Hello! Comme promis nous quittons à nouveau Ilona pour quelques chapitres (3 en comptant celui-ci normalement), ils seront narrés du point de vue d'Helén et de Viktor. J'espère que ces petites variantes vous plairont! :)

Bonne lecture!


Souvenirs d'Helén 1 : Le maître des loups

OoooooO

8 Juillet 1207,

Viktor dit toujours qu'il faut assumer ses choix et les décisions que l'on prend, mais peut-on réellement considérer un choix qui s'impose en tant que véritable choix personnel ? Ce que j'entends par là est tout à fait simple : il arrive parfois que l'on se retrouve confronté à une situation tellement inédite que les possibilités d'action en deviennent restreintes, et parfois le choix que l'on fait pour y survivre n'est pas celui qui correspond le plus à nos convictions. Non pas que je cherche à justifier ce que j'ai fait, non pas que je cherche à m'en décharger, loin de moi cette idée. Je cherche cependant à clarifier les choses. Je suis fidèle au conseil, et au monde vampirique, n'en faisant pourtant pas entièrement partie moi-même, et à tout ce qui s'y rapporte. Je ne dis pas que ma fidélité me définit mais c'est cependant un trait de personnalité qui me tient à cœur. C'est pourquoi je me questionne sur le poids d'une trahison si celle-ci est forcée. Si un simple petit manquement peut permettre de sauver des vies innocentes, a-t-on le devoir de s'y résoudre ?

Viktor dit également de moi que je pense trop. C'est certainement vrai, mais comme le dit si bien mon cher frère « elle n'a que ça pour elle de toute façon, mieux vaut ne pas se hasarder à lui demander autre chose que ses élucubrations fumeuses ». Il ne fait pas bon de n'être qu'à moitié vampire de nos jours, bien que je ne sache toujours pas si mon frère est aussi antipathique envers moi à cause de ma nature ou bien à cause de mes choix de vie. Ne pas considérer les humains comme des êtres inférieurs est plutôt mal perçu au sein de notre peuple, à croire qu'ils oublient que bon nombre d'entres eux sont nés humains. De ce point de vue, je suis certainement plus « pure » que la majorité. Mais là n'est pas la question, encore une fois, je m'égare.

Je disais donc que j'étais fidèle au conseil, pour la simple et bonne raison que malgré quelques décisions fort douteuses, ils nous permettent de façon remarquable de survivre paisiblement dans nos châteaux. Les conseillers n'ont certainement pas la science infuse mais tout du moins remplissent-ils le rôle qui leur a été attribué, après tout, personne ne leur en demande plus. Par décision douteuse, j'entends par exemple séquestrer un petit garçon afin de faire plier un chef rebelle qui n'est autre que son grand-frère. Je ne juge pas l'efficacité de la méthode, celle-ci est indéniable, mais plutôt son éthique. Personnellement, je trouve que la lâcheté du geste n'a d'égale que la stupidité de la réaction du principal concerné. Récupérer son frère, certes, en profiter pour tenter de tuer des innocents, je ne cautionne pas vraiment.

oOo

« _ Crois-tu que cela soit le moment de rédiger un traité de philosophie ? » me demanda Olek lorsqu'il vint m'interrompre dans mon ouvrage, en se réveillant. A sa décharge, ce n'était effectivement pas le meilleur moment, mais cependant, j'en avais réellement besoin. Après tout, qui sait ? Peut-être qu'un jour ces quelques mots jetés ça et là feront-ils réfléchir ceux qui les liront ? Mais je m'emballe, il est plus que temps que je redescende sur Terre et que je laisse ce sentiment d'euphorie loin de moi, il faut impérativement que j'ai les idées claires.

Ilona me manque, mon plus grand regret est certainement de lui avoir obéi et de l'avoir laissée sur place, au château. J'ai beau savoir que Viktor fera en sorte qu'il ne lui arrive rien, je ne peux m'empêcher de frissonner à l'idée de tout ce qu'ils seraient capables de lui faire. Surtout après sa récente démonstration durant l'attaque des loups-garous il y a presque, maintenant, deux jours.

Ils avaient surgi de nulle part et envahi la cour du château en un temps record, les humains s'étaient réfugiés dans les bâtiments, tandis que les miens (enfin, ceux qui en étaient en mesure) se battaient. Le combat était, une fois de plus, totalement inégal. Les créatures de William, bien que l'orgueil des miens leur fasse dire le contraire, sont beaucoup plus fortes que les vampires et nous nous faisons régulièrement massacrer lorsque nous sommes en sous effectif. Malgré les consignes, pourtant claires, que Viktor m'a données en cas d'attaque, j'éprouvais la nécessité de m'assurer qu'Olek et Ilona étaient sains et saufs. Je me dirigeai donc en courant vers les bâtiments les plus éloignés des quartiers habitables dans lesquels je me trouvais, serrant de la main la dague qui ne me quitte jamais depuis la mort de mon père.

Partout sur ma route, je croisais des vampires en habits aristocratiques zigzaguant et criant, une terreur profondément marquée plaquée sur leurs visages déformés d'effroi. Aucun n'allait se battre, tous fuyaient, laissant aux soldats l'entière responsabilité de la sécurité du château. Je ne suis moi-même pas une guerrière, mais cependant, je sais me défendre et prendre les armes ne me rebute pas s'il s'agit de protéger ceux que j'aime.

J'évitais comme je le pouvais la masse grouillante qui se précipitait vers la crypte, seul endroit vraiment imprenable de la forteresse et me faufilais dans le couloir menant aux grands escaliers. Au fur et à mesure de ma progression, une grande clameur parvenait à moi, toujours plus proche, toujours plus effroyable, et ce ne fut que lorsque j'arrivais au niveau de la cour que je compris que les loups-garous avaient réussi à pénétrer les premières lignes de notre armée. Je me figeai, le sang ne m'avait jamais rebutée, ni même vraiment attirée à vrai dire me nourrir comme ceux de mon espèce était plutôt une corvée, alors que les vampires se délectaient naturellement de ce breuvage mais ce que je voyais devant moi dépassait tous les combats auxquels j'avais pu assister.

