Severus reposa le livre qu'il avait emprunté la veille dans le rayonnage de la Réserve et chercha des yeux l'authentique ouvrage de Salazar Serpendard qu'il souhaitait consulter pour terminer l'article que lui avait demandé le Quotidien de Walpurgis, à savoir une étude approfondie sur les effets des venins des serpents de marais qui se faisait désirer car il ne la trouvait nulle part sur l'étagère.
Son visage se crispa imperceptiblement lorsque, en se tournant vers la fenêtre donnant sur le parc et sous laquelle étaient rangés des ouvrages plus précieux, il aperçut le reflet de Gilda Marty qui travaillait non loin de lui, assise à une table.
À côté d'elle, ses enfants s'étaient lancés dans un concours de dessin et, bien qu'ils restent parfaitement silencieux, ils s'étaient attiré le regard mortel de madame Pince.
Sans savoir pourquoi et même si la scène était floue depuis son poste d'observation, Severus n'osait pas se retourner. En effet depuis l'épisode de la sortie au village moldu, et encore plus depuis la soirée qui avait suivi la parution du Chicaneur et où il avait du faire des efforts considérables pour ne pas avoir l'air d'un fou, il éprouvait une gêne étrange à côtoyer la jeune femme, et ce bien qu'ils soient tout à fait en bons termes à présent et qu'il prenne beaucoup de plaisir à enseigner à son fils. Un cornichon d'exception celui-là.
Et puis, l'attaque dont Gilda Marty avait été victime quelques semaines plus tôt le troublait autant qu'elle l'inquiétait. Il avait vu le collier de perles qu'Albus Dumbledore lui avait montré. C'était à ses yeux un objet destiné à tuer et, parmi tous ses élèves, il n'en voyait qu'un seul suffisamment riche pour que sa famille possède un artefact aussi cher…
Toutefois, il espérait de toutes ses forces qu'il n'avait rien à voir avec cette histoire… Puisqu'il s'agissait de nul autre que de Drago Malefoy.
Derrière lui, Gilda Marty dessinait une fleur sur la feuille de sa fille. Severus s'arracha, non sans peine, à ce spectacle pourtant sans grand intérêt qu'il observait à travers la vitre d'un placard fermé, et continua de chercher l'ouvrage qui lui faisait défaut. Mais force fut bientôt d'avouer qu'il ne se trouvait nulle part sur le rayonnage, quelqu'un devait déjà l'avoir emprunté pour un travail.
En maugréant contre les étudiants, le Maître des Potions sortit du rayon et s'arrêta un bref instant lorsqu'il croisa le regard de Gilda, qu'il salua d'un discret signe de tête. Salut auquel elle répondit avec un sourire un peu triste avant de détourner les yeux, offrant ainsi involontairement à la vue du professeur son profil d'une délicatesse et d'une finesse des plus rares.
Le regard de Severus s'attarda même un infime instant sur la rangée de cils noirs et fournis de sa collègue.
Non mais quel idiot parfait il faisait ! N'avait-il pas largement passé l'âge pour ce genre de choses ? Et il avait d'autant plus de raisons pour se montrer vigilant que le cas de Gilda Marty l'intriguait et l'inquiétait même fortement. Il y avait quelque-chose là dessous mais il était bien en peine de deviner quoi.
Comme il sortait de la bibliothèque à pas lents et sans pouvoir oublier cette étrange moment de flottement, il aperçut soudain un groupe de trois élèves bien connus, agglutinés dans le couloir dans une posture d'observation qui n'avait vraiment rien de discret...
Weasley fille, Londubat et Lovegood qui semblaient attendre quelque chose avec une certaine appréhension et jetaient de fréquents coups d'œil à l'intérieur.
Intrigué par ce manège, Severus hasarda discrètement un regard par dessus son épaule.
Potter et Weasley, surgis d'on ne sait trop où, s'étaient assis à la table du professeur Marty qui discourait avec eux à voix basse, comme si elle ne voulait surtout pas être entendue. Severus aperçut également Hermione Granger qui semblait faire le guet un peu plus loin.
Mieux valait pour ces six-là ne pas tenter une carrière de mangemort, songea sarcastiquement Severus. Un éléphant chez Florian Fortarôme aurait moins attiré l'attention.
Ce manège dura environ une minute, puis les deux élèves prirent congé et s'éclipsèrent discrètement. Le Maître des Potions lui, s'éloigna en hâte pour rejoindre ses quartiers mais il resta soucieux toute la soirée.
