Daria et les personnages associés sont propriété de MTV. Cette oeuvre de fiction amateur est écrite uniquement à des fins de divertissement. Aucun argent, aucune valeur négociable ni autres biens n'ont été échangés.
Richard
Lobinske
Traduction par Mathilde et Mr. Orange
Quelque chose à t'offrir
Daria se tenait debout, l'air embarrassée, dans le salon des Morgendorffer, juste devant la télévision. Une boite de pizza vide se trouvait sur la table basse, entourée d'assiettes en papier et de verres en plastique sales. Deux piles de feuilles imprimées, posées sur une grosse chemise en papier kraft, occupaient le reste de la table.
"Maintenant que nous avons accepté la charte, je vais la transmettre à notre sponsor exécutif, Melle Murphey. Et puisqu'elle en aura l'occasion, Jane va apporter une copie de cette charte aux sponsors du lycée."
Assis sur le bord du divan à gauche de Daria, Mack lança à Jane un regard interrogatif. Jodie, appuyée contre Mack, haussa un sourcil.
Jane, qui se prélassait sur la partie droite du divan, prit un air penaud. "Melle Defoe m'a engagée pour être son assistante pendant le premier trimestre et la première moitié de l'hiver."
Jodie prit un air incrédule. "Je t'imaginais plutôt comme quelqu'un qui ne remettrait jamais les pieds dans ce lycée."
"Hé! C'est un travail à temps plein, et j'aurai besoin de l'argent pour aller à BFAC. En plus, c'est difficile de dire non à Claire."
Daria regarda Jane. "Ouais, tu es vraiment une dure à cuire." Elle se retourna vers Mack. "Encore un dernier point. En tant qu'observateur désigné, penses-tu que notre but initial a été atteint, à savoir préserver la santé mentale d'une certaine Jodie Landon?"
Mack baissa les yeux vers sa petite amie qui souriait. "Je pense que nous avons réussi au-delà de nos espérances."
Jodie baissa la tête, légèrement embarrassée, tandis que Daria et Jane applaudissaient doucement. Daria reprit la parole : "Et sur cette excellente nouvelle, je clos la dernière session estivale de la Société Honorifique des Meilleurs Elèves de Lawndale High." Daria se rassit dans son fauteuil. "Ça y est, c'est terminé."
Jodie regarda les trois autres. "Vous avez tous été formidables de faire ça pour moi. Merci encore." En souriant, elle posa les yeux plus spécifiquement sur Jane, puis sur Daria. "J'ai compris pourquoi vous avez l'habitude de prendre du temps pour vous détendre, et j'aime ça."
Jane sourit : "Je vois que tu t'es fait piéger. Notre plan diabolique a réussi."
Daria eut un petit sourire. "Nous sommes celles dont tes parents t'ont dit de te méfier."
Jodie se mit à rire. "Fais attention, Daria. Mon plan diabolique te concernant a marché aussi." Elle pointa du doigt les feuilles sur lesquelles la charte de la Société était imprimée.
"Je crois bien qu'elle t'a eue là, Morgendorffer", dit Jane en agitant son doigt en direction de Daria.
Jodie se tourna vers Jane avec un sourire quelque peu prédateur. "Je suis sûre que Melle Defoe sera d'accord pour dire que mon plan a très bien fonctionné."
Jane se retourna rapidement vers Jodie et laissa tomber son doigt. "Je te déteste, toi et tes bons exemples sournois."
"J'ai quand même appris quelques trucs, pendant toutes ces années où j'essayais de convaincre les gens de faire ce qu'il fallait."
Daria demanda : "Et quels sont tes projets maintenant?"
Jodie soupira. "Je déteste voir arriver la fin de l'été. Je pars ce week-end pour Turner. Comme je succède à mas parents, j'ai été invitée à arriver plus tôt pour m'installer avant les autres premières années. Ça va aussi me permettre d'échapper à mes parents une semaine en avance."
L'humeur de Mack s'assombrit un peu. "Tant mieux pour elle et tant pis pour moi. Je ne pars pas pour Vance avant la fin du mois."
Daria ajouta : "Moi aussi, je vais m'en aller à ce moment-là."
"Soyez heureux de ne pas devoir rester ici pendant encore quatre mois comme moi", bougonna Jane. "Mais bon, il faut voir dans quel énorme merdier je serais sur le plan financier si je partais en même temps que vous."
Daria sourit méchamment. "Pense un peu comme tu vas pouvoir t'amuser avec Melle Li en tant qu'initiée à l'école. J'aurais bien aimé que Melle Defoe ait un appareil photo avec elle quand elle a annoncé à Melle Li qu'une de ses parias préférées allait revenir en tant que prof."
"Gamine, j'aime bien ta façon de penser."
Avec un léger soupir de soulagement, Mélody se détendit doucement dans l'eau presque brûlante de la baignoire; ses muscles surmenés et meurtris se relâchaient au fur et à mesure qu'ils s'imprégnaient de chaleur. Mélody se dit alors, tandis qu'elle sombrait dans le sommeil : "Je peux enfin finir mon bain."
Daria leva les yeux de la liasse de feuilles en finissant de lire son histoire à Mme Blaine. La vieille dame s'était encore une fois divertie avec l'écriture inventive de la jeune fille qui était venue lui faire la lecture toutes les semaines depuis près de deux ans. Elle avait toujours gardé les vieilles habitudes d'un professeur de lettres. L'écriture de Daria était d'un genre que les professeurs rêvent de rencontrer et qu'ils savourent quand ils le lisent. Leur interaction créative, lorsqu'elles discutaient ensuite des histoires, était tout aussi divertissante. Elle appréciait secrètement que les autres résidents l'envie, eux qui avaient chassé Daria en faveur des plus populaires Kévin et Brittany. Cependant, ces deux-là avaient disparu après seulement une semaine de "service à la communauté" alors que Daria avait continué à venir. Tout avait commencé la semaine où son vieil appareil auditif était tombé en panne et qu'elle n'avait pas encore reçu le nouveau. La blague consistant à envoyer la jeune fille impopulaire avec la vielle sourde s'était retournée contre eux.
