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Chapitre 13 : Des mystères à résoudre
Ginga s'était éclipsé de la maison des Galaxy Heart aussi vite qu'il avait pu, presque au saut du lit. Il s'était forcé à prendre sur lui, à garder le sourire tout le temps qu'il avait été dans le bâtiment pour ne pas attirer une attention dont il ne voulait pas, même s'il n'avait qu'une envie : partir loin du tumulte pour se retrouver seul avec ses pensées. On ne se rendait compte qu'un lieu manquait de calme juste au moment on en avait besoin.
Et il avait besoin de calme. Il avait besoin de pouvoir réfléchir clairement, sans personne pour l'interrompre.
Au moins, Masamune était parti s'entraîner. Son simple départ avait suffi à baisser l'ambiance sonore de la maison de plusieurs décibels.
Ginga avait attendu que Kenta et Madoka se lèvent, tournant dans sa chambre puis dans les cuisines comme un lion en cage – ce qui était plutôt ironique, vu ce qui le préoccupait. Il avait petit-déjeuné avec eux pour atténuer son sentiment de culpabilité et ne pas avoir l'impression de les délaisser, avant de se précipiter dehors en leur promettant de les retrouver plus tard, sans leur laisser le temps de lui poser des questions ou de le suivre.
Il s'était immédiatement jeté dans la forêt de leur propriété. Il n'avait ralenti qu'après avoir mis plusieurs d'arbres entre la maison et lui. À présent, il marchait d'un pas tranquille, libre de laisser ses pensées se succéder dans son esprit, sans craindre que son visage ne les trahisse.
Quelque chose le préoccupait depuis plusieurs jours. Il n'avait eu ni le temps ni l'espace de se pencher dessus, ce qu'il s'octroyait à présent.
Kyouya.
Ou, plus précisément, ce que Kyouya représentait pour lui.
Ça avait commencé à l'interpeller dimanche dernier, quand leur groupe s'était réuni au complet pour pique-niquer et que Kyouya leur avait fait la surprise de sa présence. Ginga s'était aperçu qu'il le considérait d'une manière très, très, très différente de ses amis.
Jusque-là, tout allait bien. C'était normal. Après tout, Kyouya était son rival, et non son ami. Il l'avait sauvé, l'avait empêché de partir et lui avait tendu la main – à sa manière, avec défi et complicité, mais son geste n'aurait pas être plus limpide aux yeux de Ginga. D'ailleurs, Ginga aussi l'avait sauvé et lui avait tendu la main. Ils étaient sur un pied d'égalité, sans dette l'un envers l'autre.
Avec tout ça, c'était normal que ce soit... intense.
Sauf qu'une nouvelle semaine était arrivée. Que mercredi, il avait surpris une interaction presque amicale entre Kyouya et Nile que jeudi, il s'était rendu compte que sa réaction excessive à ce sujet s'apparentait à de la jalousie et que vendredi, il ne s'était toujours pas remis de cette révélation.
D'ailleurs, il avait encore quelques difficultés à l'admettre.
Il se remémora Kyouya, échangeant quelques paroles avec Niile en souriant, de ce que ce tableau lui avait inspiré...
- C'était de la jalousie, admit-il dans un souffle.
Mais ça ne voulait rien dire. C'était tout à fait possible d'être mal à l'aise, et même jaloux, des interactions d'une personne à qui on tenait amicalement, pas vrai ?
Évidemment que c'était possible. Ça arrivait sûrement tout le temps. Pas de quoi s'inquiéter. De toute façon, il ne leur en voulait même pas. Au contraire, il était heureux que Kyouya se soit fait un ami – ou quelle que soit la façon dont il désignait les personnes qu'il appréciait.
Surtout que je reste son rival.
Cette pensée fit apparaître un sourire sur le visage de Ginga. Oui. Il restait son rival. Il était le seul à posséder ce titre dans son univers. Aux yeux de Kyouya, il était unique.
Le sourire de Ginga s'effaça, tout comme la fierté féroce qu'il avait ressenti. Là, c'était au-delà de l'ambiguïté. Ça ne laissait que peu de place au doute.
Tout comme la rage qu'il avait éprouvé quand Masamune avait prétendu lui voler son duel contre Kyouya.
Tout comme le fait qu'il était prêt à sacrifier Pegasus juste pour pouvoir faire face à Kyouya.