Des corps par dizaines maculaient le sol de la grande entrée et l'on ne voyait presque plus les dalles de pierre tellement le liquide rougeâtre s'était répandu. Les cadavres des vampires se mêlaient à ceux des humains qui avaient voulu fuir et à ceux des loups-garous qu'ils avaient abbatus.

Un bras ensanglanté voltigea à quelques centimètres de mon visage et tomba mollement derrière moi, éclaboussant ma robe. Je laissais échapper un hoquet et la peur commença à m'envahir, si les loups-garous étaient déjà dans le château, sans doute avaient-ils réglé depuis longtemps, leur sort aux humains entassés dans les granges peu solides. Sans que je sache vraiment pourquoi, au lieu de la douleur que je pensais ressentir en imaginant les corps inertes de ma sœur et de mon « ami », ce fut la haine qui l'emporta et je saisis machinalement l'épée tenue par le bras dépourvu de propriétaire. Mon réflexe me sauva, car l'instant d'après un loup immense se tenait devant moi, me menaçant de ses griffes et de ses crocs.

La bête tenta de m'attraper avec son énorme patte et appliquant sans réfléchir ce que mes formateurs avaient tenté de m'inculquer à l'entrainement, je me jetai sur le sol afin de l'esquiver avant de me relever derrière lui et d'abattre mon arme sur ce qui avait du être un avant-bras. Le choc de ma lame contre l'os de la créature résonna dans tout mon bras, m'arrachant une grimace, puis un cri lorsque le membre du loup-garou céda finalement. Je lâchai l'arme et plaquai mon poignet gauche contre ma poitrine en gémissant. Celui-ci, au vu de son axe douteux, était très certainement déboité. Lorsque je repris enfin contenance je me trouvais nez à nez avec mon adversaire que la perte d'un membre n'avait pas empêché de nuire autant que je l'aurais souhaité.

Je n'eus cependant pas le loisir de détailler la gravité de ma situation car l'énorme animal s'effondra devant moi, laissant apparaître Viktor, particulièrement furibond. Il m'empoigna le bras et me tira dans l'escalier en me criant ma sottise aux oreilles et en grommelant que je méritais bien Ilona comme sœur. J'en conclus donc que cette dernière avait encore du trouver un moyen de l'agacer en se mettant en danger, ce qui en soit, n'était pas très ardu. Lorsque nous atteignîmes un endroit plus calme, il me remit sur mes pieds et avisa mes jambes flageolantes, je tremblais de peur et de douleur, comprenant à présent que j'avais certainement fait une erreur en partant à la recherche de ma sœur. Je balbutiai des excuses et l'Aîné, sans même me laisser le temps de me justifier, me serra contre lui. Je laissai échapper une plainte lorsque mon poignet meurtri se heurta à la cuirasse de mon « presque grand-père » et celui-ci se redressa, brusquement tendu et me considéra rapidement de haut en bas, arrêtant son regard vers mon avant-bras. Il me prit la main et malgré mon envie instinctive de protéger ma blessure, je me laissai faire. Le petit craquement et la douleur fulgurante qui s'en suivirent de sa rapide manipulation me suffirent à comprendre que je pouvais à nouveau me servir de mon côté gauche.

Je remerciai faiblement Viktor, l'excitation du combat retombant progressivement et sans pouvoir me contrôler, me mis à sangloter comme une petite fille. L'ainé me serra de nouveau brièvement avant de poser ses mains de chaque coté de mon visage, me forçant à le regarder dans les yeux. Nombreux sont ceux qui craignent Viktor, mais ce n'est pas mon cas. A mes yeux l'Aîné représente la figure paternelle que je n'ai jamais eu la chance d'avoir au vu de la nature de mon géniteur, et plus que de l'admiration pour lui, je ressens le plus grand des respects. Ce fut donc pour cela que je soutins le regard glacé du vampire lorsqu'il m'intima de le faire.

_ Va chercher le petit garçon et mets-le en sureté. Dit-il de son habituel ton qui n'attendait aucune réponse de ma part.

J'opinai, je ne comptais, de toute façon pas, retourner au milieu des combats. Une question cependant me brulait les lèvres, et l'Aîné le comprit. Certainement car une similaire dérivait dans son esprit préoccupé.

_ Ilona va bien. Ajouta-t-il en me frottant l'épaule. Je l'ai vue regagner le sous-sol avant que les loups-garous n'abattent la grange.

J'acquiesçai, presque soulagée et, de façon inattendue, le visage de l'Aîné s'illumina d'un bref éclat taquin, totalement déplacé au vu de la situation. Viktor avait visiblement comprit que la survie d'une autre personne me tenait vraiment à cœur.

_ Olek s'est élancé derrière sa cousine après avoir été certain qu'elle ne le voyait pas. Je pense qu'à l'heure qu'il est, il doit être quelque part dans ces murs. Murmura-t-il en commençant à s'éloigner. Et puis… ajouta-t-il, s'il avait des ennuis, tu le saurais, n'est-ce pas ?

Je ne pus m'empêcher de rougir. Lorsque je relevai enfin la tête, bredouillante, le vampire avait disparu. Parfois je déteste Viktor et sa manie de comprendre un peu trop bien comment les personnes de son entourage fonctionnent.

oOo

Retraverser le château jusqu'aux appartements des divers vampires fut très aisé, Markus avait jugé bon de confiner Zán dans l'un d'eux, les cachots n'étant de toute façon pas indiqués pour les enfants. De plus, qui penserait à aller le chercher là-bas ? Goran visiblement… car au vu de la pièce vide dans laquelle je me retrouvai, quelqu'un d'autre avait eu la même idée que notre Aîné. Dans un premier temps prise de panique je restai figée sur place, incapable de prendre une décision, l'esprit paralysé. Ce fut uniquement lorsqu'une petite main saisit la mienne que je repris pied dans la réalité.

Janelle.

