Disclaimer : MFB ne m'appartient pas.


Chapitre 12 : Les observateurs silencieux


Kakeru posa bruyamment son plateau sur la table. Kyouya daigna à peine lever les yeux. Il n'aimait pas venir au réfectoire : il y avait bien trop de monde à son goût. Déjà qu'il était enfermé dans une salle de classe la moitié de la journée avec ces inutiles, il ne voyait pas l'intérêt de perdre davantage de temps avec eux. D'habitude, il prenait un bento et il mangeait dehors ou dans une salle vide. Aujourd'hui, pour faire plaisir à son cadet, il s'efforçait de supporter ce calvaire. Il s'encourageait en songeant que le week-end débuterait dans quelques heures, et qu'il n'aurait bientôt plus à les supporter. Deux jours de répit, c'était peu, mais c'était toujours bon à prendre.

- C'est vraiment génial !

- Je ne vois absolument pas de quoi tu parles et, même si c'était le cas, je ne serais pas d'accord.

Sa déclaration n'amoindrit même pas le sourire de Kakeru. Ce dernier continuait de frémir d'enthousiasme, comme si tout abondait dans son sens, que l'univers entier se conformait à ses désirs.

Et après, il s'étonne quand je dis qu'il a été adopté.

C'était la seule explication rationnelle... En tout cas, c'était ce que Kyouya se plaisait à prétendre en face de Kakeru. La vraie raison était plus terre-à-terre : pourquoi seuls les petits frères auraient le droit d'embêter leurs aînés ?

- Nous sommes tous qualifiés pour le deuxième tour ! continua Kakeru comme si Kyouya n'était pas intervenu – il était devenu maître dans cet art. Toi, Benkei, Nile, Damure et moi chez les Wild Fang Yuu, Ryuuto et Tsubasa chez les Dragon Clan Ginga et Kenta chez les Galaxy Heart.

Les sourcils de Kyouya se froncèrent. C'était une impression ou Kakeru avait prononcé le nom de Ginga bizarrement ?

- Ça me donne tellement envie de fêter ça ! s'exclama son petit frère, l'empêchant de se poser davantage de questions. On pourrait refaire un pique-nique. Tu en penses quoi ?

- Parce que mon avis t'intéresse maintenant ?

Kakeru le regarda avec un grand sourire, attendant sa réponse. Kyouya soupira.

- C'est idiot.

- Parce que c'est une réunion et qu'il y aura du monde qui s'amuse ?

Kyouya fit mine de ne pas remarquer la moquerie sous-jacente.

- Parce que c'est la première qualification. Ça ne vaut pas tout ce bruit. Rien ne dit qu'on pourra tous participer au même tournoi inter-Maisons.

La mâchoire de Kakeru se décrocha. Il le fixa avec des yeux ronds. Apparemment, il n'y avait pas pensé.

Un immense sourire chassa la stupeur de Kakeru.

- Tu as raison ! Ce sera beaucoup plus percutant de faire un pique-nique après les finales. On fêtera notre accession au tournoi inter-Maisons !

- Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit !

- J'ai hâte d'en parler à Yuu. Je suis certain que ça lui plaira.

Kyouya se contenta de grogner. Comme par hasard, il avait fallu que son frère et ce gamin deviennent amis – presque inséparables. À croire que l'univers aimait se moquer de lui.

Kakeru joignit les mains.

- Bon appétit !

- C'est ça.

Kakeru prit sa fourchette et Kyouya fit ce qu'il était parvenu à éviter jusqu'à présent : regarder le contenu de son assiette. Kakeru embrocha une patate. Un frisson de dégoût parcourut l'échine de Kyouya. Son petit frère stoppa sa fourchette à mi-hauteur. Kyouya s'aperçut qu'il souriait. Son nez se plissa. Pas étonnant que Yuu et lui s'entendent si bien : ils étaient tous deux des pestes.

- Tu détestes toujours les pommes de terre ?

- Et alors ?

Kakeru pointa la fourchette vers lui. Kyouya ne put réprimer un mouvement de recul et son dos se plaqua contre le dossier de sa chaise.

- Je te défie d'en manger.

- Pourquoi je ferais ça ?

- Parce que c'est gamin, non, de refuser si capricieusement un aliment ?

Kyouya regarda le morceau de patate. Il voyait son horrible texture spongieuse et avait l'impression d'avoir son goût écœurant sur la langue rien qu'en le regardant.

