Bonsoir! Nouveau chapitre, nouvelle rubrique!
Ici commencent les Notes de Viktor, j'espère que cela vous plaira, malgré le fait que je sorte quand même pas mal de mon idée première de journal... Il y en aura deux chapitres maintenant puis quelques uns éparpillés plus tard! :)
Bonne lecture!
Notes de Viktor 1 : La rebelle, la louve et le vieux vampire
OoooooO
12 Mars 1207,
D'ordinaire je m'épanche rarement sur le papier, mais cette fois-ci je dois être certain de me rappeler de chaque détail et de chacun de mes faits et gestes. Ceci me servira d'archives personnelles.
J'ai à présent la certitude absolue qu'Ilona est bien en vie. Et ce qui me réjouit un peu c'est qu'elle ne semble pas avoir oublié l'enfant qu'elle était avant le drame. Son apparence froide, dure et distante cache une bonté et un altruisme que j'ai rarement observé durant ma longue vie.
J'étais en route pour le château dans lequel j'ai mis Lívia en sécurité. Je ne m'attendais pas à tomber sur une horde de loups. Helén m'ayant assuré que je n'en rencontrerais pas. Mais après tout, il est possible que je me sois légèrement écarté de mon itinéraire d'origine. En ce moment je passe bien trop souvent du côté du village d'Ilona. J'ignore pourquoi, mais je ressens l'impératif besoin de ne serait-ce que l'entrevoir quelques instants par jour. Cette jeune fille me fascine, m'effraie et m'émeut à la fois, malgré tous mes efforts pour ne rien ressentir face à cette humaine si spéciale. Seulement il m'est impossible de faire comme si nous étions deux inconnus, peut-être aurais-je dû demander à Fábián de m'effacer également la mémoire ? Quoi qu'il en soit, il est à présent trop tard.
Les loups se ruèrent sur moi, et dois bien avouer, avec le recul, que j'aurais été incapable de m'en sortir sans aide. J'ai eu beaucoup de chance.
C'était la première fois que je finissais dans un état aussi lamentable à cause des créatures de William. Ma jambe était totalement broyée, heureusement, aucune morsure n'était à déplorer. Lorsqu'Ilona est arrivée, je pensais vraiment que je ne m'en sortirais pas et cela me mettait dans une rage folle. Elle les fit partir d'un geste, sans qu'aucun mot ne soient prononcé et ma fierté personnelle en pris un sacré coup. Aussi extraordinaire soit ma sauveuse, elle était bien plus jeune que moi et surtout moins expérimentée. Me faire sauver par une jeune enfant pour la deuxième fois avait quelque chose de déroutant.
Le fait qu'elle me vienne en aide réveilla quelque chose en moi, une chose que je ne pensais plus ressentir depuis la dernière fois où je l'avais serrée dans mes bras. Un sentiment flou, aussi traitre, qu'agréable mais, qui, à ce moment précis n'était certainement pas le bienvenu.
Lorsqu'elle se déshabilla pour se transformer, ne pouvant me porter, je me sentis idiot, et c'était vraiment très désagréable. Idiot car je n'ai pas pu détourner le regard et mes yeux sont tombés sur son dos, portant encore les marques du fouet. Je ne pense pas qu'elle ait vue que je l'observais de cette façon, car, malgré la quantité assez impressionnante de cicatrices s'étendant de ses épaules à ses hanches et sa jeunesse, le seul mot qui à me venir à l'esprit après « courageuse » fût « jolie ». Maintenant encore je me gifle intérieurement pour avoir eu ce genre de pensés. Ilona aurait l'âge d'être ma fille, voir une lointaine descendante. Je ne devrais même pas la regarder.
Je suis certain qu'elle était un peu gênée pendant tout le temps que dura notre voyage jusqu'à son repère. Et je dois bien avouer que j'étais très loin d'être, moi-même, à mon aise. C'était la première fois que je montais sur un loup et jamais l'idée ne me serait venue si Ilona ne m'avait pas forcé la main. Cependant, je suis bien obligé de reconnaître que ça n'avait rien de véritablement désagréable. J'aurais certainement beaucoup apprécié notre promenade si ma jambe ne me faisait pas tant souffrir.
