Chapitre 8 : « Au nom des miens »

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3 Mai 1207,

Plusieurs mois ce sont écoulés depuis que j'ai pris le commandement des rebelles humains. Je ne sais pas si l'on peut dire que je me débrouille bien ou mal dans cette tache, mais toujours est-il que le nombre des nôtres à être envoyés comme tribut pour payer la protection des vampires a fortement diminué. Nous offrons une résistance bien plus farouche et sommes peut-être plus soudés que lorsque Goran nous dirigeait. Les premiers temps ce dernier n'osait pas me regarder dans les yeux et se contentait de me maudire lorsque j'avais le dos tourné. Puis avec un peu de recul il s'est rendu compte que je n'étais pas si idiote que cela et qu'il était dans mes compétences de réussir à prendre des décisions pour un groupe. Il accepta finalement de m'aider. Nos rapports demeurent glacials mais je dois bien reconnaître qu'il sait parfaitement diriger un groupe de soldats.

Olek a décidé, pour ma propre sécurité, qu'il serait préférable que je ne traite pas en personne avec les seigneurs qui nous demandent des droits d'accès aux terres d'Árpád. Nous contrôlons toute la région, rien ne sort ni ne rentre sans que nous en soyons informé. J'ai accepté qu'il prenne ma place, après tout, je ne serais certainement pas encore en vie sans lui et son indéfectible soutien. Et puis les hommes ont la fâcheuse tendance à ne vouloir parler qu'avec d'autres hommes. Le monde est misogyne ce n'est pas vraiment nouveau et il est vrai que je ne suis guère impressionnante physiquement et que ma capacité à garder mon calme peut parfois se révéler très limitée. Olek est donc une bonne alternative, nous sommes de plus souvent du même avis, ce qui est très utile car nous n'avons pas besoin de beaucoup de concertation pour mettre au point une stratégie, qu'elle soit politique ou militaire.

Mon père m'a expliqué de nombreuses choses lorsqu'il était encore en vie. Je ne m'en étais jamais rendue compte avant ces derniers temps, mais il a fait en sorte que je sache me sortir de tout un lot de situations plus complexes les unes que les autres. Je me suis même aperçue qu'une bonne heure à débattre pour mettre tous mes hommes d'accord se révélait aussi éreintante qu'une heure à combattre. Je serais presque prête à plaindre les conseillers des châteaux environnants car leur quotidien est vraiment épuisant. Je dors très peu, je suis de plus en plus sur mes gardes et inquiète. Je n'arrive pas à trouver le repos, trop de choses tourbillonnent sans cesse dans ma tête. Je dois penser à tout et toujours à ce qui est le mieux pour le plus grand nombre. Je ne peux plus être égoïste et ne penser qu'à ma propre sécurité et celle de la famille de Goran. Je dois voir plus grand pour protéger le maximum de personnes. Cela m'effraie un peu, mais je ne peux confier mes craintes à personnes, trop de gens comptent sur moi et je dois être capable d'assumer mes décisions en toute circonstance.

Mais la nuit, loin de toute l'agitation, je redeviens l'enfant que je suis, terrorisée par tout ce qui se passe autour d'elle. J'ai peur de moi-même et de ce que je suis capable de faire. J'ai déjà du ordonner des exécutions et jamais je ne pourrais oublier à quel point les mots sont durs à prononcer dans ces moments. J'ai vu des gens mourir, c'est presque devenu banal de nos jours et j'ai peur de perdre ce que j'ai de plus précieux à mes yeux, mon humanité. C'est bien entendu un souci purement personnel, mais cela me conviendrait s'il était le seul à me tourmenter une fois seule et allongée. Zán est toujours au château d'Árpád, prisonnier, et je sais que mon coup d'éclat n'aidera pas à le faire sortir des geôles. Le pire dans cette sombre affaire c'est qu'il m'est impossible, et pourtant l'envie ne me manque pas, de négocier sa libération. C'est une de mes préoccupations personnelle qu'il vaut mieux que j'oublie pour le moment. Lorsque les hommes que je forme seront prêts à agir d'eux-mêmes il est possible que je tente d'aller chercher mon petit-frère adoptif. Je pense que ce jour ne tardera pas à arriver et je l'espère car j'aimerai également partir à la recherche d'Ili lorsque j'en aurais le temps et la liberté. Je n'ai toujours pas de nouvelles de mon amie, cela fait des mois qu'ils ont disparus avec son frère. Elle devrait arriver au terme de sa grossesse dans moins de trois mois, j'espère pour elle que son père n'a rien découvert et que la raison de sa disparition est qu'elle s'est enfuie pour se mettre en sécurité. Les loups-garous s'agitent également de plus en plus, comme s'ils sentaient qu'un changement risquait de bientôt se produire. Je le sens également, l'envie de me transformer devient de plus en plus forte, mais j'y résiste, ce n'est pas le moment de se laisser aller.