- M'en fiche.

Sa fierté n'allait pas jusque-là.

Kakeru laissa échapper un rire puis, sans prévenir, enfourna la pomme de terre dans sa bouche. Il la mâcha exagérément. Kyouya fut parcouru de frissons. Comment il pouvait manger cette chose ?

- Tu le fais juste pour m'embêter, l'accusa-t-il.

Kakeru tenta un sourire innocent. Ce serait sans doute plus convainquant s'il ne semblait pas si profondément fier de lui.

Sale peste, répéta intérieurement Kyouya en plissant les yeux.

Pour lui donner raison, Kakeru planta sa fourchette dans une autre patate, alors qu'il y avait d'autres aliments dans son assiette.

- Je ne fais que suivre mon devoir.

- Quel devoir ?

Kyouya tourna la tête. Yuu – comme par hasard – se tenait juste à côté de leur table. Ses yeux verts pétillaient. Derrière lui, il y avait Kenta, Tsubasa et Ryuuto.

- Rien, dirent les Tategami, en chœur.

C'était ça, la solidarité fraternelle.

- Ha ha ha ! Je peux m'asseoir avec vous ?

- Non.

- Oui !

Kyouya et Kakeru se regardèrent, l'un avec un air renfrogné, l'autre avec un grand sourire.

Yuu se remit à rire.

- C'est trop drôle ! Même quand vous êtes pas du même avis, vous êtes raccord !

- Je ne vois pas ce qu'il y a d'amusant.

Kyouya décida de tous les ignorer. Ils l'ennuyaient. Il souleva son bol de gyūdon d'une main, prit ses baguette de l'autre et entama son repas. Plus vite il terminerait, plus vite il pourrait quitter cet endroit infernal.

Même si, après, il y aurait d'autres cours.

Un autre genre d'Enfer.

- Hm... J'hésite... reprit Yuu. Je peux manger avec vous, ou essayer de retrouver Gingy et Madoka.

- Vas avec Ginga.

- Tu dis ça parce que t'as pas envie que je mange avec vous, pas vrai ?

- Comment tu as deviné ? répliqua Kyouya, acerbe.

- C'est décidé ! s'exclama Yuu avant de se laisser tomber sur la chaise la plus proche de Kyouya, qui émit un grognement de frustration. Je déjeune avec vous ! Bon appétit Keru, Yoyo.

- Ne m'appelle pas Yoyo !

Ce fut au tour de Kakeru d'éclater de rire, comme s'il était face à un sketch particulièrement drôle. Kyouya se renfrogna. Il reporta son attention sur son repas. Avec de la chance, ils seraient trop occupés à parler entre eux pour l'embêter.

Avec beaucoup de chance.

Avec la chance de toute une vie.

Autant dire que ça n'arriverait jamais.

Il ne restait qu'une seule solution : terminer son repas et se barrer vite fait.

Tsubasa s'assit à côté de Yuu, et Kenta prit place entre l'argenté et Kakeru. Seul Ryuuto resta debout à côté de la table, ses mains serrées sur son plateau, l'air de ne pas savoir quoi faire. Kyouya soupira avec agacement. Il avait pas l'air dégourdi, celui-là.

- Tu comptes rester planté là longtemps ?

Les yeux dorés s'arrondirent puis un léger sourire s'afficha sur le visage de Ryuuto. Les épaules de Kyouya se tendirent. Qu'est-ce qu'il lui prenait ?

- Merci de me permettre de m'asseoir avec vous, déclara-t-il poliment avant de s'installer à côté de Kakeru.

Tsubasa ne put cacher sa confusion. Kakeru, Yuu et Kenta affichaient le même air ébahi.

- Tu es incroyable, souffla Kakeru.

Ryuuto rougit et baissa les yeux vers son assiette. Les sourcils de Kyouya se froncèrent. C'était quoi, ça ?

- Tu comprends le Yoyo !

Kyouya se tourna vers Yuu, les crocs à découvert.

- Arrête de m'appeler Yoyo !

- Pas beaucoup de gens auraient compris que c'était une invitation, reprit Kakeru.

- Ah bon ?

- Ce n'était pas une invitation, marmonna Kyouya.

Il trouvait juste que Ryuuto avait l'air idiot à rester debout au milieu du réfectoire, sans savoir quoi faire de lui-même.

