Résumé: Même s'il a repoussé cette idée pendant longtemps, Harry n'a rien pu faire pour éviter l'inévitable: la délégation de vampires arrive au Manoir.

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Petite note de l'auteur: à tous ceux qui trouvent que le lien entre Severus et Harry est particulier et parfois pas très sain... c'est le cas. Même s'il est une vraie source de réconfort pour les deux hommes, s'il leur permet de se soutenir mutuellement et de mieux se comprendre, il a aussi des aspects pervers dont ils n'avaient pas mesuré l'ampleur au départ et qui se renforcent avec le temps. Chacun a du mal à y trouver sa place, entre rester soi-même et faire des concessions pour l'autre. Sans compter que le lien a ses propres exigences, de domination pour Severus et de soumission pour Harry. Comme l'ont dit Lucius et Draco, il faut faire attention quand on joue avec les vieilles magies! ^^

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L'essentiel de ce chapitre est une longue conversation. Si le pouvez, essayez de prendre le temps de la lire d'un seul tenant :)

Tout de suite, la rencontre avec la délégation... Bonne lecture!

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Le temps avait passé inexorablement, impossible à défaire, à ralentir, et il se comptait maintenant en une poignée d'heures, maussades, lugubres, qui lui nouaient le ventre et lui tordaient le cœur.

Luna venait de partir, ramenant Aria à Poudlard, et la seule étincelle de joie qui restait dans ce Manoir s'en était allée avec elles. Harry avait préféré qu'elle vienne la chercher tôt, dès la fin de ses cours, pour éviter que sa fille ne ressente trop sa morosité et son stress qui enflaient à vue d'œil. Était-ce cela qu'elle avait déjà ressenti durant tout le week-end, ou bien simplement une dent ou un rhume qui pointaient, mais Aria n'avait pas cessé d'être grognon, irritable, elle avait mal dormi – à peu près autant que lui d'ailleurs – et mangé du bout des lèvres. Une humeur à l'image de la sienne, même s'il s'était efforcé de faire bonne figure devant elle et devant ses amants.

Machinalement, Harry secoua la main, gêné par il ne savait quoi en tenant son livre. Puis il regarda plus attentivement, pour ne rien voir du tout. Il avait mal à son annulaire gauche. Évidemment. Ça faisait longtemps et il n'était pas dupe. Tout à l'heure, il n'aurait plus mal au doigt mais au ventre... Autre symptôme de son angoisse. Il soupira en massant ce doigt vaguement ankylosé. Un jour, il irait peut-être voir ce psy que lui avait conseillé Evans à Sainte-Mangouste. Ses propres réactions le fatiguaient.

Sans pouvoir s'en empêcher, il leva le regard vers la pendule : les heures se comptaient à présent sur les doigts d'une main. En espérant que le dîner et la soirée de gala se terminent le plus tard possible... Un instant, il pensa à Severus qui devait sans doute, pour son plus grand bonheur, s'employer à faire de la figuration. Il avait horreur de ça mais lui aussi devait faire preuve de diplomatie...

Severus était parti aussi tard qu'il le pouvait. Ils avaient déjeuné ensemble, si l'on pouvait appeler déjeuner les trois haricots verts que Harry avait consenti à avaler. Puis, vers quatorze heures trente, Severus était monté prendre une douche rapide et se changer, plus élégant que Harry ne l'avait vu depuis longtemps. Presque aussi beau que le jour de son mariage avec Lucius... La comparaison lui avait fait mal. Que Severus se mette sur son trente-et-un pour accueillir pareilles créatures l'avait remué, mais il s'agissait surtout d'être à la hauteur de la position politique de Lucius. Encore et toujours.

Ils s'étaient quittés sans un mot, sur le perron du Manoir. Ils n'en avaient pas besoin parce que l'essentiel passait par le lien. Severus l'avait embrassé, rapidement, puis il avait plongé son regard dans le sien. Dans ses yeux sombres, presque brûlants, Harry n'avait vu que des certitudes. Ils ne se reverraient que lorsque les vampires seraient arrivés au Manoir, mais il serait là, il n'avait aucune crainte et tout se passerait bien. Harry aurait voulu avoir pareille confiance.

À présent qu'Aria, elle aussi, était partie, il tournait en rond. Il avait éteint les flammes de la cheminée, refermé la porte du bureau de Lucius et il était seul avec ces aiguilles égrenant les secondes qui le narguaient dans chaque pièce. Il reposa le livre qu'il n'arrivait pas à lire, il ne voulait pas descendre voir ses potions de peur de faire une bêtise sous l'effet du stress, il n'avait pas faim, ni soif, il n'avait rien à faire, ni envie de rien. Il allait simplement rester là, face au feu et à l'horloge et regarder les heures passer comme un condamné qui attend l'aube et son exécution.

Il grogna. Tout ça était trop mélodramatique pour lui. Il se leva sans but, fit un tour dans la Bibliothèque où rien ne l'inspirait, puis, attiré le soleil, sortit sur la terrasse. La chaleur lui fit du bien, même si elle n'atténuait pas complètement cette impression d'être glacé de l'intérieur. La lumière était éclatante, presque vulgaire au vu de son humeur, mais il avait toujours été un homme d'extérieur. En fermant les yeux pour savourer le soleil sur sa peau, il soupira.

Que faisait Severus quand il avait besoin d'évacuer son stress ? Parfois, il fréquentait l'antichambre, mais seul, cela paraissait compliqué. Et puis de toute façon, Harry ne souhaitait rien qui se rapproche de près ou de loin du sexe. Il ne savait pas si ses amants avaient trouvé un moment pour s'envoyer en l'air sans lui... Il l'espérait pour eux car lui, il n'en avait aucune envie, et d'ailleurs, personne ne le lui avait proposé ou suggéré. Même Lucius devait être assez préoccupé pour ne rien avoir tenté, alors qu'ils n'avaient pas fait l'amour depuis au moins une semaine... Un délai étonnamment long. Et qui n'était pas prêt de trouver un terme car Harry ne voyait même pas comment il pourrait éprouver le moindre désir en sachant ces créatures à quelques mètres de sa chambre pour les quatre nuits à venir.

Non, la plupart du temps, pour se défouler, Severus allait nager et cela lui réussissait plutôt bien. Cela faisait longtemps que Harry n'avait pas nagé. Se baigner, oui, mais nager réellement... La piscine était là, à portée de main, presque tentante vu la chaleur, mais il se contenta se retirer chaussures et chaussettes, de retrousser son pantalon, et d'y tremper les pieds en s'asseyant sur le rebord.

Et puis finalement, après un bon moment passé en plein soleil, assez long pour avoir sans doute ôté une heure à ce décompte funèbre, il quitta ses vêtements et se laissa glisser au fond de l'eau. Quitte à rester là, autant se rafraîchir et se délasser un peu.

Ce fut la fraîcheur de l'air qui le tira hors de l'eau et le fit rentrer. Il était l'heure de dîner mais il n'avait pas faim, l'estomac noué à l'idée que là-bas aussi, ils devaient être en train de dîner, et qu'il ne restait que peu de temps avant que les délégations n'aillent s'installer sur leurs lieux de villégiature. À quelle heure donc se terminait habituellement ce genre de dîner ? Vingt-et-une heures ? Vingt-deux heures ? Vingt-trois heures ? Est-ce que ce serait trop impoli s'il n'attendait pas leurs invités et qu'il allait se coucher ?...

Pour s'occuper le corps et l'esprit, Harry partit dans la salle de billard, demanda une bière aux elfes et frappa quelques billes. Il aurait préféré quelque chose de plus fort, un vieux whisky comme chez Alicia ou un des cognacs de Lucius, mais il était quasiment à jeun depuis le petit déjeuner, et il ne voulait pas risquer de commettre un impair.

Et quand finalement il en eut assez d'être si médiocre avec sa queue, il reposa le tout et partit avec sa bière dans le Petit Salon, parce qu'il savait que ce serait là que Lucius amènerait ses invités. Il s'assit dans un fauteuil, avec la porte en ligne de mire et se demanda comment il allait réussir à tenir en place. En tout cas, il avait eu raison : à présent, il avait mal au ventre et ce n'était pas la faim ni la bière. Il se sentait moite, fébrile, à l'affût du moindre bruit dans ce Manoir trop silencieux, et son cœur battait la chamade dès qu'il croyait percevoir un son. Pire que tout, l'incertitude le tenaillait. Ils pouvaient arriver dans deux minutes comme dans une heure, et le fait de ne pas savoir, de n'avoir aucune limite à laquelle se raccrocher lui faisait l'effet d'un saut dans le vide. Si même il avait su combien de personnes allaient arriver, ç'aurait été un élément de réponse, mais il ne savait rien. Un inconnu abyssal s'ouvrait devant lui et il devait y plonger la tête la première, en toute confiance, alors qu'il n'éprouvait pas la moindre miette ou bribe ou pincée de quoi que ce soit de positif.

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Il avait fini par ouvrir un des vieux albums photo du Manoir, parce que c'était la seule chose qui réussissait un tant soit peu à capter son attention. Des images du passé, Iris et Minerva bébé, ses amants plus jeunes, toujours aussi beaux... Il avait même dû sourire devant une ou deux photos, captivé par ces souvenirs au point d'oublier de regarder l'heure. Mais lorsque Harry sentit la présence de Severus dans le lien, une puissante décharge d'adrénaline le secoua et il regretta amèrement ces minutes perdues dans l'inattention.

Il attendait. Figé. Transpirant. Dans un état de stress qu'il n'avait jamais connu, même devant Voldemort. Et c'était ridicule, parce qu'il était quand même celui qui avait tué Voldemort... Mais aujourd'hui, c'était contre lui-même qu'il se battait, et ce combat-là était autrement plus difficile.

Les secondes s'égrenaient avec une régularité et une monotonie consternantes, et pourtant chacune lui paraissait durer des heures, une vie, une éternité... Il ne pouvait plus y échapper. La sensation d'un piège qui se refermait inexorablement sur lui, sur sa liberté, sur son intégrité mentale... Et pourtant dans le lien, la présence de Severus était chaude et rassurante. Confiante.

À présent, Harry entendait des pas sur le marbre du Hall d'Entrée, des mouvements, l'écho de quelques voix, celle plus aiguë d'un elfe, son propre cœur qui battait dans ses oreilles... Il essuya ses mains moites sur son pantalon puis s'efforça de croiser les jambes dignement. S'il avait pu se recroqueviller, ou mieux encore, disparaître d'ici, il l'aurait fait. Mais encore et toujours, la réputation et la position sociale de Lucius... Et puis, il était chez lui.

Il se raccrocha à cette idée, petit noyau de solidité et de résistance dans un océan d'insécurité où toutes ses certitudes se diluaient inexorablement. Il était chez lui. Il ne faisait pas partie de ceux qui avaient à se sentir mal à l'aise ou étrangers. Il pouvait se redresser et les regarder dignement. Avec un semblant d'assurance. Même si, tout au fond de lui, la petite chose hirsute et recroquevillée ressemblait étrangement à un mélange de l'enfant dans le placard et de l'homme couvert de sang et aux os en miettes qui s'était échappé de l'enfer de sa captivité.

Et puis brusquement, ils furent là. Trop tôt. Forcément trop tôt. Il se leva. Severus dans l'encadrement de la porte. Le premier, comme pour s'interposer. Les cheveux blonds de Lucius qui guidait du bras un homme pâle au regard perçant. Et puis... Harry pencha légèrement la tête de côté pour apercevoir le couloir derrière eux. Et puis c'était tout ? Il n'y avait personne d'autre ? Il fronça les sourcils sans comprendre tandis que Lucius faisait déjà les présentations.

– Mihai, je vous présente Harry Potter, potionniste et chercheur, et surtout un ami très précieux, qui nous fait l'honneur de vivre et de travailler ici... Harry, voici Mihai Evanescu, qui représente le peuple de Colibita au Sommet Européen...

Colibita... « L'homme » était bien de cet endroit-là, mais il était seul ? Harry tendit la main machinalement. Ce n'était pas un homme. Sa peau trop pâle, presque bleutée, quelque chose dans son regard, ce que criait son instinct au fond de son ventre tordu et contracté... Et la petite chose recroquevillée au fond de lui criait aussi toute son insécurité.

La créature prit sa main dans la sienne – glacée – et se pencha à demi. Viscéralement, il eut peur de sentir des dents sur sa peau. Il se contracta en attendant la morsure. Une bouffée d'angoisse vertigineuse le prit des pieds à la tête, le laissant aussi glacé que la main dans la sienne. Mais il n'y avait rien. Harry resta interloqué. Le geste ressemblait presque à un baisemain, inachevé, mais la créature l'avait déjà lâché, s'était redressée et reculée d'un pas.

– Je vous en prie, venez vous asseoir... Puis-je vous faire servir quelque chose ?

Un verre de sang ?!

– Je vous remercie, Lucius, mais si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vais me retirer dans mes quartiers. La journée a été longue et dense. J'ai besoin, comme nous tous, de me reposer et de réfléchir...

– Bien entendu. Venez, je vais vous montrer vos appartements...

Il y eut un tourbillon de mouvement, des cheveux blonds qui virevoltaient puis s'éloignaient dans le couloir.

Et puis le silence.

Et puis les bras de Severus autour de lui.