"Merci beaucoup."
"De rien."
"La partie qui raconte le moment où Mélody entre dans la centrale m'a l'air un peu trop agitée."
"Mmm." Daria tourna les pages jusqu'à cette partie de l'histoire. "Vous avez sans doute raison. J'en prends note."
"Tu devrais peut-être aussi travailler la course-poursuite, j'étais perdue à plusieurs moments."
Daria tourna quelques pages. "Je l'ai."
"C'est bien que tu aies été capable de terminer cette histoire avant la rentrée. Je n'avais pas envie de devoir attendre pour connaître la fin. Auras-tu l'occasion de revenir avant de partir?"
"Je vais préparer mes affaires pour être prête à partir pendant les deux prochaines semaines. Je ne pourrai pas revenir vous faire la lecture avant les vacances de Thanksgiving. Je suis désolée de ne pas pouvoir continuer à venir vous voir. Après ça, je ne pourrai venir que pendant les vacances et les pauses entre les semestres. Comme je vous l'ai déjà dit, je voudrais suivre les cours de la session d'été."
"Ne t'inquiète pas ma chère, je comprends. Moi aussi, j'ai été une jeune femme prête à partir pour l'université."
"Ça va me manquer."
Mme Blaine se mit à chercher sous une petite table à côté d'elle et sortit une fine boîte en bois. Elle la présenta à Daria. "Je sais que tu ne pourras plus venir, mais s'il te plaît, écris-moi."
Intriguée, Daria prit la petite boite et examina la surface usagée et bien entretenue. À l'intérieur, elle trouva un stylo-plume argenté niché dans un écrin en velours usagé. Une note décolorée était attachée à l'intérieur du couvercle.
Août 1929
J'espère que ceci
te servira bien à l'université.
Affectueusement,
Maman
Daria resta silencieuse quelques instants avant de murmurer : "Merci. C'est sans doute un objet très important pour vous. Êtes-vous sûre de vous?"
"Oui ma chère. Je n'ai jamais eu de fille à qui j'aurais pu le transmettre. Ça n'aurait pas eu le même sens pour aucun de mes fils. Tu as été une bénédiction pour moi, et ça me semble approprié de le transmettre à une écrivain comme toi. Tu sauras apprécier son élégance"
"Wow, je ne sais pas quoi dire."
"Je suis sûre que tu vas finir par trouver les mots."
Daria se tenait au milieu de sa chambre, habillée avec les vêtements qui lui avaient permis de survivre au lycée. Les bras croisés, elle regardait devant elle, l'air indifférent. Jane prit une photo, puis se déplaça vers le mur d'à côté pendant que Daria faisait un quart de tour pour rester face à elle. Jane prit une autre photo. Cette opération se répéta encore deux fois, jusqu'à ce que tous les murs aient été photographiés.
"Merci Jane"
"Pas de problème. Ta chambre est désormais préservée pour la postérité. Dommage qu'elle ne survive pas dans la réalité, c'est toujours un endroit vraiment cool."
"Maman a essayé de la redécorer depuis le jour où on a emménagé. Une fois que je serai partie, il n'y aura plus personne pour l'arrêter. Je m'y suis résignée. D'ici là, il faut que j'aie tout emballé et tout sorti d'ici pour que les entrepreneurs puissent faire leur travail. Quand ils auront fini, une partie de moi aura disparu pour toujours."
"Tu n'as pas essayé de la faire changer d'avis?"
"Elle est inflexible."
"Tu lui as dit que tu comptais rester à Raft pendant l'été?"
"Non. Elle considérera que c'est un chantage pour l'empêcher de redécorer ma chambre et elle le prendra mal. De toute façon, plus j'y pense, plus ça me paraît sage. Je profiterai encore plus de l'université si je saisis ces opportunités. J'ai encore huit mois pour trouver une façon de leur dire, à elle et à Papa."
"Comme je te connais, ça va bien prendre huit mois."
"Probablement."
Daria fit un mouvement de la tête vers Jane et elles allèrent chercher des cartons dans le couloir. Daria prit un marqueur et écrivit "Livres - Boîte de Réserve 1" sur un des cartons et "Livres - Boîte pour Raft 1" sur un deuxième. Elle les posa sur le sol à côté d'une de ses étagères. Jane s'assit en tailleur sur le sol entre les deux boîtes. Lentement, Daria se mit à retirer des étagères des livres qu'elle examinait en réfléchissant un moment, et qu'elle tendait ensuite à Jane en indiquant de la tête une des boîtes.
Après les deux premiers, elle dit : "Je me croirais dans un triage, en train de décider quels sont ceux qui vont rester vivre avec moi et quels sont ceux qui vont monter au grenier."
"Et qu'est-ce que tu vas faire de tes modèles anatomiques?"
"Hé, il faut garder ses priorités. Ils viennent avec moi."
"Je plains ta camarade de chambre."
"Ça ne sera sûrement pas pire que ce qu'elle va apporter. Au moins, après avoir partagé une chambre avec Quinn quand on était petites, je suis prête à affronter à peu près n'importe quoi."
"Vous avez partagé une chambre? Quand ceci s'est-il produit et combien de sang a coulé?"
"Avant qu'on déménage pour Highland. Ça n'a pas trop saigné, on était trop petites pour attraper les couteaux et Maman nous coupait les ongles."
"Vous ne vous mordiez pas?"
"Tu crois vraiment que je poserais mes lèvres sur ça?"
"Hum, c'est vrai. Et qu'est ce que tu vas faire de la poésie dans ton placard."
"J'ai fait une copie en frottant un fusain sur des feuilles que j'avais posées sur les murs, pour préserver la texture originale."
"Et le capitonnage? Dommage que tu ne puisses pas en sauver."
Daria arrêta de prendre des livres et réfléchit un moment. "Tu as raison. Il va falloir que je trouve quelque chose."