Des regards se fixèrent sur lui. Blasés – il le sentait.

Il ne releva pas la tête. Quand parviendrait-il au bout de son bol ?

- Tu sais, mon frère a eu une super idée : on pourrait faire un pique-nique, une fois les qualifications terminées, pour célébrer notre réussite.

- C'est génial !

- Ce n'est pas mon idée.

Ses baguettes percutèrent quelque chose de dur. Il ouvrit les yeux. Enfin – enfin – il avait terminé.

Il posa son bol et ses baguettes sur son plateau avant de se mettre debout.

- Où tu vas ?

- Aussi loin que possible.

On ne l'y reprendrait plus à accepter un truc pareil.

- Et ton dessert ?

Kyouya le prit et le déposa sur le plateau de Kakeru. L'expression de son petit frère passa de la perplexité à la joie.

- T'es mon frère préféré !

- Je suis ton seul frère.

- Même si j'en avais dix, tu serais quand même mon préféré.

- N'importe quoi.

Kyouya tourna le dos à la table tout en réprimant son sourire. C'était idiot d'être heureux pour une futilité pareille.

Il s'éloigna d'une démarche tranquille, en portant son plateau. Son bien-être s'évanouit en une seconde. Ses épaules se tendirent et il s'arrêta. Il balaya lentement la foule qui l'entourait. La plupart des élèves discutaient entre eux, à leurs tablées. Certains le regardaient et s'empressaient de détourner la tête quand il les remarquait. Il s'en moquait. Ce n'étaient pas eux qui provoquaient cette sensation, pas eux qui l'observaient aussi attentivement... et avec une pointe d'animosité. C'était différent de la veille. Il sentait que c'était un humain, cette fois.

Il commence à y avoir un peu trop de monde qui me fixe.

Si c'était pour le provoquer en duel, encore...

Les picotements de sa nuque cessèrent, preuve que l'attention se portait ailleurs.

- Ça va vite m'agacer ça.

La prochaine fois, il obligerait l'observateur à sortir de son trou grâce à Leone. Le Rugissement Tempétueux du Lion ferait parfaitement l'affaire.

Satisfait par cette solution, il reprit sa route.

Kyouya avait également remarqué que Ginga n'était pas présent. Ce n'était pas une surprise, mais il n'avait pas pu s'empêcher d'en éprouver une pointe de déception. Quitte à avoir supporté tout ça, il aurait bien voulu apercevoir son rival.


XXX


- Encore désolé, murmura Ginga en s'inclinant.

- Ouais, ouais, désolé, grommela Masamune.

Ni l'un ni l'autre n'en pensait un mot. Madoka le voyait depuis l'autre côté du couloir – et, d'après son expression sévère, le professeur le voyait aussi. Ginga était dans la lune depuis les qualifications de la veille, ce que Madoka ne parvenait pas à comprendre : il avait gagné haut la main, il devrait s'en réjouir. Quant à Masamune, s'il avait eu un quelconque regret, il n'aurait pas lancé Striker au beau milieu des cours. Encore.

La Bey-Academy ne survivrait pas à l'année.

Le professeur les congédia. Madoka l'entendit marmonner contre les bladers pendant qu'ils s'éloignaient. Elle ne pouvait pas l'en blâmer.

Elle attendit que le professeur disparaisse dans leur salle de classe pour réprimander les deux bladers. Peut-être qu'elle arriverait à leur faire entrer un peu de plomb dans la cervelle.

- Qu'est-ce qui vous a pris encore ? Ça ne vous a pas suffi, les heures de colle, la dernière fois ?

- C'est pas ma faute ! se récria Masamune. C'est Ginga ! Il arrêta pas de me snober !

Les deux adolescents regardèrent le concerné, qui ne réagit pas. Ses yeux regardaient dans le vague. Il avançait mécaniquement, un pas après l'autre, sans destination précise. Madoka avait l'impression que, s'ils partaient de leur côté, il ne s'en apercevrait même pas.

- Tu vois ?! s'indigna Masamune.

Il s'approcha de Ginga. Madoka ralentit pour ne pas se retrouver entre eux. Elle avait vu ce qui était arrivé au mobilier de leur salle de classe. Elle ne voulait pas connaître le même sort, merci bien.

C'est bien la peine qu'on ne soit pas dans la même classe que Kyouya...

- Hé Ginga !

