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Chapitre 15 : Le renforcement des liens
Nile épousseta Horuseus, puis le tourna lentement entre ses doigts, s'assurant de son excellent état. Sa toupie n'avait pas une seule égratignure. Le combat qu'il avait disputé la veille n'avait duré que quelques battements de cœur et Horuseus n'avait pas subi le moindre dommage. Il avait terrassé son adversaire en une seule attaque, en utilisant la Zone Mystique. Contrairement à la plupart des bladers – Nile pensait notamment à son chef de Maison, Kyouya Tategami – il ne lançait pas son coup spécial pour terminer ses combats au plus vite, mais pour éviter que les capacités réelles de sa toupie ne soient étudiées. Ils participaient à un tournoi, après tout. Observer ses adversaires potentiels et préparer des stratégies pour les contrer était la base de la base.
Nile espérait tout de même qu'il aurait l'occasion d'affronter des bladers compétents. C'était pour cette raison qu'il s'était inscrit à l'Académie. Il ne connaissait pas le niveau de ses adversaires du lendemain mais, à la manche quatre, il se retrouverait face à Benkei ou à Kakeru. Il ne connaissait pas non plus leur niveau de Beyblade. Il devrait assister à leur match pour s'en faire une idée... mais il craignait que leur duel ne se transforme en compétition du plus grand fan de Kyouya.
C'était généralement ce qui se passait quand ils se trouvaient ensemble.
Ils discutaient, l'un d'entre eux finissait inévitablement par parler de Kyouya et ils se mettaient à débattre – alors qu'ils partageaient le même avis – sur la grandeur de Kyouya. Et ils s'échauffaient l'un l'autre.
C'était épuisant.
Nile quitta sa chambre. Il n'y avait personne dans le couloir, même s'il entendait certains résidents s'affairer dans leurs chambres. Il était encore tôt, et il n'y avait ni cours ni tournois en ce dimanche. Certains en profiteraient pour faire la grasse matinée. Une véritable perte de temps selon lui.
Une porte s'ouvrit. Nile jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et s'arrêta.
- Bonjour Damure.
- Bonjour Nile.
Damure le rejoignit. Ils finirent de traverser le couloir et descendirent les escaliers. Ils passèrent dans le vaste séjour, où l'ensemble des fauteuils et sièges était vide, pour se diriger vers les cuisines. Ils ouvrirent les portes et se figèrent sur le seuil. Les yeux de Nile s'écarquillèrent.
- Tu es un vrai chef, nii-san ! s'exclama Kakeru.
- Tu pourrais te rendre utile au lieu de parler pour ne rien dire ?
Kyouya leur tournait le dos. Il s'affairait près des feux, versant quelque chose dans une poêle, sortant une théière du feu et mélangeant le contenu d'une casserole, le tout sans se précipiter ni s'emmêler.
Kakeru était assis sur le plan de travail, à côté de lui, et le regardait faire.
- Oh non. Je risque de me mettre dans tes pattes et de tout gâcher, répondit-il innocemment. Il vaut mieux que je reste là.
Kyouya lui adressa un regard blasé. En réponse, Kakeru battit des paupières. Kyouya poussa un grognement agacé et reporta son attention sur son travail.
- Tu n'es qu'une peste.
- Je t'aide en t'encourageant de tout mon cœur !
- Ça ne m'aide pas.
Kyouya ouvrit un placard. Il en sortit une minuscule coupelle. Il prit une cuillerée de la casserole, la versa dedans et tendit la coupelle à Kakeru. Ce dernier la prit du bout des doigts. Il souffla sur son contenu puis y trempa les lèvres.
- Alors ? fit Kyouya d'un ton exagérément agacé.
- C'est délicieux ! On dirait celui que prépare Mère !
- Grrr.
Kyouya prit la casserole et commença à se retourner.
- Tu es obligé de tout le temps me...
Ses yeux tombèrent sur Nile et Damure. Un profond choc s'inscrivit sur ses traits. Sa main se serra convulsivement sur le manche de la casserole. Nile se demanda fugacement s'il allait la leur jeter à la figure.
- Nile ! Damure ! Comment vous allez ?
- Très bien, merci, parvint à répondre Nile sur un ton égal.
Kyouya plissa les yeux et le dévisagea, cherchant des marques de moquerie sur son expression. Il finit par se lasser de ce manège et leur tourna le dos en grognant. Il se remit à son travail.
Nile n'était pas moqueur. Il était simplement... Choqué était un mot trop faible par rapport à ce qu'il ressentait devant cette scène. Kyouya. En train de cuisiner.