Hélène regardait la lettre de motivation et le manuscrit qui étaient sur la table de la cuisine avec plaisir. Daria avait consacré tout l'été à écrire et à envoyer des demandes de publication à des magasines. Hélène avait bien compris que cette idée n'était qu'un stratagème pour échapper à un travail de conseillère au camp de M. O'Neill. Mais comme elle l'avait espéré, c'était devenu une expérience formidable pour sa fille. Après le coup dur qu'avait été son premier refus au printemps, Daria avait appris à mieux les gérer. Elle avait réussi à faire accepter une de ses histoires, ce qui était une performance pour quelqu'un de son âge.
Hélène accepta le bloc-note et le stylo qui lui étaient présentés pour qu'elle signe. "C'est signé avec la fierté d'une mère, ma chérie. Je suis tellement fière de ce que tu as fait cet été."
"Ah, Maman!"
Hélène sourit. "Tu le mérites, même si tu ne veux pas l'admettre."
"D'accord, je ne vais pas l'admettre." Daria regarda par terre un moment. "Mais j'admets quand même m'être bien amusée."
"Si tu le dis." Hélène était toujours aussi étonnée de voir à quel point Daria pouvait avoir confiance en elle dans certaines situations, mais restait timide dans des cas comme celui-ci.
Hélène observa le stylo, elle n'avait jamais remarqué que Daria utilisait un stylo-plume auparavant. "Où as-tu trouvé ce stylo?"
"C'est Mme Blaine."
"La dame à qui tu vas rendre visite à la maison de retraite?"
"C'est elle. Je lui ai lu mes histoires depuis que j'ai dû faire cette action d'utilité publique pour l'école. Elle m'a donné plein de bons conseils sur mon écriture. Elle m'a offert ce stylo hier pour que je n'oublie pas de lui écrire quand je serai à l'université. C'est la mère de Mme Blaine qui le lui avait offert quand elle était partie pour l'université. J'ai l'impression qu'elle me considère comme la fille qu'elle n'a jamais eue."
"C'est une pensée plutôt affectueuse. J'imagine très bien pourquoi elle te considérerait comme sa fille. J'ai un peu ce sentiment moi-même."
Une explosion de bruit éclata du côté de la porte d'entrée. Quinn venait de rentrer, avec Joey, Jamie et Jeffy à sa suite et transportant tous des paquets de chez Cashman.
"Salut Maman, Daria." Se retournant vers son escorte, elle dit : "Vous n'avez qu'à tout déposer à côté du canapé."
Un chœur discordant de "OK Quinn"... "Je m'en occupe Quinn"... "Pas de problème Quinn" s'éleva des trois garçons tandis qu'ils se bousculaient pour déposer les paquets.
Avec sa mère et sa sœur dans la cuisine, Quinn se dit que si les garçons s'y ruaient pour lui apporter une boisson, ce serait un désastre. Elle marcha jusqu'à la cuisine et cria par-dessus son épaule : "Les garçons, vous avez été tellement gentils que je vais vous apporter à chacun une boisson bien fraîche."
"Cool"... "Tout ce qui vient de toi est super"... "C'est toi la meilleure Quinn."
"Pas besoin de te lever Maman, je m'occupe de tout." Quinn regarda le short vert et le T-shirt noir que portait Daria. Sur le T-shirt était dessinée une galaxie avec une flèche en son centre et la mention "Vous êtes ici." Elle secoua la tête. "Mais où est-ce que tu trouves ces T-shirts?"
Pendant ce temps, les trois J prenaient leurs aises dans le salon, jusqu'à ce que Jeffy remarque le nouveau portrait de famille. "C'est un tableau génial, Quinn, t'es vraiment très sexy."
Joey ajouta : "Super sexy, Quinn."
Jeffy le regarda l'air ennuyé. "Hé, je l'ai vu le premier!"
Joey rétorqua : "Tu as juste hurlé le premier."
Pendant que les deux autres se disputaient, Jamie regardait le tableau, puis il se décala un peu pour voir Daria. Il regarda à nouveau le tableau, puis à nouveau Daria. Quinn était sexy sur ce tableau, Daria était fascinante.
Quinn se dépêcha de revenir avec un plateau portant quatre sodas. Après avoir entendu la discussion s'échauffer, elle savait qu'il fallait agir vite pour éviter un combat dans la maison. En approchant, elle remarqua que Jamie avait les yeux fixés sur le tableau, comme s'il était en transe, pendant que les deux autres se battaient à côté de lui.
"C'est bon, les garçons. Voici vos boissons. C'est la copine de Daria, l'artiste, qui a fait ça pour nous. Vous savez, je pense que c'est mon meilleur profil."
Joey et Jeffy arrêtèrent de parler et tournèrent immédiatement leur attention vers Quinn. Jamie se retourna lentement, regarda encore une dernière fois vers le tableau par-dessus son épaule, puis à nouveau vers Quinn. L'air distrait, il murmura : "Ouais Quinn, ton meilleur profil", et il suivit les autres en direction du canapé pour s'asseoir à côté de Quinn.
Daria se pencha vers sa mère et murmura : "Est-ce que c'est moi ou est-ce que Jamie se comporte un peu bizarrement?"
"Je crois qu'il vient juste de te remarquer."
"Maman, ces trois-là sont suspendus à chaque mouvement de Quinn depuis trois ans, pourquoi est-ce qu'il me remarquerait brusquement?
"Les garçons peuvent être comme ça. Ils peuvent te voir pendant des années et finalement te remarquer d'un seul coup."
Daria était sur le point de dire quelque chose quand elle vit Jamie regarder subrepticement par-dessus son épaule dans sa direction, puis regarder autre part rapidement lorsqu'il se rendit compte qu'elle l'avait remarqué. "Oh mon Dieu, tu as raison!"
La sonnerie du téléphone interrompit la conversation. Hélène répondit.
"Allô... Oui, il y a une Daria Morgendorffer ici... Un moment..."
Hélène lui tendit le téléphone sans fil.
"Oui, c'est Daria... Oui."