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Harry ne se souvenait pas d'être monté, ni de s'être brossé les dents ou de s'être déshabillé, mais il avait dû faire tout cela puisqu'il était maintenant dans leur lit, les bras de Severus autour de lui, niché sous une couette pleine de chaleur. Dans la salle de bains, Lucius achevait de se préparer pour la nuit après avoir installé leur invité dans sa suite. Il entendait couler l'eau du robinet, puis le bruit d'une brosse à cheveux. L'envie de caresser ces cheveux-là le prit brutalement aux tripes. Il voulait la douceur de Lucius.

Dans le lien, Harry sentait l'assurance de Severus. Aussi puissante que l'étreinte de ses bras. Son amant marmonnait quelques mots, pour répondre à sa question : toutes les cérémonies et les discours avaient été d'une longueur effroyable et d'un ennui prodigieux. Au point de lui coller un début de migraine. Qui avait fini par passer avec un ou deux verres de vin, et surtout le dîner qui, somme toute, n'était pas mauvais du tout. Il s'était tenu sage et quand il n'accompagnait pas Lucius, il avait passé pas mal de temps avec Matthieu et Charlie, qui allaient bien. Lucius avait été princier, comme toujours dans ce genre d'occasion, mais peut-être encore davantage cette fois-ci où il faisait vraiment figure de leader au milieu de tous les représentants et de toutes les délégations. Mark lui transmettait son bonjour, un baiser sur chaque joue et un coup de pied au cul pour se secouer un peu. Draco l'embrassait.

Il n'y eut pas un mot sur les vampires, et encore moins sur leur invité. Pas un mot non plus pour expliquer pourquoi la délégation de Colibita s'était transformée en une seule créature. Pas un mot sur sa réaction, ni sur cette confrontation étrange qui n'avait pas duré une minute. Pas un mot pour savoir comment il allait...

Il n'aurait pas su répondre, de toute façon. Et Severus devait en percevoir davantage dans le lien.

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Étonnamment, Harry avait dormi. Peu, mais relativement bien. Trop épuisé d'avoir passé toute la journée dans l'attente et le stress, sans doute... Il se réveilla en percevant le mouvement de Severus qui quittait le lit à l'aube, comme chaque matin. Rendors-toi... Severus l'embrassa et enfila un kimono pour descendre nager, comme chaque matin.

Il était parfaitement réveillé, il aurait pu l'accompagner, mais il se serra contre Lucius avec avidité. Il voulait de la douceur et plonger son visage dans ces cheveux blonds. Il voulait que Lucius frotte son nez contre lui en se réveillant. Il voulait assez de tendresse pour pouvoir affronter cette journée, et surtout le petit-déjeuner en compagnie de cette créature.

Severus remonta une bonne heure plus tard et partit se réchauffer sous la douche. Puis quand il eut fini, ce fut Lucius qui le remplaça, et Harry partit le rejoindre sous l'eau chaude. Pas ce matin, Harry... Il n'en avait pas l'intention. Il voulait juste profiter un peu plus longtemps de sa présence. Il ne serait pas seul aujourd'hui, puisque Severus restait au Manoir avec lui, mais ils comptaient tous les deux.

Lucius le prit dans ses bras et embrassa sa peau, juste à la base de la nuque, jusqu'à lui laisser une jolie trace vermeille. Cela le fit sourire. Il avait toujours aimé les marques de Lucius, où qu'elles soient et d'où qu'elles viennent. Même sur le corps de Severus... Cela comptait. Particulièrement aujourd'hui.

Tandis que son amant se passait de la crème sur le visage devant le miroir, il prit la brosse et entreprit de coiffer ses cheveux. Lucius était toujours très soigné, presque coquet, et Harry avait toujours aimé ses cheveux. Ils étaient doux comme de la soie. Peut-être pas aussi doux que ceux de sa fille, mais pas loin. Et il aimait les caresser.

Puis Lucius se retourna pour lui faire face, prit son menton d'une main possessive et posa ses lèvres sur les siennes. Il serait peut-être temps de s'habiller, non ?...

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Ils étaient tous les trois installés à la table du petit-déjeuner quand il arriva, guidé par un elfe de maison qu'il remercia en entrant dans la Salle à Manger. Les elfes non plus n'avaient pas l'air très rassurés en sa présence. Ils ne craignaient pourtant pas de se faire mordre mais ils devaient sentir cette magie particulière...

Imitant ses amants, Harry se leva à demi à son entrée et le salua de la tête. Puis il se rassit tandis que Lucius se chargeait d'installer leur invité et de faire la conversation. La chambre vous convient-elle ? Y a-t-il quelque chose dont vous auriez besoin et auquel les elfes n'ont pas pensé ? Severus avait laissé sa place à la créature et s'était assis à la sienne, juste à droite de Lucius. Lui il s'était décalé d'un cran, comme un invité... Tant qu'il n'était pas assis à côté de ça.

Son assiette était vide. Il n'avait pas faim. Mais après un petit coup de genou de Severus sous la table, Harry prit quelques fruits dans une corbeille et commença à les éplucher. Sky avait dû sentir son envie de douceur et elle avait trouvé des jaboticaba délicieux. L'assiette de la créature restait vide aussi et un instant, il se demanda ce qu'elle allait bien pouvoir manger sur cette table. Les aliments étaient variés, mais les vampires consommaient-ils autre chose que du sang ? Et comment celui-là allait faire pour se nourrir durant le sommet s'il était venu seul ? Qui allait-il mordre ? Lucius avait pourtant assuré qu'ils étaient pacifiques et respectueux...

Harry piocha un corossol dans la corbeille et attrapa sa petite cuillère. Sky avait vraiment fait des efforts. À côté de lui, Severus avalait ses saucisses et ses champignons avec appétit, et pour une fois, cela ne lui soulevait pas le cœur. Il avait sans doute pire en face de lui...

En homme du monde, Lucius faisait la conversation, laquelle avait lentement dérivé de compliments sur le dîner et la réception de la veille à des considérations plus politiques sur le programme du jour. La créature avait une voix assez grave, pas autant que celle de Håkon, mais surtout très veloutée. Onctueuse. Propre à son espèce certainement...

Son apparence était celle d'un homme d'une quarantaine d'années, aux cheveux mi-longs, un peu comme les siens, et coiffés en arrière. La couleur en était indéfinissable : sombres sans être noirs, ils paraissaient davantage tirer sur un gris ardoise; de la même façon que sa peau paraissait blafarde, mais tirait vers des reflets bleutés. Les yeux, en revanche, étaient d'une couleur tranchée, noirs de jais, et semblaient lumineux sur cette apparence éthérée. Ils le fixèrent, brièvement. Harry replongea le nez sur le fruit entre ses doigts. Sans doute la créature avait-elle perçu son regard insistant.

Lucius se servit une tasse de thé et en proposa à son invité, qui accepta volontiers. Ils buvaient donc autre chose que du sang. Harry ne put s'empêcher de l'observer, pour voir s'il allait réellement l'avaler. Et il le fit. Alors même que le thé devait être encore brûlant. Assurément bien trop pour eux. Il buvait, donc... Avait-il un système digestif pour assimiler ce qu'il ingurgitait ? Ces créatures-là n'étaient-elles pas censées être mortes ?

Pourtant les yeux bougeaient, brillaient, son visage s'animait lorsqu'il parlait, les mains gracieuses suivaient son propos ou tenaient la tasse de thé en redressant légèrement le petit doigt, les cheveux, soulevés par le col de sa veste, semblaient légers et vaporeux... Si ce n'était sa couleur de peau, il semblait vivant.

Il n'était pas désagréable à regarder. Il avait même dû être beau dans le passé, mais de ces beautés anciennes, d'une autre époque. Des traits fins, harmonieux, une jolie bouche aux lèvres pleines... mais quelque chose comme une douleur dans le regard, une attitude un peu lointaine, contemplative, comme si cette créature-là savait tout de la tristesse et de la vanité du monde et se contentait de regarder le temps passer avec une certaine mélancolie. À vivre pour l'éternité, on devait forcément ne plus éprouver que lassitude et ennui...

Lucius s'était levé sans qu'il ne s'en rende compte et en quelques instants, lui et la créature prirent congé. Harry croisa le regard de son amant, qui le salua d'un sourire plein de tendresse, puisqu'il ne pouvait rien se permettre d'autre. Une fraction de seconde, il entraperçut aussi le regard de la créature, sombre et lumineux en même temps, qui le mit diablement mal à l'aise et il répondit à peine à son signe de tête.

Quand ils quittèrent la Salle à Manger, Harry se rendit compte qu'il respirait un peu mieux, et quand ils durent emprunter la cheminée du bureau de Lucius, ce fut comme une présence pesante et intangible qui disparut du Manoir. Il soupira de soulagement.

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Il était si soulagé qu'il eut même envie d'une tasse de champurrado et que, plus tard dans la matinée, il s'endormit sur le canapé, collé contre Severus. Il n'en était pas encore au point d'avoir envie de sexe, mais retrouver ce semblant de quiétude et de sérénité pour quelques heures était déjà reposant.

Il fut même capable de vaquer à ses occupations habituelles : descendre surveiller ses potions, traiter le courrier courant en l'absence de Mark qui avait congé pour la semaine en raison du Sommet, avancer un peu ses recherches... Une journée presque normale si, les heures passant, il n'avait surveillé les horloges avec une appréhension grandissante.

Harry ne savait que penser. La première rencontre, la veille au soir, avait été fugace. Il avait gardé le souvenir de cette main glaciale et de son angoisse brutale de sentir des dents sur sa peau. Le petit-déjeuner avait été non moins étrange. Normal ou presque en apparence, mais au départ de la créature, il avait bien perçu la disparition de cette présence magique, de cette influence pernicieuse qui agissait sur eux quand elle était dans la pièce. Le charme du vampire comme c'était abondamment décrit dans la littérature, et il se demanda à quel point cela avait influencé son comportement.

Même Severus lui en avait fait le reproche en se moquant gentiment.

– Tu n'as pas cessé de le regarder, je t'ai vu !

– Serais-tu jaloux ? avait-il grogné.

– Je serai toujours jaloux lorsque tu regarderas quelqu'un d'autre que moi... Ou Lucius. Mais je remarque aussi qu'il est la première personne capable de te clouer le bec de cette façon !

Severus avait ri de son indignation mais Harry avait fini par se rendre compte qu'il n'avait pas adressé un seul mot à la créature. À peine une poignée de main avortée et de vagues signes de tête. Pour être à la hauteur de la réputation de Lucius, on pouvait faire mieux. En tout état de cause, il allait certainement devoir faire des efforts.

Mais finalement, la situation aurait pu être pire. Il n'y avait qu'une seule créature là où il s'était attendu à voir débarquer une horde de vampires et d'humains à moitié transformés en inferi; il avait l'air à peu près civilisé... poli et courtois, tout du moins; il n'avait pas bu de sang à table, il n'avait pas eu l'air de se délecter en se demandant lequel d'eux trois il allait choisir pour victime, il n'avait pas parlé de quoi que ce soit qui puisse être dérangeant... Il avait même passé un temps ridiculement court avec eux. Réduit au strict minimum. La soirée d'aujourd'hui risquait d'être bien plus longue puisqu'il était censé dîner au Manoir, mais bizarrement cela l'inquiétait moins.

Et puis surtout, Harry avait moins réagi qu'il ne le pensait au départ. Son doigt n'était plus sensible. Il n'avait plus mal au ventre, même si quelque chose restait noué à l'intérieur. Il n'avait pas d'appétit pour autant, mais son estomac était au repos au lieu d'être nauséeux. Il avait peu dormi mais il n'avait pas le souvenir d'avoir fait des cauchemars... Et la créature ne ressemblait pas à ce qu'il avait craint.

Il avait eu peur de superposer instinctivement ses souvenirs sur elle, d'entendre le rire du vampire de sa captivité dès qu'il ouvrirait la bouche, il avait eu peur d'entendre la même voix, de voir le même regard, de ressentir la même terreur, la même douleur, et ce n'était pas le cas. Les images de son corps nu et supplicié ne s'étaient pas immiscées devant ses yeux, il n'avait pas entendu le bruit de ses os brisés, il n'avait pas ressenti la faim, la soif, le désespoir absolu qu'avait été sa situation. Il n'avait pas eu l'impression de se retrouver face à son tortionnaire, ni ressenti cette peur viscérale de se faire mordre et de lui appartenir pour l'éternité.

Il avait été dérangé, mal à l'aise et inquiet, mais il n'avait pas été envahi, ni submergé par ses émotions. Il avait davantage craint par anticipation qu'il n'avait été effrayé le moment venu... Il espérait juste que ce n'était pas reculer pour mieux sauter.

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Harry sut immédiatement que la créature était de retour. La même présence pesante que le matin au petit-déjeuner et la veille au soir, la même pression magique dans le Manoir. Severus le ressentit lui aussi et fronça les sourcils tout en appelant Clay.

– Ils sont dans le bureau de maître Lucius, monsieur. Maître Lucius et le vampire Evanescu...

Severus hocha la tête et se détendit imperceptiblement, puis reprit sa lecture. Il était dix-huit heures sur l'horloge du salon, les dernières réunions du Sommet venaient sans doute de se terminer et ils faisaient le bilan de la journée dans le bureau de l'aristocrate... C'était aussi bien, tout ça ne les concernait pas vraiment... Tant bien que mal, Harry reprit la lecture de son roman, mais l'histoire ne le passionnait pas outre mesure. Severus le lui avait pourtant recommandé mais il avait du mal à rentrer dans l'histoire...