Cette scène quotidienne ne collait pas avec le personnage... Nile avait du mal à l'appréhender, même si ça se passait devant lui, en ce moment-même. En fait, il ne pensait pas à Kyouya hors du monde du Beyblade, tant cette activité lui collait à la peau. Il semblait vivre, bouger, respirer pour combattre aux côtés de sa toupie, Leone, pour surpasser son rival, Ginga Hagane. Qu'il ne passait pas une journée sans évoquer, ce qui soulevait quelques questions – mais ce n'était pas ses affaires.
D'un autre côté, Kakeru avait dit que son frère hériterait de l'entreprise paternelle – grande, d'après ce que Nile avait compris, bien qu'il n'ait pas fait de recherches à ce sujet. Sans compter que Kyouya avait bouclé le premier rapport sur le budget du conseil des élèves en moins d'une demi-semaine et qu'il avait semblé passablement vexé quand Nile s'en était étonné.
Mais de la cuisine !
- Vous voulez manger avec nous ? proposa Kakeru avec enthousiasme – était-il capable de faire quoi que ce soit sans enthousiasme.
- Et puis quoi encore ? s'agaça Kyouya. Je ne suis pas leur bonniche.
- Avez-vous déjà mangé un petit-déjeuner typiquement japonais ? Ça m'a manqué, pendant ces deux semaines. Il en existe en vente, bien sûr, mais ce n'est pas pareil qu'un préparé maison, surtout un préparé comme à la maison. Mon frère est capable de cuisiner des plats aussi bons que ceux de Mère.
Kyouya roula des yeux.
- Je ne fais que suivre la recette. Ça n'a rien de compliqué.
Kakeru eut une moue attristée.
- Moi aussi, j'essaie de suivre la recette, mais je n'arrive jamais à obtenir le même résultat.
Il secoua la tête puis sourit à son frère.
- C'est encore plus agréable quand c'est une personne que tu aimes qui cuisine pour toi.
- Mièvre. Et c'est juste pour cette fois, parce que tu m'as soûlé toute la semaine avec tes pleurnicheries. Ça ne deviendra pas une habitude.
Kakeru glissa un regard attristé vers Nile.
- Il est sérieux.
Nile n'en doutait pas une seconde.
- Vous comptez rester plantés là longtemps ? demanda Kyouya, acerbe.
- Eh bien... hésita Damure.
- Non, répondit Nile.
Il se dirigea vers un coin de la cuisine, assez éloigné de Kyouya pour qu'il ne puisse pas l'accuser de se mettre en travers de son chemin. Il ne le craignait pas, seulement, il ne voyait pas l'intérêt de le provoquer inutilement, surtout de si bon matin.
- Vous pouvez manger avec nous, proposa de nouveau Kakeru. Il y en aura largement assez.
Kyouya renifla, mais il ne le contredit pas.
- Et vous préparez quoi ?
- Un petit-déjeuner traditionnel : du riz, de l'omelette, des tsukemono et du thé.
- Rien qui nécessite qu'une personne en particulier s'en occupe, grommela Kyouya avant de tourner la tête vers son frère. Va chercher la vaisselle.
- Tout de suite !
Kakeru sauta du plan de travail. Il fit quelques pas, ouvrit un placard et commença à en sortir de la vaisselle. Il empilait et empilait, sans donner l'impression de s'arrêter. Nile commençait à se demander si son but n'était pas de vider le placard quand Kakeru referma la porte. Il fit plusieurs aller-retours et posa son fardeau sur le plan de travail. Kyouya haussa un sourcil.
- Pour cinq personnes ?
Nile fronça les sourcils. Il dénombrait une quinzaine de bols et d'assiettes, sans oublier les... verres ? Était-ce des verres ces objets ?
- J'irai chercher Benkei. Il sera ravi de manger quelque chose que tu as préparé. Déjà qu'il était content quand tu nous as aidés la dernière fois... aïeuh !
Kyouya avait asséné une tape à l'arrière de la tête de Kakeru, tellement légère qu'elle avait forcément été amortie par ses cheveux.
- Va chercher les plateaux et les couverts au lieu de bavasser.
- D'accord.
Kyouya jeta un coup d'œil à Nile et Damure.
- Et prends des fourchettes.
- OK.
Kakeru revint avec cinq plateaux. Il les déposa les uns à côtés des autres – trois vers le bord, deux vers le mur. Il divisa les couverts entre eux – trois avec des baguettes, deux avec des fourchettes. Kyouya rejoignit Kakeru. Son petit frère se décala pour lui laisser la place. Kyouya posa un bol, un verre et deux assiettes creuses dans chaque plateau, les positionnant de la même manière. Kakeru émit un sifflement admiratif.
- Tu fais ça bien.
- Continue, et je te laisse te débrouiller seul.