Il y eut un long silence. Les yeux de Daria s'écarquillèrent, puis elle s'affaissa dans sa chaise tandis que toute capacité à rester droite l'abandonnait, et que la couleur disparaissait de son visage.
La voix de Daria n'était plus qu'un chuchotement rauque : "Merci d'avoir appelé", et elle raccrocha.
Hélène n'avait jamais vu une telle réaction chez sa fille. Ça avait l'air encore pire que lorsque Daria était revenue à la maison après avoir embrassé Tom pour la première fois.
"Daria, qu'est-ce qui se passe?"
Daria ferma les yeux et pris une profonde inspiration. En laissant l'air lentement sortir, elle dit d'une voix prudemment mesurée et contrôlée : "Maman, s'il te plaît, va distraire Quinn et les garçons pendant que je monte dans ma chambre. Rejoins-moi dans quelques minutes."
Hélène acquiesça silencieusement et marcha jusqu'au salon. "On dirait que vous avez eu une journée chargée, Quinn. Comment allez-vous les garçons?"
Prudemment et sans bruit, Daria longea le mur pour atteindre l'escalier tandis que sa mère discutait avec les garçons. Quinn se rendit compte de la tactique de distraction de sa mère et, l'air concerné, elle observa du coin des yeux Daria qui montait les escaliers. Il fallait qu'elle fasse sortir les garçons de la maison le plus vite possible.
"Je viens juste d'avoir une idée. Qu'est-ce que vous diriez d'un bon yaourt glacé après avoir passé tout ce temps dehors au soleil? Je vous invite."
"Super." ... "Tu es tellement attentionnée."... "C'est moi qui conduis."
Quinn se leva de son siège et commença à aller vers la porte d'entrée. Les trois garçons, aussi sec, se dirigèrent eux aussi vers la porte en passant devant elle. Jamie resta un peu en arrière et remarqua que Daria n'était plus dans la cuisine. Pendant que les garçons étaient en train de marcher en regardant de l'autre côté, Quinn regarda sa mère et désigna le premier étage des yeux.
"Je serai de retour dans à peu près une heure." Elle prit son sac à main et suivit les garçons dehors.
Hélène ouvrit lentement la porte de la chambre après avoir frappé doucement. Daria était assise sur son lit, les mains posées sur ses genoux, le regard fixé droit devant elle. Hélène s'assit à côté d'elle, et posa sa main sur le poignet de Daria.
"Prends-ton temps. Je vais attendre que tu sois prête à parler."
Daria déglutit et dit doucement : "Mme Blaine est morte. Elle a eu une attaque."
La voix d'Hélène était douce et compatissante. "Il n'y a rien que je puisse dire pour te soulager instantanément. Perdre quelqu'un à qui l'on tient est trop douloureux pour que de simples mots puissent apporter de l'aide. Cependant, si tu le veux, je vais rester ici avec toi."
Daria la regarda et acquiesça. Elle ferma les yeux et s'appuya contre l'épaule de sa mère. Hélène posa son bras autour de sa fille et l'attira un peu plus près.
Daria arriva seule aux funérailles. Peu de personnes y assistaient. Elle portait une robe noire qui tombait au-dessus de ses bottes fraîchement cirées. Exceptionnellement, elle avait un sac à main, qui masquait partiellement un classeur noir. Il y avait là plusieurs pensionnaires et des membres du personnel de la maison de retraite. Daria reconnut un homme chauve dans la soixantaine qui était le dernier fils en vie de Mme Blaine. Elle vit une femme rousse de trente ans et un homme replet d'environ quarante ans avec des cheveux gris et pensa reconnaître les petits-enfants. Les autres la remarquèrent à peine tandis qu'elle s'approchait du cercueil. Elle ressentit une grande tristesse en voyant l'apparence irréelle de Mme Blaine.
Elle se pencha en avant et murmura : "Je suis désolée de ne pas avoir eu la chance de vous écrire. Mais je vous ai apporté quelque chose."
Daria regarda autour d'elle pour voir si quelqu'un faisait attention à elle. Elle ne vit personne, alors elle sortit le classeur de sous son sac et le glissa dans le cercueil, hors de vue. "Voici toutes mes histoires de Mélody Power. C'est pour vous, pour que vous puissiez avoir quelque chose à lire si vous en avez besoin."
Gardant le contrôle de ses émotions, elle vit un siège à côté d'elle et s'y installa pour se perdre dans des contemplations personnelles.
La cérémonie fut courte, et n'évoqua aucune religion. Le fils de Mme Blaine, Len, dit un bref éloge, racontant sa vie de fille de famille fortunée, étudiante, professeur, épouse et mère. Il dit comment elle avait perdu son mari et un de ses fils. Il finit en mentionnant son séjour à la maison de retraite Les Jours Meilleurs, et les visites d'une jeune femme dont Mme Blaine disait qu'elle était une voix vivante et rafraîchissante.
Quelques minutes plus tard, Daria était perdue dans ses pensées, et elle ne vit pas Len s'asseoir dans la chaise située juste en face d'elle, et se retourner pour lui parler.
"Excusez-moi. Vous êtes Daria?"
Légèrement surprise, elle se tourna vers Len. "Oui."
"Vos visites étaient très importantes pour ma mère. Elle avait refusé de quitter Lawndale pour venir vivre plus près de moi ou de mes enfants en Oregon. Après soixante ans, je suppose qu'on finit par s'attacher à un endroit. Nous n'avions donc que rarement l'occasion de venir lui rendre visite. Je ne suis pas en train d'excuser la rareté de nos visites. Je dis seulement à quel point j'apprécie les vôtres."
"Elle m'avait dit où vous viviez, et qu'elle ne supportait pas cet endroit. Elle ne vous en a jamais voulu de ne venir que rarement. Votre maman était toujours heureuse quand vous veniez la voir. Elle était restée là où elle était heureuse ; je ne pense pas que nous puissions en demander plus pour nous même."
"Ma mère n'aurait jamais été heureuse en Oregon. Je suis content que vous ayez été ici pour elle."
"Je suis contente de l'avoir connue."