Ginga soupira. Il n'avait aucune envie de penser à tout ça, ni de l'admettre. Rien ne l'y obligeait.
Sauf qu'il s'agissait de Kyouya.
- Rien ne m'oblige à agir à ce sujet.
Ses épaules se détendirent et une légèreté, comme il n'en avait pas ressenti depuis longtemps, l'envahit. Oui. C'était vrai. Même s'il acceptait en quoi Kyouya était différent pour lui, il n'était pas obligé d'agir. Il pouvait garder cette vérité dans un coin de son esprit et ne la partager avec personne.
Ce constat le soulageait incroyablement.
- Hé ouais ! Ça ne change absolument rien !
- Qu'est-ce qui ne change rien ?
Ginga ne put retenir un cri de surprise. Il s'était tant immergé dans ses pensées qu'il n'avait pas remarqué qu'il n'était plus seul.
Un cri effrayé répondit au sien. Il se retourna, sachant très bien à qui il ferait face. Il n'eut pas de bonne surprise. Il s'agissait bel et bien de Masamune, et pas d'un adolescent possédant la même voix que lui par le plus grand des hasards.
- Oh non, pas toi, soupira Ginga.
- Comment ça pas moi ?!
Le blader de Pegasus trouvait ses paroles et son ton parfaitement limpides. Il ne voyait pas l'intérêt de les préciser – surtout qu'il était rarement aussi honnête.
- C'est toi qui t'incruste dans mon espace d'entraînement ! l'accusa Masamune. C'est à moi de m'énerver !
Sa déclaration piqua la curiosité de Ginga. Il laissa ses yeux miel glisser autour de lui. Cet espace de forêt ressemblait à tous les autres : des arbres au feuillage dense et à l'écorce rugueuse, des plantes basses, de la mousse, de la terre.
- C'est ici que tu t'entraînes ?
Masamune poussa un cri étranglé qui lui perça les tympans. Ginga lui adressa un regard de reproche pendant qu'il s'agitait autour de lui en bougeant vigoureusement les bras. Qu'est-ce qu'il lui prenait encore ?
- Regarde pas ! C'est mon entraînement secret pour pouvoir te vaincre !
Est-ce que c'est vraiment un entraînement secret s'il le crie sur tous les toits ?
Masamune s'immobilisa et le dévisagea avec des yeux ronds. Puis, un sourire débordant d'arrogance s'afficha sur son visage. Il leva le nez et plaça ses poings sur ses hanches.
- Je sais ! T'es tellement inquiet à l'idée que je vais te battre que tu as décidé de m'espionner, pas vrai ?
Ginga n'avait jamais rien entendu d'aussi stupide.
- Pas du tout.
- Y'a aucun mal à avouer, tu sais ?
- Puisque je te dis que ça n'a rien à voir, grogna Ginga, sentant l'irritation monter en lui.
Dire qu'il était sorti pour se retrouver seul... et pour faire le point sur ce que Kyouya représentait pour lui. Et maintenant, le voilà face à Masamune.
Le contraste était violent.
- T'as été pris la main dans le sac, avoue !
- Y'a rien à avouer ! Je me fiche de ton entraînement. En quelle langue il faut te le dire ?!
S'il s'inquiétait d'un adversaire au point de l'espionner – chose totalement contraire à sa vision du Beyblade et à ses principes – Masamune ne serait certainement pas en haut de sa liste. Il ne serait pas sur sa liste du tout d'ailleurs.
Dire que j'étais en train de penser à Kyouya...
Ses épaules se détendirent. Juste convoquer son nom l'apaisait.
Sauf que Masamune ne comptait pas le laisser s'en tirer si facilement.
- Menteur !
- Je ne mens pas !
- Menteur, menteur, menteur !
Les poings de Ginga se serrèrent. Les muscles de ses bras se tendirent au point de trembler.
- Arrête de dire ça !
Masamune plissa les yeux et le toisa. Ginga se raidit. Quelle autre manière il allait trouver de l'insulter ?
Son vis-à-vis le pointa soudainement du doigt. Ginga ne put s'empêcher de se pencher en arrière et de loucher.
- Je sais comment régler ça. Je te défie !
- Il y a un tournoi en ce moment. J'ai aucune envie de me battre contre toi maintenant.
Ni jamais.
Masamune le regarda comme s'il était un abruti fini, ce qui était profondément insultant de sa part.
- Pas au Beyblade.
- C'est quoi ces bêtises encore ?