- Ce serait de la maltraitance.
Kyouya leva les yeux au ciel.
- Tu n'étais pas censé aller chercher Benkei ?
- J'y vais tout de suite !
Kakeru se précipita hors de la cuisine. La seule réaction de Kyouya fut de secouer la tête. Il prit une louche, sortit la casserole du feu et revint vers les plateaux. Il remplit les cinq bols de riz. Nile se rendit compte que Kakeru avait raison : il y avait largement assez de nourriture pour cinq personnes. Pourquoi Kyouya en avait fait autant s'il ne comptait convier personne pour leur petit-déjeuner ?
Par habitude, sans doute.
Quand on avait l'habitude de cuisiner pour un certain nombre de personnes, c'était difficile de préparer des quantités plus réduites. Sa famille proche devait comporter entre quatre et six personnes.
Kyouya déposa la casserole dans l'évier puis vint chercher la poêle, où différents légumes crépitaient. Nile croyait reconnaître des radis et des concombres, entre autres. Kyouya les partagea équitablement, se débarrassa de la poêle et retira la dernière poêle du feu. Il servit une omelette dans chaque assiette. Il en restait une, qu'il déposa dans une assiette avec des baguettes – sûrement celle de Benkei.
Kyouya soupira. Il semblait avoir terminé. C'était appétissant, bien plus que ce à quoi Nile se serait attendu de sa part.
Il remarqua que les aliments étaient élégamment disposés dans leurs récipients. Il décida que c'était le fruit du hasard. La situation était déjà suffisamment étrange.
- Vous venez chercher vos plateaux ou quoi ? Hors de question que je fasse serveur en plus.
- Évidemment.
Nile rejoignit Kyouya près du plan de travail, suivi timidement par Damure. Il souleva son plateau.
- Tu voudrais de l'aide pour transporter le reste ?
- Kakeru va porter son plateau comme un grand. C'est le moins qu'il puisse faire.
Nile opina avant de traverser la cuisine. Une fois dans la pièce de vie, il choisit l'une des tables et s'y assit. Damure s'installa à côté de lui. Kyouya les rejoignit. Il déposa son plateau sur la table et repartit aussitôt, les laissant quelque peu perplexes. Il revint avec une théière et un dessous-de-plat. Il les plaça au centre de la table avant de s'asseoir.
Des pas résonnèrent.
- Ne te dépêche surtout pas Kakeru, commenta froidement Kyouya.
Le rire de Kakeru résonna juste avant qu'il n'entre dans la pièce, suivi par Benkei.
- On se dépêche ! C'est juste que la maison est immense.
- Toutes les excuses sont bonnes.
Le duo disparut dans les cuisines et revinrent un instant plus tard avec leurs plateaux. Ils s'assirent : Kakeru à côté de Kyouya – évidemment – et Benkei à côté de Kakeru.
- Bon appétit ! s'exclamèrent les nouveaux arrivants.
- C'est ça, grommela Kyouya.
- Bon appétit, répondit Nile.
Il ne s'était pas attendu à commencer la journée ainsi. Il se demandait quelles autres surprises elle réservait.
XXX
Aujourd'hui, je vais m'entraîner !
Kenta était décidé. Il devait s'améliorer, sans abîmer Sagittario – leur deuxième duel avait lieu demain, après tout. C'était en pensant au Beyblade avant tout que l'on devenait un grand blader. Ginga pensait, mangeait et respirait Beyblade. Kyouya pensait, mangeait et respirait...
Ginga. Il semblait uniquement penser et vivre pour son rival.
Mauvais exemple.
Kenta secoua la tête. De retour à Ginga donc. Le blader de Pegasus était aussi compétent parce qu'il pratiquait le Beyblade depuis... depuis toujours, en fait. Malgré tout, ce n'était pas impossible de le rattraper. Il fallait juste de la volonté et des efforts.
Kenta avait l'intention d'appliquer tout ce que Benkei lui avait appris. Il allait renforcer son corps et son esprit, et un jour – pas tout de suite mais dans un futur pas trop lointain – il rattraperait Ginga.
Il traversa l'entrée, ouvrit la porte et tomba nez à nez avec...
- Yuu ?!
Le Dragon Clan – qui n'était pas du tout censé se trouver sur le territoire des Galaxy Heart, et encore moins au seuil de leur maison – lui sourit et lui adressa un signe de la main.
- Salut Kéké.
- Qu'est-ce que tu... ?
Kenta jeta des coups d'œil inquiets tout autour de lui. Il n'y avait personne d'autre dans l'entrée. Toutefois, il entendait les Galaxy Heart discuter dans le séjour.
Il se pencha et baissa d'un ton.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je suis venu te voir.