Len lui tapota le bras et se leva. "Vous êtes la bienvenue si vous voulez monter avec nous en voiture."
Daria se tortilla sur son siège l'air embarrassée. "Merci de votre offre. J'ai besoin d'être seule maintenant, si ça ne vous dérange pas."
Len remarqua le léger craquement dans sa voix. "Je comprends." Il se leva silencieusement et rejoignit les autres membres de la famille près du cercueil. Quand Len remarqua qu'un des porteurs tendait la main vers le classeur partiellement caché dans le cercueil, il arrêta doucement sa main et fit non de la tête.
Daria resta assise, silencieuse et immobile jusqu'à ce que tout le monde soit parti. Doucement, elle laissa retomber son contrôle et s'autorisa à pleurer.
Les deux jours suivants, Daria passa son temps à préparer son départ. Elle était à son bureau, en train de remplir des formulaires de changement d'adresse avec celle de la chambre que Raft lui avait assignée la semaine précédente, lorsqu'on sonna à la porte. Daria descendit ouvrir la porte derrière laquelle se trouvait un homme bien habillé avec un costume noir et une cravate bleu foncé. À côté de lui se trouvait une vieille malle de voyage posée sur un chariot rouge. L'homme regarda un bloc note et demanda : "Bonjour. Êtes-vous Mlle Daria Morgendorffer?"
Daria répondit avec prudence : "Oui, c'est moi."
"Je suis Ellis Baker. Mme Theresa Blaine vous a légué ceci dans son testament. Pourriez-vous s'il vous plaît me présenter une pièce d'identité avec photo?"
Daria regarda M. Baker l'air confus. "Un moment." Elle referma la porte et marcha jusqu'au salon pour prendre son portefeuille. Elle l'ouvrit pour prendre son permis de conduire tout en retournant vers la porte.
Après avoir vu le permis de conduire, M. Baker tendit à Daria le bloc note. "Signez ici s'il vous plaît, pour confirmer que le legs vous a été remis en main propre."
Après que Daria eut signé, M. Baker lui tendit une enveloppe. "Cette lettre va avec le legs. Voulez-vous que je l'apporte à l'intérieur?" Il désigna la malle de la main.
"Oh." Daria s'écarta et fit signe à l'homme d'entrer.
Il fit rouler la malle jusqu'au salon et la déposa délicatement. Après l'avoir retiré du chariot, il renversa la malle pour la remettre dans le bon sens.
"Bonne journée." Sur ces mots, il sortit silencieusement de la maison.
Daria vit que son nom était inscrit à l'encre sur l'enveloppe. Mme Blaine utilisait toujours un stylo plume quand elle le pouvait. Elle avait probablement écrit avec celui qu'elle avait donné à Daria la semaine précédente. Avec un mélange de tristesse et de curiosité, elle ouvrit l'enveloppe et déplia la lettre.
Octobre 1998
Chère Daria,
Après avoir écouté vos charmantes histoires toutes les semaines depuis un an, j'ai réalisé que c'était vous qui apprécieriez le plus ce cadeau. Je tiens un journal intime depuis que j'ai douze ans, en voici tous les volumes. Je vous donne l'histoire de ma vie parce que vous avez été assez attentionnée pour partager votre fantaisie avec moi. Peut-être que ces mots vous donneront un aperçu de ce qu'était la vie pendant une bonne partie de ce siècle. Peut-être qu'ils vous donneront un aperçu de vous-même si vous y retrouvez quelque chose de familier. Je sais que vous en prendrez bien soin.
Theresa Blaine
Daria déposa doucement la lettre sur la table basse. Elle s'agenouilla devant la malle et ouvrit le loquet.
"Votre journal intime. Qu'ai-je fait pour mériter autant de confiance?"
Elle ouvrit lentement le couvercle et regarda à l'intérieur. De nombreux carnets de tailles et de couleurs différentes remplissaient la malle. Sur chacun d'entre eux était écrite l'année à laquelle il correspondait, ce qui rappela à Daria la façon dont elle-même annotait les cahiers de son journal intime. En les examinant, elle remarqua qu'ils étaient rangés dans l'ordre, du premier datant de 1923, au plus récent de 1999. Elle prit le dernier volume et tourna les pages jusqu'à la dernière entrée.
13 Août 1999
Daria a apprécié mon cadeau aujourd'hui. Je pense qu'elle en fera bon usage. Je n'aurai pas l'occasion de la revoir avant les vacances de Thanksgiving. J'ai été gâtée avec sa gentillesse et elle va énormément me manquer. Ce sera intéressant de voir ce qu'elle va écrire à propos de l'université. J'attends ça avec impatience.
Daria ouvrit la porte de sa chambre avec son pied et entra, les bras chargés avec des cartons et des sacs en plastique. Derrière elle, Jane la suivait avec un fardeau semblable. La chambre était très différente de d'habitude. Les bibliothèques vides avaient l'air lugubre. L'habituel morceau de fromage et les répliques d'os n'étaient visibles nulle part. L'ordinateur était rangé dans sa boîte à côté du bureau. Le poster de Kafka n'était plus sur le mur, tout comme le poster des ossements à moitié exhumés. Alignées le long d'un mur se trouvaient quelques boîtes, sur lesquelles on avait écrit "Raft" ainsi qu'une description de leur contenu. La malle de voyage était rangée le long du mur à côté du placard. Les bagages de Daria étaient presque terminés et la pièce paraissait avoir perdu son âme.
Jane fut prise un peu au dépourvu. Son amie allait bientôt s'en aller et elle en avait la preuve devant les yeux. Ne voulant pas y penser, elle décida qu'il était temps de taquiner Daria avec leurs achats.
"Laisse moi deviner. C'est la plus grande débauche de shopping que tu aies faite de ta vie."
"Sans rire, je n'avais pas réalisé que je prendrais autant de trucs."
"Voilà, j'en ai la preuve. Tu es une fille matérielle."
"Jane, pour ce seul commentaire, j'espère que tu auras des enfants aussi abominables que toi."