Voyant qu'il ne répondait pas, Masamune lui donna un coup sur l'épaule. Ginga sursauta si violemment que cela surprit Madoka. Il s'arrêta et les regarda l'un après l'autre, avec des yeux exorbités.

Il n'aurait vraiment rien remarqué si on était partis.

- Qu-quoi ?

- Comment ça "qu-quoi" ? C'est quoi ton problème ?!

Ginga cligna lentement des yeux.

- Mon... problème ?

- Raaah ! Mais t'es complètement idiot ou quoi ? Arrête de faire le perroquet !

Ginga cligna encore des yeux. L'agacement de Madoka vis-à-vis de leur comportement se mua en inquiétude. C'était bizarre que Ginga ne réponde pas aux provocations de Masamune. Il ne semblait même pas les entendre. À croire qu'il n'était pas dans son état normal.

Maintenant qu'elle y faisait attention, elle se rendait compte qu'il avait mis du temps à réagir aussi, quand Masamune l'avait attaqué. Striker était presque sur lui quand il avait sorti son lanceur, et il avait été forcé de faire un bond pour l'esquiver.

Elle fit un pas vers lui.

- Quelque chose ne va pas Ginga ? demanda-t-elle doucement, craignant de le brusquer.

Les yeux miel se reportèrent sur elle, totalement inexpressifs.

- Tu... es malade ? Tu ne vas pas attendre de t'évanouir pour t'en préoccuper, cette fois, hein ?

Madoka n'avait pas pu retenir la note de reproche dans sa voix. En même temps, Ginga leur avait causé bien du soucis à taire sa fièvre jusqu'à s'évanouir. Kenta et elle avaient été forcés de le transporter depuis le Bey-Park jusqu'au B-Pit – ce qui n'avait pas été une mince affaire. Elle ne tenait pas à réitérer l'expérience.

- Je...

Ginga afficha un grand sourire.

- Je meurs de faim !

- Pardon ?

Il se tapota le ventre.

- Ça fait plus de quatre heures que je n'ai rien avalé. Je commence à perdre mes forces.

Il ouvrit des yeux étincelants.

- Avec de la chance, il y aura des hamburgers. Hm ! J'ai trop hâte ! J'y vais et je vous garde une place, OK ?

Il leur tourna le dos et s'éloigna en courant.

- Hé ! J'ai pas besoin que tu me rendes service ! s'indigna Masamune avant de se lancer à sa suite.

Madoka les regarda s'éloigner puis disparaître de sa vue. Ses épaules s'affaissèrent.

- Les garçons.

Elle s'était inquiétée pour rien.


XXX


- Laissez-moi passer ! Pardon. Excusez-moi !

Damian leva les yeux à temps pour voir Ginga passer devant sa table et se faufiler entre les élèves qui entraient et sortaient du réfectoire. Ce blader – considéré par beaucoup comme le plus fort à cause de sa victoire lors de l'Ultime Bataille – ne lui faisait pas forte impression. Peu de choses l'impactait, que ce soit au niveau émotionnel ou intellectuel, car une seule comptait : obéir aux ordres et répondre aux attentes. Il devait garder Ginga à l'œil et c'était ce qu'il faisait, même s'il le trouvait inintéressant – après tout, lui et les deux autres envoyés de l'Académie HD devaient surveiller les deux autres leaders de Maisons, à savoir Kyouya Tategami pour les Wild Fang et Ryuuto pour les Dragon Clan.

(Le Docteur Ziggurat avait été déçu en apprenant le départ de Ryuuga le jour-même de l'inauguration de la Bey-Academy. Il aurait voulu qu'ils récoltent ses données et celles de la toupie à rotation inverse.)

Observons-les, puisque c'est ce qui nous est demandé.

Un adolescent aux cheveux bruns hérissés se précipita dans le réfectoire, bousculant sans ménagement ceux qui n'étaient pas assez rapides pour s'écarter, criant à Ginga de l'attendre.

Damian pencha la tête sur le côté. Il obéissait aux ordres sans se poser de questions, sans hésiter. Il faisait ce qu'on attendait de lui, s'était complètement modelé aux désirs d'autrui. Il avait été choisi. Pour cette raison, il ne pourrait perdre contre aucun d'entre eux, pas même contre ce Ginga Hagane, porteur de Pegasus et vainqueur de l'Ultime Bataille. Dès qu'il en recevrait l'ordre, il le combattrait et il gagnerait. Parce que c'était ce qu'on attendait de lui.

