Attention pavé en approche!

Le ton est un peu plus léger que les chapitres précédents, peut-être est-ce du à la narratrice plus jeune que les précédents personnages directeurs du récit^^ Les immortels semblent rapidement prendre le contrôle...

Au niveau chronologie cela se passe pendant les deux prochains chapitres (oui, j'aime perdre les gens, je trouve ça super drôle^^, non en fait cela vous donne une petite idée de l'état de mon cerveau!) qui suivront assez vite comme plutôt courts!

Sur ce je vous souhaite une bonne lecture!


Souvenirs d'Helén 2 : Dans la peau d'Ilona

OoooooO

9 Juillet 1207,

La chaleur m'accablait lorsque j'ouvris les yeux, découvrant, sans trop de surprise, les murs de la cabane d'Ilona autour de moi. Le soleil était déjà haut dans le ciel et l'air ambiant était suffocant, allongée sur une couverture rapiécée, le bras gauche plaqué par un linge blanc, je tentais pendant quelques minutes de me rappeler des derniers évènements avant de remarquer Olek, accroupi à quelques centimètres de moi, torse nu. Mon ami semblait s'affairer auprès de ce qui ressemblait à des pièges à petit gibier. Je me surpris à le contempler en silence avant de m'infliger une claque mentale, ce n'était absolument pas le moment de se laisser aller à la mièvrerie. Pas alors que, mon esprit retrouvant soudainement sa clarté, ma sœur était en bien piteuse posture chez les vampires. Je me souvenais à présent des mots d'Olek, la veille, alors qu'il rentrait de sa journée à la forge du château local, me trouvant en train d'écrire pour m'occuper autant les mains que l'esprit et bâillonner mon inquiétude grandissante. Il s'était renseigné, Ilona n'avait pas réussi à sortir du château de Markus, mais fort heureusement les loups-garous avaient pu être vaincus. Nous savions tous deux que ces deux faits étaient sans nul doute corrélés, et ceux ci, ajoutés aux sentiments évidents de Viktor vis-à-vis de ma demi-sœur nous laissez penser qu'elle ne courrait pas grand risque à rester quelques jours dans le monde de la nuit.

Je ne me souvenais pas vraiment des deux derniers jours qui venaient de s'écouler, j'avais perdu beaucoup de sang à cause ma blessure et cela m'avait considérablement affaibli, et face à l'éventualité de blesser mon ami, j'avais refusé tout don de sang de sa part jusqu'à la veille au soir lorsque ma soif était devenue insupportable et qu'une infection menaçait de s'installer. J'ai toujours détesté lire les souvenirs d'autrui de cette façon, sans permission, aussi ai-je de plus en plus de mal à supporter le sang humain lors de mes repas, revivre l'instant de leur mort, saignés comme des animaux, me dégoûte. Je n'ignore pas que je suis à demi de leur espèce et que dans un autre contexte, les vampires me verraient également comme un potentiel repas. J'ai entendu dire que les rares hybrides qui naissaient dans d'autres contrées n'avaient pas ma chance et qu'ils finissaient en général rapidement à l'état de bétail propre à la consommation. Cette pensée me fait frissonner à chaque fois qu'elle s'installe dans mon esprit, n'existe-t-il donc aucun vampire trouvant cette pratique barbare ? Après tout nous pouvons tout aussi bien nous nourrir de sang animal sans que cela altère d'une quelconque façon notre métabolisme, leurs compositions semblent très similaires et à choisir entre revivre un bain de sang et assister à une longue course en forêt, mon choix est vite effectué.

Olek avait insisté, et j'étais dans un tel état que même ma conscience semblait être à l'agonie, j'avais tellement peur de perdre le contrôle et de lui sauter à la gorge en cas de suprématie de l'instinct prédateur que j'avais été contrainte de fléchir. Dès lors que son sang entra en contact avec mes lèvres j'eus l'impression de revivre, en quelques gorgées je sentis la plaie causée par le carreau d'arbalète se refermer d'elle-même et mes forces revenir. Je ne fis pas attention au flot d'images qui me provenait d'Olek, je ne voulais pas tout savoir de lui, ou en tout cas, certainement pas de cette façon. Je sus qu'il fallait que je lâche son poignet, que je tenais fermement contre ma bouche, lorsqu'il commença à me caresser la joue en me parlant lentement. Je compris à cet instant que je devais avoir adopté une posture tout à fait animale et qu'il essayait de me faire revenir. Je me détachais vivement de lui et d'un bond m'éloignais avant de me figer, honteuse, dans un coin de la cabane.

Mon ami me regarda d'un air étonné et presque désolé, cela semblait le peiner que je réagisse de la sorte. Il semblait ne pas comprendre que j'avais filé de la sorte afin de le protéger de ma nature, à sa façon de me faire signe de revenir, je compris qu'il aurait souhaité que je reste près de lui. Je ne le comprenais pas, n'importe qui, ayant été fouillé par un vampire, souhaitait s'éloigner le plus loin possible de celui qui avait pris cette liberté. Nombreux sont ceux qui vivent comme un traumatisme ce viol de mémoire, il aurait du me détester, au moins pendant quelques minutes, pour ce que j'avais vu. Je m'appliquais d'ailleurs à ne pas y penser, j'avais vu des choses, dont certaines qui me mortifiaient, mais je me forçais à préserver l'intimité de mon donneur providentiel. Profitant de mon instant d'inertie, Olek me rejoignit et me tendit la main, guettant ma réaction. Je restais sans voix, le fixant bêtement, me demandant encore pourquoi il ne s'était pas encore enfuit. Je suis un monstre vis-à-vis de lui, incapable de passer une journée entière dehors, tout au plus quelques heures, et je suis obligée de tuer des êtres humains pour survivre. Ce n'est certes pas moi qui les saigne jusqu'à la dernière goutte, mais le fait que je profite de leur don forcé me rend complice de leur meurtre.

Olek choisit ce moment de faiblesse pour m'embrasser, ce qui eut au moins le mérite de me faire sortir de ma torpeur mais certainement pas celui de me faire cesser de tergiverser sur la légitimité de mon existence et de ses sentiments à mon égard.

_ Pourquoi fais-tu cela ? Lui demandai-je en me dégageant de son étreinte.

C'était, avouons-le, certainement la question la plus stupide que j'ai pu poser depuis ma naissance, il parait que l'amour rend idiot, je venais visiblement d'en avoir la preuve. Olek me regarda d'un air malheureux et s'approcha à nouveau de moi, prenant mes mains dans les siennes, je tremblais et j'avais beaucoup trop chaud. Etant incapable de déterminer si cette sensation était due à mon immense gêne vis-à-vis de ce que je venais de faire, au baiser échangé avec Olek, ou aux prémices d'un sepsis, je me laissais guider jusqu'à la couverture sur laquelle j'avais déjà passé plus d'une journée. Je me retrouvais à nouveau rapidement calée dans les bras de mon ami qui ne semblait visiblement pas prêt à me répondre, un doute me traversa soudainement, venait-il de changer d'avis à mon égard ?

_ Tu penses trop, souffla-t-il à mon oreille sur le ton de la plaisanterie. Tu devrais cesser de te torturer de la sorte, tu ressembles beaucoup trop à Ilona lorsque tu le fais et de plus cela n'amène que des questions inutiles.

Je fis la moue, peu convaincue par cette pirouette, j'avais besoin de réponses solides et non que mon ami ne détourne la conversation dès lors qu'il voulait se défiler de mes interrogations. J'entrepris de me dégager de son étreinte afin de faire valoir mon mécontentement mais Olek semblait en avoir décidé autrement : il resserra ses bras autour de moi, insensible à mes tortillements, et enfouit son visage dans mes cheveux. Ses lèvres virent à la rencontre de ma nuque, m'arrachant un frisson. J'émis un grognement offusqué et il se mit à ricaner, ne pouvait-il donc pas faire preuve de sérieux ne serrait-ce que quelques secondes ?