Jane recula, se protégeant de Daria avec les paquets qu'elle tenait dans les bras. "Ok. Plus de commentaires sur Celle Dont On Ne Doit Pas Prononcer Le Nom."
Daria jeta un coup d'œil à Jane, puis inspecta le butin qui se trouvait devant elle. Un petit micro-onde, un assortiment de casseroles, quelques couverts, des serviettes, des draps et des couvertures, et des objets auxquels on ne pense pas forcément mais dont elle aurait besoin pour faire un peu de ménage dans sa chambre. "Et si on mettait directement les sacs dans les cartons? Je n'ai pas besoin de voir toutes ces choses avant d'arriver dans ma chambre, alors pourquoi faudrait-il les sortir des sacs juste pour les remettre dans une boîte?"
"Ça m'a l'air d'être un plan, ou alors de la flemme pure et simple."
"La plupart des grands plans et des inventions proviennent du désir de voir les choses se faire avec le moins d'efforts possible. En d'autres mots, la flemme."
"La Logique de la Léthargie. J'aime ça."
"C'est bien ce que je pensais."
Jane avança jusqu'à la malle. Un petit cadenas avait été attaché à la poignée.
"Alors c'est ça."
Daria leva les yeux vers Jane, debout à côté de la malle. "C'est le journal intime de Mme Blaine. Soixante-seize ans de la vie d'une personne, rapportés en détail."
"Et enfermés à clé. Avant que tu ne t'énerves, je ne vais pas te demander de me le montrer."
"Tant mieux. Si je laissais quelqu'un le lire, ce serait comme si je laissais quelqu'un lire le mien."
"Et nous savons à quel point c'est susceptible d'arriver."
"J'en ai lu une partie. Elle voulait que je le fasse, mais j'ai un peu l'impression d'être une voyeuse qui regarde par une fenêtre."
"Bon, je pense qu'on peut dire que tu ne te connecteras plus sur aucune webcam."
"Une fois, c'est de la curiosité, deux fois, c'est de la perversion. Puisque la seule webcam que j'aie jamais été voir est la tienne, je ne suis pas encore une perverse."
"C'est ça! Je t'ai bien vue observer les gens pour avoir des idées pour tes histoires. Tu ne peux pas résister."
"Mais c'est pour regarder les gens dans des situations intéressantes, contrairement à une webcam."
"Je pense que certaines d'entre elles pourraient être considérées comme intéressantes."
"Ça ne m'intéresse pas d'écrire ce genre de choses."
"Enfin, tu n'es pas assez désespérée", dit Jane en souriant.
"Jane, je commencerai à écrire des choses comme ça à peu près au moment où tu m'auras convaincue de poser nue."
"C'est un défi?"
"Réfléchis un peu. Tu as déjà fait remarquer que tu avais pu observer six signes de l'apocalypse cet été, tu veux voir le septième?"
"Tu m'agaces avec ta logique."
Daria sourit à sa victoire verbale.
"Sérieusement, tu vas en lire plus?"
"Plus tard. Lire la description de tant d'événements historiques du point de vue de quelqu'un qui a écrit à la même époque, ça doit être intéressant. Presque comme si j'avais une machine à remonter le temps."
"Hé, je pourrais peindre la malle pour qu'elle ressemble à une Police Box comme dans Docteur Who."
"Non!"
"T'es pas marrante."
"Rappelle-toi, je ne fais jamais rien de marrant."
"Ouais, c'est ça. Je demanderai à Will ce qu'il en pense."
"Tu m'as eue. Je fais des choses marrantes uniquement sur consigne spéciale." Daria sourit en se rappelant leur voyage à la plage quelques semaines auparavant.
"Revenons au journal intime, s'il te plaît."
Regardant la malle encore une fois, Daria répondit : "Je pense qu'elle me l'a donné parce que j'étais suffisamment proche d'elle pour l'apprécier, mais pas assez proche pour pouvoir causer des problèmes avec les choses que je vais y lire."
"Autrement dit, quelqu'un qui pourrait le lire sans être choqué par son opinion de la grand-tante Matilda."
"Exactement."
"Tout en étant quelqu'un qui pourrait garder une confidence."
"Je pense."
"Je sais."
"J'imagine que tu sais. Merci de m'aider avec tout ça." Daria s'assit au bord de son lit, prit la télécommande et alluma la télévision. "Je laisse la télé allumée sur le câble pour l'instant. Qu'est ce que tu dirais de commander une pizza avec des frites au fromage et de se poser pour une dernière nuit de spectacle intelligent?"
Jane s'assit à côté d'elle et se laissa tomber en arrière. "Oui, ça me semble être un bon plan." Elle attrapa le téléphone sans fil et composa le numéro de Pizza Prince.
La télévision clignota et prit vie avec l'immuable logo en oeil de bœuf. "Ils se rassemblent pour passer du bon temps, et finissent écrabouillés sur votre pare brise! Les orgies des insectes volants envahissent nos autoroutes, bientôt dans Triste Monde Tragique."
Le lendemain matin fut agité d'un mélange d'activités en tous sens. Hélène insista pour prendre un petit déjeuner à base de pancakes maison avant de partir, petit déjeuner qui prit deux fois plus de temps qu'il n'aurait fallu pour être préparé en raison des appels téléphoniques persistants d'Éric.
"D'accord, Éric... Il faut que j'y aille... Oui, il le faut vraiment... On en parlera lundi... Au revoir."
Hélène posa le téléphone sur la table. "Parfois cet homme est aussi incapable qu'un bébé."
Jake, Quinn et Daria étaient assis autour de la table de la cuisine comme n'importe quel autre matin, chacun absorbé dans sa propre lecture. Par nostalgie, Daria s'était habillée avec la jupe noire et la veste verte de ses jours de lycée. D'une certaine façon, arriver à l'université vêtue de la même façon semblait approprié. En entendant sa mère poser son téléphone portable à côté d'elle, Daria leva la tête pour la voir retourner dans la cuisine. Sa main glissa vers l'offensant appareil de communication et appuya sur un bouton pour l'éteindre. Après avoir réfléchi quelques instants, elle posa son journal par-dessus le téléphone, se dirigea vers la cuisine en débranchant rapidement au passage la fiche de la base du téléphone sans fil. Nonchalamment, elle continua vers la cuisine.