- On est chez les Galaxy Heart.
- Je sais, mais hier, j'ai appris que Yoyo a vu Ryuuto chez les Wild Fang, et qu'il ne lui a même pas grogné dessus. Si Yoyo ne l'a pas réprimandé, ce ne sont pas les gentilles plumes qui vont me faire quoi que ce soit, pas vrai ?
- Qu'est-ce que Ryuuto faisait chez les Wild Fang ? s'étonna Kenta.
L'enfant ne connaissait pas le Dragon Clan personnellement, mais il n'avait pas l'air du genre à désobéir aux règles par principe.
- Une carte. C'était censé être un secret, mais Yoyo l'a dit à Gingy, qui en a parlé devant Keru et on en a tous parlé devant Tsubasa.
- Ginga, Kyouya, Kakeru et toi ?
- Non. Gingy, Keru, Ryuuto et moi.
Kenta se sentait complètement perdu.
- Gingy ne t'a pas raconté ?
Kenta secoua la tête.
- En fait, Ginga...
Un long cri résonna dans le couloir. Kenta et Yuu tressaillirent. Des pas cognaient contre le sol avec fureur et, soudain, ils ne furent plus seuls.
- OÙ EST GINGA ?! hurla Masamune.
Yuu fit gonfler ses joues dans une mimique boudeuse.
- Je l'avais oublié lui.
- Je m'apprêtais à l'expliquer à Yuu.
L'adolescent baissa la tête. Cligna des yeux.
- Oh ? Salut.
- Ginga est parti très tôt ce matin.
Masamune se rengorgea.
- Je vois ! Il est allé s'entraîner parce qu'il a peur de m'affronter au prochain duel. Enfin, s'il arrive à battre son adversaire de demain. Après tout, c'est normal. Je suis le numéro un mondial. Il n'a aucune chance.
- Gingy ? Peur de toi ? On croit rêver, marmonna Yuu.
- T'as dit quoi là ?!
Kenta s'interposa.
- Ginga m'a dit qu'il partait se promener.
- Et il revient quand ? demanda Masamune, clairement dubitatif.
- Je ne sais pas...
Masamune se redressa.
- Raaah ! Hors de question que j'attende je ne sais combien de temps qu'il décide de revenir. Je vais le chercher !
Alors qu'il faisait un pas vers la porte, Kenta attrapa son gilet.
- Pourquoi tu cherches Ginga ?
- Il prétend m'avoir battu à la course hier alors que c'est faux. Je l'ai battu à plate couture.
- Vous avez fait la course ?
- Ouais ! Ça sert à rien de faire un combat Beyblade alors que je vais le rétamer pendant le tournoi.
- J'en serais pas si sûr à ta place, marmonna Yuu.
- Quoi ?!
Le blader de Libra se retourna à demi et croisa les bras.
- Je voulais passer la journée avec Kéké, Gingy et Madoka, mais si c'est pour t'avoir dans les pattes, ça ne m'intéresse pas du tout. Keru a décidé de rester toute la journée chez les beasts, pour passer du temps avec Yoyo, Benben va sûrement faire pareil et Tsubasa est reparti faire ses trucs d'espion. C'est nul.
- Yuu...
L'interpellé leur tourna le dos. Il déplia les bras et laissa ses poings serrés reposer le long de son corps. Ses épaules étaient tendues.
- Puisque c'est comme ça, je vais rester tout seul ! Vous allez voir : moi aussi je peux faire des trucs de mon côté.
- Mais...
Yuu partit d'un bon pas, le nez en l'air. Kenta ne savait pas quoi faire. Comment était-il censé réagir ? Il ne se souvenait pas d'avoir déjà vu son ami de si mauvaise humeur. Devait-il le suivre ou le laisser tranquille ? Son cœur penchait vers la première option. Il fit un pas en avant. Un souvenir l'empêcha d'avancer plus : le jour où il avait poussé Ginga à se confier, alors qu'il n'en avait clairement pas envie et que Kyouya lui avait conseillé de le laisser tranquille. Résultat : Ginga s'était enfui vers Koma et leur voyage jusqu'au village caché avait été une véritable épreuve, parsemé de pièges – naturels ou tendus volontairement.
Kenta savait que Yuu n'irait pas se réfugier à Koma, mais cela le fit quand même hésiter. Suffisamment pour qu'il le perde de vue.
Oh non.
- Quelle mouche l'a piqué ?
Kenta leva la tête. Le ton perplexe de Masamune se reflétait sur son visage. Il se grattait la tempe, regardant la direction prise par Yuu.
- J'en ai aucune idée...
- Bon ! Moi, je pars à la recherche de Ginga.