La fille de Markus me tirait la main avec autant de force que sa nature d'hybride pouvait lui fournir, je connaissais cela, cette faiblesse et cette farouche envie d'égaler ceux qui sont de sang pur. Je me baissais vers la petite, effarée qu'elle puisse se promener dans le château sans surveillance alors que les loups-garous pouvaient monter à tout moment. Je la morigénai en lui expliquant qu'il était très imprudent qu'elle erre de la sorte. Elle m'adressa un sourire moqueur et je n'eus pas besoin de lui demander ce qu'elle pensait pour deviner qu'elle me faisait remarquer que ma remarque s'appliquait également à ma propre personne. Elle n'avait pas entièrement tort, au détail près qu'au contrario d'elle je ne serai jamais amenée à remplacer l'un des aînés si l'un d'eux venait à trépasser. Viktor a beau me traiter parfois d'une façon qui me rappelle celle d'un père, nous n'avons cependant aucun lien biologique, or, seul le sang compte.

Janelle me tira par la manche jusqu'à un pant du mur de la chambre dans laquelle nous nous trouvions, je remarquai alors qu'une des bibliothèques était décalée par rapport aux autres. Ainsi donc j'étais très loin de connaître la totalité des passages secrets du château du premier vampire. La fillette passa la première entre le bois et la pierre en m'ordonnant presque de la suivre, elle n'avait que sept ans, mais je devinais déjà qu'elle aurait un don certain pour le commandement une fois l'âge adulte atteint. Je ne crus pas bon de lui demander comment elle avait découvert ce passage ci car je ne savais que trop bien que son jumeau et elle étaient cloîtrés au sein de ces murs, à l'instar de ma personne avant que je ne décide de prendre le risque de m'attirer les foudres de Viktor en sortant quelques nombreuses fois dans les villages alentours.

L'escalier que nous empruntâmes était sinueux et humide, le bruit des gouttes d'eau creusant la pierre rythmait notre progression, nous enfonçant dans les profondeurs avant de remonter abruptement quelques dizaines de mètres plus loin. Janelle m'indiqua qu'ils s'étaient cachés dedans avec Liam lorsque les adultes avaient dit que des loups-garous arrivaient, ils étaient persuadés que le passage menait à la crypte et leur surprise avait été grande lorsqu'au lieu du souterrain attendu ils s'étaient retrouvés au beau milieu de la salle du conseil, déserte. Elle m'expliqua également qu'ils avaient décidé d'emmener leur « nouvel ami » Zán avec eux pour qu'il puisse aussi être protégé. Je souris faiblement devant la naïveté de Janelle, la petite fille ne pouvait comprendre que la survie de l'humain était bien loin de préoccuper les membres de l'assemblée, trop soucieux de mettre la main sur ceux qui viendraient le secourir. Liam, son frère, était resté en bas avec Zán tandis que Janelle était remontée car ils avaient oublié de dissimuler l'entrée de leur cachette, c'était totalement par hasard qu'elle m'avait croisée et décidé de me montrer sa trouvaille, oubliant un instant que nous étions attaqués.

J'écoutais ses babillements enjoués en la suivant, tenant instinctivement le manche de l'épée, que j'avais récupérée sur un cadavre sur le chemin, avec fermeté, j'avais le pressentiment que je ne trouverais pas ce à quoi je m'attendais en sortant du passage. Lorsque l'obscurité fut enfin troublée par la lueur des torches de la grande salle, je notais que la moitié d'une heure à peine s'était écoulée depuis le début de l'attaque, les grandes chandelles nous servant à mesurer le temps n'avait que peu été consumées. Lorsque j'aperçus Zán et Liam assis un peu plus loin, près du trône de Viktor je ne cachai pas mon soulagement et courus vers eux, heureuse de m'être trompée. Finalement Goran n'avait pas trouvé son frère le premier, j'avais été plus rapide et aurais certainement le temps de mettre tout le monde en lieu sûr.

Tandis que les jumeaux Corvinus ne semblaient pas comprendre l'enjeu des combats qui se déroulaient à quelques pas de notre position, Zán affichait une mine grave, du haut de ses six ans, le frère de Goran possédait une maturité forgée par les récents événements. En l'espace de quelques jours il était devenu un tribut, puis un esclave, et enfin une monnaie d'échange, un objet de pression. Je m'étais insurgée à de nombreuses reprises, mais l'avis d'une adolescente de presque quinze ans n'a que peu de valeur au milieu des rouages encrassés du système vampirique.

Je tentais de rassurer l'enfant lorsqu'un petit cri de Liam me fit me retourner vers l'entrée du tunnel secret, visiblement plus si secret que cela car même les humains semblaient se l'approprier, à l'instar de Goran qui avait profité de ma minute d'inattention pour attraper Janelle et plaquer sa lame contre le cou gracile de la fillette. Je me figeai et laissai instinctivement tomber mon épée afin de montrer à mon adversaire que je ne comptais pas l'attaquer. Goran avait l'air encore plus terrifié que moi, ce qui se passait au dehors le dépassait quand bien même pouvait-il en être l'un des instigateurs. Janelle s'était mise à pleurer et son frère était prêt à l'imiter lorsque je réussis enfin à rassembler suffisamment de courage pour parvenir à articuler quelque chose d'audible. J'avais beau faire comme s'il ne s'était rien passé, je ne pouvais m'empêcher de trembler lorsque je croisais le frère adoptif d'Ilona depuis notre altercation dans les bois. Il me faisait plus peur que n'importe quel humain et je le savais dangereux. La façon dont s'était terminée mon entrevue avec lui avait laissé des marques cuisantes dans mon esprit, il m'avait prise au dépourvu, nous n'étions que deux et ses hommes et lui une petite dizaine, ne souhaitant blesser personne et trop surprise pour réfléchir je m'étais retrouvée dans une position de faiblesse inacceptable pour quelqu'un de mon espèce, mésaventure qui m'avait value par la suite un sermon mémorable de Viktor et une réitération de mon interdiction de sortie. A croire que mon aîné préféré n'a toujours pas compris qu'il ne réussira pas à me cloîtrer aussi facilement.

_ Ne fais rien que tu pourrais regretter, lui dis-je.