- Je te défie à la course.
Ginga le fixa, son manque de conviction flagrant sur ses traits, avant de détourner la tête.
- M'intéresse pas.
- Quoi ? T'as peur de perdre ?
- Bien sûr que non !
- Tu sais ce que t'es Ginga ? Un gros trouillard.
La mâchoire de Ginga se crispa. Ses dents se serrèrent. Ses poings tremblaient de plus en plus. Ses doigts étaient repliés avec tant de force que ses jointures avaient changé de couleur.
- D'accord ! aboya-t-il.
Il avait bien besoin de se défouler, ne serait-ce que pour évacuer la colère qui bouillonnait en lui et qui ne demandait qu'à exploser. Et si, au passage, il pouvait rabattre le caquet de Masamune, ce serait tout bénef.
- On va vers le nord. Le premier à atteindre les bois qui s'y trouvent a gagné.
- On est déjà dans les bois.
Ginga manqua de lever les yeux au ciel.
- Je te parles d'autres bois. Ceux qui sont au nord.
- Hm. OK.
- C'est toi qui as proposé cette course !
- Pas la peine de crier.
- JE NE CRIE PAS ! hurla Ginga. Maintenant, prépare-toi. On y va.
- T'es pas mon chef. T'as pas à me dire quoi faire !
Ginga ne savait pas ce qu'il voulait le plus : hurler ou le frapper. Courir était la meilleure option. Il se tourna vers les nord, se mit en position de départ.
- Trois !
- Hé ! Attends ! Je suis pas prêt !
Parce que je l'étais à chaque fois que tu m'as lancé ta toupie à la tronche, peut-être ?
- Deux ! Un ! Go !
Le rouquin se lança sans se préoccuper si Masamune était prêt ou non. Il courut de toutes ses forces dès le début, cherchant à évacuer sa frustration, son irritation et sa colère.
Je voulais juste penser à Kyouya moi !
Il se faufila entre les arbres, ne laissant ni le parcours en zigzag ni les obstacles naturels le ralentir. Il prenait appui sur des racines, sur de la terre tendre, s'adaptant aux changements de terrain. Les forêts, c'était son domaine. Il avait passé plus des dix premières années de sa vie à les arpenter, pour y jouer et s'entraîner – surtout pour s'entraîner. Aucun des pièges qu'elle lui tendait ne le surprenait.
Masamune ne pouvait pas en dire autant, vu les cris qu'il poussait et les chocs qui résonnaient derrière Ginga. Ce dernier n'y faisait pas attention. Il ne jetait même pas un coup d'œil par-dessus son épaule. Il se concentrait pleinement sur sa course. Il savourait les odeurs familières qui l'entouraient – la végétation, la terre humide – et le contact des fougères sur sa peau. Il ressentait l'effort qu'il exigeait de son corps – les muscles de ses cuisses qui le tiraient, son cœur qui accélérait, ses poumons qui avaient de plus en plus de mal à tenir la cadence.
Ginga jaillit hors de la canopée, sans ralentir. Du coin de l'œil, il aperçut l'Académie s'approcher puis disparaître. Il continua. Masamune était loin derrière. Ginga ne lui laisserait aucune occasion de le rattraper.
Il gagnerait.
Les poumons et les jambes de Ginga commençaient à le brûler quand la forêt du nord se dessina à l'horizon.
Encore un effort !
Avoir son objectif en vue le reboosta, même s'il était encore loin. Ça n'avait aucune importance. Il avait l'habitude de se surpasser.
Ginga ne se permit de ralentir qu'une fois qu'il eut atteint l'orée de la forêt. Il posa une main sur un arbre et prit de profondes inspirations pour retrouver son souffle. Son cœur cognait contre ses côtes et ses muscles le brûlaient. C'était génial. Il s'était bien défoulé. La colère ne menaçait plus de le faire exploser.
Il se tourna à demi. Masamune était loin – à plusieurs centaines de mètres de distance. Même lui ne pourrait prétendre que le résultat était serré.
Parfait.
Ginga ne se faisait pas d'illusion. Ça ne suffirait pas pour que l'autre adolescent le laisse tranquille. Mais peut-être qu'il arrêterait de l'embêter pendant une journée.
Le rouquin s'adossa contre un arbre et laissa son regard errer tout autour de lui. Il connaissait cet endroit. C'était pas loin du bout de forêt où Kenta et lui avaient atterri après son combat contre Kakeru. Pas loin du chantier dissimulé.
