Il avait de nouveau placé ses espoirs dans cette journée comme à chaque fois qu'il quittait le cocon familial. Et comme à chacune de ses tentatives, ses attentes se retrouvaient décimées au marteau.
Parfois, il se questionnait sur les actes horribles qu'il avait pu commettre dans une vie antérieure pour mériter une telle existence.
Le souffle court et légèrement haletant, Charlotte Katakuri, du haut de ses dix ans fixait le petit garçon qu'il tenait à bout de bras, ses doigts agrippant fermement le col de la chemise du pauvre bambin au visage boursoufflé de coups et de bleus.
La ruelle était autrefois bruyante, cacophonie causée par des bouches remplies à ras bord d'insultes et de moqueries, toutes ayant pour seule cible, un garçon qui n'avait rien demandé à personne. Leurs mots crûs avaient commencé à pleuvoir sur lui, tous pointant un doigt hilare vers une particularité physique qu'il avait hérité d'un père qu'il ne connaissait pourtant ni de visage, ni de nom.
Cette caractéristique difforme scindait son visage en deux, laissant entrevoir une bouche béante qui abritait de longues dents pointues et saillantes, pareilles aux canines d'un chien mais en pire. Voilà ce qu'on lui rabâchait depuis le berceau. Et la première à lui en faire part n'était nulle autre que sa propre génitrice. Elle disait sans cesse qu'il la répugnait, que cette bouche ne faisait de lui qu'une bête de foire en plus et qu'il aurait mieux fait de rester caché aux yeux du monde.
Mais Katakuri était un dur à cuir du moins, c'est ce qu'il s'acharnait à penser. Il n'avait que faire du regard des autres et bien qu'il avait commencé à se retirer en la présence de sa mère pour ne pas l'importuner, il faisait face à ceux qui osaient se moquer de lui, le dénigrer. Il n'avait pas besoin d'amis et quiconque s'en prendrait à lui, il les tabasserait voilà ce qu'il avait avoué, devant les expressions hilares de ses jeunes frères. Après tout il était exagérément plus fort que les gamins de son âge et le nom de sa famille ne cessait de gagner en notoriété, grondant à travers l'étendue salée de Grandline. Il était craint et c'est ce qui faisait la différence.
Cependant. . .
— M. . .monstre, l-lâche moi Grandgousier. . .
Le petit blondinet n'eut pas le temps de terminer sa phrase alors que son corps fut projeté vers le reste de sa bande qui gisait maintenant sur le pavé, les gémissements de ceux qui étaient encore conscients s'élevant de leurs corps meurtris.
Son torse découvert montant et descendant continuellement alors qu'il récupérait son souffle, le violet porta un avant-bras sur son visage afin d'essuyer la saleté qui entravait toujours ses traits. La peau de son bras effleura le bout de ses canines et il se retrouva immobile au milieu de cette ruelle, ses iris pourpres fixées sur ses intimidateurs. Ils étaient pathétiques, là sous ses pieds et il devait admettre qu'ils n'avaient eu que leur bouche pour parler, tous aussi faibles les uns que les autres. Il n'en avait fait qu'une bouchée de leur petit groupe.
Cependant, il aurait aimé qu'ils soient toujours debout, il aurait aimé que ces enfants ne soient pas comme tous ceux qu'il avait rencontré dans les îles précédentes, qu'ils soient moins idiots, qu'ils l'acceptent ,ne serait-ce qu'un peu, lui et son visage.
Mais la scène devant lui disait tout. C'était toujours la même rengaine et son physique faisait tout autant défaut.
Soupirant devant les pensées moroses qu'il commençait à développer, le jeune Charlotte tourna le pas, décidant qu'il avait eu sa juste part de baston pour la mâtinée.
Bien que son énième tentative de s'entendre avec des gens de son âge avait lamentablement échouée, il gardait toujours en tête que des îles, il y en avait des centaines et qu'un jour ou l'autre, avec les voyages qu'entreprenaient la flotte de sa mère, il allait finir par trouver son compte quelque part. L'optimisme était toujours bon à prendre selon lui.
Alors qu'il sortait de la ruelle ombragée par la toiture des bâtiments de la région, son visage fut à nouveau baigné des rayons chaudes de la journée, la chaleur picotant son épiderme ici et là, la lumière faisant quelques bonds sur l'émail de ses dents. Inconsciemment, il brandit son visage, la tête haute, l'air de dévoiler au monde son allure, sans aucune complexité.
Sortant de sa petite transe, il s'éloigna un peu plus de la ruelle, ses poings enfoncés dans les poches de son pantalon noir alors qu'il avançait, la posture droite.
Pendant ce temps-là, alors que sa forme s'effaçait peu à peu à l'horizon, dans la petite dédale qu'il venait de quitter se trouvait une jeune fille perchée sur le rebord du toit. Assise dans son petit coin, elle avait été témoin de la petite guéguerre qui s'était jouée sous ses pieds, ne perdant pas une miette du spectacle alors que ses orbes vifs brillaient d'excitation derrière le rideau de soie que formait ses mèches blanches. Elle s'était retenue de pousser quelques cris et sifflement d'admiration quand un poing se connectait à une mâchoire ou bien de s'élancer elle même dans la foulée et de se fondre dans le nuage de poussière crée par la rixe.
Voilà maintenant plusieurs minutes que l'action avait prit fin. Ses pieds nus se balançaient dans le vide, faisant teinter les bracelets en argent qui ornaient ses chevilles. Elle fixait d'un air avide les intimidateurs qui avaient connus des jours meilleurs, son regard faisant des va-et-vient frénétiques entre l'amas de corps et le dos du garçon qui s'éloignait de plus en plus.
Son corps fut plus rapide, prenant une décision avant qu'elle n'ait eu le temps de réfléchir à un quelconque plan. Elançant son petit gabarit dans le vide, elle atterrit lourdement sur le sol, causant les cris plaintifs de certains blessés. Elle ne les gratifia d'aucune excuse, choisissant plutôt de se dépêcher à son tour dans la lumière, une destination bien précise ayant germé dans son esprit alors qu'elle engageait une course à travers la rue principale de la ville.
