Sur les pas des Titans


Acte I : Vers Trost

Chapitre 9 : 20 novembre 847

20 novembre

Nous dormons à la belle étoile.

Il a plu pendant la nuit, nous avons quitté Dauper sous un ciel lourd et sur une terre humide et boueuse. Il s'est remis à pleuvoir en chemin. Nous avons parcouru champs et sentier les pieds dans la gadoue, mais au moins les affaires sont sèches grâce à la mule qui a tout porté sur son dos.

La pluie dura d'environ dix heures du matin jusqu'à quinze heures de l'après-midi, et nous ne pûmes manger qu'aux alentours de cette heure-ci. Nous reprîmes la route et le soir, nous montâmes la tente aux abords d'une rivière, le long d'une plaine.

Pour la première fois depuis près de quinze jours, je pus redécouvrir le bonheur de me sentir propre. Nous nous lavâmes dans la rivière et l'eau était glacée, mais cela faisait du bien.

Nos vêtements ont été étendus sur un fil entre deux arbrisseaux, et nous en avons changé. Ensuite, nous avons fait un feu et préparé à manger.

A présent, je dirais qu'il doit être neuf heures du soir et il fait probablement froid dehors. Nous avons rentré nos habits, éteint le feu et il fait plutôt chaud dans la tente. J'écris pour passer le temps pendant que Peak s'endort et qu'Eren trie ses affaires et compte nos économies, nos provisions.

Je songe à nouveau à ce qu'il nous avait dit, tout à l'heure, lorsque nous dînions. Nous parlions de son passé :

« Je viens de Shiganshina, dans les alentours. C'est près de Maria. La guerre a commencé quand j'avais quinze ans, à l'époque je ne savais pas encore dans quelle filière m'orienter. Mon père était médecin, ma mère ne travaillait pas, comme de nombreuses femmes, elle passait ses journées à s'occuper de moi – comme j'étais fils unique. Mon père voulait que je devienne médecin ; ma mère ne voulait pas que je m'engage dans l'armée.

» J'avais déjà plus ou moins fait mon choix, peu importe ce qu'ils me disaient, je voulais m'engager et partir au front. Puis mon père est parti à la guerre et je n'avais pas encore l'âge de rejoindre les Brigades d'Entraînement, alors j'ai attendu. Vous ne le savez sans doute pas, mais il faut avoir au minimum dix-huit ans. J'ai donc attendu, j'étais encore un enfant alors je ne pouvais rien faire.

» Ma mère m'avait à l'œil – vous concevez certainement qu'elle avait peur, comme toute mère le devrait, de perdre son enfant. Mon père était le seul médecin de la ville, du village plutôt, ou en tout cas le plus performant, et il soignait maintenant les soldats blessés sur les fronts Nord et Est. Alors, en quelques mois à peine, la santé générale des gens diminuait. C'est plus ou moins – ça et le fait que je m'ennuyais beaucoup – ce qui me poussa à me plonger dans tous les bouquins qu'il avait laissé dans son cabinet de consultation.

» J'étais devenu une sorte de médecin-stagiaire, je reprenais le cabinet de mon père et commençais à prendre en consultation les gens. Un an, puis deux, avaient passé comme ça et mon père ne revenait toujours pas du front. On recevait parfois des nouvelles mais elles n'étaient pas des plus joyeuses.

» Un jour, l'ennemi arrivait dans nos contrées ; des avions ont bombardé Shiganshina. J'avais dix-sept ans et j'ai vu ma mère se faire tuer. J'ai voulu la sauver mais je n'ai pas réussi, alors j'ai emporté quelques bouquins, une vieille sacoche, avec moi, et j'ai couru à toute vitesse, le plus loin possible.

» J'ai erré pendant deux longues années, je soignais les gens que je rencontrais sur mon chemin. Officiellement, tous les habitants de Shiganshina étaient morts sous les bombardements et cela m'évita d'être envoyé au front, en tant que soldat ou en tant que médecin. De toute manière, j'avais perdu l'envie de m'engager.

» Finalement, alors que j'approchais de mes vingt ans, j'ai rencontré Peak. Elle avait six ans, elle venait de perdre sa famille, alors je l'ai prise sous mon aile. Ça fait donc près de huit ans que j'effectue mon métier de médecin itinérant, et maintenant que la guerre est finie, les gens ont plus que besoin de personnes comme moi. C'est pourquoi je n'ai pas l'intention d'arrêter maintenant, alors que j'ai enfin donné un sens à ma vie. »

Cela m'a pris du temps de retranscrire tout ça et ce ne sont sans doute pas ses mots exacts, mais je trouve qu'Eren est quelqu'un de bien, de courageux. Sa vie n'est pas des plus faciles ; je pense que nos vies à tous ne sont pas des plus réjouissantes en ces temps troublés.

Je ne sais plus quoi dire, je me perds un peu. Je mets un point final à mes écrits pour aujourd'hui.