Il n'était, en effet, pas difficile de comprendre qu'il se tramait quelque chose de louche avec cette bande-là.
Un professeur ne parle pas ainsi à la dérobée avec deux élèves marqués en opposition, et Severus avait acquis une certitude:
Cette idiote de Gilda Marty (et au diable ses jolies pommettes et ses longs cils!) était en train de se fourrer dans un sacré guêpier! Mais que fabriquait-elle donc encore ?
Toutes ces pensées l'empêchaient de pouvoir même envisager de se coucher, et même s'abrutir dans le travail n'avait plus aucun effet. L'inquiétude qu'il ressentait était peut-être inexplicable, mais en cet instant elle agitait son esprit au point de le priver de tout repos.
Lorsque deux heures du matin sonnèrent, le Maître des Potions n'y tenant plus se décida à sortir dans les couloirs. Il remonta vivement les escaliers jusqu'à l'appartement de la jeune femme et toqua quelques coups secs. C'est seulement lorsque ses doigts touchèrent la porte qu'il prit conscience de l'absurdité d'une visite aussi tardive.
À sa grande surprise pourtant, la réponse fut immédiate:
- Qui est là? Demanda Gilda Marty derrière le battant d'une voix qui n'était qu'un murmure.
- Le professeur Rogue, répliqua Severus. J'aimerais vous parler.
La porte s'ouvrit et Gilda apparut, vêtue d'une chemise de nuit vert pâle qui lui arrivait au dessous des genoux et sur laquelle elle avait jeté un châle, pieds nus mais pas le moins du monde endormie.
- Drôle d'heure pour une visite, murmura t-elle à l'adresse de son collègue.
- Et drôle d'heure pour veiller, répondit Rogue sur un ton égal. Quelque chose me dit que Morphée ne vous a pas visitée cette nuit. Puis-je entrer quelques minutes? J'ai à vous parler.
- Bien sûr.
Gilda s'effaça devant lui et lui indiqua un fauteuil où s'asseoir, puis elle disparut quelques instants dans sa chambre et en revint après avoir enfilé une robe de chambre bleu roi à la fois longue et discrète, mais qui lui seyait à merveille.
- Voulez-vous quelque chose à boire? Demanda t-elle.
- Non merci, je souhaite simplement parler avec vous de quelque chose.
Gilda lui lança un regard à la fois interrogateur et vaguement inquiet, auquel il répondit immédiatement avec la plus grande des franchises :
- Je vous ai vu parler à Potter et Weasley à la bibliothèque, avec Granger qui surveillaient les environs d'un air assez suspect, et trois autres Gryffondors aux aguets dans le couloir. Inutile de vous dire que cela n'était guère discret.
- Oh, répondit la jeune femme en cachant visiblement sa gêne. Cet après-midi ?
Severus acquiesça et poursuivit :
- Je ne connais pas le contenu de cet entretien Gilda, mais je tiens tout de même à vous prévenir: si vous vous impliquez dans la moindre action illégale ce sera le renvoi immédiat par l'Inquisitrice, peut-être même pire avec un procès, voire une incarcération.
La jeune femme resta muette et interdite, aussi Severus mit à profit ce silence pour continuer:
- Le professeur Dumbledore vous a fait confiance, ce serait bien mal le remercier que de le mettre dans un tel embarras, sans parler du danger que vous pourriez courir sans la protection de Poudlard. Vous n'êtes pas sans savoir que le Seigneur des Ténèbres ainsi que beaucoup d'autres sorciers, le Ministère et certains mangemorts notamment, vous ont dans le collimateur.
- Je sais cela Severus... Mais... J... Je ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler...
- Voyez-vous cela?
Cette femme ne savait vraiment pas mentir, ou alors elle se montrait délibérément maladroite.
- Votre faux bégaiement est ridicule à en pleurer Gilda, ajouta Severus. Je vous déconseille de l'utiliser si vous espérez être un tant soit peu crédible.
Gilda Marty se rembrunit et il continua:
- J'espère que vous réfléchirez à ce que je viens de vous dire. Ne prenez pas de risque inutile je vous prie, surtout pas pour Potter et sa bande car ils n'en valent vraiment pas la peine. Sur ce, bonne nuit Gilda.
Et il se leva du fauteuil pour prendre congé. Un vague sentiment de remords le prit lorsqu'il aperçut à travers le verre d'une fenêtre, le visage désemparé de la jeune femme. Cependant il fit taire ses états d'âme et quitta les lieux au plus vite.
Il ne pouvait pas se laisser attendrir.