Il ricana. Cependant son rire qui se voulait certainement assuré transportait des échos de doute, l'humain était véritablement dépassé par les événements, ce qui ne me rassurait pas le moins du monde. Quelqu'un sur son ordre, bien que je suppose qu'il ne soit que le pantin d'un plus grand ennemi, avait lâché les loups sur nous et il y avait visiblement quelques imprévus. Je me demande encore ce qui était prévu dans leur contrat : certainement juste une diversion et non un massacre de masse, Goran ne porte pas les immortels dans son cœur, mais il est bien trop malin pour souhaiter notre mort à tous, trop conscient du fait que nous régulons les attaques des loups d'une manière conséquente. Certes, ma sœur peut se révéler d'une grande aide dans ce domaine, mais elle n'est ni omnisciente, ni invulnérable.

Les mains de Goran tremblaient sur sa garde, Janelle gigotait dans ses bras, je voyais bien que la petite fille avait peur de tenter de se dégager alors qu'elle en avait parfaitement la force, elle doutait, tout comme moi, de la réaction que pourrait avoir l'humain qui la tenait en otage. S'il s'en prenait à l'un des enfants des aînés ce serait perçu comme une déclaration de guerre et je devinais qu'il ne voulait pas en arriver là, en tout cas, plus maintenant. Si cela avait été son but premier, je sentais qu'il regrettait d'y avoir songé face aux conséquences dramatiques pour les siens.

Instinctivement je fis passer Liam et Zán derrière moi, créant une barrière physique entre les enfants et le rebelle, je voyais dans ses yeux qu'il n'y toucherait jamais, peut-être qu'en lui prouvant que je partageais son opinion sur la chose, pouvais-je tenter de calmer la situation ? Mon intuition était la bonne car il relâcha Janelle qui courut vers moi pour se jeter dans mes bras avant de fondre en larmes. Je remerciai Goran pour cet éclat de sagesse et remarquai alors le visage défait de mon adversaire, il était désespéré.

_ Je veux juste sortir d'ici, dit-il d'une voix brisée. Je veux juste quitter ce maudit château avec mon frère.

J'acquiesçai en silence puis lui demandai avec douceur s'il accepterait de laisser Janelle et Liam rejoindre le tunnel afin qu'ils puissent se mettre à l'abri avec les autres vampires. Je lui promis, voyant son air dubitatif, que je l'aiderai à faire sortir Zán du château. Il sembla réfléchir quelques secondes avant d'accéder à ma demande sans broncher. Avec fermeté je détachai les jumeaux des pants ensanglantés de ma robe, les deux petits me regardèrent avec terreur et je leur assurai qu'ils n'avaient rien à craindre, ni pour eux, ni pour Zán ou moi. Liam sembla rassuré, mais pas Janelle qui refusait de me quitter, balbutiant des propos incompréhensibles à propos de ce que représenterait comme danger le « maître des loups ». Comme de nombreux habitants du château, je ne prête que peu d'attention aux propos parfois incongrus des enfants de Markus, quelle erreur ! J'allais me rendre compte quelques minutes plus tard que ces quelques mots insensés au premier abord, étaient en réalité d'une grande importance. Quand à celui qui avait demandé à Janelle de me les transmettre, je n'avais que peu de doutes sur son identité.

Liam finit par réussir à trainer sa sœur jusqu'au passage et je m'assurai qu'ils avaient bien disparu dans la pénombre avant de m'autoriser à me détendre. Goran resserra sa poigne sur son arme et je fis tout mon possible pour me montrer apaisante.

_ Je t'ai promis que je vous aiderai à sortir, lui rappelai-je, n'aie crainte je tiens toujours parole.

oOo

La seule issue que j'envisageais pour faire sortir Goran et Zán sans croiser ni vampires ni loups-garous consistait à employer la rivière souterraine qui coulait à quelques mètres sous nos pieds. Elle ne sert normalement qu'à certains échanges commerciaux et le petit port aménagé par les aînés ne comporte qu'un seul bateau de taille remarquable et quelques petits voiliers sans grande valeur, autrement dit, personne n'y allait jamais, nombre des nôtres ne sachant de toute façon pas nager. Il fallait tout simplement, pour que mon plan réussisse, que nous réussissions à traverser tout le château sans nous faire repérer, ce qui fut très loin d'être simple.

Nous avions fait la moitié du chemin lorsque nous tombâmes sur deux loups-garous égarés et visiblement affamés. Je vis Goran blêmir, l'humain savait qu'il n'avait pas la moindre chance face à ces créatures, aussi le conviai-je à reculer et à rester derrière moi avec son frère. Tout vampire de mon âge est normalement capable de se défaire d'un loup-garou, l'entraînement que nous dispensent les gardes missionnés par les aînés pour cette tâche est conçu de telle sorte que n'importe quel membre du clan puisse être capable de défendre le conseil en cas de conflit. A ma connaissance, les quelques heureux dispensés des heures d'escrime et de tir sont ceux se destinant à une carrière politique. Même Tanis, l'archiviste a du se plier à ce réglementent. Mon cas est un peu différent. Je suis la première hybride vampire-humaine à avoir vu le jour, aussi, Viktor ne savait-il pas à quoi s'en tenir et préférait me garder à l'écart de tout ce qui pourrait me faire me servir de mes capacités hors norme. C'était sans compter sur le fait que je chercherais à m'entraîner, seule en premier lieu, puis avec quelques conseils d'Ilona lorsque nous commençâmes à être de bonnes amies. Inutile de préciser que « ravi » ne fut pas le terme approprié pour décrire l'aîné lorsqu'il comprit que je quittais le château en douce pour aller apprendre l'art de la guerre auprès de ma sœur que je n'étais pas censée fréquenter. Au lieu de me punir, Markus lui avait conseillé de me laisser suivre la même formation militaire que les autres jeunes, avec les recrues. Bien évidemment, à demi-humaine à douze ans, face à des hommes vampires pleinement adultes, je ne faisais pas vraiment le poids et je dus déclarer forfait après quelques fractures. Cependant, grâce au bon vouloir d'Amélia et à son soucis vis-à-vis de l'avenir de sa propre fille, je pus continuer à apprendre, d'une façon moins soutenue, avec l'aînée en question.