Le dernier jour passé avec Viktor me parait si lointain à présent. Il s'en alla le lendemain de ma victoire sur Goran, après avoir passé une bonne partie de la journée à nous embrasser et nous étreindre. Je ne suis pas spécialement fière de m'être retrouvée devant lui en petite tenue et je me demande parfois ce qui se serait passé s'il ne m'avait pas repoussée avant que nous n'allions trop loin. J'ai honte de cela, je me suis comportée comme une idiote, il suffit qu'un vampire potentiellement aussi instable émotionnellement que moi passe à proximité pour que je tombe dans ses bras. Pitoyable. J'ai, l'espace d'un instant, espéré que je n'avais été aussi démonstrative avec lui qu'à cause de mon grand état de fatigue mais je me suis assez vite rendue compte que je nourrissais réellement des sentiments à l'égard de l'aîné des vampires le moins conciliant. Cette découverte n'a fait que rajouter un problème supplémentaire à ma liste déjà longue. Je pensais pouvoir me débarrasser rapidement et facilement de celui-ci, mais malheureusement Viktor m'a fait comprendre que ce léger problème était l'un de ceux que nous avions en commun lors de notre dernière entrevue, hier même.

J'appréhendais particulièrement nos retrouvailles, car après tout, nous n'étions pas dans le même camp et j'avais tout de même conduit certains de ces gardes à une mort certaine en envoyant quelques loups-garous sur eux pour défendre mes hommes. De plus l'aîné avait cru bon de filer avant que je ne me réveille, laissant juste un mot sur un bout de parchemin pour me recommander d'être prudente et de prendre bien soin de moi. Le courage des hommes m'impressionnera toujours… Pour cette entrevue, Olek prenait ma place comme à l'ordinaire, mais une fois n'est pas coutume je restais dans la tente. Nous nous étions installés en terrain neutre, à l'orée de la forêt, ainsi les vampires n'avaient pas trop de chemin à parcourir pour nous rejoindre et il y avait peu de risque pour leur sécurité.

Markus n'avait pas aimé que nous lui demandions de se rendre sur place au lieu de venir nous même, mais c'était bien entendu une stratégie visant à les déstabiliser au maximum, si l'on pense bien entendu qu'il est possible de déstabiliser des vampires plusieurs fois centenaires. C'est pour cela qu'il se montra implacable durant toute la durée des négociations. Amélia et Viktor, ainsi que les divers conseillers furent également sur la défensive devant chacune de nos propositions et je me rendais pertinemment compte qu'ils ne voulaient pas nous laisser la moindre chance d'obtenir ce que nous voulions. Ils se sentaient profondément humiliés que des humains osent se mettre en travers de leur chemin. Des humains âgés de moins d'un quart de siècle qui plus est.

Nous avions décidé de partir sur d'exigeantes propositions afin d'obtenir, à l'aide de compromis, ce qui nous voulions. Bien entendu nous n'espérions pas que notre demande visant à ne plus leur fournir d'esclaves soit acceptée, mais de peur de devoir dévoiler leur nature aux yeux de tous et d'être contraints de révéler le sort réservé aux nôtres une fois à l'intérieur du château, les vampires acceptèrent que nous leur en cédions un tiers de moins. Pour moi, c'était presque une victoire car c'est l'un des objectifs qui me tient le plus à cœur. Faire en sorte que les vampires se contentent d'animaux pour se nourrir et laissent les nôtres en vie.

