esprits libres ; j'ai toujours l'impression que vous êtes mes égaux plutôt que mes enfants."

Euh, ouais, ajouta Jane en pensée. Ou que nous sommes tes parents. Elle décida d'avancer et de tenter une petite réconciliation. "Au moins, tu étais là lors de la cérémonie de la société honorifique."

"Ça me paraît plus clair, maintenant que je sais que tu es allée à la remise des diplômes. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu l'impression qu'il se tramait quelque chose d'autre pendant cette cérémonie."

"Juste quelques blagues entre nous quatre", répondit Jane tout en pensant J'espère qu'elle va gober ça.

"D'accord." Amanda jeta un regard scrutateur à Jane.

"J'aurais bien aimé que Papa soit là aussi."

"Il ne s'est jamais senti très à l'aise avec ce genre de choses, mais je le lui ferai savoir."

Jane décida d'arrêter ce sujet de discussion et d'en commencer un autre. "Maman, on n'a pas vraiment eu l'occasion d'en parler avant, mais combien est-ce que vous pouvez me donner avec Papa pour que j'aille à l'université?

"Je croyais que tu avais décidé de ne pas y aller."

Jane réfléchit. La dernière fois qu'Amanda avait été à la maison, Jane venait juste d'envoyer son portfolio à BFAC et faisait comme si ça ne l'intéressait pas pour sauver les apparences. Cette prise de conscience brutale fut un peu douloureuse.

"Maman, j'ai changé d'avis. J'ai été acceptée à BFAC, le Collège des Beaux-Arts de Boston, pour les arrivées de milieu d'année. La voix de Jane devint calme. "J'ai oublié de te le dire."

"Oh." Amanda sourit gentiment à Jane. "Je pense que Vincent et moi devrions pouvoir t'aider en partie." Avec une voix et une attitude un peu différentes, et que Jane n'avait encore jamais remarquées, Amanda dit : "Pourquoi est-ce qu'on n'irait pas regarder ce dont tu vas avoir besoin et ce que tu as déjà?"


La nuit était tombée lorsque Jane regagna sa chambre et se prépara à peindre. Elle ne s'était pas sentie aussi sereine vis à vis de sa mère depuis des années, et réalisa que le soutien financier lui permettant d'aller à la fac était plus important que ce qu'elle croyait. Jane se rendit compte de l'énergie et de la motivation qu'elle ressentait à ce moment, et elle se mit à savourer ces sensations. Elle ne dormirait pas ce soir ; sa muse était en train de hurler et elle allait bientôt entrer dans cet état onirique et créatif qui ne se produisait que rarement, mais qui aboutissait toujours sur ses meilleures œuvres. Il ne lui restait qu'une chose à faire avant de commencer : elle prit le téléphone et composa un numéro.

Hélène répondit doucement : "Allô?"

"Allô? Mme Morgendorffer? C'est Jane."

"Bonsoir Jane. Daria est dans sa chambre, attends une seconde."

"Pas la peine. Je voulais juste vous demander si vous pouviez me faire une faveur demain."

"Jane, tu as des ennuis?"

"Non Mme Morgendorffer." Jane sourit en entendant cette réaction automatique. "Je voudrais vous apporter une surprise, pour toute la famille. Pourriez-vous vous débrouiller pour que tout le monde soit présent chez vous pour dîner demain?"

"Je pense que oui, de quoi s'agit-il?"

"C'est une surprise. Alors, vous pouvez vous en occuper?"

"Je vais faire en sorte que tout le monde soit là."

"Merci, au revoir." Jane raccrocha le téléphone et se prépara à peindre sans attendre la confirmation d'Hélène.

Hélène regarda le téléphone. "Quelle fille étrange." Son sourire montrait que ce commentaire ne l'inquiétait pas.


Les quatre Morgendorffer était assis autour de la table de la cuisine en attendant de dîner. Jake lisait le journal, ainsi que Daria. Cependant, elle ne faisait que survoler ce qui était écrit tout en tendant l'oreille vers la sonnerie de la porte. Hélène et Quinn discutaient, et elles avaient toutes les deux l'air frustrées.

"Maman, mon rendez-vous va arriver dans très peu de temps. Alors, qu'est-ce qu'on attend?"

"Je ne sais pas. Jane m'a juste dit qu'elle allait nous apporter une surprise à l'heure du dîner."

"C'est bien ce qui m'inquiète."

Le retentissement de la sonnette les empêcha des continuer. Daria se leva. "J'y vais."