Masamune se mit à courir. Kenta fit quelques pas précipités à sa suite.
- Attends !
Msamune se retourna pour le regarder, faisant du sur-place.
- Quoi ?
Kenta le rejoignit en trottinant.
- Ce ne serait pas mieux d'utiliser cette journée pour t'entraîner ?
- Je suis le blader numéro un mondial ! J'en ai pas besoin.
- Mais...
- À plus !
Masamune repartit en courant. Kenta n'hésita qu'une seconde avant de le suivre. Quelque chose lui disait que Ginga voulait être seul et que la compagnie – surtout celle de Masamune – ne serait pas la bienvenue. Il ne savait pas ce qu'il pourrait dire pour le faire changer d'avis – est-ce qu'une seule personne sur Terre serait capable d'un exploit pareil ? Mais, quelques pas devant lui, dans la forêt des Galaxy Heart, Masamune ralentit. Instinctivement, Kenta se cacha derrière un arbre.
- Peut-être que Kenta n'a pas tort... Le blader numéro un mondial doit penser à l'entraînement avant tout. Je pourrais toujours écraser ce nul de Ginga demain ou après-demain. C'est décidé. À l'entraînement !
Kenta entendit Masamune changer de direction et s'éloigner. Il attendit un peu avant de jeter un œil hors de sa cachette. Il aperçut la silhouette de l'adolescent courir entre les arbres puis disparaître.
Où il va ?
Kenta secoua la tête. Ça ne le concernait pas.
Il fit un pas vers la maison, s'immobilisa. Il jeta un regard dans la direction prise par Masamune. Et si l'adolescent changeait encore d'avis ? S'il décidait de se lancer à la recherche de Ginga ? Ce serait mieux que Kenta soit là pour le convaincre du contraire... pas vrai ?
Oui, ce serait beaucoup mieux.
Kenta partit dans la même direction que Masamune. Il contourna la maison et marcha vers le sud. Il n'allait pas souvent par là. Il n'y avait que le territoire des Dragon Clan au-delà du domaine des Galaxy Heart. Tout ce qui avait de l'intérêt se passait au nord de la Bey-Island : l'Académie, les espaces destinés aux membres des trois Maisons, la scène où le blader DJ faisait ses annonces, le port où ils étaient arrivés...
Kenta continua sa progression entre les arbres. Ça lui semblait bien plus facile que lors de son voyage à Koma. Son cœur fit un bond. Est-ce que cela signifiait qu'il avait progressé ?
- En avant, Striker !
Le cri tira Kenta de ses pensées. Il se fit le plus silencieux possible et avança de quelques pas supplémentaires. Il se dissimula derrière un arbre, laissant uniquement sa tête pencher sur le côté pour voir ce qu'il se passait. Masamune s'était, semblait-il, aménagé un terrain d'entraînement. Le sol, battu par de nombreux aller-retours de chaussures et de toupies, avait perdu tous ses brins d'herbe. Des rochers étaient disposés au centre, que Striker tantôt attaquait, tantôt esquivait. Les yeux de Kenta s'écarquillèrent. Les mouvements de la toupies étaient vifs et précis. Elle s'immobilisait à quelques millimètres des rochers avant de changer de direction. Masamune n'était peut-être pas le meilleur blader du monde, mais il était sans aucun doute talentueux.
- Maintenant ! Attaque du Sabre Éclair !
Striker s'entoura d'une énergie crépitante et percuta un rocher. Ce dernier s'envola droit vers Kenta. L'enfant poussa un cri. Il tenta de reculer, trébucha et s'étala par terre. Le rocher atterrit trois mètres derrière lui.
J'ai eu chaud, soupira-t-il intérieurement.
- Qui va là ?
Masamune le rejoignit alors qu'il se redressa. Kenta lui adressa un sourire gêné.
- Euh... Resalut ?
- Ha ha ! Je savais que tu disais n'importe quoi. Alors, où est Ginga ? demanda Masamune en commençant à jeter des coups d'œil autour de lui. Je sais : il t'a envoyé m'espionner pour que tu lui rapportes tous les secrets de mon entraînement !
- Ginga ne ferait jamais une chose pareille !
- Ah non ?
Kenta secoua vigoureusement la tête. Masamune afficha une moue dubitative.
- Pourquoi t'es là alors ?
Kenta baissa la tête, gêné. Il appuya ses index l'un contre l'autre.
- Eh bien... j'étais... curieux.
Il risqua un regard vers Masamune, qui l'observait avec des yeux ronds. L'adolescent se redressa et partit d'un grand rire.
- Tu peux rester, si tu veux.
- Vraiment ?
Masamune hocha la tête.
- Vraiment.