Ma deuxième humiliation de la journée, après m'être fait sauver par une jeune demoiselle, fut d'être acheminé comme un vulgaire sac de sable jusqu'à la cachette de celle-ci. Mais voyant le soleil se lever et ne sentant plus grand-chose au niveau de ma jambe tant la douleur était intense je ne protestai pas.
J'eu juste le temps de ramper, de manière fort peu gracieuse, dans la secrète demeure végétale, avant que les premiers rayons de l'astre diurne ne m'atteignent. Ilona me suivit rapidement et se mis en tête de s'occuper de mes blessures, je la laissais faire, après tout, Helén lui avait montré comment procéder, je n'avais pas de soucis à me faire. Et de toute façon j'étais très mal placé pour faire la fine-bouche. Lorsqu'elle voulut m'enlever mon pantalon, j'émis tout de même une certaine réserve, je n'avais pas grandement envie de me retrouver totalement dévêtu devant elle, je tenais tout de même à garder le peu de dignité qu'il me restait. Visiblement elle s'en fichait et je dois avouer que je fus pris au dépourvu lorsqu'elle joua de son couteau pour parvenir à ses fins. Je tentais une nouvelle fois de l'empêcher de me toucher, également car ma jambe était devenue une source de douleur indescriptible et que le moindre frôlement entraînait un sursaut involontaire de mon organisme.
Elle eu la plus ou moins bonne idée de poser sa main sur ma blessure pour me faire tenir tranquille. C'eut le mérite de fonctionner, en revanche je n'ai pas grandement apprécié la sensation d'être totalement à sa merci. C'est alors que les évènements de la journée me sont revenus en mémoire. Au moment où j'avais détaché Ilona, celle-ci, partiellement nue, avait pudiquement croisé les bras sur sa poitrine, sur l'instant cela m'avait presque fait sourire. Tant de pudeur dans une situation où il fallait s'en passer, ce fut ce souvenir qui me convainquît de rester immobile pendant qu'elle s'occupait de moi.
Elle se rendit assez vite compte que j'étais assoiffé. J'aurais très bien pu tenir encore une journée ou deux sans sang frais, mais il est vrai que j'en avais terriblement envie. En revanche ça me gênait de violer ainsi ses pensés alors qu'elle venait de me sauver la vie. C'est pour cette raison que je m'assurais qu'elle était consciente de ce que cela impliquait lorsqu'elle s'entailla le poignet pour me nourrir. Elle me fit remarquer que nous n'avions guère d'autres options en réserve avec une ironie et un sarcasme non feints. C'est pour cette raison que j'acceptais de porter son bras à mes lèvres.
On peut sentir la nature d'un individu ou d'un animal rien qu'à son sang. Et celui d'Ilona n'était, comme je pouvais m'y attendre, pas entièrement humain. Elle contrôla pendant un moment ses souvenirs avant d'éclater en sanglot me plongeant dans le désarroi le plus total. J'avais vu tout ce que j'aurais pu souhaiter savoir et même beaucoup plus. Ses souvenirs de loup étaient les plus intrigants et les plus flous, ceux qu'on lui a dissimulé il y a maintenant sept ans sont toujours présents et accessibles. Mais devant le bonheur qu'ils dégagent j'eu moi-même un pincement au cœur. Nous l'avions dépouillé des plus belles années de sa vie, de ses moments de bonheur les plus purs. Après tout, elle avait certainement raison, nous étions les monstres.