En attendant, il engrangerait le plus d'informations possible. Maintenant qu'il était chez les Galaxy Heart, ce serait un jeu d'enfant. Surtout avec les tournois qui avaient lieu. Il lui suffisait d'enregistrer les combats de Ginga et de les envoyer au Docteur, pour qu'il obtienne toutes les données qu'il désirait au sujet de Galaxy Pegasus.

Observer jusqu'au moment d'agir.


XXX


À peine Ryuuto quitta-t-il sa salle de classe qu'il se retrouva face à Yuu. Il cligna des yeux, surpris. L'enfant ne suivait pas les cours à cet étage. Il était au rez-de-chaussée, comme tous les primaires.

- Tu cherches Tsubasa ?

- Non ! Je suis venu te voir toi ! déclara Yuu avec emphase. Tsubasa a plein de trucs ennuyeux à faire pour le conseil des élèves. Il a dit qu'il ne rentrerait pas avant le dîner.

- Oh, d'accord.

L'enfant eut une petite mine toute déçue. Le front de Ryuuto se plissa. Qu'est-ce qui avait pu provoquer ça ?

- À part si... tu as autre chose à faire ?

- Pas aujourd'hui.

Yuu sourit de nouveau.

- Cool. Je me disais qu'on pourrait voir Keru à son club, tu en penses quoi ?

- Kakeru ? répéta Ryuuto, son cœur accélérant.

- Bah oui. Il n'y a qu'un seul et unique Keru !

L'adolescent était bien d'accord.

- Ça ne te fait pas plaisir ?

- Tu... tu ne penses pas qu'on va le déranger ?

- Bien sûr que non !

Yuu se mit à fouiller le couloir du regard, se tournant d'un côté puis de l'autre. Ryuuto le dévisagea, perplexe, se demandant à quoi il jouait.

Finalement, Yuu s'immobilisa. Il afficha un grand sourire et leva la main aussi haut qu'il en était capable.

- Hé Keru !

Le cœur de Ryuuto tressaillit. Il se crispa. Il n'osa pas se retourner, même en entendant les pas – devenus familiers – approcher puis s'arrêter.

- Re-salut !

- Tu ne devineras jamais ! Ryuuto avait peur qu'on te dérange.

- Aucun risque. Nous sommes amis, pas vrai ?

- Oui !

Ryuuto risqua un coup d'œil vers le duo. Comme d'habitude, ils semblaient s'entendre à merveille.

- Tu dois aller à ton club, non ?

- Vous pouvez venir, si ça vous dit.

- Super ! Est-ce qu'on va encore te voir faire de la moto acrobatique ? C'était trop cool la dernière fois !

- Si ça vous tente.

- Mais...

Le duo se tourna vers Ryuuto, affichant des airs intrigués. S'il ne voulait pas refréner leur enthousiasme, il lui semblait qu'il y avait un point important à soulever.

- Nous ne faisons pas partie du club.

- Si c'est tout ce qui t'embête, c'est facile à régler, déclara Kakeru avec son incroyable sourire. Je peux vous inscrire en un clin d'œil.

- Le principe d'un club, c'est de réunir des personnes avec les mêmes passions. Ça perd un peu de son intérêt si tu invites n'importe qui, non ?

- Pas n'importe qui : mes amis.

Ryuuto ne put s'empêcher de sourire, même si ça ne changeait pas le fond du problème. La bonne humeur de Kakeru était contagieuse.

Yuu s'illumina.

- La solution est hyper simple : on a qu'à se mettre aux sports extrêmes nous aussi. La moto acrobatique, c'est trop cool ! Tu m'apprendrais, Keru ?

Le sourire de Ryuuto s'effaça. Ça ne semblait pas être une bonne idée. Pas du tout. Il se figura Yuu sur une moto. Pire. Il se figura Yuu s'amusant à réaliser des acrobaties en moto. Son expression s'assombrit un peu plus.

Tsubasa va me tuer.

L'argenté était d'un abord calme, mais Yuu passait beaucoup de temps avec lui. De plus, il avait cette façon particulière de le regarder, admirative et affectueuse, qu'on pouvait trouver entre deux membres d'une même famille. Il n'était pas difficile de deviner qu'il le considérait comme son protecteur – et Ryuuto n'imaginait pas Tsubasa laisser les autres nourrir de faux espoirs à son sujet. Qui savait comment il réagirait si Yuu était mis en danger ?