- Merci ! répondit Kenta avec un grand sourire.
XXX
Assis sur un rocher, en périphérie sud du territoire des soi-disant Dragon Clan, Ryuuto relisait la lettre qu'il avait reçue la veille. Les caractères étaient tracés au pinceau dans une élégante écriture manuscrite. Elle était concise, mais ne laissait aucune place au doute.
Ryuuto soupira. Il reposa son bras qui tenait la lettre sur ses jambes. De son autre main, il se massa le front. Ça... ça bouleversait tous ses plans. Non. Ça bouleversait toute sa vie.
J'y croyais... J'y croyais du fond du cœur, mais c'est différent d'en avoir la preuve.
À côté de cette nouvelle, l'Académie ne représentait rien. Pourtant, Ryuuto n'arrivait pas à se décider à tout plaquer pour se lancer dans cette aventure. Cela lui paraissait... impensable. Surtout quand il pensait à tout ce qu'il abandonnerait – son principal souci était un blader aux yeux très très bleus et adepte des sports extrêmes.
- Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ?
Il relut la lettre, la reposa avec un soupir.
Du calme. Ça ne sert à rien de se précipiter.
Un vrai chasseur trésor savait faire preuve de patience. Bon, en réalité, Ryuuto n'y parvenait pas toujours. Il y avait des moments où il déclenchait des pièges parce qu'il faisait preuve de trop d'empressement ou d'une trop grande confiance en lui, mais il s'en était sorti à chaque fois. Principalement grâce à Draconis, mais aussi grâce à Ryuuga, une ou deux fois. Les trésors que Ryuuto recherchait se trouvaient souvent dans les espaces sauvages et déserts que Ryuuga affectionnait, et bien que l'Empereur Dragon n'ait aucun intérêt dans la direction du Clan – le seul, le vrai, l'unique – il semblait avoir quelques scrupules à laisser un de ses membres mourir sous ses yeux.
Ce qui était pas mal, de sa part.
Je n'ai aucune raison de me précipiter. Ça fait plusieurs années que nous attendons ce moment. Une de plus ou de moins, qu'est-ce que ça pourrait faire ?
En plus, la Bey-Academy était avant tout une école. Cela signifiait qu'il y aurait des vacances tout au long de l'année, ne serait-ce que pour que les pensionnaires puissent rentrer dans leurs familles. Ryuuto n'aurait qu'à explorer cette piste dès les premières vacances.
Ses épaules se détendirent. Maintenant qu'il avait trouvé une solution qui lui permettait de rester à l'Académie, il se sentait mieux.
Il plia soigneusement la lettre et la glissa dans une poche de sa veste. Il se levait pour partir quand il perçut des bruits. Il se retourna. Ses yeux scannèrent l'orée de la forêt et s'arrêtèrent sur une petite silhouette qui approchait.
- Yuu ?
L'enfant leva la tête. Sa moue boudeuse se transforma en expression étonnée.
- Ryuuto ? Qu'est-ce que tu fais là ?
- J'avais besoin d'être un peu seul.
Les yeux verts se plissèrent. Yuu fit gonfler ses joues avant de lui tourner le dos d'un mouvement brusque.
- Je vois. Je dérange ici aussi.
- Mais non !
Ryuuto descendit de son perchoir.
- En fait, tu tombes très bien. J'ai terminé et j'ai une question.
- Keru est chez les Wild Fang pour passer la journée avec Yoyo.
- Oh...
Ryuuto se sentait déçu. Il n'avait pas prévu de passer du temps avec Kakeru mais, apparemment, il n'avait pas non plus prévu de ne pas passer du temps avec lui.
- Ce n'est pas ce que je voulais te demander, déclara le chasseur de trésors, tentant d'étouffer sa déception. Est-ce que tu sais quand ont lieu les prochains vacances ?
- La semaine prochaine. C'est la Golden Week.
- Parfait.
Ça lui permettait de ne pas trop retarder son départ, tout en préservant son séjour à l'Académie. Et une semaine serait amplement suffisante pour voir si cette piste était aussi sérieuse, aussi réelle, qu'elle le semblait.
- Tu as hâte de quitter l'Académie ?
- Au contraire, j'ai envie de rester ici avec Kakeru, toi et les autres.
- Mais... tu viens de dire...
- Je sais. J'ai... une chasse aux trésors urgentes, hors de la Bey-Island. Ça m'aurait ennuyé de partir et d'être viré. De ne pas pouvoir revenir.
Les yeux de Yuu commencèrent à étinceler d'intérêt.
- Tu vas chasser quoi ?
- Euh... C'est un secret. Désolé.
Les épaules de Yuu s'affaissèrent.