Et puis, il y eut un passage un peu plus intéressant, qui l'amena rapidement au paragraphe suivant, puis à la page suivante. Soit qu'il s'y habituât, soit que la présence magique du vampire s'allégeât quelque peu, Harry se sentit lentement plus à l'aise. Il oublia même un instant où il était et ce qui allait advenir. Et quand Lucius et la créature arrivèrent dans le Petit Salon, il était quelque part sur un bateau en mer de Chine, deux siècles auparavant.

Après les salutations d'usage, ils s'installèrent sur des fauteuils et Lucius fit servir du vin, que son hôte refusa poliment. Harry refusa également; il n'avait pas mangé grand-chose depuis la veille, et il ne souhaitait rien avaler qui risque de modifier sa perception ou ses capacités mentales. Severus, en revanche, accepta volontiers et de cela aussi, il ne savait que penser. Il était rentré du dîner de gala hier soir en sentant l'alcool, et Harry était certain qu'il avait bu un certain nombre de verres de vin ou de champagne, trop pour que cela semble raisonnable. Mais il avait eu un comportement étonnamment sobre, et Lucius lui-même ne semblait pas alarmé...Peut-être que Severus avait dépassé ses anciens démons et qu'il était complètement guéri de son addiction ? Ou il avait simplement pris une potion de sobriété avant le dîner...

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Malgré tout, ce dîner fut plaisant. Si la créature ne mangeait pas, et lui à peine, la conversation était fluide et agréable. Harry n'y participait pas pour autant, mais le vampire, lui, semblait aussi capable que Lucius de respecter des convenances, de faire preuve de bonnes manières et de ne pas laisser retomber le bavardage distingué qui s'était installé. À vrai dire, ces deux-là paraissaient faire partie du même monde, élégant et précieux, et même Severus s'était joint à eux.

Le sujet s'y prêtait, à vrai dire, puisque le vampire, en complimentant Lucius sur la décoration du Manoir, avait fait mention des quelques peintures impressionnistes qui s'y trouvaient. Pour Lucius, féru d'art, et Severus, qui ne goûtait pas moins certaines périodes très précises, c'était un vrai régal que d'en parler avec un connaisseur. Et le vampire semblait vraiment s'y connaître puisqu'il racontait sur un ton badin tout un tas d'anecdotes cocasses sur les impressionnistes français : la façon dont Degas jurait en créole lorsque le crépuscule l'empêchait de poursuivre sa peinture, le jour où Daubigny s'était cassé le poignet en tombant endormi de la chaise où il s'était installé pour peindre les bords de l'Oise, ou bien cette propension chez Pissarro à abuser de la prune quand il allait déjeuner chez son ami Gachet. Il était même drôle.

Sa façon de raconter, légère et piquée d'humour, était criante de vérité, et Harry se surprit à sourire quelquefois. À l'écouter, on aurait pu croire qu'il avait fréquenté tout ce petit monde de l'art et de la peinture, parcouru les salons mondains et les expositions, vu ces toiles au cours de leur réalisation et noué commerce avec quelques-uns de ces hommes. Les meules de foin n'avaient pas servi qu'au décor de ces tableaux et les paysages bucoliques de la campagne normande avaient été l'écrin de scènes plus bucoliques encore... Au point que Severus lui en fit la remarque.

– J'ai déjà vécu une longue vie, vous savez, confia le vampire avec un sourire amusé. Et j'ai eu le temps de parcourir un peu le monde avant de revenir en Roumanie... Mais je dois avouer que c'était une période charmante, et j'ai sans doute davantage apprécié ces hommes que leurs peintures...

Évidemment. Cette créature-là était un vampire, immortel ou quasiment, et il avait certainement vécu plus d'années qu'eux trois réunis... Réaliser cela fit légèrement déchanter Harry et il replongea le nez sur son assiette vide.

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Le repas traînait en longueur. Bien plus qu'habituellement, même quand ils recevaient du monde. Lucius et Severus semblaient parfaitement à leur aise, savourant une compagnie qui, de toute évidence, leur plaisait beaucoup, et ils n'avaient pas l'air de vouloir quitter la table.

Le vampire n'avait rien avalé, hormis deux tasses de thé brûlant. Et Harry pas beaucoup plus. Après le dessert qu'il n'avait même pas goûté, il s'était rabattu sur quelques fruits qu'il picorait en écoutant leurs paroles d'une oreille distraite. La présence magique du vampire était beaucoup moins pesante, atténuée dans une sorte de quiétude enjouée, où même ses amants semblaient plus souriants que d'ordinaire. Était-ce l'effet du vin ou bien le vampire usait-il de son charme ? À l'évidence, Harry n'aimait pas beaucoup cela.

Aussi, quand Lucius proposa de rejoindre le Petit Salon pour un dernier verre, il fut surpris de voir le vampire demander l'autorisation de se retirer. Cela ne correspondait pas à l'image de quelqu'un qui cherche à user de son influence sur ses hôtes... Tout cela était très courtois et empreint de bienséance, mais en quelques minutes, le vampire avait rejoint ses appartements à l'autre bout du Manoir.

Il était encore tôt, pourtant. Trop tôt pour que Severus lui-même ne ressente l'envie de monter se coucher... Du fond de son fauteuil, Harry observait Lucius qui restait songeur en buvant son verre de cognac. Qu'est-ce qui avait été naturel pendant ce repas, et qu'est-ce qui avait été sous influence ? La bonne humeur de ses amants, leur entrain à cette conversation qu'il avait même, pendant un temps, trouvé agréable... À présent que le vampire s'était retiré, cette effervescence légère était retombée, et quand il capta le regard de Lucius, son amant afficha une grimace pincée.

– Tu pourrais faire un effort ! À part pour dire bonsoir, tu n'as pas ouvert la bouche de la soirée.

Le même reproche que Severus lui avait déjà fait dans l'après-midi. Et Harry fut piqué de la même manière.

– Excuse-moi de ne pas être à la hauteur de votre conversation. Tu sais très bien que je n'y connais strictement rien en art !

Du coin de l'œil, il capta le regard que s'échangèrent ses amants et il n'en fut que plus agacé.

– Je vais me coucher.

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Personne n'avait cherché à le retenir, ni à lui dire quoi que ce soit. Même le lien était resté silencieux, ne contenant rien de plus que la présence tranquille et habituelle de Severus.

Harry se coucha, mais sans réussir, bien évidemment, à dormir, et il eut le temps de se retourner un bon nombre de fois entre les draps avant de les entendre pénétrer à leur tour dans la chambre. Au moins une demi-heure, peut-être plus. Est-ce qu'ils en avaient profité pour... ?

Quand ils se déshabillèrent, il n'était pas certain qu'ils sentent le sexe, mais il n'était pas certain du contraire non plus. Quoi qu'il en soit, ses amants échangèrent un long baiser avant de se glisser dans le lit et ils s'endormirent en quelques minutes.

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Pourquoi lui n'arrivait-il pas à dormir ? Pourquoi ne cessait-il de se repasser le fil de la soirée dans la tête, ressassant les paroles, les rires, les anecdotes racontées par le vampire ? À un moment, il l'avait presque trouvé sympathique, et puis la méfiance avait repris le dessus. Il ne savait même plus pour quelle raison. Ah si. Quand il leur avait fait comprendre qu'il avait réellement vécu toutes les histoires qu'il racontait. Quand il leur avait rappelé son âge et sa condition de vampire. Harry s'était immédiatement replié sur lui-même, cessant d'écouter la conversation, parce qu'il venait de se prendre en pleine figure cette vérité-là : cette créature, aussi agréable et captivante qu'elle soit, n'était qu'un vampire. Un buveur de sang. Un meurtrier. Même lui n'arrivait pas à projeter cette image sur ce vampire-là et pourtant c'était sans doute la réalité.

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oooooo

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Harry n'arrivait pas à dormir et il songea à son roman qui devait traîner dans le Petit Salon ou la Bibliothèque. Le vampire l'avait interrompu tout à l'heure en pleine lecture. En pleine confrontation, pour la première fois, des principaux personnages et il lui manquait le dénouement précieux de ce passage. Et la lecture l'avait toujours emmené doucement vers le sommeil...

Il se leva sans un bruit, enfila le premier vêtement qu'il trouva et qui s'avéra être son pantalon, et quitta la chambre. Il était resté pieds nus mais le parquet et les tapis dans le couloir atténuaient la fraîcheur du sol. Quand il sortit de l'escalier en colimaçon, en revanche, le marbre glacé sous ses pieds le fit frissonner jusqu'à la racine des cheveux. S'il restait en bas pour lire un peu, il allait s'allumer un feu pour se tenir chaud !

Son livre n'était pas sur la table basse du Petit Salon. Les elfes avaient dû passer par là et le ranger, en même temps que les verres de ses amants et les coussins du canapé où ils avaient dû s'envoyer en l'air.

À la lueur d'une volute de magie, Harry se dirigea vers la Bibliothèque et poussa la porte entrouverte. La perception d'une présence le figea soudain. Une violente décharge d'adrénaline mit tous ses sens en alerte et il relâcha brusquement sa magie pour éclairer la pièce. Pour la discrétion, il pouvait repasser, mais au moins il y voyait clair !

– Qu'est-ce que vous faites là ?! gronda-t-il d'une voix tendue.

Près de la fenêtre se tenait leur invité, sa silhouette découpée dans un rayon de lune, les deux mains croisées dans le dos. Il les leva doucement dans un geste d'excuse avant de reprendre sa position et d'afficher un sourire contrit.

– Pardonnez-moi. Je ne voulais pas vous effrayer...

Harry fronça les sourcils. Personne n'était effrayé, et sa magie tourbillonnait davantage de colère de le voir fureter dans le Manoir que d'inquiétude.

– Les elfes m'ont indiqué la bibliothèque... Et j'aime beaucoup cette pièce. Je la trouve... très intime et très chaleureuse.

Harry étouffa un grognement avant de rabattre un peu sa magie. Maudits elfes trop serviables ! Ceci dit, si l'un d'eux avait conduit le vampire ici, c'est qu'ils devaient malgré tout le surveiller comme ils en étaient capables. Clay avait toujours un œil sur tout, et pour une fois, il en était satisfait.

Le vampire s'était retourné vers les jardins que l'on devinait dans la clarté de la lune et avait repris son attitude contemplative. La lumière pâle donnait à son visage un relief étrange, presque fantomatique et pourtant très réel. Dans la vitre de la fenêtre, en revanche, il n'y avait nul reflet de sa présence.

Harry hésitait. Il ne voulait pas rester là, mais il rechignait à le laisser seul ici. Pas qu'il veuille lui tenir compagnie; mais savoir ce vampire errant dans les couloirs du Manoir pendant qu'il lisait dans une autre pièce ou qu'il dormait ne lui disait rien qui vaille. Quitte à ce que le vampire ne soit pas dans ses appartements, il préférait l'avoir sous les yeux plutôt que de passer son temps à imaginer ce qu'il pouvait bien faire.

Il étouffa sa magie de façon à ne laisser qu'une vague lueur verte pour éclairer la pièce, puis s'assit dans un fauteuil, les jambes croisées et les deux bras sur les accoudoirs. Si le vampire n'avait pas l'intention de partir, alors lui non plus.

Sans un mot, il alluma un petit feu dans la cheminée parce que, mine de rien, il venait de quitter sa couette et il ne faisait pas si chaud. Un instant, il regretta de s'être agacé au point de ne pas réussir à dormir et d'être descendu, mais il était trop tard pour revenir en arrière. Trop tard aussi pour se couvrir un peu plus dignement. Il se fichait que cette créature voie la magie œuvrer à même sa peau, qu'elle aperçoive les arabesques vertes sur son corps et noires sur son torse, mais tout de même, il faisait frais.

Le vampire tourna la tête pour regarder les flammes qui dansaient dans l'âtre et resta plongé dans cette contemplation silencieuse. Le silence n'avait jamais mis Harry mal à l'aise mais il ne voulait pas de ça à cet instant précis. Il voulait comprendre, parce que rien ne correspondait à ce qu'il pensait et cela commençait à l'agacer. Il n'allait certainement pas rester sur cette incapacité à appréhender ce qui se passait, et l'absence de ses amants était sans doute le moment idéal pour ça. Sans compter que le faux pas que venait de commettre le vampire en se promenant dans le Manoir pendant leur sommeil contrebalancerait n'importe quelle maladresse qu'il pourrait commettre.

– Expliquez-moi, fit-il d'une voix ferme.

– Vous expliquer quoi, monsieur Potter ? murmura le vampire sans même tourner la tête.

– Tout. Tout le monde dit que vous êtes des vampires pacifiques, que vous ne volez pas de sang, que vous êtes respectueux de la vie des hommes, et pourtant vous êtes un vampire. Je ne comprends pas et je veux comprendre.

Le vampire eut un sourire résigné.

– Vous me demandez de vous prouver notre bonne foi... ? De vous expliquer le fonctionnement de notre société, les règles qui nous régissent, la façon dont nous vivons en bonne harmonie, pour vous convaincre ? Je n'ai pas réussi à convaincre mes propres congénères de ce bien-fondé en deux siècles d'existence...

– Expliquez-moi quand même.

Son insistance avait valeur d'ordre et il ne pouvait quand même pas aller jusque-là... Il tenta d'atténuer ses mots et de se justifier.

– J'ai demandé... à Charlie de m'expliquer, mais il m'a dit être tenu par le secret. Il n'a rien pu me dire si ce n'est qu'il a chanté vos louanges. Et ça n'a rien d'une explication.