Concernant le contrôle de nos frontières, ils furent cependant beaucoup plus agressifs ne supportant pas d'être cloîtrés dans un territoire réduit. Il faut dire que j'ai à présent tellement d'aisance à faire obéir les créations de William qu'il m'est très facile d'empêcher quiconque de s'approcher. Et au vu des regards que Viktor me lança durant tout l'entretient il savait que j'étais l'unique responsable de se fait. Je sentais bien que c'était certainement une de mes actions qui le dérangeait le plus. Nous sommes identiques sur ce point. Aucun de nous deux n'aime être enfermé. Lorsqu'Olek annonça calmement que c'était les humains qui avaient les loups-garous de leur côté et non le seigneur Markus, je crus que ce dernier allait lui arracher la tête pour autant d'insolence. Les autres n'en menaient pas large mais n'étaient tout de même pas satisfaits. Voyant que la situation risquait de vite dégénérer, je fis signe à mon cousin d'abandonner la partie et de leur rendre le libre accès aux frontières. C'était un mal pour un bien après tout, nous avions déjà obtenu une réduction de l'impôt à leur verser en contrepartie de leur protection en cas d'attaque de loups-garous, pour la simple et bonne raison que ceux-ci étaient sous mon contrôle strict. Bien entendu mes amis aux dents longues l'ignorent mais après tout, il faut bien jouer les cartes que l'on a en mains et puis ce qu'ils ignorent ne peut pas leur nuire. La surveillance des frontières pourrait s'effectuer d'une autre manière.

Nous discutâmes plusieurs nuit durant, les journées qui entrecoupaient nos négociations étaient destinées à nos autres occupations, arrêter et piller les convois en direction de la demeure des vampires en est une particulièrement demandeuse de temps pour sa bonne réalisation car il faut ensuite redistribuer les biens de façon équitable et gérer les éternels conflits de propriété qui y sont liés. Je souhaite être informée de tout, je pense que cela est nécessaire étant donné la place que j'occupe dans tout cet enchevêtrement décisionnel. Ceci implique donc une certaine résistance à la fatigue, je ne dormis que très peu durant les négociations et la lassitude finit par apparaitre de façon persistante le dernier jour. Heureusement notre entrevue avec les vampires ne durant qu'une bonne heure, le temps de régler certains détails futiles comme le disait si bien Markus, je pus aller me reposer directement après. Je n'avais aucune envie de dormir dans l'une des tentes que nous avions montées, je ne m'y sentais pas en sécurité, aussi pris-je sur moi l'effort qu'impliquait le fait de regagner le refuge. Je fis une petite entorse à ma promesse faite à Viktor durant son séjour, cette promesse impliquant de ne pas abuser des transformations en loup. J'étais bien trop épuisée pour courir jusque là, je risquais de m'écrouler bien avant la clairière. Quant à emprunter un cheval cela n'aurait pas été très discret.

A peine arrivée à destination, je me hissai avec difficulté jusqu'en haut. Je ne pris pas la peine de me rhabiller, après tout je n'attendais pas de visite et mon cousin m'avait déjà vue nue un nombre incalculable de fois, cela ne le dérangerait pas, et je me roulai en boule pour ensuite sombrer tranquillement dans les ténèbres du sommeil.

Lorsque je me réveillai, la première chose que je remarquai fut que je n'étais plus étendue dans l'entrée mais dans la petite chambre de ma cabane. Et cette personne suffisamment attentionnée pour m'allonger confortablement avait également jugé bon de me couvrir d'une couverture. Je n'avais aucune envie d'ouvrir les yeux, je ne rêvais que d'une seule chose, me rendormir, et tant pis si quelqu'un se promenait en toute impunité chez moi. Je fis cependant l'effort presque surhumain, en raison de ma fatigue, de me retourner vers le coin le plus sombre de mon repère, y sentant une présence. Un homme était plongé dans la lecture d'un de mes livres, il semblait détendu et très heureux d'être là.