Toutes ses angoissent envahissaient mon esprit lorsque je sentis qu'elle voulait que je la relâche. Elle tomba sur moi en pleurant et la seule chose qui me vint à l'esprit fut de la serrer dans mes bras. Je l'y calai et nous restâmes un moment enlacés. Mon cœur, contre son oreille, émit un soubresaut et s'accéléra. Une de mes mains se perdit dans ses cheveux, l'autre la pressait contre ma poitrine. Elle finit par poser l'une des siennes sur mon torse, je m'en emparai avec douceur elle ferma les yeux un moment. Je la berçais, tentant d'être rassurant. Elle sembla s'apaiser. Au bout de quelques minutes je repris pied en même temps qu'elle et nous nous rendîmes compte d'à quel point notre situation était anormale. La dernière fois que je l'avais étreinte de la sorte, elle était très jeune, peut-être cinq ou six ans maximum elle était au château et venait de faire un cauchemar, je savais que personne hormis moi, ne viendrait la voir alors je suis entré dans la chambre qu'elle partageait avec Helén et je l'ai prise dans mes bras pendant de longues minutes. Elle me rappelait Lívia lorsqu'elle était enfant.
Elle se détacha de moi en s'excusant et brisa ainsi la fragile paix qui régnait dans la maison suspendue. Je ne savais que dire et mon visage dû trahir ma déception. Un instant je regrettais vraiment de ne pas l'avoir enlevée à son père lorsque j'en avais eu l'occasion. Elle ne pouvait se souvenir que nous ayons été proches, tout juste pouvait-elle inconsciemment le ressentir.
Elle m'intima l'ordre de dormir et je m'exécutai en l'observant, distraitement, écrire dans un vieux carnet à la reliure abimée. Je connaissais cet ouvrage, elle avait le même plus jeune et je supposais donc qu'elle devait éprouver une certaine consolation en continuant d'écrire ses pensées comme naguère.
Bientôt mes paupières furent lourdes et je cessai de lutter contre la fatigue, je tombai dans les bras de Morphée au moment même où je cru percevoir un sourire sur le fin visage d'Ilona.
oOo
Quelques heures plus tard, un tiraillement me sortit du sommeil. Je jetai un coup d'œil à ma jambe et constatai avec soulagement que j'avais commencé à cicatriser.
Ilona dormait, en position fœtale comme un petit animal perdu. Sa respiration régulière inspirait à un repos paisible. Je l'observais, son visage juvénile était cruellement murît par un air sérieux qui semblait persister à chaque seconde de sa vie.
Elle frissonna et je remarquai, grâce au ciel obscurcit, qu'il neigeait. Je trouvai une couverture à proximité de nous et enveloppai avec précaution mon hôte providentielle. Son visage se détendit et je me risquais à déposer un baiser sur son front plissé d'inquiétude. Elle poussa un soupir mais garda les yeux clos, elle dormait toujours.
Je repris ma place et me laissais submerger, une nouvelle fois, par le besoin impératif de mon corps à trouver le repos.
oOo
Lorsque je m'éveillai de nouveau, j'entendis une voix lointaine me demander de ne pas faire trop de bêtises durant la journée. Le ton employé me fit sourire intérieurement. C'était celui d'un adulte conseillant un enfant et l'ironie, perceptible, était plutôt plaisante.
Elle disparut dans un bruissement de feuillage et j'entrepris de me mettre en position assise. Avec une grimace j'y parvins. Je regardai autour de moi et découvris rapidement une sorte de bibliothèque encombrée. Je me tirai avec difficulté jusqu'aux ouvrages et en pris un au hasard. C'était visiblement un livre d'histoire. J'entrepris de le lire, après tout, Ilona ne reviendrait pas avant, très certainement, la tombée de la nuit. Il fallait donc que j'occupe ma solitude.
Celle-ci ne fut, d'ailleurs, pas complète. A peine une vingtaine de minutes après le départ d'Ilona, je fis face à son cousin, et soupirant d'Helén, Olek. Le jeune garçon aux yeux noisette sembla observer de manière vague l'intérieur de la demeure, son regard indiquait qu'il était exténué. Soudain il m'aperçut et lorsque nos regards se croisèrent il se figea et j'entendis son rythme cardiaque doubler. Il était surpris, même effaré de me voir ici. Il est vrai que moi non plus je m'attendais pas vraiment à passer la journée dans un arbre dans lequel loge le leader non officiel des rebelles.