– Charlie... Weasley ? fit le vampire en tournant brièvement la tête vers lui.

Harry acquiesça tandis qu'un sourire un peu triste mais sincère faisait son apparition sur le visage de la créature.

– C'est vrai qu'il est le compagnon du fils adoptif de Severus...

Comme si cela pouvait justifier qu'il connaisse Charlie.

– Ça n'a rien à voir, l'interrompit Harry. Je connais Charlie depuis plus de vingt ans. Nous sommes... peu importe.

– Charlie est un homme secret, avoua le vampire en souriant doucement. Il ne parle pas beaucoup de sa vie... Hormis des dragons !

Un rire discret s'échappa de ses lèvres et Harry se prit à sourire également.

– Mais il est vrai qu'il est tenu par le secret qu'il a promis à ma communauté. Nous laissons rarement les étrangers pénétrer parmi nous, et ceux qui ont ce privilège sont tenus de ne rien révéler sur notre façon de vivre. Charlie ne pouvait effectivement rien vous dire...

– Alors dites-le moi, vous.

Le vampire se tourna légèrement vers lui et l'étudia de son regard perçant. Mais pour une fois, Harry ne se sentait pas mal à l'aise sous cet examen. Au contraire, il était sûr de lui, étrangement confiant, et il se sentait presque en position de force. Sa magie libérée pulsait doucement, dessinant un halo verdâtre autour de lui et des arabesques émeraudes sur sa peau. Seule lueur dans l'obscurité de la bibliothèque, avec les rayons de lune qui éclairaient le visage pâle du vampire, et les flammes dans l'âtre...

Le vampire finit par quitter son regard et vint s'asseoir dans un fauteuil face à lui, légèrement tourné pour faire face au feu.

– Notre communauté vit au nord de la Roumanie, commença-t-il. Dans les Carpates, autour de la ville de Colibita. Il y a deux autres petites villes secondaires, et de nombreux villages disséminés dans les alentours. Cela représente une population d'environ trois mille cinq cents humains... Et un peu moins de quatre cents vampires.

La voix grave du vampire était agréable, bourdonnant doucement dans le silence.

– La région n'est pas très accueillante. Difficile d'accès en raison des montagnes. Le climat y est rude, glacial en hiver. Les forêts sont sauvages, voire dangereuses... C'est un endroit assez isolé... Mais magnifique.

Il s'interrompit un instant, un brin de nostalgie dans la voix, puis reprit d'un ton plus ferme.

– La richesse de Colibita vient des mines d'argent. Une véritable fortune enfouie dans le sous-sol et qui draine bien des convoitises. Quand l'extraction de l'argent a commencé de façon sérieuse, il y a plusieurs siècles, les vampires qui vivaient déjà sur place ont proposé aux humains une alliance. Une collaboration mutuelle, si vous voulez... Ils étaient craints. Ils ont offert la sécurité, la protection contre les voleurs, les pillages, les invasions de tout bord, les viols en série dans les campagnes, les mises à sac... Ils ont offert d'accompagner les humains lors de leurs déplacements pour le commerce de l'argent, de les escorter pour vendre le travail de leurs orfèvres, ils ont proposé la paix et la sécurité sur la région de Colibita... En échange de sang.

– C'est parce que les humains détenaient une assez grande quantité d'argent pour tous vous tuer que vous vous êtes sentis obligés de collaborer ? ricana amèrement Harry.

– Voyez-le comme vous voulez, fit le vampire avec un geste évasif. Ils détenaient en effet un des rares moyens de nous tuer, mais nous aurions pu tous les mordre en plein sommeil. Nous avions besoin de sang régulièrement pour pouvoir vivre, et eux, ils avaient besoin de sécurité pour leur commerce... Un bénéfice mutuel vaut mieux que des meurtres et des drames... Toujours est-il que ceux-là sont parvenus à un accord. Au fil du temps, cet accord est devenu une forme de symbiose.

Harry étouffa un grognement peu convaincu.

– Aujourd'hui, les vampires et les humains de Colibita forment une communauté soudée, régie par des règles qui sont profondément ancrées dans la population et auxquelles ils tiennent de façon très... viscérale. Tout repose sur un respect mutuel, une collaboration, sur l'importance du don... Dans la communauté, les humains sont libres. D'y rester ou de la quitter, tant qu'ils n'en parlent pas à l'extérieur. Certains ont besoin de voir le monde, de connaître la vie à l'extérieur de nos frontières, pour quelques mois ou quelques années...

– Comme Tobias ?

– Comme Tobias, confirma le vampire avec une grimace amère. Mais la plupart finissent par revenir un jour ou l'autre et ils sont alors libres de réintégrer la communauté, tant qu'ils en respectent les règles. Au sein de la communauté, ils sont également libres de leur façon de vivre, de leur lieu de résidence, de leurs amours... ils sont même libres de donner leur sang ou pas. La plupart choisissent de le faire, malgré tout. Nous n'usons pas de notre influence pour les obliger à donner mais c'est un acte auquel ils sont très attachés.

– Tout ça pour du sang.

Le vampire lui jeta un regard en soupirant puis se tourna à nouveau vers les flammes.

– Le sang est notre seul moyen de subsistance, monsieur Potter. D'autres communautés de vampire ont opté pour du sang animal. D'autres encore pour des substituts élaborés à base de plantes, mais qui ne sont guère convaincants et qui finissent par les faire dépérir... Nous avons opté pour une relation d'entraide, insista-t-il. Nous ne tuons pas, monsieur Potter. Le meurtre est strictement prohibé dans notre communauté. Nous ne tuons pas, nous ne volons pas le sang, nous ne le prenons pas sous contrainte ou sous influence. Nous ne buvons du sang que lorsqu'il provient d'un don volontaire, en toute connaissance de cause. De la même manière que nous ne prenons pas le sang des enfants, ni celui des personnes trop âgées, ni celui des malades, pas plus que celui des femmes enceintes, allaitantes ou pendant leurs menstruations. Le don doit toujours être librement consenti, et ne prenons pas plus que ce que la personne est capable de supporter. Certains humains donnent souvent, plusieurs fois par semaine, et leur corps finit par s'adapter au don régulier; d'autres donnent beaucoup moins souvent et nous ne leur prenons que peu de sang... Tout se fait dans le respect l'un de l'autre.

– Et comment ça se passe ? Vous vous promenez dans la rue en demandant au premier qui passe de dégrafer son col ?!

Harry regretta aussitôt son ton trop sarcastique mais c'était trop tard.

– Nous mordons rarement au cou, monsieur Potter, répliqua le vampire. C'est considéré comme un contact très intime, réservé au conjoint ou au calice.

Le ton du vampire était aussi sarcastique que le sien et Harry se sentit un peu penaud d'avoir dit une bêtise sans même le savoir.

– Tout dépend de la situation, reprit le vampire sans s'attarder sur son embarras. Nous vivons au sein de la population humaine de façon tout à fait évidente. Les contacts, les échanges sont permanents, et parfois... des relations privilégiées se créent. Certains vampires vivent en couple avec des humains, hommes ou femmes d'ailleurs, et de ce fait, il y a souvent une certaine fidélité qui va de pair avec le couple. L'humain choisit souvent de ne donner son sang qu'au vampire qui partage sa vie, mais cela reste un choix. Il peut en réalité donner son sang à qui il veut, tout comme le vampire pourrait prendre du sang ailleurs. Et certains couples sont plus libres que d'autres à ce sujet... Pour les vampires qui sont seuls, il existe les maisons communautaires. Il y en a une par village; une par quartier dans les villes. Ce sont de vastes maisons qui regroupent des lieux de vie, des salles de réunions, une bibliothèque. C'est là que se règle la vie de la collectivité, que se tiennent les conseils, les différentes assemblées, les cérémonies et que se prennent les décisions importantes. Dans ces maisons communautaires, il existe aussi des espaces de vie collective, des salons, des cuisines, ainsi que de nombreux petits logements individuels...

– C'est drôle, ça me rappelle...

Harry se pencha légèrement en avant tandis que le vampire le regardait d'un air interrogateur.

– J'ai vécu longtemps loin d'ici, expliqua-t-il. Très loin. Et ça me rappelle beaucoup les maisons longues... Plusieurs familles, parfois des dizaines de personnes, qui partagent le même toit et les mêmes espaces de vie commune... Mais je vous en prie, poursuivez...

– Dans notre cas, ce sont surtout les célibataires et les jeunes qui vivent dans les maisons communautaires. Cela leur permet de quitter le giron familial et d'être indépendant tout en bénéficiant des espaces communs. La plupart sont des humains, hommes et femmes, sous la conduite d'anciens, et il y a parfois quelques vampires... Mais la plupart des vampires ne viennent que ponctuellement, lorsqu'ils ont besoin de boire. Les salons de réception servent à mettre en présence ceux qui viennent pour boire et les humains qui viennent donner leur sang. Les humains qui vivent sur place donnent en général beaucoup; ça n'a rien d'obligatoire, mais ils le font en remerciement de leur logement et de la prise en charge communautaire. Ceux qui vivent à l'extérieur viennent ponctuellement, les femmes souvent le matin, quand les enfants sont à l'école, ou en fin de journée. Les hommes, un peu n'importe quand... Être présent dans les espaces communs de ces maisons, en dehors des assemblées bien sûr, sous-entend le consentement au don de sang, ou bien le désir de boire pour les vampires. Le don se fait ensuite en privé ou en public, suivant les préférences de chacun...

Le vampire se tut un instant et le silence retomba dans la pièce, seulement troublé par le crépitement des flammes.

– C'est... étonnant, concéda Harry.

– Je ne vous cache pas qu'il y a parfois quelques dérives, fit le vampire avec un sourire. Pour beaucoup de jeunes, les maisons communautaires sont aussi un espace de rencontre. Beaucoup de couples s'y forment. Parfois même avec des vampires... Parfois aussi, des jeunes femmes viennent nous voir pour donner leur sang et nous nous apercevons qu'elles sont enceintes, ce qui pour nous est formellement interdit. Mais nous sommes capables de percevoir les hormones dans le sang et en réalité, nous leur servons juste de test de grossesse. Parfois également, il existe des jalousies, des conflits... certains humains donnent leur sang alors qu'ils ont consommé de l'alcool, dans le but de se venger d'un vampire. L'alcool a sur nous un effet assez... douloureux. Dans ces cas-là, c'est le conseil des humains qui les juge et les sanctions sont souvent très dissuasives. La confiance et le respect sont au cœur des relations entre humains et vampires... nous ne pouvons pas laisser qui que ce soit briser cette règle fondamentale.

– La... relation d'entraide que vous décrivez est quand même nettement à votre avantage, fit remarquer Harry. Les humains donnent bien plus qu'ils ne reçoivent.

– Ce n'est pas tout à fait vrai, objecta le vampire. Les humains donnent ce qu'ils ont à profusion et qui se renouvelle tout seul : le sang. Nous donnons ce que nous avons à profusion : le temps. En plus d'assurer la protection de la communauté, nous sommes en charge de toute la gestion des affaires courantes, de l'organisation des villages. Nous assurons l'enseignement et la transmission du savoir. Nous nous chargeons aussi de l'éducation des enfants sorciers. Il en naît quelques-uns à chaque génération; ils ont longtemps été abandonnés ou persécutés, mais depuis que nous cohabitons avec les humains, ils sont protégés et pris en charge par la communauté. Et puis, nous faisons bénéficier la communauté de tout ce que nous pouvons lui apporter : nos capacités particulières, notre force, notre forme de magie, nos savoirs... Même si tous les vampires n'ont pas le même âge, nous avons quelques années d'expérience...

Le vampire termina sur un sourire. Un instant, Harry se demanda quel âge réel il pouvait bien avoir... Et combien de litres de sang cela pouvait bien représenter.

– Le don de sang dont vous avez besoin, cela correspond à quoi en réalité ? À quelle fréquence devez-vous... vous nourrir ?

L'espace d'un instant, le sourire pâle devint un peu plus moqueur.

– L'idée du sang est une question qui vous interroge, monsieur Potter... Si le donneur est un adulte en bonne santé et que nous pouvons prendre la quantité qui nous est nécessaire, cela représente entre un demi-litre et un litre de sang. Et suivant nos activités, nous avons besoin de boire tous les deux à trois jours... Les vampires qui saignent leurs victimes à blanc ne sont que des assassins par plaisir. Ils n'ont jamais besoin de boire autant, même après une longue période de jeûne.

Il avait craché ses derniers mots avec amertume, et la façon dont il avait prononcé le mot vampire en disant cela soulignait bien toute la différence qu'il faisait entre eux et lui.

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Les yeux rivés sur le feu, Harry restait songeur. S'il était vrai, le fonctionnement de cette communauté semblait viable. Et cela lui rappelait des souvenirs relativement heureux. L'équilibre entre la sagesse des anciens et la fougue de la jeunesse. Une grande liberté et une autonomie individuelle dans un cadre ferme posé par la coutume et les règles. Une certaine mixité sociale, homme/ femme, humains/ vampires, sorciers/ non-sorciers... L'importance de la vie commune et des moments partagés. Que ce soit à travers des rites, comme là où il avait vécu, ou par le biais du don du sang. Pour un peu, il aurait été curieux d'aller là-bas pour voir cela de ses propres yeux...