- Mais, si tu veux, je peux te montrer des trésors que j'ai emmené à l'Académie, et te raconter comment je les ai trouvés.
Yuu se redressa.
- Vraiment ?
Ryuuto opina. Il fut récompensé par un immense sourire.
- Génial !
XXX
Nile n'avait toujours pas compris pourquoi il avait accepté l'invitation – était-ce le mot adéquat quand on ne lui laissait pas le choix ? – de Kakeru et Kyouya à petit-déjeuner. Ce qu'il comprenait encore moins, c'était pourquoi il était resté avec les frères Tategami ce matin et pourquoi il était encore avec eux en ce début d'après-midi.
Au moins, Damure, avec son caractère calme et introverti, était avec lui. Mais Benkei aussi et son caractère très... – Nile ne savait pas comment le définir, poliment en tout cas. Et il étouffait complètement celui de Damure.
Parfois, il étouffait littéralement Damure.
Le groupe était assis dans un coin du séjour des Wild Fang, sur deux canapés qui se faisaient face. Le reste de la Maison les laissait relativement tranquilles. Il y avait bien des regards jetés de temps à autre à Kyouya, mais ça se limitait à ça. Personne ne venait les déranger.
- Tu m'agaces Kakeru, soupira Kyouya.
Nile supposait que c'était de la mauvaise foi car le blader de Leone ne faisait mine ni de partir ni de propulser sa toupie.
- Pourquoi tu ne passes pas ta journée avec Ryuuto et Yuu plutôt ? C'est ce que tu faisais, ces derniers temps.
- Mais tu es mon frère. Nous devons passer du temps ensemble.
- Pot-de-colle.
Sauf que ni le ton ni l'expression de Kyouya ne correspondaient à ses paroles. D'ailleurs, Kakeru lui adressa un grand sourire, avant de se retourner vers Nile et Damure – qui ne tressaillirent pas.
Même si son sourire était particulièrement grand.
Même si ses yeux brillaient un peu trop fort.
- Vous comptez faire quoi pour la Golden Week ?
- La Golden Week ? répéta Damure, dispensant Nile de poser la question.
- Les vacances qui auront lieu la semaine prochaine.
Il y avait déjà des vacances ? Après moins d'un mois de cours ?
Kyouya afficha un demi-sourire, ce qui perturba Nile d'autant plus. Son objectif était de se mesurer à son rival au plus vite. Tout ce qui retardait l'échéance devrait l'agacer au plus haut point.
Nile n'était pas d'un naturel curieux – ce trait de caractère attirait les ennuis – mais la réaction de Kyouya lui semblait si contraire à ses motivations qu'il se décida à lui poser la question.
- Tu as l'air... satisfait, capitaine.
Kyouya reporta son attention sur lui. Son sourire s'accentua.
- Pourquoi je ne le serais pas ? Le timing est absolument parfait : une semaine dédiée à l'entraînement juste avant que je ne doive retrouver Ginga. Je n'aurais pas pu demander mieux.
Oh. Effectivement. On disait "vacances" et il entendait "entraînement de Beyblade". Ça correspondait déjà plus au personnage.
- D'ailleurs...
Kyouya glissa son regard vers Damure, qui sembla surpris d'obtenir son attention – d'autant plus qu'il n'avait rien demandé.
- Tu as parlé d'un endroit qui m'intéresse, près de chez toi. La Vallée des Tempêtes. Tu m'y conduirais ?
- Euh... Je n'avais pas prévu de rentrer si tôt.
- C'est un non ? demanda Kyouya d'un ton dépourvu du plus petit reproche.
- Non. Je veux bien te conduire à la Vallée de Tempêtes.
Kyouya recommença à sourire. Il s'enfonça dans son fauteuil.
- Tant mieux.
- Pourquoi tu veux y aller ? demanda Nile.
Kyouya ferma les yeux.
- Comme tu le sais, mon Leone maîtrise le vent. Il crée des tornades. Si j'en vois une de mes propres yeux, nous pourrons nous améliorer.
C'était la vérité. Il n'y avait rien de plus évident. Seulement... le petit sourire que Kyouya affichait sous-entendait que ce n'était pas là toute l'histoire.
Qu'est-ce qu'il compte faire ?
Rien de bien sensé, sans doute, vu son air satisfait.
- Donc Kyouya et Damure ont un projet, résuma Kakeru en frappant ses mains l'une contre l'autre. Et toi Nile ?
- Je pense retourner en Afrique.
Ça lui ferait du bien de retrouver l'immensité du désert et son calme – surtout son calme, en fait.
- Vraiment ? Vous pourriez y aller tous les trois ensemble, non ? Ce serait plus sympa.