- Tu es un peu jeune pour faire de la moto, intervint Kakeru. Surtout si c'est de la moto acrobatique.

Yuu afficha une moue boudeuse, mais Ryuuto était soulagé. Si Kakeru avait été d'accord avec l'enfant, il n'aurait pas été capable de les arrêter dans ce projet.

- De toute façon, vous n'en avez pas besoin. Tu as oublié ce que je t'ai dit ?

Yuu le regarda sans comprendre. Kakeru lui fit un clin d'œil.

- Le Beyblade est un sport extrême et vous êtes des bladers, donc...

- Nous pouvons faire partie de ton club ! s'écria Yuu, le visage soudainement radieux.

- Exactement.

L'enfant avait retrouvé sa bonne humeur.

- Qu'est-ce qu'on attend ?! Allons rejoindre les autres !

- OK.

Les deux adolescents et l'enfant marchèrent dans le couloir, suivant les autres élèves. Personne ne s'attardait. Ryuuto remarqua autre chose.

- Il y a de moins en moins de monde qui porte l'uniforme.

- J'attends le moment où ils ne seront plus obligatoires, déclara Kakeru, ses yeux d'un bleu magnifique dansants. Ils s'accrochent à cette règle plus longtemps que je ne l'aurais cru.

- Nous sommes là depuis moins de deux semaines, lui fit remarquer Ryuuto. C'est déjà étonnant qu'ils ne réprimandent personne.

- Cette rébellion a été décidée par mon frère, répliqua Kakeru avec fierté. Il parvient toujours à ses fins !

Ryuuto n'était pas sûr que ce soit une bonne chose – ça faisait un peu "méchant", non ? – puis il se rendit compte que c'était exactement ce qu'il ressentait quand il chassait des trésors. Son malaise se dissipa.

- En parlant de réprimande, vous savez que Gingy et Masamune ont fait des combats en classe, plusieurs fois ? intervint Yuu d'un ton de commère. Ils ont été punis mais personne n'a parlé de confisquer leurs toupies.

Normal. Aucun blader ne laisserait quelqu'un le séparer de sa toupie, hormis circonstances exceptionnelles comme réparations. Il fallait être stupide pour imaginer le contraire. Ryuuto se demanda si l'administration l'avait compris toute seule ou si elle avait eu besoin d'un rappel.

- C'est donc de là que venait tout ce bruit... dit Kakeru, songeur.

- Hé oui !

Le trio sortit du bâtiment. Kakeru prit la tête, les conduisant jusqu'à un coin de la place où sa moto était garée. Il la caressa affectueusement, comme s'il la félicitait d'avoir attendu patiemment, avant de s'accroupir pour ôter son antivol. Il se redressa et leur sourit.

- Nous pouvons y aller.

- Tu m'emmènes faire un tour, dis ?

- Si tu veux... mais pas d'acrobaties, d'accord ?

- Oui !

Kakeru enfourcha sa moto. Il la démarra. Yuu escalada pour s'installer derrière lui. Il serra ses bras autour de sa taille.

- On peut y aller !

- Nous revenons tout de suite.

- Prenez votre temps.

Kakeru s'éloigna, déclenchant les rires de l'enfant. Il fit quelques zigzags, à une vitesse raisonnable, s'arrêtant presque et se mettant une seconde en équilibre sur sa roue avant, décollant légèrement sa roue arrière du sol, mais cela suffit : les rires de Yuu redoublèrent.

Ils revinrent vers lui. Kakeru s'arrêta et l'enfant descendit de la moto, hilare.

- C'était super !

- Tant mieux.

Kakeru releva la tête vers Ryuuto dont le cœur s'emballa.

- Ça te dirait de faire un tour ?

Lui ? Sur la moto de Kakeru ? Le tenant dans ses bras ?

Ryuuto se sentit rougir. Il détourna le regard.

- N-non merci. Je n'ai pas l'habitude des véhicules motorisés.

- D'accord.

La voix de Kakeru lui parut si douce qu'il rougit encore plus. Il n'osait plus relever la tête.

Je n'ai pas l'habitude des relations humaines non plus, songea-t-il, mortifié.