Sans y penser, il replia ses jambes contre lui, ses pieds nus sur le bord du fauteuil. Sa magie s'était dissipée d'elle-même, les arabesques sur sa peau avaient pâli au point de devenir à peine nacrées, et il n'avait plus très chaud malgré le feu. Il aurait bien fait venir à lui un plaid depuis le Petit Salon, mais il ne voulait pas paraître fragile ou fatigué.

– Je peux... vous poser une question indiscrète ?

– Je vous en prie, répondit le vampire en souriant. J'ai toute la nuit devant moi...

Harry ne voulut pas relever la pointe d'ironie et osa la question qui le travaillait depuis un moment.

– Comment... Comment allez-vous faire pour vous nourrir ici ? Loin des vôtres ? Est-ce que vous avez emmené des réserves de sang ou quelque chose de ce genre ?

– C'est le cas pour certaines délégations. D'autres ont emmené avec eux un ou deux humains-donneurs qui étaient curieux de faire le voyage... Ceux qui ne boivent que du sang animal étaient moins gênés pour faire le déplacement, bien entendu.

– Et vous ? insista Harry.

Le vampire soupira en tournant son visage vers les flammes.

– Quant à moi... je ne me nourris plus. Dans le pire des cas, un verre de sang animal suffira à me maintenir en vie pour l'instant.

Vous maintenir en vie ?! Et je croyais que vous ne preniez que du sang humain parmi vos donneurs... Ce n'est pas ce pour quoi vous avez bâti cette communauté ?!

Harry secoua la tête sans même se cacher. Il ne comprenait plus rien. Pourquoi passer des siècles à élaborer un système d'entraide viable si c'était pour ne pas en profiter ?!

Sans même qu'il ne perçoive un quelconque mouvement, le vampire s'était levé et se tenait à nouveau près de la fenêtre, sa mince silhouette découpée par les rayons de la lune, les mains croisées dans le dos. Il eut l'impression d'une brusque distance, pas seulement physique, qu'il n'avait pas voulue. La voix était lointaine, presque sourde, quand le vampire répondit :

– Aucun sang n'est capable de me nourrir correctement aujourd'hui, qu'il soit humain ou animal. Depuis que Tobias est mort, je...

Il ne termina pas sa phrase. Détourna la tête vers l'immensité sombre des jardins.

Harry ne savait pas si un vampire pouvait pâlir, mais à cet instant, dans la lumière blafarde de la lune, il ressemblait davantage à un fantôme.

– Oh. Je suis désolé. J'ignorais que Tobias était un de vos donneurs.

Aussitôt qu'il eut prononcé ce mot, Harry se mordit les lèvres. Il avait tout faux. Il se souvint brusquement des souvenirs que lui avait montrés Charlie, et surtout de ses mots : Tobias était un prince aux yeux de son vampire...

– Tobias était bien plus que cela, murmura le vampire après un silence. Il était mon partenaire, mon ami, mon amant, mon calice. Mon souffle et mon sang. Ma vie. Je ne sais même pas s'il existe un mot dans votre culture pour définir tout cela en même temps.

– Votre âme-sœur ?

Le vampire eut un sourire sans joie.

– Peut-être, oui.

.

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Le silence filait doucement, s'éternisant au rythme lancinant des aiguilles de l'horloge et des battements de son cœur. Il n'avait rien compris. Il n'avait pas compris qui était ce vampire qui se tenait devant lui, il n'avait pas compris pourquoi il était seul, il n'avait pas compris le message de Charlie, il n'avait pas fait de liens... Et il n'avait compris son immense maladresse que lorsqu'il avait été trop tard pour effacer ses paroles.

Harry regardait cette présence, immobile près de la fenêtre, stoïque dans sa douleur. Il comprenait la perte, en revanche. Il n'avait pas vécu de perte semblable, celle de l'être aimé, celle d'un amant, mais il avait perdu nombre d'amis... et un enfant. Et il avait bien assez tremblé pour ses amants pendant sa captivité pour imaginer une infime partie de ce que le vampire pouvait ressentir.

Tobias avait été son compagnon. Son calice aussi, bien qu'il n'ait sans doute qu'une compréhension approximative de ce que cela voulait dire... Tobias avait été assassiné par d'autres vampires, ceux de la Coalition, qui préféraient faire régner la terreur et mettre les humains et les sorciers à genoux, plutôt que vivre dans une communauté de partage comme ceux de Colibita... Tobias avait payé le prix de l'engagement de son compagnon. Et le vampire avait vu son amant mourir, tué par un membre de sa propre espèce, sacrifié sur l'autel de la vengeance... Et en plus de sa douleur immense, il devait se sentir responsable de sa mort.

Un élan de compassion instinctif vibra dans son ventre. Cela changeait tout. Harry se souvenait des images que lui avait montrées Charlie. Le sourire de Tobias et son regard si chaleureux. Son bonheur. Le chagrin du dragonnier aussi, ses yeux trop brillants en évoquant son ami. Et cet homme, là, ce vampire, drapé dans sa pudeur. Pendant plus de deux siècles, construire une communauté riche de partage et d'entraide, trouver enfin l'amour, quelques années, le voir mourir sous la main de ses propres congénères, et pourtant être encore là, à œuvrer pour essayer de convaincre et faire aboutir la signature de ce traité d'alliance...

.

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Pelotonné dans son fauteuil, Harry frissonna. Il s'en voulait. Il s'en voulait de sa maladresse, de n'avoir pas su comprendre et se taire, de ne pas savoir trouver les mots qu'il aurait fallu. Il songea à la dernière soirée chez Alicia, avec Blaise, où il avait déballé ses angoisses sur la table. Il songea à toutes les fois où tout le monde lui avait dit que ces vampires-là n'étaient pas comme ceux qui attaquaient les sorciers, pas comme celui de sa captivité, et qu'il n'avait rien entendu. Qu'il n'avait rien pu entendre, peut-être.

Aujourd'hui, il n'avait plus d'angoisses. Il n'avait plus mal au ventre. La douleur avait disparu. Il restait bien quelque chose de noué à l'intérieur de lui, mais cela ressemblait davantage à de la peine et de la compassion.

Il observait ce vampire, si digne. Ses cheveux mi-longs soulevés par le col de sa chemise immaculée. Sa veste un peu longue, sorte de jaquette ornée de broderies et de dentelles, de la même couleur bleu-gris que ses cheveux. Cette espèce de noblesse, aussi évidente que celle de Lucius... Et dont la solitude triste lui sauta brutalement aux yeux.

Aucun sang n'est capable de me nourrir correctement... Il avait même dit que le sang animal ne servirait qu'à le maintenir en vie... Pour l'instant. Un vampire pouvait-il mourir de ne pas... boire ?

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– Pourtant vous buvez du thé !

Son exclamation incongrue, échappée de ses pensées qui divaguaient, rompit brutalement le silence. Et aussi saugrenu, le rire léger du vampire s'éleva dans la pénombre.

– Je bois du thé, oui, monsieur Potter, sourit-il.

– Pourquoi ?!

– Parce que c'est la seule chose qui me donne un peu cette impression de chaleur, à l'intérieur, comme si je buvais du sang... L'espace de quelques secondes, cela me réchauffe et je me sens un peu plus vivant.

– Mais ça ne vous apporte rien ? Et si vous mangiez, ça...

Le vampire rit à nouveau doucement, comme si sa question avait quelque chose de rafraîchissant.

– Cela ne m'apporterait rien non plus, monsieur Potter. Je ne peux pas assimiler ce genre de nourriture. Mon corps n'a pas de système digestif qui fonctionne, pas de sang qui circule, pas de cœur qui bat... Ce que nous puisons dans le sang des donneurs, c'est essentiellement une sorte d'énergie vitale qui nous est nécessaire. Mais le thé, ou toute autre source de chaleur, n'est qu'une illusion fugitive. Vous savez, même si je ne transpire pas, j'aime prendre des douches, ou un bain brûlant... Je n'ai pas besoin de me laver, mais la chaleur donne une impression de vie.

– Même la chaleur du soleil ?

– Nous avons avec le soleil un rapport particulier... Nous sommes avant tout des créatures de la nuit, même si, au fil des siècles, nous avons appris à supporter la lumière. Le soleil direct, en revanche, nous est inconfortable. Nous l'évitons si nous le pouvons. Il suffit d'un ciel voilé, d'un crépuscule, d'un brouillard... Mais quand nous devons nous déplacer pour accompagner des humains ou participer à des réunions, nous le faisons, sourit-il. Je n'irais pas pique-niquer par beau temps au bord d'un lac mais je pourrais me promener dans les jardins de cette demeure si le temps est un peu gris...

L'image du pique-nique lui rappela les souvenirs de Charlie, et Harry fut certain que le vampire l'avait évoquée à dessein.

– Et pourquoi n'ai-je pas vu de vampires ailleurs dans le monde, alors ? J'ai vécu dans des endroits où la chaleur était intense, presque constante, et la lumière pas si vive que ça...

Le vampire revint s'asseoir dans son fauteuil, un sourire amusé sur les lèvres. Il semblait presque prendre plaisir à cet interrogatoire minutieux.

– Parce que nous sommes d'ici, monsieur Potter... Vous trouverez des vampires en Europe, jusqu'en Russie... Quelques-uns aussi en Amérique du Nord... Ce sont nos pays, nos racines, nos montagnes... Ailleurs dans le monde, vous trouverez d'autres types de créatures qui vivent au-delà de la mort, ou bien dont la vie repose sur le besoin de sang ou de magie humaine, mais elles sont propres à ces régions. Les vampires sont essentiellement occidentaux.

Dans son esprit, les réflexions s'enchaînaient, bourdonnaient dans tous les sens, et les questions fusaient à chaque explication du vampire. Harry se retenait malgré tout de l'interrompre mais sa curiosité semblait inépuisable. Et l'amusement du vampire, jambes croisées, sourire aux lèvres et attitude un peu docte, était manifeste.

– Si votre organisme ne... fonctionne pas, si votre cœur ne bat pas, si le sang ne circule pas dans vos artères, comment se fait-il que vous puissiez bouger et parler ?

– Cela tient à une certaine magie, inhérente à la condition de vampire... Vous avez déjà rencontré des inferi au cours de votre vie, je crois...

Harry grimaça au souvenir de ce lac, autrefois, avec Dumbledore...

– C'est un peu le même principe, excepté qu'il s'agit de notre propre magie, et pas de celle d'un tiers. Elle se régénère lors du don de sang... Elle reste assez différente de la magie des sorciers mais elle nous permet la vie quotidienne et quelques tours de passe-passe supplémentaires...

– Du genre ? gloussa-t-il.

– Notre force particulière... Le maintien d'une apparence éternellement jeune...

– Pouvoir vous transformer en chauve-souris ? fit Harry en souriant.

– Non, admit le vampire d'une voix amusée. Nous partageons avec ces animaux la même affinité pour la nuit, nous sommes capables d'utiliser un mode de déplacement à travers les ombres et l'obscurité que les sorciers ne connaissent pas... Mais nous ne nous transformons pas pour autant en autre chose que ce que nous sommes.

– Ce n'est pas tout à fait ce que disent les livres, rit-il.

– Vous n'êtes pas tout à fait celui que décrivent les journaux...

– Je ne sais pas. Je ne lis pas les journaux, et encore moins lorsqu'ils parlent de moi !

– Je ne lis pas les livres sur les vampires...

Dans la pénombre, les yeux vifs du vampire brillaient à la lueur des flammes. Harry y vit la même espièglerie que lors du dîner, lorsqu'il racontait des souvenirs presque libertins sur les personnalités qu'il avait connues. Loin de la réserve qu'il avait tout à l'heure, près de la fenêtre, le vampire était à présent légèrement tourné vers lui, un léger sourire dansant sur ses lèvres.

– Est-ce que... Est-ce vous voudriez un thé ? proposa Harry.

Il était gêné. Il ne voulait pas que cela apparaisse comme un geste de pitié alors que cela lui faisait réellement envie.

– … C'est juste que... Je n'ai plus très chaud et j'apprécierai aussi...

– Avec plaisir.

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D'un geste, Harry protégea le feu qui mourait doucement dans la cheminée, puis ils descendirent l'escalier en colimaçon vers les cuisines. À l'orée du couloir du sous-sol et du laboratoire, il vit le vampire humer l'air, comme s'il percevait une odeur particulière, mais il ne s'y attarda pas et entra dans la vaste cuisine déserte. Il ne lui fallut que quelques secondes pour allumer un feu et mettre de l'eau à bouillir avant de sortir tasses et soucoupes des vastes vaisseliers du Manoir.

– Vous connaissez l'endroit comme votre poche...

– Bien sûr ! fit Harry en installant la porcelaine sur un plateau de service. Il m'arrive de venir cuisiner de temps en temps... Surtout pendant les vacances en famille, à vrai dire. Mais je n'ai pas besoin des elfes pour me préparer un thé, si c'est le fond de votre pensée ! ajouta-t-il en riant. Et à cette heure-ci, ils sont tous en train de se reposer.

Excepté celui qui était en faction devant la cheminée du bureau de Lucius... Et peut-être aussi Clay, qui se faisait un devoir de savoir tout ce qui se passait dans le Manoir. Mais cela, le vampire n'avait pas besoin de le savoir.

– Une préférence pour le thé ? fit-il en s'arrêtant devant la collection de boîtes de différentes variétés.

– Brûlant...

Harry tourna brusquement la tête vers le vampire qui souriait tranquillement.