Ginga se redressa. Il suivit la lisière des arbres sur quelques mètres avant de s'engager dans la forêt. Avec les événements des derniers jours, ce chantier lui était complètement sorti de la tête. Il avait pourtant décidé de la garder à l'œil.
Ginga arriva en bordure de la clairière. Il s'arrêta net et ses yeux s'arrondirent. Il n'y avait plus rien.
Les arbres étaient toujours là, l'herbe aussi, mais la dalle en béton et les engins de chantier avaient disparu. Il n'en restait pas une trace, pas même un indice de leur passage. La clairière était dans un état parfait.
Peut-être trop parfait.
Alors que Ginga esquissait un pas vers le clairière, pour lever le voile sur ses suspicions, quelque chose le bouscula violemment, l'envoyant se cogner contre un arbre. Il réprima un cri indigné et se redressa, sur ses gardes. Il se figea en voyant Masamune au milieu de la clairière.
- J'ai ga-gné ! s'écria Masamune en propulsant ses bras vers le ciel.
- Quoi ?
Masamune se tourna vers lui. Il s'indiqua du pouce.
- J'ai atteint la clairière en premier. C'est moi qui ai gagné ! C'est normal, après tout : je suis le blader numéro un.
- La course était jusqu'à la forêt ! lui rappela Ginga.
L'adolescent continua de s'agiter fièrement. Ginga se renfrogna. À tous les coups, il faisait semblant de ne pas l'entendre.
En tout cas, Masamune balayait en beauté sa théorie selon laquelle ça clachait entre Madoka et lui parce que la jeune fille ne pratiquait pas activement le Beyblade. Masamune était un blader, il l'avait défié plusieurs fois, pourtant il l'irritait plus que n'importe quelle personne que Ginga avait rencontrée.
Le regard de Ginga se reporta sur la clairière. Il avait bien envie de l'observer de plus près mais la présence de Masamune l'en empêchait.
Plus tard.
Ce soir, peut-être, après les premiers duels du tournoi.
Masamune bondit devant lui. Ginga étouffa à peine un cri.
- J'ai gagné !
- T'as triché.
Masamune croisa les bras et afficha un sourire si suffisant que Ginga eut envie de l'arracher.
- T'es qu'un mauvais perdant.
Peut-être. Mais ça n'a rien à voir vu que j'ai pas perdu.
- On fait la revanche.
- Je t'écraserai quand même !
- C'est ce qu'on va voir ! cria Ginga avant de se mettre à courir, vers le sud cette fois.
- Hé ! C'est de la triche. Attends-moi !
XXX
Kyouya errait dans un espace de verdure neutre, entre les territoires des Wild Fang et des Galaxy Heart, les mains dans les poches. Il lui restait plus d'une heure à tuer avant son duel contre un illustre inconnu. La maison était en effervescence, de plus en plus à mesure que les minutes passaient. Kyouya avait voulu échapper à cette ambiance électrique et s'aérer un peu. Il aimait bien être au calme avant les combats, même lorsqu'ils étaient aussi peu importants que celui qu'il mènerait aujourd'hui. Ce n'était pas exactement de la méditation, mais ce n'était pas vraiment éloigné non plus.
Un mouvement attira son attention. Ses yeux se posèrent sur une silhouette plus que familière. Celle de son rival, Ginga Hagane. Ses cheveux flamboyants étaient plus ébouriffés que d'ordinaire. Ses vêtements froissés étaient recouverts de poussière. Des feuilles le parsemaient. On aurait dit qu'il avait lutté avec un buisson.
Je suis mal placé pour critiquer, marmonna intérieurement Kyouya, se souvenant de son expérience, quelques jours plus tôt.
Il avait décidé d'utiliser le Rugissement Tempétueux du Lion en plein cœur d'une forêt. Il avait déjà utilisé son coup spécial près d'arbres, notamment lors du combat de survie, mais jamais au cœur d'une forêt. Et pas avec sa puissance actuelle. Il s'était demandé si ça changerait quelque chose. Il avait donc testé. Son coup spécial fonctionnait très bien. Ce n'était pas de la faute de Leone si les feuilles n'étaient pas suffisamment accrochées aux arbres. Ce n'était pas de sa faute non plus si la plupart d'entre elles avaient décidé de se coller à Kyouya. Et ça n'aurait pas été problématique – après tout, ça faisait partie des risques – si ce n'est un détail.