Apparemment, ses quelques rencontres avec les pilleurs de tombes n'avaient eu aucun impact à ce niveau. Et les rares fois où il avait rencontré Ryuuga non plus. Il aurait aussi bien pu passer les dernières années sans croiser personne vu son trouble en face de Kakeru.

Ils ne servaient vraiment à rien.

Sauf que je ne suis pas mal à l'aise avec les autres membres du Clan, ni avec mes camarades de Maison, songea-t-il, perplexe.

Mais Kakeru ne ressemblait à aucune personne qu'il connaissait.

Ils reprirent leur route. Les deux adolescents marchaient aux côtés de Yuu qui avançait d'une démarche joyeuse. Kakeru faisait rouler sa moto à ses côtés.

- Dis, de quoi vous parliez avec Yoyo quand on vous a rejoint au déjeuner ? Ça avait l'air de l'embêter. Ça m'intéresse !

On ne pouvait pas dire de Yuu qu'il était dissimulateur. Ses envies et ses objectifs étaient terriblement évidents.

- Je ne peux rien dire, désolé. Une taquinerie entre frères.

- Dommage.

Malgré son soupir, Yuu n'insista pas. Ryuuto sourit. L'enfant éprouvait un mélange de fascination et de respect pour la relation entre Kakeru et son frère. En même temps, c'était la seule fratrie qu'il connaissait et fréquentait. Ça devait en être la raison.

- N'empêche, ça m'a étonné de te voir embêter Yoyo. Tu l'admires tant.

- L'un n'empêche pas l'autre.

Le sourire de Kakeru devint lumineux.

- Même si c'est vrai que mon frère est carrément génial ! Comment pourrais-je ne pas l'admirer ? Il est tellement classe et il sait tout faire.

- Tu exagères, là.

- Pas le moins du monde. Dès qu'il décide de se lancer dans quelque chose, il y arrive et atteint ses objectifs. C'est un blader exceptionnel. En plus...

L'expression de Kakeru s'adoucit. Les sourcils de Ryuuto se froncèrent. Est-ce qu'il rêvait ou cette pointe de tristesse était réelle ?

Il tendit la main vers Kakeru, hésita et la posa sur son épaule.

- ...je sais que je peux compter sur lui et qu'il sera toujours là pour moi.

- Waouh ! On dirait pas que tu parles de Yoyo là.

- C'est parce que nous sommes frères, répondit Kakeru, souriant de nouveau. J'ai droit à un traitement de faveur.

- C'est plus qu'un traitement de faveur là.

Kakeru rit. Ryuuto ramena lentement son bras contre lui.

- Tu l'as toujours autant admiré ? lui demanda Ryuuto.

Kakeru le regarda. Son cœur manqua un battement.

- Bien sûr. Kyouya a toujours été incroyable. Il l'est de plus en plus.

- Ça explique pas mal de choses...

- Comment ça ?

- Par exemple, pourquoi Yoyo est si sûr de lui.

- Je ne vois pas comment ça pourrait avoir de rapport...

Ryuuto voyait, lui. C'était difficile de manquer de confiance en soi quand l'on grandissait avec quelqu'un qui vous admirait autant et qui vénérait presque le sol sur lequel vous marchez.

- C'est pour ça que t'améliorer et le rendre fier compte autant pour toi.

- Oui !

Kakeru fit un clin d'œil.

- J'ai une année entière pour y parvenir.

- Je suis sûr que tu y arriveras.

- Merci. C'est vrai qu'en moins de deux semaines, j'ai déjà beaucoup avancé. Je suis sur la bonne voie.

- C'est ton objectif sur l'année ?

La curiosité dont Ryuuto faisait preuve le surprenait lui-même. Généralement, les seuls sujets qui l'intéressaient étaient les trésors et l'histoire du Clan des Dragons.

- C'est la raison pour laquelle je me suis inscrit à l'Académie, acquiesça Kakeru. Je pense toutefois que j'aurais d'autres objectifs au cours de l'année.

La malice qui jouait dans ses yeux et sur son sourire indiquait qu'il avait déjà une idée. Ryuuto voulut lui demander ce qu'il entendait par-là mais Yuu reprit la parole, l'en empêchant.

- L'année par-ci, l'année par-là. Est-ce qu'on est sûrs que l'Académie va tenir un an ?

Les adolescents baissèrent la tête vers Yuu, qui les regardait avec de grands yeux. Il haussa les épaules.