– Bien sûr.

Il prépara une grosse théière, ajouta un sucrier pour lui et jeta un œil sur l'eau qui frémissait à peine.

– La vie vous a marqué, monsieur Potter...

Instinctivement, Harry frémit de la tête aux pieds et contracta ses épaules. Il était torse nu, le vampire à quelques pas derrière lui. Sous la lumière plus vive de la cuisine, les arabesques sur sa peau étaient devenues à peine visibles, vagues dessins blanchâtres, mais il savait que ce n'était pas ce que le vampire avait remarqué. Toutes les autres cicatrices en revanche... et en particulier celle qui courrait tout le long de sa colonne vertébrale. Machinalement, il frotta son ventre, comme si le geste allait pouvoir effacer la cicatrice la plus récente, celle grâce à laquelle Evans l'avait sauvé.

– Excusez-moi, je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise...

L'eau était certainement assez chaude. Tout en la versant dans la théière, Harry serra les dents. Lui aussi avait été maladroit tout à l'heure...

– J'ai eu une vie compliquée.

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Il s'était servi de la magie des elfes pour envoyer le plateau sur la table basse de la salle de billard et il précéda le vampire dans l'escalier en colimaçon pour remonter au rez-de-chaussée. Il songeait encore à sa remarque. La vie l'avait marqué, c'était vrai. Il portait sur sa peau tous les événements majeurs de son existence : la guerre et Voldemort, sa vie dans la forêt, la mort d'Axaya, sa captivité... mais aussi toute l'ampleur de sa magie, et même son union avec Severus. C'était de cela dont il voulait davantage se souvenir.

Dans le couloir, il se retourna brusquement en prenant conscience qu'il était seul. À quelques mètres de là, le vampire s'était arrêté devant la porte de son « bureau » et il souriait avec un regard franchement amusé. D'abord réticent, puis amusé lui aussi, Harry s'approcha. Dans le portrait, Axaya était fermement campé sur ses pieds et les deux poings sur ses hanches. Son regard menaçant semblait vouloir défendre le vampire de franchir la porte, comme s'il allait protéger la forêt de cette magie inconnue par sa seule détermination.

Avec douceur, Harry murmura quelques mots en nahuatl.

– Que lui avez-vous dit ? fit le vampire en souriant encore devant la frêle silhouette qui avait croisé les bras avec une moue boudeuse.

– De ne pas s'inquiéter...

– Je ne suis plus inquiétant ? le taquina le vampire.

Cette petite moquerie s'adressait davantage à lui et Harry se contenta de sourire sans répondre. Il n'était plus inquiet. Du moins, pas pour l'instant... Le vampire avait su l'émouvoir, le toucher, et même s'il ne doutait pas de sa puissance, il lui trouvait un côté... humain. Aussi paradoxal que ce soit.

– C'est une magie peu commune qui se trouve là, remarqua le vampire en le suivant dans le couloir. Aussi bien ce portrait que ce qui se trouve derrière la porte... Qui était-ce ?

Harry grimaça discrètement en pénétrant dans la salle de billard. Le vampire avait fait des efforts en se confiant sur sa vie et sa communauté, mais certaines choses étaient vraiment personnelles.

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– Entrez, fit-il avec un geste d'invitation.

Sur la table basse du salon près de la cheminée, le plateau les attendait sagement, la théière encore fumante. Tandis que le vampire parcourait la pièce et les nombreuses photos du regard, Harry servit le thé puis s'assit et alluma un feu généreux.

– Pourquoi cette pièce ? fit le vampire en le rejoignant.

– Je... Eh bien... Je vis dans cette maison, répondit-il. En me proposant de m'installer, Lucius m'a offert de disposer de certaines pièces et de les arranger à ma convenance... J'aime beaucoup la Bibliothèque également, mais pour moi c'est davantage une pièce de travail. Ici, c'est différent...

Le regard du vampire se promena à nouveau sur les murs, en particulier là où se trouvait la photo de Severus, et devant son petit sourire espiègle, Harry eut brusquement un doute sur ce qu'il pouvait percevoir. Puis le vampire leva les yeux vers le plafond.

– Ils dorment juste au-dessus, n'est-ce pas ?

– Hein ?! sursauta Harry, interloqué.

Puis il se mit à réfléchir à la disposition des pièces au rez-de-chaussée, puis à l'étage, avant de se rendre compte de cette évidence.

– Heu... Oui, c'est possible... À peu près...

Cela ne lui avait jamais sauté aux yeux, et de toute façon, cela ne voulait rien dire ! Ce n'était certainement pas pour cette raison qu'il aimait cette pièce !

Le laissant à ses réflexions, le vampire avait pris sa tasse de thé et tourné son visage vers les flammes.

.

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– Est-ce que... je peux vous poser encore une question ? fit Harry en rompant le silence.

– Je vous en prie...

Il hésita un instant, puis chercha les bons mots pour formuler sa question.

– Hormis une force particulière et la faculté de vous déplacer à travers les ombres... quelles sont les capacités propres aux vampires ?

Le vampire reposa sa tasse vide et reprit son attitude un peu docte, non sans le sourire qui allait avec.

– Eh bien... Vous connaissez le coup des canines, je suppose ?

– Oui ! fit Harry en riant. Ça, c'est abondamment décrit dans la littérature !

– Nous possédons également une plus grande acuité de tous nos sens. En particulier le goût, qui nous permet de détecter certaines hormones dans le sang, et parfois même certaines maladies; l'odorat, la vue, surtout de nuit, et bien sûr l'ouïe...

Harry esquissa une grimace. Se pouvait-il que le vampire ait entendu les reproches de Lucius après le dîner et sa dispute fugitive avec ses amants ?

– Vous n'êtes pas le seul à avoir oublié ce léger détail, monsieur Potter, gloussa le vampire. Nos hôtes s'en sont donnés à cœur joie tout à l'heure...

Il grimaça un peu plus. Lui, il n'avait rien entendu. Mais le vampire, avec son ouïe démesurée... Il se fichait bien, au fond, que ses amants se soient donnés du plaisir... parce que, honnêtement, s'ils comptaient sur lui, ce n'était pas encore près d'arriver. Quoique... s'envoyer en l'air avec ses amants... sachant qu'en réalité, le vampire allait entendre leurs ébats... cela avait un côté excitant. Cruel mais excitant.

– Dans les livres, reprit Harry en revenant à son sujet de départ, il est souvent fait mention d'une capacité à la télépathie... à la légilimencie, comme on dit chez les sorciers... C'est le cas ?

Il ne manquait plus que le vampire soit capable de lire dans son esprit cette petite envie provocante !

– Ce n'est pas tout à fait cela, répondit posément le vampire. En réalité, cela se produit la première fois que nous touchons quelqu'un. Nous recevons une espèce de... décharge émotionnelle. Que ce soit des souvenirs, des pensées, des images... C'est complètement involontaire de notre part, comme de la vôtre, et cela ne se reproduit pas par la suite. Mais lors de ce premier contact, nous voyons certaines choses, oui. Lorsque j'ai rencontré Lucius pour la première fois, par exemple, se sont superposées des images de lui en tant que bras droit de Voldemort, et en tant que grand-père, avec son petit-fils sur les genoux. Une façon de montrer que sous des apparences agréables, c'est un homme capable de tuer. Lorsque j'ai rencontré Charlie, je n'ai vu que des dragons, poursuivit-il d'un ton plus léger. De toutes sortes, mais uniquement des dragons... Severus, en revanche, est une des rares personnes qui n'"émette" rien. Comme si ses souvenirs étaient un brouillard opaque...

– Severus est un expert en occlumencie, fit remarquer Harry avec un air sombre. Quant à moi, je me doute de ce que vous avez vu...

– C'est-à-dire que vous ne pensiez qu'à cela, monsieur Potter, fit doucement le vampire. Même si j'avais pu y faire quelque chose, ce souvenir occupait toutes vos pensées, tout votre esprit...

Harry se souvenait de ce geste avorté, presque un baisemain aussitôt interrompu... et la façon dont le vampire avait immédiatement pris congé. Cette rencontre l'avait obsédé toute la journée, il s'en était rendu presque malade, et au final, si ce vampire-là ne l'inquiétait plus, il n'avait pas pu empêcher qu'il sache tout de lui. Brusquement, il avait froid, il était fatigué, il aurait voulu être n'importe où ailleurs plutôt que dans cette pièce à avoir cette discussion.

– Puis-je me resservir ? fit le vampire avec un signe de tête en direction de la théière.

– Je vous en prie...

D'une main, Harry relâcha une volute de magie pour réchauffer l'eau sans doute devenue trop tiède, puis il se recroquevilla sur son fauteuil, les deux pieds sur le coussin, en se tournant à demi vers la cheminée. Le vampire se servit à nouveau une grande tasse de thé fumant, qu'il but aussitôt.

– Ne vous inquiétez pas, monsieur Potter... Ce que je sais ne sortira pas de cette pièce. Même si je me doute qu'ils savent absolument tout de vous...

Harry se contenta d'un silence renfrogné. Et pourtant, s'il disait vrai, le vampire n'y était pour rien. Ni pour ce qu'il avait vécu, ni pour ses souvenirs, ni pour ses angoisses... Mais il savait décidément trop de choses.

– Je sais que vous ne souhaitiez pas ma présence, reprit tranquillement le vampire. Et qu'elle vous inquiétait... Malgré tout, j'espère vous avoir donné un autre aperçu de mon espèce. Tout à l'heure, vous disiez que je ne vous inquiétais plus... J'espère que c'est ce que vous retiendrez de mon séjour ici. La possibilité qu'il existe ne serait-ce qu'un vampire avec qui vous ayez pu avoir une conversation civilisée, dans une atmosphère détendue et sereine... presque cordiale. Nous ne sommes pas tous à l'image de vos pires souvenirs.

En croisant les jambes d'une façon aussi distinguée que celle de Lucius, le vampire le dévisagea en souriant.

– Le monde ne se limite pas à l'angle sous lequel vous le voyez, monsieur Potter... Vous savez, j'appréciais Lucius pour l'homme politique qu'il est. Un diplomate avisé, un très bon négociateur. Sa droiture et son intégrité... Et puis ce petit quelque chose de suranné qui fait tout son charme. Mais il restait d'un professionnalisme à toute épreuve, presque froid... distant. Aujourd'hui, je dois dire que je l'apprécie bien davantage. Il est bien plus « riche » que je ne l'imaginais. J'ai rencontré son fils, lors du dîner de gala, avec qui il a un esprit de famille, presque de clan, assez surprenant. J'ai rencontré également Severus qui est un homme bien plus complexe qu'il n'en a l'air. Et puis vous... Je me serais arrêté à son aspect professionnel, je serais passé à côté d'une part immense de sa personnalité. Et de sa vie privée, qui a le mérite d'être charmante. Vous formez un couple à trois assez atypique et étonnamment solide.

– Que savez-vous de cela ?! grimaça Harry.

– Je le sais. Je le sens, fit le vampire en levant le nez pour humer l'air. Je pensais auparavant que le mariage de Lucius n'était qu'une façade, une apparence de respectabilité, bien que surprenante... Mais l'amour qui les lie est très sincère. Et comme toutes les rumeurs qui circulent, je croyais que vous étiez l'amant de Lucius, alors que vous portez sur vous toute la magie du sortilège qui vous unit à Severus... Et aussi l'odeur de Lucius... Vous portez leur odeur, monsieur Potter, et ils portent la vôtre...

Pour se donner une contenance, Harry se resservit également un thé. Il ne pouvait pas acquiescer à cela. Même s'il se doutait que le vampire devinait des choses qui dépassaient leur entendement, il ne pouvait que garder le silence. Cela équivalait peut-être à un accord tacite, mais ce n'était pas une affirmation pour autant.

– Et qu'est-ce que vous sentez d'autre sur moi ? ironisa-t-il dans un réflexe de défense. L'odeur de mon gel douche ?

Le vampire leva à nouveau la tête en souriant doucement.

– Vous portez l'odeur de votre fille... Mais aussi celle d'un vampire.

À ces mots, Harry pâlit brusquement. Pour il ne savait quelle raison, il savait que c'était vrai.

– Vous-même, vous le savez, n'est-ce pas ? murmura le vampire avec un regard doux, presque compatissant. Tout au fond de vous... Il ne vous a pas mordu, mais il a goûté votre sang... Il vous a marqué comme sien. C'est pour cela que vous percevez cette sensation, cette magie sur ceux qui sont à son service, même quand il s'agit de sorciers. Vous partagez la même odeur...

Dans son esprit figé par la surprise, certaines choses se mettaient pourtant en place. Des éléments se combinaient entre eux. Il apercevait une logique nouvelle dans des informations éparses. La sensation de quelque chose de familier chez les sorciers qui avaient mené l'attaque chez Draco. Et sur le Chemin de Traverse. Les paroles que lui avait dit le vampire ce jour-là...

– Qu'est-ce qui peut faire partir cette « odeur » ? s'étrangla-t-il.

– Rien ni personne, je le crains... Seulement un vampire plus puissant qui vous réclamerait comme sien.

Brusquement, Harry n'arrivait plus à penser à rien. L'idée qu'il puisse être marqué d'une façon ou d'une autre par cette créature le révulsait. Comme lorsqu'il était revenu de captivité, il fut pris d'un violent désir de se laver, de se nettoyer, à s'en arracher la peau, dans l'espoir de faire partir cette trace magique, mais il savait très bien que cela ne fonctionnait pas comme ça. Il avait beau tenter de se raisonner, la sensation de saleté, de souillure, elle, ne partirait pas par un simple effort de volonté.