Ce jour-là, Kakeru l'accompagnait.
Son petit frère ne le laisserait jamais oublier.
Les yeux miel de Ginga se posèrent sur lui et s'illuminèrent. La tension de Kyouya se relâcha. Il en oublia même son ridicule et les taquineries de son cadet.
Son rival changea de direction et se dirigea vers lui d'un pas trottinant. Il s'arrêta à un mètre de lui, devant lever la tête pour le regarder. Dès que leurs regards s'étaient croisés, ils s'étaient accrochés. Quand Ginga lui donnait toute son attention, comme à présent, Kyouya se retrouvait incapable de détacher son regard.
- Bonjour Kyouya.
Ginga n'avait pas besoin de prononcer son nom. Il n'y avait qu'eux deux ici. Il disait souvent son nom, même quand il n'en avait aucune raison particulière. C'était une manie qui ne lui déplaisait pas.
- Ginga.
Un sourire incurva ses lèvres. Très léger, il se discernait sur les coins de sa bouche et l'éclat qui s'était accentué dans ses yeux.
Nous combattrons très bientôt.
Dans moins de trois semaines.
Le cœur de Kyouya accéléra. Il avait hâte d'y être. Il voulait se retrouver face à Ginga, lui montrer tous les progrès qu'il avait accomplis et le surpasser. Il avait raté sa chance pendant l'Ultime Bataille, mais, cette fois, rien ne viendrait se mettre en travers de sa route.
Il montrerait à Ginga le blader qu'il était devenu grâce à lui. Il lui montrerait qu'il n'avait plus rien de commun avec le gamin capricieux qu'il avait rencontré.
- Le tournoi a commencé, ça y est.
Kyouya opina. Le sourire de Ginga s'accentua, comme s'il avait répondu avec enthousiasme. C'était reposant, une personne qui ne cherchait pas à l'entraîner dans des discussions – même si parler à Ginga ne le dérangeait pas, étrangement – et qui ne critiquait pas son côté renfrogné – ou, pire, lui cherchait toutes sortes d'excuses débiles.
- Je ne perdrai pas un seul combat, promit-il. Nous nous retrouverons.
- Je sais.
Le sourire de Ginga devint plus franc, plus lumineux. Des étincelles se mirent à danser dans ses yeux miel. Il prenait ses paroles pour ce qu'elles étaient : une reconnaissance de ses capacités.
Ils restèrent face à face, la posture détendue. Seul le vent se faufilant dans les feuillages interrompait le silence.
- Koma te manque ?
Les yeux de Ginga s'arrondirent. Kyouya indiqua une feuille accrochée à son épaule. Ginga baissa la tête vers elle, grimaça et l'enleva. Il jeta un œil au reste de ses vêtements et les épousseta. Il releva la tête vers Kyouya, affichant une expression contrite.
- J'en ai plein les cheveux, pas vrai ?
- Quelques unes.
Ginga soupira mais ne fit rien pour s'en débarrasser.
- Je... Non. Ça n'a rien à voir.
Ses sourcils se froncèrent, peignant un air confus sur ses traits.
- Koma ne me manque pas.
Cette révélation semblait le surprendre autant que Kyouya. Au moins, il n'y avait pas de risque qu'il y retourne en catimini – même si, maintenant, ils savaient comment s'y rendre.
Kyouya se surprenait. Il ne s'était même pas rendu compte qu'une part de lui appréhendait cette perspective.
Ginga baissa les yeux d'un air gêné.
- C'est juste que... j'ai répondu à un défi stupide, avoua-t-il à contrecœur. Mais il est tellement agaçant.
Kyouya ne parvenait même pas à imaginer comment une personne pouvait arriver à détériorer la patience de Ginga, qui lui semblait infinie : il supportait à longueur de temps des personnes qui lui tapaient sur le système en quelques minutes à peine.
- J'ai pas la patience pour ça.
- Est-ce que tu as passé des moments seuls depuis ton arrivée à l'Académie ?
Ginga releva la tête avec surprise. Il se pinça les lèvres, cherchant dans ses souvenirs des deux dernières semaines.
- Quelques minutes par-ci par-là, mais ce n'est pas ce que tu demandes, pas vrai ?
- Tu devrais.
La plupart des gens se seraient énervés d'un conseil qui donnait l'impression de sortir de nulle-part. Pas Ginga. Il n'y eut même pas une trace d'agacement dans son regard.