J'avisai le premier loup avec prudence, à l'affut du moindre geste montrant que l'attaque était imminente. La bête ne perdit pas de temps et se rua vers nous tous crocs dehors. Usant de toute ma force, je poussai Goran et Zán sur le côté, leur permettant ainsi d'éviter une des pattes griffues de la créature. Les deux humains roulèrent sur le sol poussiéreux et l'aîné attrapa courageusement son épée, au cas où les loups réussiraient à passer mes défenses. Je n'en menais pas très large, le deuxième loup était pour le moment trop loin pour être à ma portée et ne semblait pas vraiment pressé de rejoindre son congénère, ce qui, heureusement, me facilitait tout de même la tâche. Je n'avais pu éviter totalement les griffes de la bête et l'une d'elles m'avait entaillée la pommette, manquant de quelques centimètres mon œil. Cela n'était pas vraiment douloureux, mais l'odeur du sang avait tendance à exciter les loups-garous autant que les vampires.

Mon adversaire tenta une nouvelle approche frontale et cette fois-ci j'avais anticipé ses mouvements, si bien que dès lors qu'il fut à la portée de mon bras, j'attaquai son cou avec vigueur, lui causant de sérieuses entailles dont s'échappèrent des flots de liquide vermeil. J'achevai la créature de William d'un nouveau coup d'épée et le monstre s'effondra sur le sol, reprenant, sous les yeux épouvantés de Goran et Zán, forme humaine. Je n'eus cependant pas le temps d'expliquer aux humains toute la complexité des différentes formes de métamorphoses car le second loup-garou fonça sur nous, il semblait plus rapide, plus vif et certainement plus jeune que son prédécesseur qui avait laissé la place à un homme d'une quarantaine d'années. Je ne pus parer complètement le coup et me retrouvai au sol, mon épée à quelques mètres de moi, ayant voltigée durant le choc. Un peu sonnée je tâtonnais pour trouver ma dague et profiter d'être à demi sous mon adversaire pour pouvoir viser son flan, lorsque je vis le loup tanguer dangereusement, puis une lame surgir de par son torse. Goran me tira en arrière par les épaules et la bête s'écroula au milieu du couloir, à un mètre à peine de son congénère, dévoilant, dans sa chute, Ilona et Olek, se tenant derrière elle. La lame d'Olek se retira de la chair du loup comme si elle avait été plantée dans du beurre et Ilona récupéra la flèche qui avait transpercé la tête de la créature non sans trop frémir en découvrant le vrai visage de celui qu'elle venait d'abattre avec son cousin, celui là ne devait pas avoir plus de seize ans.

Zán émit un piaillement enthousiaste en se ruant dans les bras d'Ilona, je ne pouvais à présent plus nier de l'attachement de ma sœur pour sa « nouvelle famille ». Elle serra brièvement le petit garçon dans ses bras avant de se tourner vers le frère de celui-ci qui m'aidait à me relever. Elle avait l'air aussi furibond que Viktor lorsqu'il avait appris que je m'étais introduite clandestinement dans l'infirmerie du château pour assister à une autopsie d'un loup-garou, le matin de mes huit ans. Ma passion de la science et de l'anatomie était déjà bien implantée dans mon trop jeune esprit.

Je ne saisis pas l'intégralité de tous les jurons et autres politesses que ma sœur adressa à Goran tout en déposant Zán dans les bras d'Olek. Si le jeune homme protesta et lui rendit la pareille les premières secondes, il finit cependant par se taire lorsqu'Ilona évoqua la libération des esclaves ainsi que leur mort quasi-certaine en raison de la forte affluence d'immortels en tous genres. Moi qui ne pensais pas Goran capable d'une once de compassion, je fus surprise de le voir s'inquiéter pour autre chose que sa personne ou celle de son frère. L'humain comprenait à présent son erreur. Je grommelais, face à ses excuses piteuses, que s'il avait pu s'apercevoir de sa bêtise quelques heures plus tôt, nombre de vies auraient pu être préservées. Ilona m'adressa un regard noir en me signifiant clairement que ce genre de remarque était bien inutile dans le cas présent et je maudis d'être incapable de me taire lorsque la sottise des Hommes était telle qu'elle m'irritait au point que je ne puisse contenir mes mots. Je déteste le gâchis, et encore davantage le gâchis de vies innocentes. Ma sœur finit par faire taire tout le monde lorsque les voix de Markus et Viktor résonnèrent dans le couloir dans lequel nous nous trouvions. Elle était aux aguets, tous ses sens en alerte et je dus me répéter qu'elle était plus humaine que moi afin de ne pas m'inquiéter de ses attitudes prédatrices.

Je me proposais d'aller à leur rencontre tandis que mes compagnons s'échapperaient car après tout, j'étais la seule dont la présence en ces murs était parfaitement légitime, mais Ilona me retint par la main, suppliante. Ce fut là que je compris ma sœur n'avait jamais eu l'intention de quitter le château en passant ses grilles la veille, elle avait déjà fait son choix depuis longtemps. Je secouai la tête et protestai, à mes yeux elle n'était pas obligée de sacrifier sa liberté. Olek mit plus de temps à saisir ce à quoi je faisais allusion et s'opposa également à l'idée. Ce ne fut que lorsqu'Ilona avança le fait indéniable qu'elle était la seule à pouvoir arrêter les loups qu'il rendit les armes. Goran lui attrapa cependant le bras pour lui demander pourquoi elle souhaitait sauver les vampires, qui après tout, étaient en partie responsables de la situation dans laquelle elle se trouvait. Lorsqu'après avoir levé les yeux au ciel j'avançais que les vampires protégeaient tout de même relativement bien les humains des créatures de William, il se tut cependant.