– Êtes-vous plus puissant que lui ?

La question avait jailli comme un réflexe. Un besoin viscéral de se défaire de cette emprise à distance. Harry ne savait même pas ce qu'il suggérait, au fond. Mais la vague idée que donner son sang pouvait le débarrasser de cette marque infâme avait surgi sans aucune réflexion. Et pour la première fois, le vampire semblait surpris.

– Non, monsieur Potter, je ne pense pas... Mais je peux vous dire que nous partageons le même ennemi.

– Comment cela ?

– Ce vampire, Vladimir pour ne pas le nommer, est celui qui a réussi à former la Coalition... et aussi celui qui a tué Tobias.

– Comment pouvez-vous en être sûr ?!

– Je l'ai vu dans vos souvenirs... Et j'étais présent lors de la mort de Tobias.

Harry le regarda brusquement en fronçant les sourcils. Un mélange d'étonnement et d'horreur surgit dans son esprit. Comment était-il seulement possible de voir mourir son conjoint sans rien faire ?!

Le vampire détourna les yeux et soupira lentement.

– Je sais ce que vous pensez... Vous vous doutez bien que si j'avais pu empêcher cela, je l'aurais fait, monsieur Potter.

Dans sa voix à peine audible perçait une douleur sourde, si loin des plaisanteries et des rires dont il avait été capable un moment plus tôt...

– Que s'est-il passé ? murmura Harry.

Le vampire pinça les lèvres puis haussa les épaules, se résignant à parler alors qu'il ne lui devait rien.

– Nous avons été négligents. Pas assez prudents, tout du moins. Ma position à la tête des délégations faisait de moi une cible. Et Tobias aussi, par procuration. Tout comme vous avez payé la position de Lucius... Vladimir a été plus malin que nous. Il est parvenu à enlever Tobias... Il n'a rien exigé de moi : ni l'abandon de mon action, ni une quelconque soumission à son autorité... Il s'agissait de pure vengeance. Il l'a mordu. Au cou. Et il l'a vidé de son sang... Et Tobias était mon calice... Et le lien qui unit le vampire à son calice lui permet de le rejoindre par les ombres, où qu'il soit, en cas de danger extrême... Vladimir le sait, bien entendu... C'était la cerise sur le gâteau, comme on dit. M'obliger à assister à cela... Mais il avait évidemment fait en sorte qu'il y ait suffisamment d'ombre entre nous pour que je ne puisse pas agir. J'ai vu Tobias s'affaiblir, puis sombrer dans l'inconscience... puis mourir. Il a eu le temps de me dire qu'ainsi, il allait m'aimer pour l'éternité... mais ça n'est d'aucun réconfort, n'est-ce pas ?...

Soutenir son regard était difficile et Harry ne savait plus quoi dire.

– Je suis désolé, fit-il simplement avec un sourire navré.

– Nous avons chacun notre lot de souffrance...

.

Après un regard las, le vampire avait tourné son visage pâle vers les flammes de la cheminée. Sans doute revoyait-il dans son esprit la mort de son amant, la dernière lueur de conscience dans ses yeux, son dernier souffle... ses derniers mots. Harry n'arrivait même pas à imaginer ce que cela pouvait être. Lui, il revoyait ce vampire, Vladimir... Il entendait sa voix, son rire. Il revoyait les images qu'il lui avait montrées : son corps nu, maigre, couvert de plaies et d'hématomes... oscillant entre inconscience et tremblements incoercibles de douleur. Ce corps dont il n'arrivait même pas à réaliser qu'il était vraiment le sien.

Il repensait au temps qu'il lui avait fallu, après... Le temps nécessaire pour esquisser un sourire sincère, pour un rire qui ne soit pas désespéré... Le temps nécessaire pour reprendre goût aux choses les plus simples. Se sentir en sécurité. Se laisser aller dans les bras de ses amants. Leur faire confiance.

Un instant, il eut cette envie dérisoire : prendre le vampire dans ses bras pour lui montrer que c'était encore possible... Mais ce geste lui paraissait tellement intrusif.

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– Pourquoi ne pouvez-vous pas, malgré tout, boire le sang d'un autre donneur ? murmura Harry après un long silence. Je comprends ce que Tobias était pour vous, mais est-ce vraiment impossible ?

– La relation entre un calice et son vampire est particulière, répondit-il sans même tourner la tête. Il se crée une sorte d'interaction mutuelle. Je m'adapte au sang de mon calice, et son sang s'adapte à mes besoins : en qualité et en quantité. C'est une sorte de symbiose. Même le goût s'adapte au vampire, à celui auquel il est destiné, et j'espère que Vladimir a trouvé le sang de Tobias particulièrement imbuvable ! Cela ne l'a pas nourri comme cela m'aurait nourri moi, en revanche. Et il n'a certainement pas obtenu autant de puissance qu'il pensait en tirer. Voyez-vous, Tobias était un sorcier... peu puissant mais un sorcier tout de même. Lorsque nous buvons le sang d'un humain, nous y puisons cette énergie particulière qui nous permet de vivre, mais elle est plus importante lorsqu'il s'agit d'un sorcier. Il transmet alors un peu de sa propre magie... C'est pour cela que les vampires de la Coalition sont si désireux d'obtenir un tribut de sang auprès de la population sorcière. Cela leur permettrait de renforcer leur propre puissance...

Harry avait aperçu ça quelque part un jour, dans un rapport que Lucius avait laissé traîner... Pour faire cesser leurs attaques et les meurtres de masse, les vampires de la Coalition réclamaient des droits à leur avantage, mais surtout une sorte d'impôt, de rétribution, constitué de sang, ou mieux encore, de victimes que la population sorcière aurait dû sacrifier.

– Bref. Dans certains cas, le sang d'un donneur peut se révéler plus nocif qu'autre chose pour le vampire. S'il a consommé de l'alcool. Si le vampire est tributaire d'un calice... Si je buvais aujourd'hui le sang d'un humain, au mieux cela ne m'apporterait presque rien, au pire cela serait douloureux... Cela n'a pas grand intérêt.

Le vampire haussa les épaules avec un visage vide de toute expression.

– Et... que se passe-t-il si un vampire cesse de se nourrir ? murmura Harry.

– Notre magie finit par s'épuiser... Le vampire a des périodes de torpeur, qui deviennent de plus en plus nombreuses au fil du temps. Jusqu'à sombrer dans une espèce de sommeil prolongé. Au-delà d'un certain temps – mois ou années – la communauté décide de tuer ce qui reste du vampire en le plongeant dans un bain d'argent liquide. Il existe une salle particulière, au sous-sol de chaque maison communautaire, qui contient une baignoire semblable... Certains vampires, par lassitude, ou après la perte de leur calice, décident d'eux-mêmes de s'y « suicider ». Pour ma part, j'ai encore certaines choses à accomplir pour l'instant...

Harry ouvrit des yeux ronds, légèrement horrifiés.

– Et à vous ? Combien de temps vous reste-t-il ?!

– Il m'arrive déjà d'éprouver de légères difficultés, surtout après m'être servi de ma magie... Quelques semaines. Quelques mois tout au plus...

– On dirait que cela vous indiffère ?! s'étrangla Harry.

– Quoi donc ? De mourir ? Cela ne m'indiffère pas, monsieur Potter... Je le souhaite.

– Mais quand même !

Le sourire du vampire était serein lorsqu'il tourna la tête vers lui, et son regard parfaitement confiant.

– Imaginez-vous vraiment ce que c'est que de vivre pour l'éternité ? Vous avez perdu quelques-uns de vos amis... Imaginez maintenant les perdre tous, les uns après les autres, voir mourir même leurs enfants, leurs petits-enfants, tous ceux que vous connaissez, ceux que vous aimez, vos proches, vos amants... On en vient à ne plus vouloir s'attacher, à ne plus vouloir rien ressentir, parce qu'au bout du chemin, il y a toujours une perte... Aujourd'hui, j'en ai assez. La mort de Tobias n'est que la goutte d'eau de trop...

Harry ne voulait pas l'avouer, mais cette idée de vivre pour l'éternité ne lui plaisait pas beaucoup non plus. Comment pouvait-on ne pas devenir fou à force de monotonie, de jours qui se succèdent inexorablement, inlassables, sans cesse répétés ? Sans jamais vieillir et en voyant les autres mourir autour de soi ? En n'ayant qu'une existence jalonnée de deuils et de chagrin ? Malgré tout, il ne pouvait pas rester sans essayer de le convaincre de... vivre ?

– Mais vous avez encore des choses à faire ! Ce traité d'alliance à mener jusqu'où bout ! La Coalition à détruire ! Vous avez dit vous-même que nous avions le même ennemi ! Vous ne pouvez pas rester sans rien faire ! Vous vous devez au moins de protéger la communauté que vous avez mis tant de temps à bâtir. Vous le devez à Tobias !... Il n'y a vraiment aucun moyen ? Vous ne pouvez pas prendre un autre calice ?

Le vampire émit un claquement de langue presque agacé et crispa les mains sur les accoudoirs de son fauteuil.

– Pour me retrouver lié à quelqu'un pour qui je n'ai pas d'affect, pas de sentiments ?! Il y a certainement des vampires pour qui avoir un calice est aussi plaisant que d'avoir des esclaves. Mais je refuse ce genre d'idée ! Vous semblez ne pas bien comprendre quelle était la relation qui me liait à Tobias... Ce n'était pas qu'un lien de sang ou de subsistance. Tobias était mon compagnon ! N'importe quel vampire peut faire de n'importe quel donneur son calice. Mais lorsque cette union est précédée par une relation sincère, par des sentiments profonds, la magie de ce lien est toute autre. C'est une communion. Tout est décuplé ! Les sentiments, la symbiose, la compréhension de l'autre, le plaisir du don de sang... Même le sexe !

Un rire amer sortit de ses lèvres bleutées puis il baissa la tête.

– Après avoir connu ça, je ne veux rien qui soit ne serait-ce qu'un millième en-dessous. Et personne ne peut me rendre Tobias ! Vivre est une douleur permanente. Mourir ne sera qu'un soulagement... J'ai assez vu, j'ai assez vécu. J'ai eu la plus belle relation de ma trop longue vie et maintenant c'est terminé. Je le savais lorsque j'ai fait de Tobias mon calice... Je savais qu'un jour j'allais le perdre. Parce que même étant un sorcier, même si le calice vit un peu plus longtemps qu'un humain normal, il restait mortel et moi immortel... Ce moment-là est arrivé beaucoup plus tôt que je ne l'espérais... tant pis.

D'un bond, Harry fut debout, devant la cheminée, raide et les deux poings serrés au fond des poches de son pantalon. Cette résignation lui tordait le ventre de colère. Il comprenait le discours du vampire, il comprenait son envie d'abandonner, mais il avait trop lutté lui-même pour admettre de laisser quelqu'un s'incliner ainsi. Il existait toujours quelque chose à quoi se raccrocher. Même après la guerre. Même après la folie. Même après un viol... Même après la mort !

La magie palpitait à même sa peau, des traînées émeraudes lumineuses qui parcouraient ses bras et son torse. Il s'obligea à respirer profondément et à se calmer, mais il mit un long moment avant de se maîtriser suffisamment pour aller se rasseoir dans son fauteuil.

– Qu'est-ce qui vous ennuie tant dans le fait que je meure bientôt, monsieur Potter ? fit le vampire avec un sourire en coin. Il y a vingt-quatre heures, vous ignoriez jusqu'à mon existence et vous souhaitiez de manière viscérale que je ne mette pas un pied dans ce Manoir. Au dîner, vous ne m'avez même pas adressé la parole...

L'amusement était perceptible dans sa voix et Harry comprit parfaitement la pointe d'ironie.

– On a le droit de changer d'avis, bougonna-t-il. Vous avez une mission à accomplir. Vous n'avez pas le droit d'abandonner.

– C'est le genre d'argument qu'on vous a servi autrefois, n'est-ce pas ? sourit le vampire. « Vous êtes l'Élu »... Est-ce que ça fonctionnait vraiment ?!... Ce dont je suis certain, c'est que je ne suis pas l'Élu. Je ne suis qu'un auxiliaire dans ce combat... Et comme on dit, des gens indispensables, il en existe plein les cimetières...

Harry leva vers lui un regard sombre.

– Et si je vous donnais mon sang ? Il ne vous nourrirait peut-être pas directement, mais ma magie est différente de celle des sorciers ordinaires. Plus puissante. Je suis sûr qu'elle pourrait vous aider et vous donner un peu de temps.

Un reflet de lumière brilla une fraction de seconde dans les yeux noirs du vampire puis il détourna la tête. Il avait esquissé un sourire aussi, et Harry n'en aurait pas mis sa main au feu, mais il lui avait semblé apercevoir deux canines plus longues qu'à l'ordinaire.

– Ne proposez pas quelque chose sans savoir à quoi cela vous engage, monsieur Potter... D'autant plus que je doute que la nature de votre lien avec Severus vous permette quoi que ce soit de ce genre. Vous êtes lié à lui presque autant qu'un vampire à son calice.

– Cela ne m'engage à rien puisque vous avez dit vous-même que le don se faisait dans le respect de l'autre. Et Severus serait tout à fait capable de comprendre ce genre de situation.