Décidant de passer à la vitesse supérieure, je fis usage de ma force vampirique pour me défaire de lui et inverser la tendance en le plaquant au sol, m'asseyant sur lui. Olek tenta de me prendre par la taille afin de se libérer mais je l'en empêchai en emprisonnant ses poignets de chaque côté de sa tête, son sourire avait disparu et il grimaça lorsque j'appuyai un peu trop fort sur l'endroit où je l'avais mordu. Prise de remords j'hésitai un instant à lâcher ses mains mais me ravisai préférant en premier lieu profiter d'avoir son attention totale pour lui parler avec sérieux de ce que je pensais de son attitude particulièrement peu adaptée à la situation.

_ Ce n'est pas un jeu, sifflai-je avec mécontentement. J'aurais pu te tuer si je n'avais eu la maitrise nécessaire lorsque tu m'as fait signe d'arrêter. Approcher un vampire qui vient juste de se nourrir et qui est encore en proie à son instinct de prédateur, lorsqu'on est un humain, est suicidaire !

Olek me regarda avec agacement avant de me demander de le lâcher. J'obtempérai, malgré ma colère envers lui je ne supportais pas de lui faire mal. Je l'aidai à s'asseoir et inspectai son poignet, songeant au fait qu'il aurait certainement la marque de mes canines à jamais gravée sur sa peau tant la plaie était naturellement profonde. Attrapant un linge propre je pansai la blessure avec soin après m'être assurée que le saignement avait cessé, fort heureusement, mon ami semblait bénéficier d'un organisme se remettant facilement de ce genre d'expériences. Ce ne fut que lorsque j'achevai le pansement que la douleur de mon épaule gauche se fit à nouveau connaître, la plaie avait certes cicatrisé de l'extérieur mais mes muscles et articulations mettraient encore au moins quelques heures avant de retrouver leur pleine santé. Je remis mon bras en écharpe tel qu'Olek l'avait fait à notre arrivée chez Ilona et m'assis en face de lui décidée à entendre ses explications.

_ Je ne joue pas, murmura-t-il soudainement grave. Et si je me suis permis de t'embrasser c'est en premier lieu parce que j'ai confiance en toi.

_ Et ? Le pressai-je, persuadée de l'existence d'une suite.

_ Et… hésita-t-il, je ne pense pas avoir besoin d'une quelconque raison autre que mes sentiments à ton égard pour effectuer ce genre d'actes, grommela-t-il.

Je rougis et il esquissa un sourire, m'indiquant qu'il éludait puérilement, une nouvelle fois, ma question. Parfois je me demandai s'il me jugeait juste trop fragile pour entendre la vérité ou si lui-même n'assumait pas ses pensées. J'hésitai à le frapper, juste un petit coup dans le torse pour lui rappeler que je n'avais pas envie de plaisanter, mais me ravisai, jugeant ce geste bien inutile et contreproductif, je me contentai alors de lui tourner le dos et de me relever pour m'éloigner, laissant échapper un soupir las.

Je me dirigeai vers l'entrée de la cabane, écartai le rideau épais et fis quelques pas sur ce qui pouvait s'apparenter à une terrasse. Me glissant entre quelques branches du grand arbre dans lequel ma sœur avait choisi d'établir sa demeure, je me dirigeai vers le bord du plancher végétal et m'assis, laissant pendre mes jambes dans le vide tandis que j'observais le camaïeu de couleurs chaudes qui paraient le ciel alors que le soleil chauffait la Terre de ses derniers rayons.

Je n'arrivais pas à comprendre la désinvolture d'Olek et son insouciance alors que le monde semblait sur le point de prendre un tournant décisif. N'importe qui serait inquiet, incapable de se détendre de quelconque manière que ce soit au vu de la situation, et pourtant lui ne semblait pas montrer de signes d'affolement, au contraire. Je n'ai jamais été très douée pour comprendre les sentiments des autres, Viktor trouve que je me trompe souvent et qu'il est facile de me mentir car je suis incapable de saisir certaines mimiques, certains petits gestes et expressions pourtant simples à décrypter aux yeux des autres.

Des larmes se mirent à couler sur mes joues, j'étais perdue, totalement déboussolée et terrifiée par ce que j'avais fait, ce qu'Ilona avait fait, ce que je pensais que mon frère avait fait et ce qui risquait immanquablement de se produire. Pourquoi avais-je suivi Olek au lieu de rester bien tranquillement au château pour veiller sur Ilona ? Ce n'était pas par amour, pas par fidélité, ni même par pitié, cela s'était imposé à moi de façon limpide, sans qu'aucun argument ne vienne étayer d'autres options. Je voulais que justice soit faite, je voulais juste que Zán sorte et qu'Ilona réussisse sa mission. Je m'étais doutée, à l'instant même où je l'avais vue franchir la porte du château qu'elle ne comptait pas en ressortir. Ilona est faite pour cette vie d'immortelle, certainement bien plus que moi qui le suis pourtant depuis ma naissance. Avais-je décidé de prendre des risques pour me prouver que j'étais également capable de quelque chose ? Que je n'étais pas uniquement cantonnée à ne jouer que le rôle de demoiselle en détresse ? Ilona a passé sa vie à me sauver et à vouloir sauver le monde alors que je me contentais égoïstement de m'apitoyer sur mon sort sans lever le petit doigt. Etait-ce uniquement pour moi que j'avais décidé de trahir les miens ? L'amertume m'arracha un sanglot, j'étais dépassée par la situation, rattrapée par ma condition fragile et juvénile. J'avais tué durant l'attaque du château ! Le visage de ma victime hantait mes songes depuis lors. C'était la première fois que j'ôtais la vie alors que j'avais fait le serment de la protéger en entreprenant de devenir guérisseuse et pourquoi pas, un jour, médecin. Mes convictions étaient ébranlées et j'avais l'impression de ne plus réellement savoir qui je suis.

Le bois craqua à ma droite et Olek pris place à mes côtés. Toute trace de colère à son égard avait disparu, laissant place à un grand vide à l'intérieur de ma poitrine, aussi fut-ce moi qui, en premier, me rapprochai de lui, posant ma tête sur son épaule, laissant libre cours à mes émotions.

_ Je suis désolée, hoquetai-je.

Olek ne dit rien en premier lieu, se contentant d'enrouler son bras autour de mes épaules, me berçant doucement. Il attendit que je me calme en silence, embrassant parfois le sommet de mon crâne avant de se perdre dans l'immensité du ciel s'assombrissant.

_ La deuxième raison, chuchota-t-il, je pense que tu t'en doutes, concerne ta nature. Tu n'es pas un vampire Helén, la moitié de ton être est humaine et cela se voit, au-delà de tes caractéristiques physiques. L'instinct prédateur est moins présent chez toi et tu éprouves plus d'empathie à l'égard des humains auxquels tu t'identifies plus facilement que les tiens. Ce n'est pas un défaut, bien au contraire, les humains te font confiance car tu leur ressembles et ils se méfient moins de toi car tu ne leur ferais pas de mal. Ta conscience t'empêche de t'en prendre à eux plus que celle de Viktor par exemple. Et pourtant tu peux également vivre avec des vampires sans pour autant courir un danger à cause de ce que tu es. Ce que tu es ne doit pas être une honte qui pèse sur tes épaules, mais une force dont tu dois te servir. Tu n'es pas obligée de faire un choix entre les deux natures qui t'habitent. Tu ne cesses de te scarifier mentalement depuis le tournoi et si je te parais si peu sérieux c'est uniquement parce que je m'inquiète de ton état et cherche un moyen de te faire comprendre que parfois il n'y a pas à réfléchir des heures sur une situation au risque de demeurer paralysé, bien souvent il faut savoir jouer avec ce que la vie nous propose et ne pas s'encombrer l'esprit de façon inutile. Tu t'étouffes intérieurement.

Il y eut un moment de silence pesant avant qu'il n'ajoute, concernant son attitude détendue vis-à-vis de moi, qu'il lui paraissait judicieux, lorsqu'une accalmie se présentait, d'en profiter pour rechercher un peu de bonheur simple. Rien ne servait de toujours être sur le qui-vive et un esprit serein était bien plus efficace qu'un autre torturé en permanence.