Je choisis donc de jouer la carte de l'indifférence et de faire comme si cette situation était parfaitement normale et que j'étais tout à fait à mon aise. Au vu de son expression, je pense que ma technique fonctionna. Néanmoins il me regarda comme si je m'étais échappé d'un hospice lorsque je lui souhaitai une bonne journée. Je dois avouer, qu'en effet, c'était peut-être de trop.
Enfin, il était reparti aussi pâle qu'un linge, ce qui m'arrangeait profondément. Quelques minutes après son départ, je me surpris à sourire, Ilona allait très certainement avoir une petite discussion à mon sujet avec Olek. Ça m'ennuyait de la mettre dans l'embarras mais au moins, j'aurais un sujet de conversation lorsqu'elle reviendrait.
Je me suis assez vite rendu compte de l'idylle naissante entre le cousin d'Ilona et Helén, j'aurais certainement du les empêcher de se voir, mais il se trouve que le sourire, depuis longtemps disparu des lèvres de celle que je considère comme ma petite-fille, qu'elle porte depuis qu'ils se fréquentent m'a fait revoir mon jugement. De plus, ce n'est pas un mauvais garçon. J'ai par ailleurs, rarement rencontré une personne aussi tolérante et respectueuse que lui. Je me trompe rarement dans mes analyses et je pense que le jeune Olek est quelqu'un de confiance. Je ne verrais aucun inconvénient à ce qu'il rejoigne nos rangs, bien au contraire. C'est de personnes comme lui dont nous avons besoin des personnes de confiance et qui savent se battre ailleurs que sur un terrain d'entraînement. Je n'ai pas besoin de soldats aristocratiques mais de guerriers survivants.
oOo
Le reste de la journée fut calme, et je m'ennuyais presque de mon hôte. Je voulais lui parler, j'ignorais quoi lui dire, mais j'éprouvais l'irrésistible besoin de la voir. Je voulais en partie m'assurer qu'elle allait mieux que ce que j'avais pu voir… Je voulais tout simplement la connaître, je voulais retrouver l'enfant capable de me rendre humain. Je voulais croire qu'elle n'était pas morte en même temps que son père et son frère, je voulais croire que je me trompais en me reprochant la disparition des siens.
J'étais en train de ruminer de sombres pensés lorsqu'elle est finalement rentrée. Ses joues étaient bleuies par le froid, mais elle semblait tremblante d'excitation et elle souriait légèrement. Elle se déchaussa et remit du bois sec dans la cheminée improvisée avec intelligence dans un grand tronc creux recouvert d'enduis. La chaleur m'atteignit et je me sentais presque bien, si ma jambe ne me faisait pas autant souffrir je pense que j'aurais même apprécié d'être ici. Ensuite, elle m'adressa un bref salut, auquel je répondis vaguement en levant les yeux de mon livre, et se pelotonna dans sa couverture avant de recommencer à écrire.
Au bout d'un temps, elle sembla avoir moins d'inspiration et je posai mon livre afin de pouvoir converser un peu avec elle. Ilona se tourna vers moi et je fus pris au dépourvu, j'ignorais totalement comment commencer. Alors j'abandonnai ma dernière nuance de crédibilité et de dignité et commençai avec un très original « merci ».
Elle hocha la tête et je crus un instant qu'elle allait se replonger dans son travail. Je me giflais intérieurement lorsqu'elle ajouta en baissant le regard.
« _ Je ne pouvais pas vous laisser mourir de toute façon. »
Ce n'était certes pas les paroles les plus encourageantes et chaleureuses que j'avais pu entendre, mais cela me donna tout de même un peu d'espoir. Même si le sens de sa phrase me paraissait quelque peu ambigu.
« _ Pas après ce que vous avez fait pour moi avec Helén. Pas après ce que j'ai fait… Cela n'effacera jamais l'ardoise de mes crimes, mais vous ne pouviez pas mourir, je me devais de vous sauver… Continua-t-elle, toujours sans me regarder. Elle enchaina : Avez-vous faim ? Je suis allée chasser, si vous souhaitez, je peux vous préparer quelque chose…
_ C'est très gentil de ta part Ilona, mais pour le moment ça va ». Mentis-je. Je ne voulais pas lui imposer de ressortir afin de me préparer à manger. « Et tu ne me dois rien du tout ». Ajoutai-je en essayant de capter son regard fuyant.