Je soupirai, Viktor faisait exactement comme s'il était chez lui. Le vampire se tourna vers moi et m'adressa un simple « Bonjour Ilona, j'espère que tu as bien dormi » qui me désarçonna. Je comprenais à présent la surprise d'Olek le jour où il trouva Viktor blessé chez moi. L'aîné parlait sur le ton de la conversation, insinuant que tout était parfaitement normal et qu'il n'y avait aucune raison pour qu'il se trouva ailleurs qu'en ce lieu. Je lui lançai un regard ahuri avant de me lever à la recherche de trouver quelque chose à me mettre sur le dos. Viktor m'avait vue nue en me couchant, il était hors de question qu'il me voit de nouveau dévêtue, j'ai tout de même une certaine dignité et j'aurais préféré qu'il me voit en tenue d'Ève parce que je l'avais décidé et non parce qu'il se permettait de s'inviter chez moi quand bon lui semblait.

Il me tendit une tunique d'un air dégagé et je lui arrachai des mains, de mauvaise humeur. J'enfilai le vêtement et sortis de la pièce en veillant à ne pas faire entrer la lumière du jour dans celle-ci. Mon invité était très certainement sans-gêne mais pas désagréable au point d'avoir envie de lui infliger de douloureuses blessures. Je me lavai rapidement dans la grande cuve en bois qui me sert de baignoire, faisant chauffer l'eau du bout des doigts (c'est l'une des seules applications sans danger potentiel que j'ai réussi à trouver en faisant usage de mes capacités surnaturelles) et m'habillai avant de rejoindre Viktor, toujours plongé dans sa lecture.

Mon ventre émit un grondement mécontent et je me rendis compte que je n'avais rien avalé de solide et consistant depuis au moins trois jours. L'aîné se tourna vers moi à nouveau m'annonçant qu'il avait chassé un lapin avant de venir me voir. Je lui lançai, vexée, que je savais encore me nourrir toute seule et que je n'avais pas besoin de nourrice pour veiller sur moi, Olek et Helén remplissant d'ailleurs ce rôle à la perfection.

Mon cousin et ma demi-sœur se voient beaucoup moins depuis qu'Olek et moi dirigeons les rebelles humains, mais je sais de source sure qu'ils s'envoient des lettres de façon presque quotidienne. Au début je me moquais un peu d'eux, puis Olek me fit remarquer que j'étais tout simplement jalouse de tant de petites intentions envers ma sœur. Sur le moment j'avais bien entendu démenti vertement ses propos, puis en réfléchissant, je me dis qu'il n'avait pas tord du tout, j'apprécierais également que quelqu'un pense à moi de cette façon. Et bien que je ne sois pas d'un naturel romantique, je me mis soudainement à faire des rêves de lettres enflammées. Au moins cela était beaucoup plus agréable que mes habituels cauchemars, mais ceux-ci revinrent rapidement et le terme enflammé pris tout d'un coup un sens beaucoup moins poétique.

Je n'attendis pas qu'il me réponde et sortis dans l'entrée, trouvant effectivement le gibier posé sur la table, parfaitement découpé. Viktor avait même poussé le zèle jusqu'à le faire fumer. Je mangeai en silence avant de me rediriger dans la chambre. L'aube venait à peine de se lever, Viktor devrait rester toute la journée avec moi, j'en riais d'avance, n'ayant aucune idée de sujet de conversation pouvant être approprié à la situation tendue entre les rebelles et les vampires. L'aîné était toujours plongé dans sa lecture, c'était visiblement à moi de parler.

_ Quelle est la prochaine étape ? Demandai-je avec ironie. Vous me refaites la décoration intérieure ?

_ J'y songerai. Répond-il en se posant son livre pour se tourner vers moi avec un petit sourire moqueur. Il faut dire que j'avais l'air particulièrement puéril avec les poings sur les hanches.