Daria ouvrit la porte et découvrit Jane et Trent qui portait un chevalet recouvert d'un voile noir, sur lequel était apparemment posé un grand tableau. Dans l'allée qui menait à la maison, elle vit le Tank qui avait été emprunté pour l'occasion. "Entre Jane. Salut Trent."

La famille de Daria s'était rassemblée derrière elle, à une distance de sécurité qui leur semblait raisonnable.

Jane lança un rapide : "Salut tout le monde!" et Trent dit simplement "S'lut."

Après avoir installé le chevalet, Jane passa la tête sous le voile pour faire quelques ajustements, avant d'en ressortir.

Jane se trémoussa en regardant par terre quelques instants, s'éclaircit la gorge et releva les yeux. "Quand vous avez pris le temps, lors de la fête pour la publication de Daria, de me faire la surprise d'un gâteau pour célébrer ma première grosse vente, j'ai vraiment été très touchée. A part avec Trent, je n'ai jamais partagé grand chose avec ma famille. Je sais bien qu'ils m'aiment et qu'ils se soucient de moi, et que ma créativité et mon indépendance proviennent de leur éloignement. Mais parfois j'ai besoin de plus de soutien et de proximité. Depuis que j'ai rencontré Daria il y a trois ans, c'est vous qui me l'avez procuré. Comme je sais que vous n'allez jamais vous réunir tous ensemble, de votre plein gré, pour faire faire quelque chose comme ça, j'en ai fait un cadeau pour vous dire merci."

Jane retira le voile pour présenter le portrait. Une larme se mit à rouler sur sa joue. C'était une de ses meilleures œuvres, et elle était fière de l'offrir à sa deuxième famille.

Daria connaissait le talent de son amie, et elle ne fut pas surprise par la qualité artistique du produit fini. Connaissant la relation qu'avait Jane avec sa famille, Daria se tenait immobile, stupéfaite par ce qu'elle savait être un gros investissement émotionnel de la part de son amie.

Jake et Hélène étaient à la fois surpris et ravis. Avec toute l'agitation et la confusion, ils n'avaient pas réussi à trouver une bonne photo d'eux quatre ce soir là. A la place, la meilleure amie de leur fille, Jane, leur avait offert le portrait dont ils rêvaient depuis longtemps mais qu'ils n'avaient jamais pu faire réaliser. Non seulement ils distinguaient l'apparence physique des membres de leur famille, mais ils ressentaient aussi l'essence de chacun d'eux qui se dégageait du tableau.

Quinn était ravie, ce qui était compréhensible car sa représentation était d'une grande beauté. Jane avait plutôt bien capturé son apparence. Cependant, elle était exceptionnellement ravie par la beauté de sa sœur. Daria devrait être capable de voir sa beauté, se dit-elle, de la même façon que je vois mon intelligence.

Quinn ressentit un élan de malice fraternelle, et elle parla la première : "Ouah, tu as même réussi à faire en sorte que Daria soit belle là dedans."

Daria s'apprêtait à jeter un regard furieux à sa sœur, quand elle la vit lui lancer un clin d'oeil. Elle ajouta alors : "Et Quinn a l'air d'être sur le point de dire quelque chose de compréhensible."

Hélène était sur le point de réprimander ses deux filles pour leurs commentaires blessants, mais elle remarqua les petits sourires qui passaient entre elles et Jane. Elle les ignora alors et marcha vers Jane pour la serrer dans ses bras. "C'est magnifique, merci Jane. Je n'avais pas remarqué à quel point nous comptions pour toi, mais tu seras toujours la bienvenue chez nous."

Jake donna à Jane une petite tape dans le dos. "C'est vraiment cool, Janette. Pas étonnant que tu aies réussi à vendre tes œuvres." Jake se rappela le jour où il avait voulu acheter un portrait pour l'offrir à Hélène, et comme il avait frémit en voyant le prix. Malgré tout, il savait que le prix reflétait la valeur de l'effort demandé, et il était heureux que sa fille ait une amie qui ait une si haute opinion de leur famille.

Daria s'approcha la dernière, serra Jane dans ses bras et murmura "Merci."

L'émotion paisible qui se dégageait de ce simple mot prouva à Jane qu'elle avait fait ce qu'il fallait.


Merci à Kristen Bealer et Robert Nowell pour la relecture et les corrections.


Citation de:
Glenn Eichler et Peggy Nicoll, Vivement la rentrée (merci à Cyberdaria pour la transcription française)