Ilona poussa Olek en direction de la sortie, mais ce dernier, mortifié, refusait de laisser sa cousine. Je pris sur moi de lui mentir en lui indiquant qu'au vu de son rôle dans la révolte les vampires la traiteraient de façon relativement décente pour en tirer les informations qu'ils souhaitent et que de toute façon, je veillerais sur elle quoiqu'il arrive. Je savais bien entendu que la seule chose pour souhaitait le conseil, c'était en être débarrassé et que malgré toute ma bonne volonté et l'amour de Viktor la majorité l'emporterait toujours. Bien que les aînés quant à eux, envisageaient plutôt de la recruter.

C'est à ce moment qu'elle me poussa vers Olek, Goran et Zán, me demandant de les conduire à la sortie, et ce malgré le fait que j'avais eu tout le loisir d'expliquer à Olek la complexité de l'agencement du château de Markus, lors d'une de nos dernières entrevues. Mon ami était tout à fait capable de guider les deux frères au travers du dédale de couloirs pendant que j'aidais ma sœur à sauver sa vie auprès de mes congénères. Face à mes protestations elle répliqua froidement qu'il valait mieux pour moi que je me trouve loin d'elle pour préserver ma relative innocence vis-à-vis des récents événements. J'eus envie de répliquer que les conseillers n'étaient pas sots au point de ne pas faire le lien entre nous rien qu'en nous mettant dans la même pièce, avant de me rendre compte de l'évidence : ils en étaient bien capables ces incapables.

Alors que Zán commençait à s'agiter dans les bras d'Olek, prenant conscience de la gravité de la situation et que les voix des vampires devenaient audibles pour le commun des mortels, je pris sur moi d'arracher mon ami à la vue de ma sœur et de le trainer, avec Goran et son frère, vers un autre couloir, descendant. Ilona m'adressa un sourire que je compris de remerciement et je ravalai une vague de douleur au fond de moi, j'avais un horrible pressentiment. Comme si je ne reverrai jamais ma sœur telle qu'elle était ce jour-ci. Elle pressa une dernière fois ma main de la sienne et partit en courant en direction des voix.

oOo

Je menais les humains depuis quelques minutes lorsque les paroles de la petite Janelle me revinrent en mémoire et que je pris pleinement conscience de leur signification. J'ignore ce que la fille de Markus peut ressentir des autres immortels, peut-être que sa nature lui confère, comme à moi, quelques particularités, bien qu'elle soit trop jeune pour qu'elles soient repérables. La plupart des personnes possédant des « capacités » s'aperçoivent de leur différence au moment de la puberté, hormis évènement traumatisant activant précocement des mécanismes défensifs, selon les recherches de Viktor sur le sujet. La durée de vie des sujets ne dépasse cependant que rarement la vingtaine d'années en raison de la chasse aux sorcières permanente au sein des communautés vampiriques et humaines, il n'est en effet pas bon de se distinguer de son prochain. La fillette, d'à peine sept ans ne pouvait donc, normalement pas, faire usage de capacités sur-surnaturelles, à l'instar de son frère. Cela ne veut cependant pas dire qu'elle est parfaitement insensible aux signaux que peuvent envoyer d'autres chimères. J'avais aussi senti, tout comme ma sœur, certainement, la présence de ce « maître des loups » comme l'appelait Janelle, mais j'étais bien incapable de le situer ou de percevoir quoique ce soit d'autre que son existence, émanant de lui. Je frissonnais, instinctivement je craignais cette personne pouvant prendre le dessus sur ma sœur, cela n'impliquait rien de bon.

Olek me regarda l'air soucieux, captant mon trouble. Lui aussi partageait mes craintes, ayant vu Ilona fléchir face à la volonté de notre assaillant, mais ne savait que faire pour remédier à la situation, dépassé par tant de choses inexplicables pour un simple humain tel que lui. Je lui envie parfois un peu son statut et la simplicité d'existence qu'il implique, bien que dans le cas de mon ami, les êtres immortels n'étaient guère jamais loin.

_ Ils avaient l'air tellement organisés, remarqua-t-il. Je n'avais jamais rien vu de tel. Ils formaient une véritable meute, comme de vrais loups. Ilona m'a dit que ce genre de phénomène était rarissime, les loups-garous ne possédant pas l'intellect nécessaire à cette tâche.

_ Sauf si quelqu'un les guide, les prive de leurs choix, murmurai-je en poussant une des dernières portes qui nous séparait du port souterrain.

_ Je sais que je m'y connais beaucoup moins qu'Ilona ou toi mais… quelque chose me chiffonne, commença-t-il en posant Zán sur le sol, qui s'empressa de venir saisir la main de son frère Goran, silencieux, un peu plus loin derrière.

Je scrutai son visage furtivement, le trouvant en intense réflexion. J'admire sa capacité à conserver son calme devant autant de bizarrerie, n'importe qui aurait déjà cédé à l'hystérie depuis longtemps face au surnaturel ambiant.

_ Tu penses à l'énergie qu'il faudrait fournir pour contrôler une meute de cette taille ? M'enquis-je.

Il acquiesça et je lui avouai qu'il s'agissait également d'une de mes plus grandes préoccupations. Soit cette personne était extrêmement puissante, ce qui pourrait s'avérer désastreux, soit elle était suffisamment maligne et possédait une connaissance suffisante des loups-garous pour trouver un maître parmi les loups. Or, aucune meute de cette taille ne pourrait logiquement pas exister, il y aurait bien trop de tension en raison du nombre d'individus, ne permettant pas que l'alpha puisse tous les contrôler.

_ Je me suis dit qu'il y avait peut-être plusieurs meutes réunies, reprit Olek. Selon toi, combien d'alpha une personne comme Ilona, peut-elle contrôler sans que les loups ne s'entretuent pour des motifs territoriaux ? Demanda-t-il.

Je réfléchis, interdite. Sa théorie était en effet plus logique que celle d'une seule grande meute, et beaucoup plus facilement contrôlable. Concernant le combien je ne saurais me prononcer. J'indiquai mon ignorance à Olek et celui-ci sembla déçu. Je devinais qu'il aurait voulu pouvoir aider Ilona d'une manière ou d'une autre, or nous étions bel et bien inutiles. Cette constatation m'affligeait certainement autant que lui.