Je hochai la tête, toujours contre lui. Olek pouvait paraitre aussi bien beaucoup plus jeune que beaucoup plus vieux que son âge véritable et cela était parfois bien troublant. Cependant il avait raison, les deux jours entiers passés à réfléchir n'avaient strictement servi à rien. Mon auto-centrage m'empêchait de chercher des solutions qui bien souvent, ne requéraient pas plusieurs heures de réflexion mais quelques secondes de bon sens agrémentées d'instinct et d'habitude. Ravalant mes sanglots et me pressant un peu plus contre lui je lui demandai si lui avait pu avancer. Il m'indiqua qu'il avait tenté de convaincre Goran d'emmener sa famille vivre dans la forêt dans les campements rebelles mais il avait décliné le conseil en rétorquant qu'ils ne courraient plus le moindre risque. Olek était perplexe à ce sujet, d'après lui Goran avait passé un tiers marché avec possiblement un immortel afin de s'assurer d'une protection. Mon ami s'inquiétait de la nature des conditions du marché. Qu'avait-il promis en échange de cela ?

J'objectai que s'il avait contacté un vampire ou toute autre créature du même acabit, celle-ci aurait pu lui faire promettre quelques siècles de services à moins qu'il ne s'agisse d'autre chose…

Olek ajouta qu'il avait investigué du côté des rebelles et que d'après les informations qu'il avait réussi à obtenir, il était plus que probable que l'attaque des loups et les manœuvres de Goran soient corrélées. Je protestai en indiquant à Olek qu'il n'aurait jamais pu demander à un loup-garou de mener sa meute au château des vampires, la forteresse étant quasiment imprenable. Mon ami appuya alors le fait qu'il n'y avait pas que des loups-garous qui soient capables d'en maîtriser d'autres. Il n'avait pas tort, Ilona en était la preuve vivante. Je lui demandai à qui il pensait mais il n'avait pas de réponse plus claire que celle impliquant un descendant potentiel du troisième fils Corvinus, autrement dit un de mes ancêtres ou cousins éloignés.

Quant à la protection relative que l'on lui avait promise s'il acceptait de participer à cet assaut, mon ami fut au regret de m'annoncer que mon frère Fábián ne semblait pas y être étranger. J'étais perplexe, et le demeure encore à présent, mon frère hait les humains, jamais il ne leur viendrait en aide. Cependant, s'il avait réellement passé un marché avec Goran et cet inconnu maîtrisant les loups il avait certainement bien d'autres idées en tête que de simplement permettre aux humains de prendre leur revanche sur quelques immortels. Mon instinct me présageait de plus en plus clairement que le but recherché était l'anéantissement du système en place au profit d'un nouveau. Quelqu'un devait visiblement trouver un grand intérêt à raviver les conflits entre les différents immortels et possiblement retourner les humains contre leurs maîtres. Une personne dans ce vaste monde voulait la guerre et semblait bien parti pour l'obtenir.

Il me donna également des nouvelles des environs du château, la bataille avait apparemment pris fin quelques minutes après notre départ, j'en déduisis qu'Ilona avait bien intercepté mon message ou tout simplement que l'objectif de l'attaque avait été rempli. Mais quel était-il ? Si le Maître des loups avait vraiment voulu anéantir les vampires il s'y serait pris autrement et j'étais certaine qu'il avait les moyens de réunir une armée bien plus impressionnante que celle que nous avions vue. J'ai la douloureuse impression que l'on joue avec nous, que quelques uns s'amusent à déplacer des pions sur un échiquier imaginaire, au mépris du respect de la vie.

Les nouvelles qui me firent le plus frémir provenaient du château du seigneur Árpád, une vaste campagne de « nettoyage » parmi les différents serviteurs avait été mise en place, et bon nombre avaient soit disparu, soit été retrouvés morts dans des circonstances plus que suspectes. De nombreuses arrestations et condamnations sans motifs notoires avaient également été enregistrées parmi les proches de la famille seigneuriale. Tout cela ne laissait présager rien de bon, et la disparition d'Ili et son frère me paraissait de plus en plus corrélée avec les récents événements. Il fallait démêler le fin mot de cette sombre histoire, la vérité semblait toute proche, à portée de main et pourtant personne ne parvenait à s'en saisir.

_ Il faut aller là-bas, dis-je sur un ton se voulant sans appel. Je suis certaine que bon nombre des réponses que nous cherchons s'y trouveront. Ou tout du moins l'espérai-je.

_ J'y suis tous les jours, objecta Olek, et malgré mes investigations discrètes je n'ai rien découvert de probant sur la disparition de la fille d'Árpád. Ni plus sur celle de son frère Aurél.

Je me redressai un peu, quittant l'épaule protectrice de mon ami et lui expliquai que j'envisageais de m'y rendre de façon beaucoup moins officielle que celle qui était la sienne jusqu'à ce jour. L'idée ne parut pas le ravir mais s'il était formellement contre, il ne m'en fit pas part. Il m'indiqua simplement qu'il lui paraissait presque impossible de se rendre dans la forteresse sans y être invité, tant les contrôles à l'entrée avaient été renforcés depuis la mise en action des rebelles.

Je pestai, n'ayant pas la prétention d'être aussi douée qu'Ilona pour m'introduire quelque part je compris facilement qu'il me serait impossible de faire ce que j'envisageai. Olek, me voyant bouder, esquissa un bref sourire et après avoir réfléchi quelques secondes me proposa de le rejoindre dans le bourg du village après sa journée, il n'avait pas eu le temps encore d'interroger les badauds et les artisans et les disparitions au sein du château étant assez récentes, quelqu'un se souviendrait peut-être de quelque chose ayant un intérêt. Curieuse, je lui demandai en quoi ma présence était nécessaire pour cette entreprise et celui-ci me répondit avec un large sourire qu'il n'y avait pas plus doué qu'une femme pour interroger quelques hommes réticents. Je compris l'allusion et le repoussai vivement avec exagération afin de bien lui faire entendre mon mécontentement. Il s'esclaffa et me rattrapa par la main alors que je me levai et m'attira à nouveau contre lui en passant nonchalamment son bras autour de ma taille. Je tentais de me dégager en feignant la colère tandis qu'il essayait de m'embrasser en riant. Lorsqu'enfin il céda en me libérant je me sentis beaucoup plus sereine, cet « idiot attachant » avait en fin de compte réussi à me détendre et à mettre mon incurable esprit en hibernation.

_ Tu es bien plus douée que moi pour parler aux gens, expliqua-t-il finalement. Et je pense sincèrement que tu en mettras certainement plus à l'aise que moi. De plus, certains te connaissent déjà en raison des soins que tu leur as fourni, ils te font confiance et te savent proche d'Ilona qu'ils respectent énormément. Cela ne peut que jouer en notre faveur. Et puis… hésita-t-il, je dois t'avouer que je me sentirais rassuré si tu venais, tu perçois les choses différemment de moi, tu analyses d'une autre manière et tu as des sens bien plus développés que les miens. Si quelqu'un nous mentait, ou qu'un danger se rapprochait tu le saurais bien avant moi et je commence à craindre pour la vie de quelques personnes.

J'acquiesçai, au moins aurai-je l'impression de me rendre utile et Olek avait raison, je suis plus à même de percevoir les choses que les humains, ce qui peut être un avantage indéniable si nous croisons quelques vampires sur notre route, probabilité qui augmente au fil des jours.

Nous étant mis d'accord sur la marche à suivre le lendemain, Olek me proposa d'aller nous reposer à l'intérieur et je devais bien admettre que cette perspective me réjouissait, la régénération de mon corps s'effectuerait bien plus rapidement durant mon sommeil. Néanmoins, alors que nous nous allongions sur la couverture et qu'Olek rabattait le drap sur nous je me rendis compte que je n'avais pas envie de dormir, pas tout de suite, pas avant de lui avoir parlé de quelque chose que j'avais vu dans ses souvenirs, quelque chose qui me chamboulait. Sentant mon trouble, mon ami m'attira contre lui et ce fut après avoir écouté les battements trop rapides de son cœur, l'oreille collée contre sa poitrine, que je me décidai à lui faire part de mes découvertes.

_ J'ignorais que tes parents avait été tués, murmurai-je, tu m'as toujours dit qu'ils étaient morts quand tu avais onze ans sans plus d'explications.