_ « C'est parfait dans ce cas. Trancha-t-elle. Me laisseriez-vous examiner vos blessures? Je tiens à voir si rien n'est infecté. » Ajouta-t-elle.
Elle ne me laissa même pas le temps de répondre et s'affaira toujours sans me regarder. Je bougeai un peu lorsque ses doigts effleurèrent ma jambe meurtrie mais tachais de ne pas protester lors du déshabillage. Le souvenir d'Auban complètement saoul me revint alors à l'esprit, je ressentis un pincement au cœur en me l'évoquant il n'avait toujours été comme cela, avec Lívia, ils étaient même très heureux avant qu'elle ne soit transformée en vampire... Ilona avait certainement, déjà, du, coucher son père et même le dévêtir à de nombreuses reprises, ce qui pouvait expliquer pourquoi elle s'occupait de moi sans rien laisser paraître.
Elle changea mes bandages et vérifia son attelle sans un mot. Puis elle nettoya le sang sur mon visage et mes bras avec un linge humide. A cet instant, hormis son air taciturne et les cernes creusant son visage, elle ressemblait vraiment à Helén. Elle acheva sa tâche d'une façon mécanique qui trahissait sa fatigue, je lui pris les poignets avant qu'elle ne s'écarte de moi.
Ilona me fixa avec curiosité. Elle ne chercha pas à se dérober et je la lâchai donc pour pouvoir lui parler sans la mettre mal à l'aise. Elle m'aida à me redresser un peu plus et elle aperçu quelque chose qui attira son regard. Elle ouvrit le haut de ma tunique avec précaution et souleva du bout des doigts un pendentif doré de forme circulaire : le sien, perdu il y a cinq ans dans sa fuite. Elle fit rouler entre son pouce, son index et son majeur la médaille portant le symbole de la famille Corvinus avant de refermer sa main dessus. Elle sembla perdue dans ses pensés et je me risquai à poser ma main sur son poing serré autour du précieux souvenir. Elle frissonna mais ne me repoussa pas, je passai mon pouce sur le dos de sa main en lui demandant si elle souhaitait que je le lui rende. Elle hocha négativement la tête avant de déclarer qu'elle me faisait confiance pour garder son secret. Je ne pu m'empêcher de sourire. Je devais vraiment avoir l'air très idiot à ainsi montrer tous mes sentiments mais étrangement, devant Ilona, cela ne m'avais jamais vraiment dérangé.
Elle finit par lâcher le pendentif et murmura qu'elle allait dormir. Il m'invita à faire de même et s'allongea en me tournant le dos. Elle s'endormit rapidement et je l'observais. Je n'étais pas fatigué et trop de souvenirs envahissaient mon esprit pour que je puisse trouver le repos. De plus je ne suis pas habitué à dormir la nuit. J'ai donc poursuivi ma lecture en jetant, de temps en temps, un petit coup d'œil à ma jeune sauveuse.
Environ une heure plus tard, un éclair zébra le ciel et fit trembler toute la cabane. Le tonnerre suivit en un grondement assourdissant. La foudre n'était pas tombée loin. Je jetais un coup d'œil par la porte en toile de la maisonnette et observais le spectacle lumineux. J'avais toujours plutôt apprécié ce genre de manifestation naturelle qui fait d'ordinaire peur au commun des mortels. Lorsque la neige s'éleva en grandes bourrasques et tourbillons j'attachai solidement les cordons de fermeture et me remis au lit sous une couverture. La foudre continuait de tomber dans la plaine et je soupçonnais que l'orage serait bientôt sur la forêt.
A l'autre bout de la pièce, Ilona sursauta. Elle s'était recroquevillée dans ses couvertures et ne semblait pas vraiment à son aise. Petite, elle avait peur, tout comme Helén, des orages, en particulier à cause des feux qu'ils peuvent déclencher. J'ignorais à cet instant si elle avait vaincu cette peur ou non.