_ Tout à l'heure, j'ai vu Dame Amélia abattre un loup un peu plus gros que les autres, pendant presque toute la minute qui suivit, une partie de la meute fut désorganisée. Certains loups ont même commencé à en attaquer d'autres avant qu'ils ne soient finalement abattus à leur tour avec plus de facilité que les autres. J'en ai conclu que le loup en question devait avoir le commandement d'une portion du regroupement. J'ai compté une petite dizaine d'individus.

Je le dévisageai perplexe, j'éprouvais de grandes difficultés à cacher mon admiration. La seule chose que j'aurais eu envie de faire en voyant des loups désorganisés cela aurait été de prendre mes jambes à mon cou pour profiter du répit que la situation m'octroyait et non me poser calmement afin d'en étudier le comportement. Ilona choisit visiblement un peu trop bien ses subalternes, et pour ma part je suis de toute évidence attirée par des personnes toutes aussi dérangées que moi.

_ J'en ai fait part à Ilona, me coupa-t-il avant que je n'aie le temps d'ouvrir la bouche pour m'enquérir de ce fait. Penses-tu qu'elle puisse repérer tous les loups à abattre en premier ?

J'hochai la tête, cependant dubitative. Dans notre tendre enfance, les loups n'avaient aucun secret pour nous et comprendre le fonctionnement d'une meute en établissant les rôles de chacun relevait d'un doux amusement d'une petite minute. Me concernant, je suis actuellement capable de le faire en quelques secondes, mais j'ignorais alors ce qu'il en était pour ma sœur à qui il manquait une grande partie de ses souvenirs. Tout en continuant d'avancer, couvée par le regard soucieux d'Olek je réfléchissais à ce que je pourrais bien envoyer comme message à Ilona pour l'aider à réactiver ses connaissances oubliées. Et quand bien même je trouvai une idée, encore fallait-il pouvoir la transmettre. Je n'ai jamais vraiment réussi à transmettre des messages mentaux au contrario d'Ilona qui sait partager ses pensées. Avec elle j'y parviens avec peine, et c'est surtout grâce à la perméabilité de son esprit et à ses propres capacités que je suis en mesure de lui montrer certaines choses, à l'instar du souvenir de la louve que nous avions apprivoisée ensemble. Mon esprit s'arrêta soudainement sur ce dernier fait. Nous avions cherché la meute de la louve par la suite et c'est à partir de ce jour précis que nous nous étions amusées à décortiquer les mécanismes organisationnels de certains groupes d'animaux. J'avais exactement ce que je souhaitais, un seul mot à transmettre à ma sœur pour la guider et lui faire se souvenir de la marche à suivre pour parvenir à cette connaissance.

Burja, criai-je avec mon esprit en espérant que mon message parviendrait à sa destinatrice. Tel était le nom, que nous avions donné à la louve que nous avions recueillie, en référence à un vent soufflant sur la mer adriatique.

Je n'eus cependant pas le loisir de m'assurer qu'Ilona m'avait entendue car nous venions d'arriver sur le quai, le Danube nous faisant face. Entre la liberté et mes compagnons ne se dressait plus qu'une silhouette familière dans la pénombre, celle de mon frère, Fábián.

Lorsque nous arrivâmes près de lui il empoigna son arbalète et je devinai qu'il ne nous laisserait certainement pas passer facilement. Il me dévisagea sans surprise, avec acceptation, aucune recherche d'une quelconque justification de mes actes n'était perceptible en lui, il avait l'air d'avoir deviné que j'allais venir ici, que je trahirai les miens sans trop d'états d'âme en aidant les humains à fuir.

_ Vous !?

L'exclamation sidérée de Goran me tira de mes réflexions. L'humain semblait reconnaître mon frère, ce qu'il n'aurait pas du comme nous n'étions pas censés avoir de contact avec eux, hormis à but strictement alimentaire, et ce, dans un cadre bien précis. Je regardai mon frère avec suspicion, un signal d'alerte résonnant dans mon esprit, tout m'incitait à la méfiance.

_ Ce ne sont pas des histoires qui importent aux petites filles, murmura-t-il, devinant mes pensées. Retourne dans ta chambre Helén, et je fermerai les yeux pour cette fois.

Le « dans tes rêves », réplique favorite d'Ilona, aurait parfaitement su trouver sa place dans la discussion à cet instant précis, mais j'optai plutôt pour un questionnement direct, malgré qu'il l'eut éludé dans un premier temps. Après tout lui non plus n'avait rien à faire en ce lieu et à cette heure alors que tous se battaient dans la cour contre les loups-garous. Fábián m'indiqua avec la plus grande mauvaise foi du monde qu'il tâchait juste de m'empêcher d'ajouter une ânerie supplémentaire à mon tableau de chasse déjà bien imposant. Je ne relevai pas le commentaire, me bornant à fixer les flots calmes derrière lui, réfléchissant à un moyen de faire passer les trois humains sans encombre.

Derrière moi, Goran s'impatientait, il me bouscula afin de passer avec Zán, visiblement mon frère ne l'effrayait pas. Je me promis de chercher plus tard les raisons de ce fait étrange, prévoyant que je n'aimerais certainement pas ce que je risquais de découvrir. A ma grande surprise il les laissa passer sans broncher, mais barra le passage à Olek lorsque celui-ci se décida à les suivre. Interloqués nous regardâmes à nouveau Fábián qui affichait, sur son visage, une petite moue mécontente. Je me rapprochai d'Olek et posai, protectrice, une main sur son bras. Mon frère grimaça me demandant si c'était « lui » « L'Humain » qui occupait tant mes pensées depuis quelques mois. Mon absence de réponse ainsi que la rougeur qui s'empara de mon visage suffirent à le fixer sur la réalité des faits, il soupira. Dire que mon frère n'apprécie pas les humains serait un doux euphémisme. Bien qu'étant né mortel, Fábián éprouve une farouche aversion pour le peuple de notre défunt père, et il n'avait donc jamais réellement apprécié ni Ilona, ni Olek et ce depuis leur plus tendre enfance. Effacer les souvenirs de ma sœur fut pour lui une tâche presque amusante tant sa présence au sein des vampires lui paraissait dérangeante. Nombreux sont ceux qui ferment les yeux sur cette facette de la personnalité de mon frère, ma mère et Viktor les premiers, se refusant d'admettre qu'il pouvait bien souvent tenir des propos très déplacés vis-à-vis de ma personne et de notre demi-sœur. Parfois je me demande si ma mère a vraiment été aussi douée qu'on le prétend en tant que servante de la mort car face à son propre fils elle est totalement incapable de la moindre résistance.