Il se raidit contre moi et je sentis ses mains trembler sur ma peau, j'étais certainement allée trop loin, je n'aurais jamais du lui en parler. Je m'excusai platement, cela ne me regardait pas. Olek dit en serrant les dents qu'il s'était exposé à cette question au moment même où il avait accepté de me donner son sang et qu'il s'était senti prêt à gérer cette éventualité. Il soupira, semblant chercher le courage de mener à leur terme les explications qu'il était décidé à me donner. Je devinai que s'il m'avait caché la chose sans pour autant occulter le fait qu'il était orphelin c'était qu'une manière ou d'une autre, la nature des potentiels responsables ne m'était pas étrangère.

_ Mon père ne forgeait pas que des armes, murmura-t-il. Il forgeait également des chaînes et… des serrures. Il était le créateur de bon nombre de portes réputées inviolables et de coffres jugés indestructibles et ses clients ne comportaient pas que des humains.

Je me permis de frémir, devinant la suite.

_ Mon père et le tien étaient de bon amis, bien avant que ma tante ne l'épouse et ne lui donne Ilona et Jolâmm. Il était dans les secrets de ta famille, des secrets d'immortels et il est arrivé que Viktor face appel à lui pour certaines choses, comme à son père avant lui et le père de son père bien avant. Nous n'étions jamais inquiétés par les représailles et les risques liés au Secret, nous bénéficiions de la protection de la noble famille Corvinus, tant que celle-ci était vigilante cependant. Si Viktor pouvait être favorable à l'emploi de quelques humains, bon nombre des vampires s'y opposaient. Imagine un peu le scandale si l'on venait à apprendre que certains mortels possèdent des talents que même les puissants immortels ne peuvent égaler. Mon père était une sorte de génie dans sa profession, aussi lui demandait-on régulièrement d'imaginer de nouvelles armes anti-loups-garous jusqu'au jour où on lui demanda des armes spécifiques et des chaînes d'une robustesse qu'il n'avait jamais envisagée jusque là, c'était il y a presque huit ans.

Autrement dit lorsqu'ils ont commencé à construire « Le Sanctuaire » en prévision de la capture de William, compris-je en me redressant pour mieux observer les diverses émotions qui se peignaient successivement sur son visage. Celui-ci se fendit d'un sourire triste lorsqu'Olek indiqua que cette requête en particulier leur avait permis de subsister, sa famille et lui, de façon plus que confortable pendant les quelques mois qui précédèrent sa destruction. Mon ami ajouta avec amertume que son père était loin d'être naïf et qu'il était tout à fait conscient de la nature de l'être que ses chaînes devaient pouvoir entraver, ou tout du moins, le devinait-il.

_ J'étais jeune à l'époque, à dix ans il est compliqué de voir le monde aussi noir qu'il l'est derrière les mirages trompeurs de nos rêves innocents, et aussi j'ignorais à quel point ce que nous faisions était dangereux. Je passais le plus clair de mon temps à la forge avec mon père, j'aimais apprendre de lui et admirer ses mains travailler, je l'admirais autant qu'un fils peut déifier son père. Lorsque Viktor vint passer cette « commande » spéciale j'étais là, à actionner le grand soufflet de la cheminée en riant aux histoires que les clients du matin nous avaient racontées. Je ne perdis pas une bride de la conversation animée entre l'aîné et mon père, à les entendre, cela faisait presque quinze ans que le vampire n'était pas venu en personne et ma présence en ces lieux paraissait le troubler. Il trouvait cela inconscient que je sois mêlé à la sombre histoire de son peuple, car bon nombre de ses gens ne montrerait aucune clémence envers un enfant, aussi jeune soit-il. Autrement dit, j'étais en danger à cause de mes connaissances. Je cessais de suivre le débat lorsque Viktor conseilla à mon père de m'envoyer en Roumanie avec l'une de mes sœurs aînées (issues d'un premier mariage). Je ne connaissais pas vraiment Anasztázia, Pálma et Dorina, ne les ayant vu qu'une fois tous les deux ans depuis ma naissance, (je ne les connais pas plus d'ailleurs aujourd'hui…) tout juste savais-je que les deux aînées avaient chacune déjà trois enfants et que la troisième sillonnait le pays avec une troupe d'itinérants du spectacle.

J'observais Olek alors que celui-ci faisait de gros efforts de concentration afin de situer au mieux chaque membre de sa famille et de se souvenir de chacun des faits qui avaient marqué un tournant dans sa vie. Mon ami s'arrêta quelques instants pour reprendre son souffle et une ombre traversa son visage pour le moment il ne m'avait dit que la partie la plus banale de son histoire, et je me doutais que la suite serait beaucoup plus brutale et beaucoup moins nimbée d'innocence. Son étreinte se raffermit et ses doigts se mirent à sillonner le bas de mon dos, sous la tunique d'Ilona que j'avais revêtue la veille, je lui murmurai qu'il n'était pas obligé de continuer ce soir s'il ne le souhaitait pas. Il grommela en retour que cela lui faisait finalement du bien de m'en parler car les occasions de le faire n'étaient que trop rares.

_ Mon père n'avait pas encore achevé toutes ses créations lorsque les premiers flocons recouvrirent le sol, l'hiver s'installait et les vampires n'allaient pas tarder à revenir, prendre possession de leurs biens, lorsque ton père vint à la forge, la mine grave. Je ne sus que bien plus tard que ce fut à ce moment qu'Ilona et toi fussent séparées et que son air macabre n'était que le résultat de sa séparation avec son « autre famille ». Les meurtres des seigneurs alliés du Conseil avaient déjà commencé et une vague de terreur commençait à faire de l'ombre sur les terres avoisinantes. Auban craignait pour la vie de mon père en raison des services qu'il rendait aux immortels, à ses yeux l'amassement des cadavres de ses amis et leur fidélité aux vampires étaient corrélées. Mon père répondit à cette requête en mettant en lieu sûr ce qui comptait le plus pour lui à savoir son unique fils : moi. Je passais donc quelques mois chez mon oncle en compagnie d'Ilona et son frère avant qu'estimant le péril moins grand, mon père ne me reprenne.

Les mains d'Olek tremblaient, j'en saisis habilement une et la serrait de toutes mes forces pour lui montrer mon soutien, une curiosité malsaine avait pris possession de moi, il devenait plus qu'important que je sache ce qui était arrivé à mon ami pour qu'il soit obligé de vivre en sécurité avec Ilona.

_ A la fin du mois de février de cette même année, le lendemain de mes onze ans, je m'étais levé aux aurores afin de pouvoir profiter pleinement de ma journée pour étrenner l'arc que mon père m'avait offert. J'aurais voulu emmener Ilona avec moi mais ma tante avait refusé qu'elle sorte, c'est donc seul que je passais la journée à la lisière de la forêt, bien trop près des habitations pour que les loups-garous ne s'y aventurent. Alors que le jour était tombé depuis presque une heure j'abattis d'un tir parfait un jeune lièvre. Fier de moi, c'est avec une grande hâte que je rentrais chez nous afin de montrer ma prise à mon père. Lorsque je parvins à la forge, cependant, je constatais immédiatement que quelque chose n'allait pas. Un silence de mort régnait alors que mon père avait l'habitude de travailler jusque tard dans la nuit et toutes les lumières étaient éteintes. J'allais entrer, inquiet lorsque quelqu'un m'attrapa par le bras et m'intima de ne pas y aller Viktor était là, le visage mortifié, je sus dans l'instant qu'il cherchait ses mots. Je ne lui laissai pas le temps de la réflexion et échappai à son emprise afin de me glisser dans la maison. Je m'arrêtai au bout de quelques mètres, incapable d'aller plus loin, figé d'effroi. Un hurlement tellement désespéré qu'il en était presque inhumain retentit et je mis quelques secondes avant de comprendre que j'étais l'auteur de ce cri. L'aîné m'empoigna immédiatement mais il était trop tard, j'avais reconnu les deux corps livides accrochés, dénudés et écorchés au mur avec les outils de mon père. Le monstre qui a tué mes parents avait laissé un message à l'attention de tous ceux qui sont fidèles aux aînés, ma famille n'était qu'un exemple et j'avais échappé au massacre grâce à un simple hasard. Je me débattis dans les bras de l'aîné, hurlant, pleurant et griffant, la douleur était insupportable, l'injustice encore davantage. Viktor me confia à une jeune femme blonde qui l'accompagnait : ta mère, et celle-ci me serra contre elle en murmurant des mots apaisants jusqu'à ce que je m'écroule de fatigue, exténué avoir trop pleuré. Lorsque je me réveillai, Ilona dormait contre moi, roulée en boule comme un petit animal, un de ses bras passé autour de moi, des sillons maculaient ses joues et je sus qu'elle avait pleuré certainement plusieurs heures, elle adorait mon père, il était plus qu'un oncle à ses yeux et il était certainement l'une des personnes qui faisait le plus attention à elle et qui tentait le plus de la comprendre. La femme vampire était également là et elle me parla longuement, s'excusant à de nombreuses reprises, je ne compris pas tout tant la douleur enserrait ma poitrine, tel un étau, mais sa sincérité me toucha. C'est à partir de ce jour que je vécu chez mon oncle et depuis cette dernière journée je suis incapable de planter la moindre flèche au centre d'une cible.