Soudain, le sol trembla et un immense fracas se fit entendre. Je sursautai de surprise et mon hôte étouffa un gémissement que j'identifiai comme étant de la peur. Un arbre était tombé tout près d'ici. La foudre tomba une nouvelle fois, illuminant l'intérieur de la maison et Ilona se leva rapidement et en tremblant. Elle porta son regard sur moi et je perçus sa terreur sans peine. Elle hésita un moment avant de venir se glisser dans les couvertures avec moi, mettant ainsi de côté sa fierté. J'allais émettre une moquerie lorsqu'elle me devança :
« _ La ferme, vous. » Grommela-t-elle en tentant de conserver un peu de dignité dans le ton de ses propos.
Elle rendit cependant les armes lorsqu'un nouveau coup de tonnerre la fit se cramponner à mon bras, elle enfonça ses ongles dans ma chair et je laissai paraître une grimace. Elle avait tout de même un peu de force pour une presque humaine. Je réussis à dégager mon bras endoloris afin de l'installer un peu plus confortablement près de moi. Elle grogna quelque chose d'incompréhensible lorsque je posai sa tête contre mon torse et l'enroulai dans une énième couverture afin qu'elle ne prenne pas froid. Elle se détendit un peu et je sentais qu'elle avait atteint ses limites pour cette nuit. Je passais donc mes bras autour d'elle et entrepris de dormir dans le but de l'inciter à faire de même. Elle bougea un peu, toujours en bredouillant je ne sais quoi, afin de trouver une position confortable. Elle finit par se presser d'avantage contre moi, posant un de ses bras en travers de ma poitrine et prenant garde à ne pas toucher ma jambe cassée. Je passai ma main dans son dos et au bout de quelques minutes, alors que la tempête faisait toujours rage dehors, elle sembla s'apaiser.
Nous restâmes cependant éveillés tout le long de ce déchaînement des éléments et ce fut uniquement lorsque les calmes flocons recommencèrent à tomber dans un silence cotonneux qu'elle se rendormit. Le dernier mot que j'entendis fut « merci » et je me dis sur l'instant que nos conversations risquaient d'être assez limitées à ce rythme.
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Lorsque je m'éveillai le lendemain, Ilona n'était plus là mais je sentais, à la chaleur qui imprégnait toujours les couvertures qu'elle n'était pas partie depuis très longtemps. Je passais de nouveau ma journée à lire jusqu'à son retour où elle examina mes blessures et me proposa à boire, ce que j'acceptai cette fois-ci. Elle me remercia à nouveau et nous passâmes presque une heure à nous fixer en silence, aucun d'entre nous deux ne souhaitant commencer à parler. Puis elle s'approcha de moi et se glissa dans les couvertures avec un petit air gêné qui était plutôt attendrissant. Elle ne dit pas un mot et s'endormit.
Ce petit manège dura pendant quelques jours et s'installa comme une routine, jusqu'au soir où je décidai qu'il était temps que nous commencions à discuter. Elle fut un peu surprise puis au fil des heures y pris goût. Je découvrais ainsi une jeune fille courageuse, érudite et maternelle, avec des avis sur la plupart des sujets, un sens de la justice exacerbé et une envie de vengeance qu'elle peinait à contrôler. Au bout d'une semaine elle me parlait sans crainte de son amie Ili, enceinte d'un illustre inconnu, d'Aurél, le frère celle-ci et son mentor, d'Olek, son cousin qui est comme un frère à ses yeux, ses efforts pour essayer de parler à Helén de ce qu'il ressent pour elle et même des avances malsaines de Goran à son égard.
Je dois bien avouer que j'ai très rarement conversé aussi longtemps avec la même personne sans m'en lasser et j'éprouvais un merveilleux sentiment de sérénité. A vrai dire, même si mes blessures étaient presque totalement guéries je n'envisageais pas de repartir de si tôt.
OoooooO
à bientôt! :-)