"Au moins, tu n'as pas à changer ses couches."
Hélène se crispa un peu à cette idée. "Oh. C'est vrai."
"Tu veux de l'aide avec le petit déjeuner?"
"Je veux bien."
"Puisque je vais partir pour l'université, je me suis dit que c'était le bon moment pour apprendre à faire la cuisine."
Hélène eut un petit sourire.
Daria tendit la main vers la petite télévision. "Ça te dérange si j'allume pour voir quelle météo on aura pendant le trajet en voiture?" Ça devrait faire assez de bruit pour cacher le bruit du téléphone d'en haut, se dit-elle.
Daria vint se placer à côté d'Hélène. "OK, par où on commence?"
Après le petit déjeuner, le chargement pourtant bien planifié de la voiture se transforma rapidement en chaos. Peu après la reprise des activités, après le petit déjeuner, le stratagème de Daria avec les téléphones avait été découvert.
"Maman! Papa! Comment ça, je ne peux prendre qu'une seule valise?" hurla Quinn depuis sa chambre. Elle regarda le paquet emballé dans du papier cadeau niché dans un coin de sa valise. Comment est-ce que je vais faire pour prendre suffisamment de vêtements pour être jolie sur un campus et emporter en même temps le cadeau de Daria? Quinn pensa à quel point elle s'entendait bien avec Daria à présent, après de longues années de rivalité. Son humour incisif et ses commentaires allaient lui manquer. Mais ce qu'elle allait le plus regretter, c'était les petits coups de coude et les grands coups de pieds au derrière avec lesquels Daria motivait Quinn pour qu'elle se débrouille toute seule. Daria avait encore des problèmes pour montrer ouvertement ses sentiments. Pourtant Quinn savait que les conseils apparemment sans émotion de sa sœur montraient en fait combien elle tenait à elle. Malgré toutes les années où elle avait appelé Daria sa "cousine", Quinn n'avait plus vraiment hâte de passer un an en tant qu'enfant unique. Le fait d'avoir toute l'attention de ses parents l'inquiétait. Quinn savait que Daria ne serait séparée d'elle que par un coup de téléphone ou un e-mail. Elle espérait que ce serait suffisant. Quinn se força à faire attention à la crise actuelle : emporter assez de vêtements dans une seule valise. Elle retira deux paires de jeans et quelques T-shirts de ses bagages. En s'asseyant sur son lit, frustrée, elle regarda par la fenêtre. Le soleil éclatant lui rappela la chaleur de l'été et elle s'écria : "Les vêtements légers prennent moins de place!" Avec une nouvelle vigueur, elle commença à entasser des chemises légères et des shorts dans la valise. "Les garçons vont vraiment me trouver mignonne avec ça."
Jake cria de frustration tendis qu'il essayait d'organiser les paquets de Daria à l'arrière de la voiture. "Pourquoi ne peuvent-ils pas faire des boîtes et des valises de taille standard?" Jake était debout devant le coffre ouvert du véhicule, face à un amas confus de cartons et de bagages de formes diverses. Il continua à essayer de tout faire rentrer, et pensa que toutes ces boîtes étaient comme une métaphore de sa vie. Il n'avait jamais paru capable de faire correctement tenir dans sa vie toutes les choses qui étaient importantes pour lui. La vie avait toujours l'air d'être un amoncellement frustrant de précautions et de responsabilités. Essayer de tout maintenir ensemble avait utilisé pratiquement tout son temps. Il ne lui en restait que trop peu pour apprécier les choses et les gens qu'il s'efforçait de garder proches de lui. Et maintenant, il était en train d'aider à s'en aller une des personnes qui lui étaient les plus précieuses. Il se souvint de sa transition vers l'université et ne se fit aucune illusion. Il avait vu le regard dans ses yeux et savait qu'elle ne reviendrait que pour leur rendre visite, et qu'elle n'habiterait plus sous ce toit. La pensée qu'il aurait désormais moins de responsabilités avec lesquelles jongler ne le réconforta pas du tout. Son seul réconfort à ce sujet était de penser à la façon dont elle allait éclore et grandir dans les prochaines années. Se focalisant sur cette idée, il rampa dans la voiture pour continuer le rangement.
Hélène tenait une liste dans ses mains et elle faisait la navette entre Jake près de la voiture, Quinn qui se préparait dans sa chambre, et Daria qui descendait ses possessions au rez-de-chaussée. Elle coinça son téléphone portable entre son oreille et son épaule gauche.
"Éric, il va falloir que vous trouviez quelqu'un d'autre pour s'occuper de ça ce week-end... Parce que je serai à Boston... Nous emmenons Daria à l'université... Non, je ne peux pas repousser la date de départ... Je vous parlerai plus tard... Au revoir."
"Je déteste cet homme." Hélène remit le téléphone dans sa poche, l'air maussade, et regarda à nouveau la liste. Elle évalua la situation. Elle avait chargé les bagages de Jake et les siens, donc elle savait que ça avait été fait. Quinn hurlait à propos de son unique valise. Jake était un peu paumé en train d'essayer de charger la voiture. Daria, encore une fois, prouvait qu'elle était l'œil calme de la tempête. Calmement, efficacement, elle descendait ses boîtes comme si rien d'inhabituel ne se produisait. Hélène s'assit sur le canapé et observa sa fille. Elle pensa à quel point sa fille aînée était une énigme. Une façade dure, presque froide, protégeait une âme parfois aussi fragile que du cristal. Cette façade pouvait paraître indifférente, alors même que la jeune femme à l'intérieur était extrêmement attentionnée, et capable de grands efforts pour aider un ami. Hélène voyait quelqu'un de très confiant sur son intellect, mais timide à propos d'elle-même et de la façon dont les autres la voyaient. Daria se dirigeait vers une vie correspondant à ses propres conditions. Elle y faisait face avec une combinaison unique de forces et de faiblesses. Hélène soupira, elle ne la guiderait plus désormais. Elle se trouvait en train de faire face à ce changement avec son propre mélange de confiance et d'inquiétude.