Olek essuya rapidement les quelques larmes qui perlaient au coin de ses yeux, immobile et brutalement figé. Je sentais ses mains trembler sur ma peau et je n'osais pas bouger, dubitative vis-à-vis de sa potentielle réaction. Il ravala un sanglot et son cœur s'affola dans sa poitrine, celle-ci se soulevant de façon inhabituelle tandis que sa respiration côtoyait l'anarchie. Bientôt il ne fut plus capable de se contenir et des larmes dévalèrent ses joues alors qu'il sanglotait. Je me redressai vivement et entrepris de le faire asseoir également, je n'aimai pas la tournure que prenaient ses pleurs, sa respiration saccadée me rendait anxieuse et j'avais peur qu'il ne fasse une crise de spasmophilie. Tant bien que mal je tentai de le calmer, m'excusant dans la foulée car sans mes questions indiscrètes nous serions certainement en train de nous reposer dans les bras de Morphée. Je lui murmurai autant de paroles rassurantes que je le pouvais et essayai de l'aider à caler sa respiration sur un rythme moins effréné jusqu'à ce qu'il parvienne, de lui-même, à reprendre le contrôle. Je sentis tout son corps lâcher prise d'un coup et il tomba dans mes bras, m'arrachant un cri de surprise et de douleur lorsque mon bras meurtri le réceptionna, je fléchis sous son poids et me retrouvai allongée sur le sol, Olek étalé sur moi.

Mon ami releva la tête pour croiser mon regard désormais plus serein et s'excusa. Je lui murmurai qu'il n'avait pas à le faire sans cacher mon soulagement. Il essaya de se lever mais retomba sur moi, ses muscles s'étaient tous totalement relâchés et il semblait incapable du moindre mouvement. Il renouvela l'expérience sans plus de succès et alors qu'il se confondait en excuses à l'issue de la troisième tentative infructueuse je fus prise d'une furieuse envie de rire. Olek me regarda avec étonnement alors que je réprimai un gloussement, visiblement mes nerfs venaient de me faire parvenir une missive m'avertissant de leur démission. Mon ami me regarda m'esclaffer quelques secondes avant de lui-même esquisser un sourire mi-amusé, mi-gêné. Je brisai notre échange de regards en grimaçant, mon épaule me faisait mal, je me dégageai habilement pendant qu'Olek s'excusait à nouveau et m'allongeai confortablement avant de l'attirer à moi. Il se laissa faire et nous nous retrouvâmes bientôt pelotonnés l'un contre l'autre, nos visages à quelques millimètres. Je passai ma main valide dans ses cheveux, ébouriffant au passage ses boucles ébène, les mêmes que celles d'Ilona, très fines, assez resserrées, leur donnant un petit air enfantin alors que les miennes restent lâches et amples. Je sentis assez vite qu'il s'endormait et après l'avoir embrassé sur le front me permis de l'imiter.

Je me réveillai ce matin dans la même position, au détail près qu'Olek n'était plus dans mes bras mais sur le pas de la porte à s'affairer sur ses pièges. Je constatai avec bonheur que l'écharpe qui plaquait mon bras meurtri contre ma poitrine n'avait plus aucune utilité, la régénération s'était effectuée sans encombre et je ne ressentais plus qu'un léger engourdissement. Je mis quelques minutes à me souvenir ce que je faisais là et me trouvai rapidement submergée par une vague de chaleur étouffante, la cabane était une véritable étuve. Je me débarrassai du bandage d'Olek avant de me lever pour aller le saluer. Mon ami affichait un sourire serein mais son regard, lui, était soucieux, je m'approchai en silence, consciente que j'allais le prendre par surprise, tant il avait l'air affairé. Je passai derrière lui furtivement et glissai mes bras autour de son cou le faisant sursauter, il se tourna vers moi sans se défaire de son sourire et je l'embrassai sur la joue avant de m'asseoir à ses côtés. Je le questionnai rapidement sur ses occupations de la journée et il m'annonça qu'il attendait que je me réveille afin d'être certain que je respecterai notre accord. Je fis mine de m'offusquer, je n'étais tout de même pas du genre à faire des coups aussi pendables que ceux d'Ilona ! Il aborda une moue moqueuse en réponse à mes protestations et je décidai de l'ignorer. Il finit par m'embrasser sur la tempe avant de se lever pour aller enfiler une tunique, je le suivis des yeux machinalement, jusqu'à ce qu'il ne revienne vers moi, habillé, il me demanda moqueusement si j'étais déçue par ce changement de paysage et je mis quelques secondes avant de comprendre ce à quoi il faisait allusion, ce qui déclencha ses rires et me fit monter le rouge aux joues. Note à moi-même : demander à Ilona ou Amélia de m'apprendre la répartie. Il mit fin à mon supplice en se penchant pour m'embrasser en me remerciant pour la veille et en me conseillant de ne rien faire de stupide jusqu'à notre rendez-vous de ce soir, sur la place du village, au milieu des étales de la foire d'été. Je ne lui promis pas la réussite de ce dernier fait et il m'observa un instant l'air inquiet avant que je ne lui adresse un sourire malicieux. Un point partout.

J'ai tenu ma promesse en ne sortant pas de la cabane d'Ilona de la journée, de toute façon avec le ciel totalement dégagé et le soleil qui tapait sans relâche je n'aurais pas pu aller bien loin. J'avais donc attendu que le ciel se parsème de rayures orangées en lisant ce que je trouvais à en écrivant un peu, afin de bien garder en mémoire quelques faits importants. Je partirai certainement d'ici une petite heure, lorsque le soleil sera un peu plus bas dans le ciel et ainsi le monde bien plus vivable pour moi.

oOo

11 Juillet 1207,

Attendre.

Toujours attendre, devant une porte, un changement, avant d'agir.

I peine deux jours, je n'avais pas de temps à perdre, il fallait agir vite, sans prendre le temps de se poser, à l'instinct. Il y a deux jours je n'aurais pas imaginé passer mes journées et mes nuits à attendre devant une porte, la sortie d'une des personnes les plus chères à mon cœur. Ilona me manquait. Pire, j'étais morte d'inquiétude à son sujet. Pourquoi Viktor avait-il pris la, non moins sage, mais dangereuse, décision de transformer ma sœur en vampire ? Elle qui était pourtant si différente des standards humains en terme de biologie et de métabolisme. L'aîné était le seul à avoir le droit de rentrer dans la chambre, Sa chambre, où Ilona se reposait en attendant que dans son corps ne s'effectuent des changements radicaux. Et si cela ne fonctionnait pas ? Et si le venin du loup et celui du vampire ne pouvaient coexister en elle ? Et si cela la tuait ?

Non.

Viktor ne prendrait pas le risque qu'elle meure, il tient trop à elle. Il sait que je ne lui pardonnerais pas si elle mourrait et lui non plus, ne pourrait certainement plus en dormir. Viktor a déjà vu suffisamment d'enfants mourir devant ses yeux. Il a pris la bonne décision. La seule décision. C'était le seul et unique moyen de la garder en vie.