_ Merci pour le repas. Dis-je en me détendant, et je n'eus pas trop besoin de me forcer pour redevenir polie. Et merci de m'avoir allongée dans mon lit… même si j'aurais préféré que vous ne me voyiez pas nue.

_ Lorsque tu prenais des bains avec Helén, au château, il m'arrivait de vous surveiller. Dit-il en haussant les épaules, mais je savais bien qu'en réalité il était beaucoup plus gêné qu'il ne le laissait paraître.

_ C'est le genre de choses dont il m'arrange de ne pas pouvoir me souvenir. Grommelai-je en m'asseyant à côté de lui. Si vous en avez d'autres dans le même genre, je vous remercierais de ne pas m'en faire part.

Viktor sembla sur le point de répliquer quelque chose mais je l'en empêchai en me laissant aller contre lui, après tout il était venu sans ma permission alors il pouvait au moins me réconforter. Cela ne sembla pas le déranger et il m'allongea en laissant reposer ma tête sur ses genoux, je fermai les yeux quelques minutes, savourant seulement le sentiment de sécurité que j'éprouvais en compagnie de Viktor. Puis, je me retournai sur le dos pour faire face à son regard. L'aîné était silencieux, il se contenta de décaler quelques mèches de mes cheveux du bout des doigts, pour libérer mon visage, m'arrachant quelques frissons au passage. Nous nous fixâmes un moment sans rien dire avant que Viktor ne pousse son livre plus loin. Il glissa une de ses mains dans mes cheveux d'un air penseur et légèrement contrarié. Il voulait me parler de quelque chose qui ne me plairait certainement pas. Son autre main se trouva rapidement prisonnière des miennes et il me laissa jouer un moment avec ses doigts avant de reprendre la parole.

_ C'était très audacieux de ta part de proposer des négociations. Dit-il d'un ton calme.

Je haussai simplement les épaules, j'avais fait ce que me paraissait être la meilleure solution pour tout le monde et également la plus pacifique.

_ C'est d'ailleurs pour saluer cette incroyable insolence dont tu fais preuve que le conseil a accepté. Reprit-il. Ils sont intrigués, c'est la première fois qu'un humain se permet une telle chose sans trépasser dans l'instant. Je dois admettre que je m'y attendais un peu pour ma part. C'est le genre de choses que ton père faisait souvent, provoquer. Et je dois admettre que cela a plutôt bien fonctionné. Me trompe-je en affirmant que tu as obtenu plus que ce que tu ne souhaitais en premier lieu avec cette semaine chargée en discours et en habiles manipulations ?

_ Non, en effet. Répondis-je. Je suis plutôt satisfaite de ce que nous avons pu acquérir comme droits supplémentaires, mais je ne compte pas me reposer sur mes lauriers, quelque chose me dit que vous n'allez certainement pas me laisser vous faire agir à ma guise. Mais soyons sérieux Viktor, je doute que ce soit pour me féliciter que êtes venus jusqu'ici. Et je doute également que ce soit une simple visite de courtoisie, vous avez eu de nombreuses occasions de m'en rendre et vous ne les avez pas exploitées. Etant donné les circonstances actuelles, ce serait malvenu de me laisser penser que vous veniez juste me passer le bonjour.

Il esquissa un nouveau sourire.

_ T'aurais-je manqué ? Demanda-t-il narquois.

Je rougis. Les lettres me revinrent à l'esprit mais je les chassai rapidement. J'hésitai à démentir ses propos parce qu'il avait vu assez juste même si je n'étais pas prête à l'admettre. Je finis par ne rien dire me contentant d'éluder son regard en tournant la tête. Il sembla satisfait et après avoir ébouriffé mes cheveux, me tirant une grimace, reprit sur un ton beaucoup plus sévère que je devinai être celui qu'il emploie lors des réunions du conseil vampirique.