- Gingy et Masamune ont déjà détruit plusieurs salles de classe et une partie de la maison des plumes, et nous sommes même pas là depuis quinze jours. Ça fait même pas cinq pour cent de l'année.

Ryuuto et Kakeru le fixèrent puis échangèrent un regard atterré. Ils n'y avaient pas pensé.

Kakeru allégea l'atmosphère d'un rire sincère.

- On devrait peut-être prendre des paris. Vous en dites quoi ?

- Peut-être, acquiesça Ryuuto, amusé.


XXX


- Les observer, les observer, c'est facile à dire, marmonna Zeo.

Il était allongé dans sa chambre, dans une semi-pénombre. Il entendait les autres membres de la Maison de l'autre côté de la porte. Il n'avait aucune envie de se mêler à eux. Une seule personne comptait, celle pour laquelle il faisait tout ça.

Tiens bon Toby. Je te promets que tout va s'arranger.

Il soupira. Ce n'était pas qu'il mettait de la mauvaise volonté dans son travail – au contraire, il était prêt à tout pour lui, il avait trop à perdre – seulement, c'était plus facile à dire qu'à faire.

Lui et les autres devaient surveiller les trois leaders des Maisons. Sauf que Ryuuga était aux abonnés absents et Ginga était toujours accompagné de ce traître. Zeo sentait une rage pure l'emplir à chaque fois qu'il avait le malheur d'y penser. Mais il ne pouvait pas l'exprimer. S'il y laissait libre cours, il gâcherait la mission et si jamais il échouait...

Un frisson d'horreur le parcourut. Il ne pouvait pas échouer.

Ginga était hors de sa portée. Les deux bladers les plus importants étaient hors de sa portée. Ça ne lui laissait que ce Kyouya, le leader de sa Maison, qui n'était ni aussi fort, ni aussi important que les deux autres. Mais il espérait qu'en s'acquittant avec sérieux de sa mission, ça lui ferait gagner des points.

Sauf que ce n'était pas aussi simple que ça devrait.

Non seulement ce type était sans cesse entouré – sa cour proche comptait quatre personnes – mais le reste de la Maison l'admirait. Dès qu'il entrait quelque part, tous les regards convergeaient vers lui. Depuis les quelques jours qu'il avait rejoint les Wild Fang, Zeo était témoin du changement progressif chez les autres. La méfiance de certains se muait peu à peu en admiration. Ça devrait faciliter son observation, en toute logique. Un regard de plus ou de moins, qu'est-ce que ça changeait ?

Rien, du point de vue de Zeo.

Tout, du point de vue de ce Kyouya.

Le leader des Wild Fang était sans cesse sur ses gardes et il semblait sentir son regard. Il se mettait alors à scruter la foule à sa recherche. Il donnait plus l'impression d'un animal à l'affût que d'une personne.

Le surnom des beasts était plus qu'adapté.

Et ça compliquait la situation à un point qu'il n'avait pas imaginé.

Il voulait juste accomplir la mission qu'on lui avait confié. Pourquoi était-ce si compliqué ?

- Toby...


XXX


Cette nuit, dans une chambre des Wild Fang, un autre adolescent dormait à poings fermés. Sa respiration profonde emplissait le silence.

Veux-tu devenir plus fort ?

L'adolescent roula sur le flanc. Un sourire se mit à flotter sur ses lèvres. Évidemment qu'il voulait devenir plus fort. C'était pour cela qu'il s'était inscrit à la Bey-Academy. N'était-ce pas pour cette raison qu'ils étaient tous là ?

Alors laisse-moi sortir.

L'expression paisible du garçon fut effacée par ses sourcils qui se fronçaient. Un poids... quelque chose pesait lourdement sur son flanc, comme si une patte massive l'épinglait à son lit. Il carra les épaules. La pression s'accentua, fit une pause, donnant l'impression d'hésiter, puis se retira lentement jusqu'à disparaître. Il ne fallut pas longtemps pour que la respiration de l'adolescent s'approfondisse à nouveau.

Tu m'as libéré une première fois.

Un murmure reconnaissant.

Tu vas me libérer une deuxième fois.

Un grondement avide. Une certitude.

Une promesse.


Fin du chapitre 12


Note : Moi, j'aime bien les pommes de terre xD Mais bon, vu que Kyouya, lui, ne les aime pas, ça donne l'occasion d'une petite scène fraternelle.