Et puis il y a l'enfant. Celui auquel ma sœur a affectueusement donné un nom. Celui qui n'aurait jamais dû venir au monde. Celui qui n'est qu'une erreur. Une sombre machination d'un esprit perverti à l'extrême. Le fils d'un monstre. Est-ce un service à rendre à ce petit que de le laisser en vie ? Une vie de servitude, de cobaye, dépourvue de la moindre once d'amour parental, est-elle préférable à une mort rapide ? Je n'arrive pas à regarder le nouveau-né dans les yeux, pas avec ce que je sais, pas avec ce que j'ai découvert. Je ne le déteste pas, je l'ai en pitié. Viktor également. Et la seule raison de la survie de ce bébé c'est Ilona et l'amour profond qu'elle portait à la mère de celui-ci. J'appréciais Ili, sans pour autant la connaître. Elle avait l'air d'être une fille bien, quoiqu'un peu naïve. Mais pouvait-on lui en vouloir ? N'est-ce pas Ilona et moi qui n'avons pas un comportement adapté à nos presque quinze ans ? Si j'étais née ailleurs, si j'avais une autre histoire, peut-être serais-je comme Ili. Peut-être ne verrais-je pas la noirceur des Hommes, immortels ou non, telle qu'elle est, tapie sournoisement dans l'ombre d'un sourire.

Ili avait été manipulée, bernée par le pire des monstres. Et j'étais l'une des seules à le savoir, Viktor refusant catégoriquement que je parle. Selon lui, j'avais déjà de la chance d'être en vie après ce que j'avais fait. Le conseil avait été bien clément de me pardonner ma petite virée avec le cousin d'Ilona et mes amourettes insensées. Telle était la façon dont il qualifiait les quelques jours que j'avais passé à l'extérieur des murs du château à traquer la vérité.

Olek ne voulait pas que j'y retourne, il avait peur, peur que l'on veuille me faire taire, peur que l'on ne me pardonne pas d'avoir aidé un enfant à s'enfuir, peur que mon frère ne mente à mon sujet, peur que je ne puisse plus jamais ressortir. J'étais tellement aveuglée par mon besoin pressant de vérité que je ne l'avais pas écouté. J'avais foncé tête baissée, je voulais qu'Ilona sache. Je voulais qu'elle sache quel ennemi redoutable attendait patiemment son heure. Viktor aussi devait être mis au courant, il devait faire quelque chose, agir, même si cela ne conduisait qu'à une vulgaire chasse au fantôme.

Mais nul ne m'avait écouté, la vérité n'intéressait personne. Comment avais-je pu me fourvoyer à ce point ?

oOo

J'avais retrouvé Olek sur la place du marché et nous interrogions les commerçants depuis quelques heures, sans véritable succès. Tous étaient muets, personne n'avait rien vu, rien entendu. Nier, s'emmurer dans le silence et s'équiper d'œillères était visiblement beaucoup plus simple que d'oser faire face à la réalité. Je commençais à perdre patience et éprouvais de grandes difficultés à cautionner les mensonges des uns et des autres. Mon ami, conscient de mon état d'esprit me serrait fortement la main, m'obligeant à rester près de lui, craignant visiblement que je ne commette quelque bévue.

_ Ils sont terrifiés Helén, mets-toi un peu à leur place. Des choses qu'ils ne comprennent pas se déroulent à quelques pas de leur porte, ils n'ont aucune envie de risquer leur vie pour quelque chose qui ne leur parait pas important, murmura doucement Olek à mon oreille.

Je m'insurgeai, la vérité était plus importante que tout à mes yeux. Le cousin de ma sœur soupira, passa son bras autour de mes épaules et m'emmena un peu plus loin avant que quelqu'un de prête un peu trop attention à mes yeux devenus luminescents. Nous nous arrêtâmes dans l'ombre d'un haut mur dépourvu de lanterne et Olek me relâcha en soupirant, ce ne fut que lorsque j'entrevis son air défait qu'une vague de honte me submergea. Depuis les évènements du tournoi je n'avais cessé d'être impulsive et excessive, sans vraiment prendre garde à ce qui m'entourait. J'avais réussi à me blesser juste pour prouver que je pouvais être aussi courageuse que ma sœur et défendre mes idéaux avec autant de force, je m'étais enfuie du château avec Olek et m'étais conduite de façon fort peu polie avec mon hôte, allant même jusqu'à remuer de vieux souvenirs. A vrai dire, Olek méritait au moins une médaille pour avoir gardé son sang froid en ma présence. J'avais juste été insupportable et particulièrement égoïste.

_ Excuse-moi, murmurai-je piteusement en regardant mes pieds, cela ne doit pas être facile pour toi non plus.

Mon ami glissa ses doigts sous mon menton afin de relever ma tête vers lui, il sembla un instant chercher quelque chose dans mes yeux avant de délicatement m'embrasser sur le front. Je restai interdite, venait-il vraiment d'accepter mes excuses ? Comment pouvait-il être si calme alors que je bouillonnais littéralement de l'intérieur ? Il expliqua avec douceur qu'il comprenait ce que je pouvais ressentir et que lui aussi commençait à perdre patience. Il poursuivit en indiquant néanmoins que s'agiter en tout sens sans réfléchir et en faisant fuir les potentiels témoins ne nous aiderait pas dans notre quête d'informations. Il fallait attendre, prendre sur soi et rester à l'affut sans se laisser submerger par ses sentiments. J'hochai la tête, dubitative, j'avais toujours été un livre ouvert, une véritable boule d'émotions incapable de mentir sur mes états d'âme, alors qu'Olek semblait tout mettre sous clef, de la même façon que Viktor et dans une moindre mesure, Ilona. J'avais compris, la veille, au moment même où il avait séché ses larmes après avoir évoqué sa famille, que le sujet était clos et qu'il avait de nouveau scellé ses souvenirs au plus profond de lui. Comment pouvait-on être aussi maître de soi-même à dix-huit ans ?

Il reprit finalement ma main et m'entraîna à nouveau dans les ruelles sombres et suffocantes, cela faisait plus de deux semaines qu'il n'avait pas plu et la lourdeur du ciel se faisait sentir, la chaleur pesait sur chacun. Au bout de quelques minutes cependant, je sentis une présence, discrète, qui nous épiait. Je serrai brièvement les doigts d'Olek pour le prévenir en comprenant le message, il me proposa naturellement d'aller trouver un peu de fraicheur et de quoi remplir nos estomacs affamés, dans l'auberge la plus proche. Alors que nous nous dirigions vers l'entrée du village, l'ombre qui suivait nos pas se fit un peu plus concrète. Une jeune fille, certainement aussi jeune que ma sœur et moi, sale dans sa robe maculée, trottait derrière nous tout en jetant des regards anxieux autour d'elle. Son visage fin et son air innocent m'étaient familiers, je l'avais déjà vue quelque part.

Olek poussa la porte de l'auberge et m'entraîna à une petite table près d'une fenêtre, il m'invita à m'assoir et partit aussi prestement que possible nous trouver de quoi manger. La jeune-fille jusque là en retrait sur le seuil se dirigea vers moi. Ses yeux bleus me fixaient avec avidité et je me sentis un instant très mal à l'aise, elle avait beau être une simple humaine, ce qu'elle semblait attendre de moi m'effrayait. Alors qu'elle arrivait à ma hauteur elle se figea, en proie au doute et je me rappelai alors où je l'avais vue. Elle faisait partie des jeunes filles effectuant le service et le ménage dans le château d'Árpád. Son nom ne me revenait pas mais j'étais persuadée l'avoir souvent aperçue aux côtés d'Ili.

_ Excusez moi… bredouilla-t-elle en faisant volte face, je vous aie prise pour quelqu'un d'autre, ajouta-t-elle avant de commencer à se diriger vers la sortie.

_ Attends Luka ! Lui criai-je un peu trop fort, attirant les regards de quelques voyageurs, me souvenant enfin de son nom.

La fille me regarda, interloquée, hésitant visiblement, devant certainement se demander par quel hasard son prénom m'était connu. Elle tourna cependant les talons et repris sa course vers la porte. Je me levai pour la rattraper lorsqu'elle se heurta à Olek, chargé de trois chopes fumantes. Mon ami l'invita à se joindre à nous d'un ton poli mais néanmoins ferme et elle ne put qu'accepter l'offre.