_ Je souhaiterais cependant te mettre en garde contre nos tueurs. Si jamais ils surprenaient quelqu'un en train de donner des ordres aux créatures de William, ils n'hésiteraient pas à tuer cette personne sur le champ. Aussi te recommande-je la plus grande prudence lorsque tu le laisse aller à ce genre de choses…

Je me relevai, m'arrachant à son début d'étreinte, je voyais très bien où il voulait en venir, le fait que je puisse avoir les loups de mon côté n'arrangeait visiblement personne et certainement pas les vampires. Alors quand bien même Viktor était effectivement sincère lorsqu'il me faisait part de son inquiétude, il était hors de question que j'ignore un atout aussi puissant. Je lui fis part de mon refus catégorique et il soupira en maugréant que j'étais bornée et inconsciente. Je me levai et fis le tour de la pièce, prise d'un profond agacement. Je n'avais cependant aucune envie de me disputer avec lui. Se rendant compte qu'il n'y avait pas moyen de discuter de ce genre de chose en toute sérénité il préféra changer de sujet en me demandant comment j'allais. Je lui répondis que j'étais épuisée, ce qui était la vérité et que j'étais terriblement inquiète pour de nombreuses raisons.

Il m'invita à me rassoir près de lui. J'acceptai et le laissai passer un bras dans mon dos pour me caler contre lui. Il me demanda si j'avais des nouvelles d'Ili et face à ma réponse négative il parut soudainement très inquiet. Je le questionnai mais il m'assura ne pas en savoir plus que moi. Je savais qu'il me cachait certainement quelque chose mais s'il avait connu la position de mon amie il me l'aurait certainement divulguée. Il sait à quel point je tiens à elle. Nous abordâmes également le sujet « Zán » et cette fois-ci je laissai échapper une larme, je sentais que tout risquait de très mal se finir et j'étais effrayée, je le suis toujours à présent. Mon rôle dans toute cette histoire ne peut que porter préjudice aux personnes que j'aime. Le seul à être vraiment en sécurité dans cette affaire, c'est Viktor de par son statut d'aîné des vampires.

Viktor sentit mon trouble et me prit doucement dans ses bras, ce n'est que lorsque j'entendis d'étranges bruits franchir la barrière de mes lèvres que je compris que je pleurais réellement et que j'étais totalement exténuée et terrorisée par ce dont j'étais capable. L'aîné me pressait contre sa poitrine en silence, attendant que je me calme de moi-même. Je lui avouai au bout d'une dizaine de minutes que j'avais peur de ce que je venais de déclencher. Il me fit remarquer que je ne pouvais pas repartir en arrière mais qu'il n'y avait aucune raison que cela se passe mal. Il ajouta à mon oreille qu'il ferait lui-même en sorte qu'il n'arrive rien de trop fâcheux. Il murmura que le roi de Hongrie lui avait répondu et qu'il comptait bien étudier ma demande que Viktor avait appuyée. Cette nouvelle me remplit d'une joie telle que j'embrassai le vampire sans trop réfléchir. Il parut étonné par ce soudain élan de spontanéité et ne réagit pas vraiment lorsque nos lèvres se touchèrent. C'était certainement la meilleure nouvelle pour moi depuis que je sais que le père d'Ili ne relâchera jamais mon petit frère de substitution. Il laissa échapper un très comique « Ces humains… » et j'éclatai d'un rire nerveux.

Viktor me tapota le dos en attendant que je me calme. Sitôt cela fait, je retrouvai la peur qui m'habite depuis le début de la pseudo-rébellion que je préside. Je fis passer mes bras autour du cou de l'aîné afin de me presser davantage contre lui, en quête de chaleur (ce que j'avoue être assez contradictoire lorsque l'on se rend compte que Viktor est d'apparence tout sauf chaleureux). Je me décidai donc à lui avouer ce qui me fait, égoïstement, le plus peur.

_ William communique de nouveau avec moi. Murmurai-je.

Bien entendu, je ne m'attendais pas à ce qu'il saute de joie en apprenant la nouvelle. Je pensais qu'il se raidirait, qu'il me repousserait certainement, ce qu'il fit en premier lieu, mais certainement pas à ce qu'il me parle sur ce ton accusateur.