_ Ecarte-toi ! Le sommai-je.

Il se contenta de ricaner, trouvant, à raison, mes paroles totalement vaines. Il s'amusa quelques secondes avec Olek et moi en nous jaugeant de son arme, tandis que les deux frères s'enfonçaient dans les flots lugubres. Sur ce point j'étais soulagée, Zán était à présent en sécurité, ce pourquoi ma sœur s'était mise en danger avait pu aboutir.

Au bout de deux longues minutes Fábián se figea et pointa résolument son arme sur nous, son air moqueur avait laissé la place à celui qu'il prenait lorsqu'il s'apprêtait à user de son don d'effacement. D'un ton sans appel il annonça qu'il avait à présent fini de jouer et qu'il était dans notre plus grand intérêt de le suivre gentiment jusqu'à la salle du conseil où nous attendraient certainement une douzaine de vampires disposés à nous régler notre sort.

_ Ce que tu fais s'apparente à de la trahison, me signala mon frère sur un ton dur. Tu as voulu aider trois humains à s'échapper.

_ C'est étrange, j'ai l'impression que tu en as justement laissé filer deux, répliquai-je. J'ai hâte de voir ce que tu diras à Viktor pour justifier cela.

_ Tout simplement que je suis arrivé trop tard et que j'ai du me contenter du second du leader des rebelles que ma jeune écervelée de sœur tentait d'aider à fuir, s'étant sottement entichée de lui, déclara-t-il d'une voix calme.

_ Ce qui est en grande partie faux bien entendu.

_ Et qui penses-tu qu'ils croiront Helén ? L'adolescente rebelle alliée d'une ennemie du conseil ou bien le soldat vampire irréprochable ? Demanda-t-il avec sarcasme.

Je ravalai un commentaire désobligeant et sentit la main d'Olek se serrer un peu plus autour de mon bras, il avait peur. Sans doute trouvait-il mon frère dangereux. Il avait certainement raison sur ce point, Fábián est parfois imprévisible, seulement, je le suis également.

C'est ainsi qu'en me concentrant je perçus la présence d'une colonie de chauves-souris juste au dessus de nos têtes, étrangement calmes pour un début de nuit. Une idée me vint alors et usant de mes capacités qui terrifient tant de personnes je demandai avec toute la gentillesse du monde si mes amies ailées ne voulaient pas m'aider à me débarrasser de mon gêneur de grand frère. Leur réponse fut agréablement positive et bientôt une nuée des créatures responsables de l'apparition des vampires se rua sur mon frère, leurs petites pattes griffues en avant. Fábián poussa un cri de surprise en se débattant et je profitai de la diversion obtenue pour tirer Olek avec moi jusqu'à l'eau, ma décision était prise, je ne pouvais plus reculer, je devais partir avec lui. J'étais certaine que cela était la seule et unique décision à prendre, quelque chose me poussait à faire ce choix. Nous avions de l'eau jusqu'à la taille lorsque mon frère se débarrassa suffisamment des chauves-souris pour lancer des avertissements dans ma direction. Je lui répondis ironiquement qu'il ne lui restait plus qu'à expliquer au conseil comment il avait réussi à se faire avoir par une enfant à l'aube de ses quinze printemps et comment il avait été désarçonné par la venue soudaine d'une bande de petits mammifères inoffensifs. Sa seule réplique fut de tirer dans notre direction, visant Olek à quelques mètres devant moi. Mon frère, n'avait cependant jamais été un très bon tireur et j'en fis les frais alors que je m'apprêtais à plonger à la suite d'Olek pour emprunter un des tunnels immergés permettant de sortir directement de l'enceinte du château sans nécessité de faire quelques centaines de mètres à la nage. Le carreau d'arbalète déchira ma robe et se planta dans mon épaule, m'arrachant un petit cri de douleur qui se noya dans les eaux du fleuve. Je relevai brutalement la tête hors des flots pour reprendre mon souffle, coupé sur le coup de la surprise et j'eus juste le temps d'apercevoir le visage mortifié de mon frère avant que mon ami ne m'entraîne à sa suite, inconscient de mon état. Ce ne fut que lorsqu'il me lâcha le bras pour pouvoir avancer plus facilement et ouvrir la voie que je me rappelai que je ne savais pas nager.

Avec toute la peine du monde je réussis à avancer à sa suite, me surprenant moi-même. Mon bras gauche était engourdi et je sentais que je perdais du sang en quantité non négligeable. Ma vue commença à se brouiller mais je résistais à l'envie de fermer les yeux et de me laisser aller en battant vigoureusement des pieds afin de sortir du tunnel. J'usais de mes dernières forces pour commencer mon ascension vers la surface, la poitrine en feu, l'oxygène me manquant. Avant que le noir ne se fasse je sentis la main d'Olek saisir la mienne en me tirer vers le haut. La brulure de l'air s'engouffrant dans mes poumons, ainsi que la douleur sourde au niveau de ma blessure me firent perdre connaissance et lorsque je me réveillai, la chaleur du soleil sur ma peau m'indiqua que nous avions réussi, nous étions dehors.

Une seule question réside cependant : qu'en est-il d'Ilona ? Qu'en est-il de ma sœur ?

OoooooO


Je sais qu'au final je suis partie très loin de mon idée de journal (en grande partie parce que j'ai beaucoup de mal à me fixer des limites comme pour moi l'écriture est un moyen de détente et d'éclate totale...).

N'hésitez pas à donner votre avis sur cette nouvelle narratrice :)

A bientôt!