Kyouya émit un son à mi-chemin entre le soupir et le grognement, incontestablement chargé d'exaspération.
- Je parle d'un voyage d'entraînement. Pourquoi essayes-tu de le transformer en excursion touristique ?
- L'un n'empêche pas l'autre.
Kyouya secoua la tête, dépité. Les sourcils de Nile se froncèrent. Il avait bien entendu ? Kakeru avait dit "vous" ?
- Tu ne comptes pas voyager avec ton frère ?
Kakeru sembla sincèrement surpris.
- Non. Mon entraînement sert avant tout à le vaincre. Par conséquent, ce serait une mauvaise idée de m'entraîner avec lui.
Kyouya hocha lentement la tête. Nile trouvait l'idée logique – et donc étonnante de la part de Kakeru.
- Et les entraînements – même les voyages – en pleine nature, ce n'est pas pour moi. D'ailleurs, ajouta-t-il d'un ton plus bas, avec un sourire amusé, ce n'était pas tellement ton truc, avant.
Nile ne put dissimuler sa surprise.
Kyouya se contenta de tourner la tête, comme s'il y avait quelque chose de bien plus digne d'intérêt ailleurs.
- Je vais séjourner aux États-Unis. Je m'entraînerai et je rendrai visite à mes amis.
Une personne était restée étonnamment silencieuse pendant leur échange. Nile tourna la tête vers Benkei, assis près de Kakeru. Le blader de Bull avait le regard rivé au sol, les traits affaissés, comme s'il était sur le point de fondre en larmes. Kakeru se tourna vers lui, le front plissé.
- Qu'est-ce qui ne va pas, Benkei ?
Le concerné cacha son visage dans un bras.
- J'ai accepté l'invitation des Galaxy Heart à camper à Koma ! Je suis désolé de te laisser tomber comme ça Kyouya-san. Je suis indigne de te suivre.
Kyouya le regarda, clairement perplexe. Il semblait ne pas comprendre où Benkei voulait en venir.
Kakeru lui tapota l'épaule.
- Ne t'inquiète pas. Ça ne durera qu'une semaine, après tu reprendras ta place chez les Wild Fang. Moi aussi, je pars de mon côté. Pourtant ça ne signifie pas que je n'aime pas mon frère. Alors profite de ton voyage avec Ginga et ses amis, d'accord ?
Benkei opina d'un air penaud.
Nile reporta son attention sur Kyouya. Il était sur le point de lui demander si l'idée de Kakeru le dérangeait quand les épaules de Kyouya se tendirent brusquement. Il leva vivement la tête, les sourcils froncés. Ses yeux scannaient la vaste salle, à la recherche de quelque chose. Nile se retourna. Il ne vit rien de particulier.
- Un problème, capitaine ?
Kyouya détacha son regard du lointain, à contrecœur.
- Non. Rien.
Il ne semblait pas détendu pour autant.
XXX
L'adolescent s'était caché derrière un mur, le cœur battant la chamade. Un peu plus et Kyouya Tategami le voyait. C'était une perspective... terrifiante. Demain, ils s'affronteraient, mais c'était une chose de faire face à son adversaire en tant que blader, c'en était une autre d'observer quelqu'un depuis l'ombre. C'était... plutôt malsain. Il le reconnaissait. Ça le mettait mal à l'aise. Il ne comprenait pas ce qui le poussait à agir de la sorte. Était-ce parce qu'il était sur le point de l'affronter ? Il avait déjà vaincu de nombreux adversaires. C'était ainsi qu'il avait atteint cette manche. En quoi Kyouya Tategami était différent ?
Il est fort.
Oui. Kyouya Tategami était sans conteste fort. Il faisait partie des meilleurs bladers du Japon, des meilleurs de l'Académie. Peut-être même des meilleurs du monde.
Ce serait un honneur de l'affronter.
Et de le vaincre.
L'adolescent hocha la tête. Oui. Le vaincre serait une véritable prouesse, un exploit dont il serait fier toute sa vie.
...intéressant.
- Quoi ?
Différent.
L'adolescent pensa à ses camarades de Maison, qui regardaient tous Kyouya comme un meneur. Même les plus véhéments à son encontre, au début, avaient du respect pour lui maintenant et étaient prêts à le suivre. Même dans les autres Maisons, ils le regardaient avec admiration.
Il est charismatique. C'est un de ces leaders-nés.
Un acquiescement pensif.
Il ne peut être dompté. Il n'a pas de failles.
Sans qu'il ne sache pourquoi, la pensée le mit mal à l'aise. Elle fut peu à peu balayée par l'excitation du combat approchant, avant de disparaître.
Nous allons le vaincre.
Fin du chapitre 15