_ Et tu le laisses faire ? Ne penses-tu pas que tu ferais bien mieux de l'ignorer ?

_ Croyez-vous que je le fasse exprès ? Répondis-je en me décalant de lui également, piquée au vif. Ce n'est pas comme si j'avais le choix ! Et puis sa présence est parfois rassurante. Ajoutai-je presque pour moi-même.

_ Enfin Ilona ! S'exclama Viktor. C'est un loup-garou ! Tu ne dois pas le laisser s'inviter dans ton esprit de la sorte ! Qui sait ce qu'il pourrait de convaincre de faire…

_ Un vampire s'invite bien chez moi. Répliquai-je, en colère.

Le vampire en question s'empourpra, il n'avait pas aimé la comparaison ce que je pouvais comprendre car je n'aurais pas apprécié non plus. Il se calma avec difficulté avant de me demander de plus amples détails. Je lui expliquai qu'il voulait la plupart du temps juste discuter un peu, pour rompre la solitude de son enfermement. Il hocha la tête en m'écoutant. Lorsqu'il fut convaincu que le frère de Markus ne cherchait pas à me manipuler il se détendit. Ce fut alors à lui de me rassurer en me faisant comprendre que cela n'avait certainement aucun rapport avec le reste des évènements et que c'était sans doute mon état de fatigue et ma baisse de vigilance qui avaient permis à William de me recontacter. Il me questionna sur mes transformations et je lui avouai mes difficultés à reprendre, parfois, forme humaine. Il mit également cela sur le compte de l'anxiété et me recommanda de déléguer un peu plus, en laissant par exemple, Olek gérer seul certaines rencontres, sans l'observer à distance. Je savais qu'il me parlait de meneur d'hommes à meneuse d'hommes et je fus touchée qu'il me considère comme une égale.

Voyant que j'étais vraiment épuisée il me proposa de parler de choses plus légères, ce que j'acceptai avec joie. Notre conversation dériva donc vers le seul sujet intéressant et gai du moment, l'amourette entre mon cousin et ma sœur. Je me sens parfois un peu mal de me moquer d'elle de la sorte, mais la connaissant un peu à présent, j'ai l'intime conviction qu'elle et Olek doivent également parler de l'attention que me porte Viktor. C'est pourquoi je riais avec lui sans culpabiliser. Il me narra la réception de la dernière lettre et je ne pu que sourire. Ma sœur a parfois quelques difficultés à diriger ses animaux comme elle le souhaite et le dernier malheureux oiseau employé comme messager avait fini au milieu de la grande salle du conseil. Heureusement celle-ci était vide et ce fut Tanis qui récupéra la lettre d'Olek et qui la donna à Helén non sans un petit regard en coin qui en disait très long.

Au bout d'une heure à discuter de tout et de rien je me rendis compte que mon invité était également beaucoup plus éreinté qu'il ne le laissait paraître. Je lui proposai donc de dormir, après tout j'avais moi-même encore sommeil. Il accepta la proposition et nous nous allongeâmes l'un en face de l'autre en silence. Viktor me rapprocha de lui avec douceur, je pensai qu'il voulait m'embrasser sur le front mais il releva mon menton pour s'emparer de mes lèvres. Mon cœur s'affola ce qui le fit rire, il devait certainement trouver que les humains étaient décidément très émotifs. Je le fis taire en l'embrassant à mon tour. Après quelques minutes à nous laisser aller à de petits jeux amoureux Viktor me déposa sur sa poitrine, m'enlaçant de ses bras. Nous commençâmes à nous endormir, sereins, l'un contre l'autre. Je me laissais bercer par les battements du cœur de l'aîné et appréciais à leur juste valeur les quelques caresses que Viktor effectuait sur mes épaules et mon dos. J'allais m'endormir lorsqu'il ajouta avec une certaine malice que je ne lui connaissais pas encore que je n'étais pas la seule à être perturbée par mes sentiments.

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