Face à l'insistance d'Olek, Luka avala quelques gorgées de vin chaud avant d'engloutir intégralement la miche de pain que l'aubergiste venait de poser sur la table, elle était morte de faim et les os saillants de ses pommettes en attestaient douloureusement. L'humaine avait l'air tellement vulnérable, je comprenais qu'elle ait pu avoir quelque réserve à s'approcher de nous, même moi, avec mon manque d'entrainement et ma musculature peu développée, j'aurais pu la mettre hors d'état de nuire en quelques secondes. Lorsqu'elle releva enfin la tête ce fut pour me fixer à nouveau avec intensité, attendant visiblement que je parle.

_ M'as-tu prise pour Ilona ? La questionnai-je posément.

Elle hocha la tête avec vigueur, il est vrai que nous nous ressemblons beaucoup, et ne m'aillant vue que de dos il était très aisé de nous confondre. De plus Luka devait certainement avoir identifié Olek comme étant un proche de ma sœur, aussi était-il tout à fait logique qu'elle pense en premier lieu à elle en m'apercevant.

_ Où est-elle ? Demanda Luka en se tordant les doigts. J'aurais voulu lui parler, ajouta-t-elle en se tournant vers Olek.

_ En sécurité, répondit doucement mon ami avec un sourire encourageant. Que voulais-tu lui dire ?

Luka se ferma à l'instant même où Olek posa sa question. Je me sentis presque vexée, si nous avions tout fait pour qu'elle puisse nous parler ce n'était certainement pas pour lui nuire, alors pourquoi s'entêter à vouloir exclusivement parler à ma sœur ? Après quelques instants de silence, Luka recommença à me fixer, visiblement notre ressemblance, physique, avec Ilona, en mettait plus d'un mal à l'aise. Il fut même un temps où je pensais que l'on me mentait et que ma sœur et moi étions jumelles. Cela m'aurait plutôt plu à l'époque, mais le simple fait qu'elle était alors une humaine et moi une semi-immortelle rendait cette hypothèse fort improbable.

_ Ilona est ma sœur, indiquai-je en espérant dissiper son trouble.

L'humaine me fixa avec étonnement, sans doute se demandait-elle laquelle des deux était la plus âgée. Me voyant mal lui expliquer que nous étions nées le même jour du même père mais de mères différentes je préférais ne rien ajouter. Ce fait n'était pas extrêmement bien perçu par la société actuelle dans lequel la monogamie était de mise, alors commencer à expliquer que mon défunt père avait mis son ancienne femme enceinte par accident lors d'une étreinte impromptue ne me tentait pas vraiment. Mon statut de fille illégitime, car non reconnue à la naissance me pesait déjà suffisamment. Je n'avais abordé ce problème qu'une seule fois, avec Viktor, ma mère pensant que cela m'importait peu ce qui apparaissait dans les textes officiels. Toujours est-il que devant mon nom figure la mention père inconnu. La seule consolation que je pouvais avoir était que je figurais dans la liste des potentiels héritiers des seigneurs déchus, c'était en effet de cette façon qu'Ilona avait compris notre lien de parenté. La seule chose qui m'avait laissée dubitative était l'absence des noms de nos frères. Certes Jolâmm était très malade, et n'aurait surement pas atteint l'âge adulte, mais Fábián, lui, était en pleine possession de ses moyens. Peut-être le fait qu'il soit devenu un vampire l'éliminait-il d'office de la sélection?

_ Je… je sais ce qui est arrivé à Ili, murmura Luka, me tirant de mes pensées.

oOo

De retour à la cabane après avoir confié Luka aux bons soins de la famille de Goran, je me laissai tomber sur le semblant de lit que formait le tas de couvertures sur lequel nous avions dormi la nuit précédente. Le récit de Luka m'avait littéralement assommée et mon cœur, en pièces après ses révélations, battait la chamade dans ma poitrine. Tout ceci n'était qu'un cauchemar, j'allais forcément me réveiller, aucun père digne de ce nom ne condamnerait sa fille à une mort certaine en l'envoyant au fin fond d'une forêt infestée de loups-garous. Et pourtant c'était semble-t-il ce que cet illuminé d'Árpád avait fait.

A mes côtés, les jambes repliées contre sa poitrine et le menton posé sur ses genoux, Olek semblait également ébranlé. Aucun de nous deux ne savait que dire, le choc était trop récent, trop grand. La grossesse d'Ili avait été dénoncée par nul autre que le responsable de son état. Qui était donc cet homme pour oser faire ce genre de choses ? Árpád ne pouvant décemment pas poursuivre son projet d'alliance avec le seigneur voisin en unissant sa fille, désormais impure, avec le fils de celui-ci se vit dans l'obligation de revoir ses plans. Une évidence s'imposait alors : il fallait qu'Ili et sa progéniture disparaissent. Quoi de mieux pour ce faire que de l'envoyer dans un couvent à l'autre bout du pays ? L'idée, en premier lieu, paraissait raisonnable, l'enfant d'Ili pourrait être adopté en bonne et due forme après sa naissance et rien ne se saurait de l'incartade de la fille du seigneur humain. Seulement cette suggestion n'était visiblement pas au goût de tout le monde, et en premier lieu, du père de l'enfant à venir. Luka ignorait comment le « grand homme brun aux yeux vert tout sauf naturel » avait réussi à faire changer l'itinéraire du voyage à la dernière minute, faisant ainsi s'enfoncer les humains au plus profond du territoire des loups-garous. Même avec un pot de vin intéressant, personne n'était suffisamment fou pour s'y aventurer. Aussi le garde que Luka avait vu se faire corrompre par l'inconnu ne devait-il pas être aussi humain qu'elle le pensait. La suite avait été très simple, trop simple. Árpád, partagé entre la douleur de la disparition de sa fille, le soulagement de l'anéantissement d'un problème et la surprise des raisons de ce fait n'avait pas investigué plus qu'il n'était moral de le faire. Aussi était-ce Aurél qui avait tout mis en œuvre pour comprendre ce qui s'était passé. Sans avertir qui que soit il s'était à son tour enfoncé dans la forêt en quête de réponses et n'en était jamais revenu. Olek et moi ne pouvions alors que deviner ce qui avait pu se produire par la suite, nos hypothèses se révélant malheureusement vraies quelques heures à peine après leur évocation.

Lorsque j'émis le désir de rentrer au château avertir le conseil de ce que nous savions, Olek posa un regard malheureux sur moi avant de répondre, la voix brisée, que personne ne se soucierait de cela parmi les vampires. Ce fut avec un pincement au cœur que je dus admettre qu'il avait raison. Hormis Ilona, qui avait une profonde affection pour Ili, aucun des résidents du château ne verrait le moindre intérêt à m'écouter. Et cela même alors que mon récit mettait en garde contre un homme, visiblement sans scrupules et adepte des choix et expériences hasardeuses. Seulement j'avais un horrible pressentiment. Ce qui était arrivé à Ili n'était pas un hasard, la logique hurlait qu'elle était décédée quelque part, dévorée par quelques animaux et rendue à la nature, mais une petite voix dans ma tête me soufflait qu'elle était encore en vie, bien que cet état ne soit soumis à une échéance proche. Mais la question qui me taraudait certainement le plus était la suivante : qu'adviendrait-il de l'enfant d'une femme enceinte lors de sa transformation en loup-garou ? De mémoire, je n'avais jamais entendu Viktor évoquer un tel cas de figure. Sans nul doute était-ce impossible. J'ignorais alors à quel point j'aurais voulu avoir raison à ce propos.

Je sentis soudainement quelque chose se coller contre moi. Je relevai la tête et avisai Olek, venu se blottir dans mon dos. De légers frissons le parcouraient, et je sus qu'il était terrifié. Tout cela le dépassait, lui qui n'est qu'un simple humain. Je laissai un instant mes réflexions de côté et l'étreignis avec force laissant également mes émotions reprendre leurs droits. Quelques larmes s'échappèrent de mes yeux alors que nous nous bercions mutuellement et nous décidâmes de reprendre notre conversation que quelques temps plus tard, lorsque nous serions plus sereins.