Tard dans la matinée, tout avait été transféré dans la voiture à part la dernière valise de Daria, qui contenait quelques vêtements et objets dont elle aurait besoin immédiatement. Elle examina la chambre pour être sûre que tout avait été pris. Satisfaite, elle alla jusqu'à un des murs capitonnés où quelques objets étaient empilés.
"Encore une dernière chose à faire."
Daria utilisa des pinces pour retirer avec précaution deux clous de tapissiers du mur, et les déposa dans une tasse. Elle plaça une plaque carrée de contre-plaqué contre le mur, et en utilisant un couteau, elle découpa le tissu tout autour, puis l'arracha minutieusement du mur avec son capitonnage. Elle posa le morceau de tapisserie sur le contre-plaqué et y agrafa les coins. Elle rajouta les clous de tapissier dans le capitonnage avec un petit marteau pour recréer l'aspect et la texture originels. Avec révérence, elle plaça le tout dans sa valise et la referma. Elle la ramassa et marcha jusqu'à la porte. Elle se retourna et regarda autour d'elle une dernière fois. À part les étagères vides et le lit sans draps, la pièce avait le même aspect que la première fois qu'elle l'avait vue : les murs capitonnés gris, les barreaux à la fenêtre, la télévision fixée dans un coin du plafond, et la rampe près de la porte. C'était un endroit que beaucoup trouvaient froid et sévère. Cette pièce avait vraiment été sa maison, elle l'avait réconfortée et abritée comme aucune autre de ses chambres ne l'avait jamais fait. La prochaine fois qu'elle regarderait par cette porte, tout ceci aurait disparu.
"Tu vas me manquer, ma vieille amie."
Daria baissa la tête, se retourna lentement, et marcha jusqu'aux escaliers.
La voiture rouge s'avança dans l'allée d'une maison de Howard Drive un peu après midi. Une jeune femme vêtue de vert et de noir en descendit par une des portes arrière et marcha jusqu'à la porte de la maison. Avant même qu'elle ne l'ait atteinte, la porte s'ouvrit sur une jeune femme en rouge et noir et un homme dans la vingtaine avec un jean déchiré et un T-shirt kaki provenant des surplus de l'armée. Les trois personnes parlèrent pendant quelques minutes. La jeune femme en vert serra l'homme dans ses bras un moment. Elle le relâcha en gardant ses mains dans les siennes et dit encore quelques mots. Elle se retourna vers la jeune femme en rouge et la serra dans ses bras un peu plus longtemps. En même temps, elles continuaient à se parler. Finalement, elles se séparèrent et dirent quelques derniers mots. La jeune femme en vert fit demi-tour et retourna à la voiture.
Au moment où Daria ouvrit la porte, Hélène se retourna et dit : "As-tu eu assez de temps?"
"Oui." La tristesse était claire dans sa voix.
Jake se retourna aussi. "Je sais que Jane va te manquer, mais ce n'est que pour quelques mois, et ensuite vous serez toutes les deux à Boston."
"Je sais. Il va juste falloir que je passe ces quelques mois."
Quinn sourit à sa sœur. "Alors, qu'est-ce qu'ils ont dit?"
"Ce sont des mots dits en privé. Je préfère que ça reste comme ça."
Quinn hocha la tête. "Je comprends."
Daria regarda par la fenêtre et vit disparaître les silhouettes de Trent et Jane. Tandis que la voiture traversait la ville, Daria observa le paysage familier qui défilait.
Elle sortit le stylo-plume de sa boîte et se mit à écrire dans son journal intime :
J'ai vécu beaucoup plus longtemps à Highland qu'à Lawndale, mais cette ville ne m'a jamais manquée. Je ne suis ici que depuis un peu moins de trois ans, et je vais regretter de ne plus pouvoir dire que cette ville est chez moi. Je me demande ce que ça fera de revenir ici en tant qu'invitée, et non plus en tant que résidente. Avant de partir, j'ai fixé un morceau du capitonnage des murs de ma chambre sur du contre-plaqué, pour l'emporter avec moi. Je crois que ça passera mieux que si j'avais à nouveau pris la poignée de la porte d'entrée.
Le soleil brille, éblouissant, au-dessus des lieux qui me sont devenus si familiers. Les maisons et les arbres de Howard Drive et Glen Oak suscitent en moi une vague de chaleur. Combien de fois suis-je passée devant? Comme on pouvait s'y attendre, je ne ressens rien au moment où nous passons devant le lycée. Voilà Pizza Prince, restaurateur de nos esprits. Ils ont intérêt à avoir de bonnes pizzerias à Raft. Le centre commercial. Je le reconnais à peine. L'idée qu'il va manquer à Quinn à la même époque l'année prochaine me traverse l'esprit. Nous approchons de la route nationale, et mon séjour à Lawndale arrive à sa fin.
Je me suis fait de vrais amis ici ; ça signifiera toujours beaucoup pour moi. Des amis qui ont fait de moi une personne meilleure. Je ne suis plus une paria désormais. Mais ces amis vont s'éparpiller au loin tout comme moi. Dans quelques mois, il n'en restera plus qu'un seul dans cette ville. Une autre va me rejoindre à Boston. Il y en a une qui est avec moi maintenant. J'ai la vie entière de Mme Blaine à explorer au moment même ou je commence à explorer la mienne. Quel cadeau merveilleux! Cette ville avait quelque chose à m'offrir, finalement.
Il est temps de commencer une nouvelle étape de ma vie. J'espère qu'elle sera aussi riche que mon séjour ici.
Daria regarda les faubourgs de Lawndale disparaître dans le lointain tandis que la voiture s'engageait sur la rampe d'accès de la nationale et commençait à s'élancer vers Boston.
Merci à Kristen Bealer et Robert Nowell pour la relecture et les corrections.