- Pourquoi ?
- Même si tu aimes tes amis, au fond, tu n'es pas habitué à autant de compagnie. Tu as passé... plusieurs mois seul avant de nous rencontrer, continua Kyouya, faisant attention à ne pas formuler sa phrase comme une question – il ne voulait pas raviver de mauvais souvenirs. Et on est tous partis de notre côté pour l'Ultime Bataille.
Et, d'après ce qu'il savait de la vie de Ginga à Koma, son entourage se résumait à son père, Hokuto et Hyouma. Rien à voir avec la demi-douzaine de personnes qui le collaient en permanence et la centaine d'autres qui composait sa Maison.
- Je n'avais pas vu ça comme ça... J'essaierai. Peut-être demain ? Ça devrait être faisable.
- Tu te débrouilles comme tu veux.
Son rival lui sourit. Il ne les embarrassa pas d'un merci, ce qui aurait grandement agacé Kyouya. Il n'aimait pas spécialement parler de sentiments, ni partager ses observations au sujet des autres. Il s'était aventuré sur ce terrain glissant uniquement parce que Ginga semblait en avoir besoin, mais il n'aurait pas hésité à grogner si à mordre s'il avait fait une quelconque remarque.
- Tu as déjà exploré le nord de l'île ?
- Non.
Il y était allé quelques fois – notamment pour assister au duel entre Kakeru et Ginga – mais on ne pouvait pas vraiment parler d'exploration.
- Il y a quelque chose en particulier ?
- Eh bien... j'ai aperçu un chantier, la semaine dernière, et il n'y a plus rien. C'est... bizarre.
S'il s'était agi de quelqu'un d'autre, Kyouya lui aurait dit qu'il se trompait – en fait, non : si ça avait été quelqu'un d'autre que Ginga, la discussion n'aurait pas duré aussi longtemps – mais son rival possédait un excellent sens de l'orientation et ses capacités d'observation faisaient concurrence aux siennes. S'il affirmait qu'un chantier avait disparu, c'était le cas.
- Tu pourrais demander à Ryuuto. Je crois qu'il s'est amusé à dessiner une carte de l'île.
- Une carte ?
- Je l'ai vu traîner près de la maison des Wild Fang, un soir. Il avait l'air de prendre des notes.
- Et tu l'as laissé faire ?
La voix de Ginga était tendue, étrangement gardée.
- J'aurais dû l'attaquer ?
- Non... Ce n'est pas ce que je veux dire. C'est que... j'ai vu les panneaux.
Il fallut un moment à Kyouya pour comprendre à quoi il faisait allusion : les panneaux qu'il avait demandé à certains Wild Fang de fabriquer le jour-même de leur emménagement.
- Ils servent juste à délimiter notre propriété, pour que personne ne puisse dire qu'il y est entré par hasard.
Car, malgré ce que les adultes ne cessaient de prétendre, les territoires de chaque Maison étaient très mal délimités. Pourquoi mentir là-dessus sérieusement ? Tout le monde pouvait s'en rendre compte.
En même temps, les adultes étaient rarement sensés.
- Donc... ça ne poserait pas de problèmes si je venais ?
- Tu as envie de voir la maison des Wild Fang ? s'étonna Kyouya.
Par curiosité ou pour rendre visite à quelqu'un ? Le nez de Kyouya se fronça. La deuxième possibilité lui déplaisait fortement. Un blader comme Ginga ne devrait pas perdre son temps avec ce genre de bêtises, mais plutôt se consacrer à son entraînement. S'il le délaissait, Kyouya pourrait le surpasser trop facilement et ce serait... nul.
En plus, ça sous-entendrait qu'il ne le prenait pas au sérieux.
- Pas spécialement, répondit Ginga.
Le rouquin semblait encore plus détendu que tout à l'heure. Ses épaules étaient complètement relâchées. Ses bras reposaient de chaque côté de son corps.
- Tu sais où je pourrais trouver Ryuuto ?
- Il doit être chez les dragons.
- Et se préparer pour le tournoi. Mais après ?
- Il est très ami avec Kakeru et Yuu, déclara Kyouya, essayant de paraître détaché.
Ginga lui adressa un regard compatissant. Apparemment, il n'avait pas réussi. Mais, en même temps, Kakeru et Yuu, amis. Kyouya ne voulait pas imaginer ce qu'ils se racontaient ni ce qu'ils manigançaient quand ils étaient ensemble.