Cette dernière fut des plus houleuses, Olek persistant dans le fait qu'il ne voulait pas me voir retourner au château malgré ce qu'il me semblait bon de faire. Mon ami avait peur pour ma vie, et très certainement celle d'Ilona, et je le comprenais. Seulement ma place était auprès de ma sœur et avec les vampires, je n'en avais jamais autant eu la certitude. Si Viktor ne m'écouterait certainement pas, Ilona le ferait et peut-être qu'à nous deux, nous parviendrions à faire céder l'aîné et à le convaincre de mener quelques recherches sur l'inconnu semblant prendre un malin plaisir à manipuler les humains. Olek finit par convenir qu'il ne servait à rien que nous nous disputions plus longtemps, ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente et il souffla les chandelles avec plus de rage qu'il n'aurait voulu laisser paraître. J'étais frustrée, je détestais me disputer avec lui et c'était pourtant ce que nous ne cessions de faire depuis quelques jours. De plus j'avais bien l'intention de rentrer au château, qu'il le veuille ou non, aussi souhaitai-je le quitter en bon terme et ne pas le laisser seul avec des ressentiments négatifs.

Ce fut uniquement vers la fin de la nuit qu'il accepta d'enterrer la hache de guerre et se glissa contre moi en silence. Le baiser que nous échangeâmes avait un amer goût de séparation, nous le savions tous deux, en raison de ce qui venait de se passer, nous ne pourrions nous revoir avant un temps indéfini. Je voulus parler, le rassurer, lui expliquer que tout ceci ne serait que temporaire mais cela aurait été lui mentir. Cela n'était qu'une question de jours avant que les vampires ne lancent une offensive contre ceux qui les avaient une fois encore ridiculisés. Lorsque les loups-garous seraient sous contrôle, ils s'intéresseraient aux humains qui leur avaient résisté et à ce moment là, j'espérais secrètement qu'Olek serait loin, le plus loin possible des vampires et par conséquent de moi.

Peu de paroles furent prononcées durant notre étreinte, chacun se contentant de profiter de la présence de l'autre en laissant le reste loin du calme qui régnait au cœur de la forêt. Les premiers rayons du soleil réchauffaient à peine la terre engourdie de sommeil lorsque nous nous endormîmes, pelotonnés l'un contre l'autre.

Je me réveillai quelques heures plus tard, alors que la lumière déclinait lentement et que l'horizon s'assombrissait. Un peu désorientée en premier lieu, je ressentis rapidement la chaleur du corps d'Olek collé contre le mien et son souffle régulier dans ma nuque. Il semblait paisible et alors que j'avais décidé de le saluer avant de partir je pris la décision de le laisser dormir, consciente qu'il m'en voudrait certainement. Je ne voulais pas l'inquiéter d'avantage et je n'étais pas certaine de réussir à faire ce que j'avais résolument prévu s'il tentait à nouveau de me faire plier. Avec autant de délicatesse que possible je repoussai le bras qui me plaquait contre son torse et me dégageai de son étreinte. Une fois sortie des couvertures la fraicheur du crépuscule mordit ma peau et ce fut avec un certain sentiment d'embarras que je me mis en quête de mes vêtements, quelque peu éparpillés dans la minuscule pièce. Je m'habillai prestement, ramenai mes cheveux en un chignon lâche et récupérai la dague de Viktor près des armes d'Olek, puis, préférant attendre une pénombre plus prononcée, m'assis à côté de lui. Son visage serein avait retrouvé l'insouciance qui lui allait si bien et son corps se soulevait doucement au rythme doux de sa respiration. Il frissonna cependant et je remontai un drap sur ses épaules nues. Je restais là quelques minutes, tapie dans l'ombre, à l'observer, l'esprit encore un peu embrumé par nos échanges de la nuit passée. J'avais rougi plus d'une fois alors que ses mains se glissaient sous ma tunique pour m'en défaire et que les miennes, un peu tremblantes tentaient de dénouer sa ceinture, et lui n'avait pas caché sa gêne lorsque nous avions approfondi nos caresses. J'étais incapable de dire si cela avait été plus ou moins agréable que ce à quoi je m'attendais, tant cela avait été maladroit. Nous avions ri à plusieurs reprises sans pour autant briser complètement le silence et le ressentit qui restait le plus gravé dans ma mémoire était la tendresse et la douceur que nous avions partagées.

Secouant la tête pour me défaire de ce frais souvenir ayant la fâcheuse tendance à rendre mes joues plus écarlates que jamais, je déposai un léger baiser sur les lèvres d'Olek et me décidai à partir avant que mes fâcheuses prédispositions au sentimentalisme ne me fassent brusquement changer d'avis.

oOo

La suite fut simple.

Dès lors que mon retour au château fut constaté on me conduisit dans mes appartements sans plus de cérémonie. Malgré mes protestations Viktor fût intransigeant et je me trouvai enfermée rapidement. Les heures qui s'écoulèrent alors furent les plus longues de mon existence. Attendre n'avait pourtant jamais été un problème pour moi, mais être dans l'ignorance alors que je savais ma sœur aux mains des membres du conseil me terrifiait. Je voulais être avec elle, Ilona avait besoin de moi, après ce qu'elle venait de découvrir elle avait besoin de quelqu'un de familier, de quelqu'un qui puisse la comprendre et pas de ces quelques aristocrates que la jeunesse et l'espérance effraient.

Puis, il y a une heure, Viktor vint me voir, enfin.

Il m'inspecta de haut en bas, guettant le changement qui avait eu lieu durant ces jours passés à l'extérieur, ne trouva rien et me serra dans ses bras.

Je crois que j'aurais préféré qu'il me hurle dessus. C'est certainement ce qu'il aurait fait en temps normal. J'avais été imprudente, stupide, irréfléchie et inhabituellement audacieuse, mais visiblement, la seule chose qui importait aux yeux de l'aîné était que je sois en vie. Pour la deuxième fois en cinq ans je découvrais Viktor sans sa carapace et le cœur dépourvu de la muraille de glace qui l'entourait habituellement, il avait peur, il souffrait et plus encore, il s'en voulait.

Il n'avait eu d'autre choix que de transformer Ilona en vampire, c'était la seule manière de la garder en vie tout en préservant son secret. Les vampires réservent deux sortes de traitement à ceux qui les défient : la mort ou une place dans leurs rangs. En fonction du préjudice et de l'ingéniosité de l'opposant l'une ou l'autre des deux options est choisie. Dans le cas d'Ilona c'était bien plus compliqué. Son jeune âge brusquait les conseillers qui ne se voyaient pas condamner une enfant et il terrifiait au vu des aptitudes qu'elle laissait paraître posséder. Markus et Amélia, également conscients de l'attachement de Viktor envers elle et prenant en compte les liens du sang que nous partagions avaient aidé à trancher en faveur de sa transformation. C'était Viktor qui s'en était chargé, il avait insisté et de toute façon personne n'avait envie de prendre le risque de tuer une jeune fille s'il s'avérait que l'âge avait son importance dans le processus de mutation alors impliqué.

Le changement s'effectue actuellement et peut prendre un certain temps. Les plus rapides transformations se sont vues effectuées en quelques heures à peine alors que les plus longues ont vu le sujet plongé dans l'inconscience pendant plus d'une semaine. La moyenne est semble-t-il de deux jours avant que sa nouvelle nature n'ait totalement pris possession de l'ancien être humain.

En attendant que le venin ne rende son verdict n'existe que l'attente, cruelle et inévitable.

La porte reste close.

OoooooO


Nous retrouvons Tanis pour encore deux chapitres et ce sera le grand retour d'Ilona! Ces deux parties combleront un peu les trous et aborderont notamment ce qui est arrivé à Aurél. Je vais certainement faire une petite pause après la publication des deux dernières parties des Archives n°4 du Conseil pour me concentrer sur d'autres projets (dont la suite d'Alicia!). Sinon on arrive gentiment vers le milieu de cette fanfiction (je ne cache pas qu'elle est bien plus longue que prévue...).

Ce chapitre traine depuis un moment sur mon ordinateur puisque je l'ai rédigé en même temps que la première partie des Souvenirs d'Helén, donc peut-être qu'au niveau du style c'est un peu différent... Bref, à très vite! :)