- Ils traîneront sûrement ensemble, après. Je peux prévenir Kakeru que tu le cherches.
- Ça m'arrangerait.
Encore un remerciement perceptible dans le ton, mais pas formulé.
Kyouya le regarda un peu plus longtemps. Son rival. Son objectif. À la fois la cause et la raison de tous ses efforts.
Il détacha son regard de lui et prit la direction de la maison des Wild Fang.
- Fais de ton mieux pour ton duel.
- Toujours !
Kyouya s'autorisa un sourire.
XXX
Les trente-deux bladers qualifiés des Dragon Clan étaient réunis près des quatre stadium extérieurs dans lesquels ils avaient combattu l'avant-veille. Les autres étaient assis un peu plus loin. Il n'y avait aucun gradin, preuve du manque de discernement des constructeurs. Il était évident que les bladers assisteraient aux duels des autres même s'ils n'y participaient pas. Cela permettait d'apprendre nombre de choses au sujet de ses adversaires.
Deux petites mains attrapèrent la sienne et la tirèrent, demandant son attention – ou l'exigeant, plutôt. Il baissa la tête.
- Dis Tsubasa, tu sais comment ça va se passer pour les duels ? lui demanda Yuu, sa bouille levée vers lui.
L'adolescent retint un soupir. Il avait déjà relayé cette information aux dragons. Il semblerait que quelqu'un ait décidé de ne pas y faire attention sur le moment.
- Les quatre stadium combattront en même temps. À chaque fois qu'un duel sera terminé, le suivant prendra place et on se relaiera ainsi jusqu'à ce que tous les concurrents soient passés.
- C'est qui ton adversaire ?
- Un certain Mamoru.
Yuu le regarda avec perplexité. Ce nom ne lui évoquait rien, apparemment. Tsubasa releva la tête et fouilla la foule du regard. Il indiqua le concerné d'un signe de la main.
- C'est lui.
Yuu le suivit des yeux avec curiosité puis afficha une moue boudeuse.
- Trop nul. Je l'ai déjà battu aussi.
- Pourquoi ça t'importe puisque c'est mon adversaire ?
Yuu croisa les bras derrière la tête.
- Parce que j'ai déjà battu le mien aussi. Je me disais que, si je connaissais pas le tien, on aurait pu les échanger.
- Ce n'est pas vraiment comme ça que fonctionne un tournoi.
- Ouais, ouais.
Encore une de ces fois où il ne l'écoutait pas – ou, plus exactement, ne prenait pas en compte ses paroles.
- Tiens, le type bizarre ne participe pas.
- Je ne l'ai pas vu non plus, confirma Tsubasa.
S'il avait été dans les parages, il aurait été le premier qu'il aurait remarqué. Pas seulement parce qu'il faisait partie des trois suspects qu'il devait garder à l'œil, mais aussi, et surtout, parce qu'il était... extravagant – pour rester poli. Un rien pouvait le pousser à déclamer des discours grandiloquents, pleins d'admiration, sur ce qui l'entourait. Une fois, malheureusement, Tsubasa s'était trouvé à portée d'oreille lorsqu'il avait fait un éloge à propos d'une feuille morte – un mélange déroutant d'amour de l'art, de glorification des couleurs et de philosophie de la vie. Il s'était éloigné le plus vite possible, mais savait que ça avait duré plus d'une dizaine de minutes. Pour une feuille. Morte.
Et Tsubasa avait surpris plus d'une fois son regard sur lui. Ça le mettait plutôt mal à l'aise.
- Il s'appelle comment déjà ?
- Jack.
- Ah oui. C'est vrai.
Yuu balaya une nouvelle fois la foule du regard.
- Il est pas là.
- C'est flagrant.
- Pourtant, il n'a pas arrêté de se vanter de sa toupie et qu'elle pourrait battre n'importe laquelle des nôtres.
- Je m'en souviens.
Yuu avait raison. Ça rendait son absence suspecte.
Tsubasa vérifierait si les deux autres avaient fait de même. Ça ne constituerait en rien une preuve de leurs mauvaises intentions – plusieurs élèves avaient choisi de ne pas participer à ce tournoi, par manque de confiance en leurs capacités ou par défaitisme, car ils pensaient ne jamais pouvoir surpasser les leaders des Maisons. Mais si aucun de ces trois-là ne participaient, ça pourrait sous-entendre une certaine connivence ou l'obéissance à des ordres. Pour cacher les capacités réelles de leurs toupies, par exemple.
- Tiens ! Je vois Ryuuto ! s'exclama Yuu. Ça te dit d'aller le voir ?
- Non merci.
- OK. Je reviens tout de suite.
Tsubasa allait répondre mais l'enfant se précipitait déjà vers Ryuuto. Il ne s'arrêta qu'une fois auprès de l'adolescent et l'inonda de paroles dès qu'il eut son attention. Ryuuto lui indiqua un blader – sûrement son adversaire du jour – et Yuu fit la moue – signifiant qu'il l'avait déjà battu.
Un adulte fit son entrée sur le terrain. Un différent de vendredi. Ils avaient sans doute instauré un roulement pour ne pas avoir à subir constamment les comportements de certains bladers.
Pourquoi avoir décidé de s'engager à la Bey-Académie dans ce cas ?
- Bladers, à vos places.
Les discussions se muèrent en murmures puis se turent tout à fait, hormis l'occasionnel commentaire glissé à son voisin. L'attention générale se reporta sur l'adulte.
- J'appelle les huit premiers bladers à combattre. Sakura et Ichigo pour le stadium un, Kouki et Ryuuto pour le stadium deux, Hibiki et Yuu pour le stadium trois...
L'enfant poussa une exclamation de joie pure. À croire qu'il avait oublié ses réticences à l'entente de son nom.
- ...et Tetsuya pour le stadium quatre.
Tetsuya est ici ? s'étonna Tsubasa.
Oui, là, au milieu de la foule, avec sa posture habituelle si particulière : affaissé sur lui-même, la tête rentrée dans les épaules, les doigts repliés à l'exception de l'index et du majeur, qu'il claquait l'un contre l'autre pour rappeler une pince.
Tsubasa était sidéré. Comment avait-il pu ne pas le remarquer ? Il déshonorait son statut au sein de l'AMBB et trahissait toute la confiance que l'on avait placée en lui. Car, s'il avait pu passer à côté d'un tel élément, à côté de quoi d'autre avait-il pu passer ?
Yuu dévisageait Tetsuya avec des yeux écarquillés et bouche bée. Ça n'avait rien de réconfortant : le crabe avait réussi à le suivre pendant plusieurs kilomètres sans qu'il s'en rende compte.
- Mettez-vous en place bladers !
Les interpellés s'empressèrent d'obéir. Chaque duo se positionna au stadium qui lui était attribué. Ils prirent leurs lanceurs, enclenchèrent leurs toupies et déclamèrent le décompte. Ils propulsèrent leurs toupies. Tsubasa remarqua que la fougue de Yuu s'était déjà évaporée. Il ne prêtait aucune attention à son combat, préférant regarder ce qui se passait dans les autres stadium. Son adversaire – une toupie de type attaque, remarqua Tsubasa – assaillait Libra sans discontinuer mais ne lui infligeait pas le plus petit dommage. Il ne parvint même pas à le faire reculer d'un millimètre. Il n'y avait nul besoin de s'y connaître en Beyblade pour deviner que ce duel se terminerait par un arrêt de rotation et qui en sortirait vainqueur.
Les yeux de Tsubasa passèrent sur le stadium voisin, qui voyait opposer Ryuuto à Kouki. La différence de niveau entre les deux était à peu près la même que celle entre Yuu et Hibiki. La principale différence se situait dans le fait que Ryuuto prenait son combat au sérieux. Il attaquait, paraît, et bien vite son adversaire fut éjecté du stadium.
- Oh non !
L'adulte prit des notes.
- Pour prendre le relais dans le stadium deux, j'appelle Tsubasa et Mamoru.
L'argenté obtempéra. Quand il fut près de son stadium, Yuu lui adressa un signe de la main, ce qui manquait grandement de sérieux. Il se mit en position, les deux bras tendus devant lui. Un mouvement en hauteur lui fit lever les yeux. Jack se tenait derrière une fenêtre.
Pas si loin que ça, faut croire.
Tsubasa reporta son attention devant lui, prêt au combat.
Fin du chapitre 13
Note : l'intervention de Masamune n'était pas prévue. Il s'est incrusté dans le chapitre comme il s'est incrusté dans leur groupe xD Au moins, ça m'a permis de montrer différentes facettes de Ginga.