– Le respect peut-être. Mais je n'ai pas bu depuis longtemps, monsieur Potter ! ricana le vampire. Je ne sais pas si je saurais m'arrêter ! Vous feriez mieux de rejoindre vos amants et d'aller vous coucher.

Harry fronça les sourcils sans trop savoir à quoi s'en tenir. La nuance entre l'ironie et la menace était fine. Peut-être pour mieux le dissuader... Mais dans le regard du vampire, il voyait clairement une lueur d'envie.

Brusquement, il sursauta en percevant une vague d'angoisse dans le lien. Jusque-là silencieux et calme parce que Severus devait dormir, il bouillonnait à présent d'inquiétude et fouillait à la recherche de son esprit. Il ressentait presque un ordre de le rejoindre.

Calmement, Harry se manifesta et tenta de rassurer son amant, aussi bien sur le lieu de sa présence que sur le fait que tout allait bien. Il n'avait pas complètement ouvert son esprit cependant, préférant taire avec qui il se trouvait, et c'était peut-être la raison pour laquelle il vit Severus franchir la porte de la salle de billard trente secondes plus tard.

Les cheveux en bataille, vêtu d'un simple kimono à peine noué à la taille, avec presque la marque de l'oreiller sur le visage, Severus avait quelque chose de très attendrissant. Son regard, en revanche, n'avait rien de tendre, et ses sourcils se froncèrent un peu plus lorsqu'il aperçut le vampire, tranquillement assis dans son fauteuil, les jambes nonchalamment croisées.

Harry se leva et s'avança de quelques pas pour s'interposer entre le vampire et son amant. Il sentait la méfiance de Severus, presque sa colère, et il redoutait que sa réaction puisse être encore plus extrême. Entre son inquiétude et sa jalousie, toutes les conditions étaient réunies pour un éclat de rage.

Il se laissa happer entre les bras possessifs de son amant. Il se laissa tirer en arrière contre son torse. Il laissa son esprit accessible pour ne pas le mettre plus en colère... Et puis la raison de Severus sembla l'emporter sur ses réflexes et il se détendit légèrement.

Il marmonna une parole d'excuse inaudible, puis Harry perçut son embarras dans le lien lorsqu'il réalisa son comportement devant le vampire. Il n'était certainement pas censé tenir dans ses bras et défendre contre une menace imaginaire quelqu'un d'autre que son mari... Mais il était trop tard. Et même si Severus n'en savait rien, le vampire était parfaitement conscient de leur lien.

À son tour, celui-ci se leva de son fauteuil, avec une élégance certaine et un sourire narquois sur les lèvres.

– Il serait tout à fait capable de comprendre la situation, n'est-ce pas ? ricana-t-il. Bonne nuit, monsieur Potter.

.

.

Le vampire disparu dans l'obscurité du couloir, Severus retourna Harry entre ses bras et fouilla son regard d'un air suspicieux. Il n'usait pas de légilimencie mais l'envie n'était pas loin...

– Qu'est-ce qu'il faisait là ? Qu'est-ce que tu faisais là avec lui ?!

– Rien. Je n'arrivais pas à dormir alors je me suis levé pour aller lire un peu. Je l'ai croisé et on a discuté un bon moment... Et on a pris le thé, fit-il avec un geste vers le plateau sur la table basse. Rien d'extraordinaire.

Le regard de Severus hésitait encore entre la suspicion et l'ironie. Rien d'extraordinaire alors qu'il venait de passer plusieurs heures à parler avec un vampire ?! Plusieurs heures au beau milieu de la nuit ?!

– Heureusement que je lui fais à peu près confiance, marmonna Severus en relâchant son étreinte.

– On dirait que c'est à moi que tu ne fais pas confiance, soupira Harry. Allez, viens te recoucher...

Severus passa une main plus tendre dans ses cheveux et son regard s'adoucit légèrement.

– Bien sûr que je te fais confiance... Mais tu sais bien que je suis méfiant par nature. Va rejoindre Lucius, il dort encore... Moi, je vais aller nager.

Harry tourna la tête vers la fenêtre où le jour pointait doucement sur l'horizon. Il était bien plus tard – ou tôt – qu'il ne le pensait. Severus s'était plus ou moins réveillé à son heure habituelle. Lui, en revanche, avait passé la nuit à s'entretenir avec le vampire... Il en était encore sidéré.

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Malgré les premières lueurs du jour, Harry parvint sans peine à s'endormir. Ses pensées tourbillonnaient pourtant dans son esprit, repassant les paroles du vampire dans tous les sens, mais la fatigue l'emporta en quelques minutes.

Il entendit vaguement Severus prendre sa douche puis s'habiller avant de redescendre. Puis ce fut au tour de Lucius de se lever pour aller se préparer pour la journée. Le bruit familier de l'eau qui coule. L'eau qui cesse de couler puis des bruits de frottement. La porte de la salle de bains qui se referme et celle du dressing qui s'ouvre... Puis quelques minutes après, la voix mécontente de son amant.

– Tu pourrais faire l'effort de descendre au petit-déjeuner, tout de même !

Harry grogna et enfouit un peu plus sa tête sous l'oreiller. Bon sang ! Il venait de se coucher ! Il n'allait quand même pas devoir descendre juste pour faire de la figuration, tout ça parce qu'ils avaient un invité ! Avec qui il venait de passer la nuit, soit dit en passant, mais cela, Lucius ne devait pas le savoir.

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Il était si agacé qu'il ne parvenait pas à se rendormir. Il rabattit la couette d'un grand geste, se leva en traînant les pieds, et enfila ses vêtements de la veille. Sa chemise était peut-être un peu froissée mais c'était toujours mieux que de s'afficher torse nu au petit-déjeuner. Une main rapide dans les cheveux en guise de mise en plis et Harry quitta la chambre.

Ce ne fut qu'au milieu de l'escalier en colimaçon, sur la pierre froide, qu'il s'aperçut qu'il était pieds nus. Il en ricana discrètement. Lucius allait en faire une syncope !

À voir le regard glacial qu'il lui jeta à son entrée dans la Salle à Manger, même avec des chaussures, cela n'aurait pas suffi ! Certes... Il avait sans doute les cheveux un peu en bataille... des yeux bouffis avec des cernes bleutés qui n'auraient pas dépareillés sur la peau du vampire... une allure un peu négligée... Et il comptait bien aller se recoucher dès que cette mascarade serait finie !

– Bonjour, fit-il en contournant Lucius.

– Monsieur Potter..., le salua le vampire avec un hochement de tête et un sourire clairement amusé.

Harry se laissa tomber sur sa chaise lourdement, avant de se rendre compte que cela agaçait encore un peu plus son amant. Intérieurement, il haussa les épaules. Lucius s'en remettrait. Il avait fait son « devoir » d'hôte pendant assez longtemps cette nuit pour s'en sentir exempté ce matin.

– La nuit a été courte, monsieur Potter ? s'amusa le vampire.

– Évidemment, quand on n'a pas besoin de dormir et une apparence figée pour l'éternité, on n'a pas ce genre de désagréments ! ronchonna-t-il ouvertement.

Les yeux ronds de Lucius valaient sans doute leur pesant d'or, mais Harry ne les vit même pas et tendit la main pour piocher quelques fruits dans une corbeille à proximité. Le silence était irréel, presque suspendu, et quand il tourna la tête, Lucius était encore bouche bée de sidération. Et puis le rire clair du vampire s'éleva dans la pièce, tandis que ses yeux brillaient au milieu de son visage pâle.

Harry sourit discrètement à son tour. Il avait dû être vraiment bel homme autrefois... Le moindre rire ou sourire illuminait son visage de façon fascinante.

– Certes... Vous me voyez navré de vous avoir causé pareil désagrément. Dans quelques jours, vous pourrez retrouver un sommeil plus tranquille. À moins que vous ne profitiez de vos nuits pour faire autre chose !

– Ce ne serait pas de refus ! gloussa Harry. D'autant que certains sont plus frustrés que d'autres ! ajouta-t-il avec un regard acide vers ses amants.

Severus ricana doucement en saisissant l'allusion, mais Lucius semblait toujours sidéré. De sa façon de parler au vampire, trop libre et familière ? Ou bien du fait qu'il lui parle, tout simplement ?...

Puis, dans un éclair de conscience, Harry songea qu'il avait été trop loin. En répondant, il n'avait pensé qu'à lui, qu'à sa propre petite frustration, mais en face de lui se trouvait le vampire qui faisait face à un deuil, à une perte bien plus grande et surtout définitive... Il blêmit brusquement.

– Pardon ! Je suis désolé !...

Le vampire esquissa un sourire tranquille et leva la main en signe d'apaisement.

– Tout va bien, fit-il avant de tourner la tête vers Lucius. Je pense que nous devrions y aller... Si vous voulez passer rapidement au Ministère avant de rejoindre Bruxelles...

– Oui. Oui, vous avez raison, répondit l'aristocrate en reprenant ses esprits. Je dois voir mon secrétaire avant d'y aller... Mais il me faudra une explication à un moment ou à un autre !

Son regard sévère vint se poser sur Harry tandis que le vampire se levait élégamment avec un sourire moqueur.

Il y eut un temps d'arrêt quand les deux hommes furent debout, une hésitation infime de la part de Lucius. Il posa simplement sa main sur l'épaule de Severus, assis juste à sa droite, et la laissa glisser le long de son bras. Leurs mains se joignirent un instant puis se relâchèrent aussitôt. Se dire au revoir, avec la présence du vampire, même simplement pour la journée, n'était pas un geste aisé. La discrétion était de mise, et la moindre marque d'affection réservée à son mari officiel.

Mais Harry ne l'entendait pas de cette oreille et ne comptait pas faciliter les choses à son amant. Il croisa les bras sur son torse avec une moue faussement boudeuse et réclama :

– Et mon bisou ?!

Après une seconde de sidération générale, le vampire éclata de rire et fit un pas en direction du couloir.

– Je vous attends dans votre bureau...

Il n'en était pas certain, mais les pommettes de Lucius semblaient un peu plus rosées qu'à l'ordinaire, et son attitude relativement embarrassée.

– Mihai ? appela Harry avant que le vampire ne disparaisse.

Le prénom coula sur sa langue avec un sonorité étrange. Inédite. Toute la nuit, pendant leur conversation, il n'avait pas su s'en souvenir... Il n'aurait même pas su l'utiliser. À présent, cela paraissait évident.

– Oui ?

– Merci... Pour votre patience.

– Ce fut un plaisir ! rit le vampire en s'éloignant.

Aussitôt, Lucius se tourna vers lui avec un regard furieux.

– Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?! éclata-t-il tout en parlant à mi-voix. J'exige une explication !

La main de Severus vint retenir sa colère tandis que Harry ricanait doucement.

– Oh ! Ça va... Il est au courant de tout, si c'est ça qui t'inquiète. Il vous a même entendu baiser hier soir dans le Petit Salon ! N'est-ce pas, Mihai ? fit-il un peu plus fort.

Le rire clair du vampire résonna dans le couloir depuis le bureau de Lucius.

– Je t'avais dit de faire moins de bruit, ricana Severus.

Harry pinça les lèvres pour se retenir de rire, autant devant le secours inespéré de son amant, que devant le regard outré de l'aristocrate.

– Je dois partir, fit-il d'un ton sec. Mais on en reparlera ce soir !

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– Ceci dit, moi aussi, j'aimerais bien une explication, dit posément Severus, une fois son mari parti.

– Oh non ! gloussa Harry en abandonnant sa mangue dans son assiette. Pas d'explications ni de discours inutiles ! J'ai bien d'autres idées sur la façon de passer du temps ensemble !

En parlant, il s'était levé, un doigt pointé sur l'épaule de son amant tout en se pressant contre lui de manière suggestive.

– Comme quoi ? ironisa Severus en restant tranquillement assis sur sa chaise.

– Tu sais très bien ce que je veux dire ! Lucius t'a peut-être dignement honoré hier soir, mais moi je n'ai pas eu mon compte depuis un bon moment ! Alors, ouste !

Severus éclata de rire en drapant un bras autour de sa taille pour l'attirer un peu plus près avant de l'embrasser avec avidité.

– Ça peut attendre de monter dans la chambre ou bien tu acceptes l'inconfort de la table du petit-déjeuner ?

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Harry se réveilla un peu plus tard avec un sourire satisfait. Non seulement il avait dormi quelques heures qui lui avaient fait le plus grand bien, mais Severus l'avait aussi dignement honoré. Il avait bien joué un peu à le faire languir jusqu'à ce qu'il supplie... mais ce n'était qu'une façon de réaffirmer sa mainmise et son emprise sur lui. Au final, Harry avait supplié tout en déployant sa magie, et Severus avait craqué. Cela avait été intense. Animal mais aussi très joyeux. Libérateur, en un sens... Et Merlin, qu'est-ce que ça faisait du bien !

Severus était assis dans un fauteuil, près de la fenêtre grande ouverte, les deux pieds posés sur un pouf, en train de lire. Harry percevait la chaleur qui rentrait dans la chambre, en même temps que le chant mélodieux des oiseaux. Il se sentait merveilleusement bien.

– Tu as déjeuné ? dit-il après un coup d'œil vers la pendule. J'ai une faim de loup !

À part du thé et quelques fruits, il n'avait pas avalé grand-chose depuis deux jours, et après leurs ébats endiablés, l'appétit le rattrapait.

– Non, pas encore. J'attendais de voir si tu te réveillais...

Il était pourtant près de quatorze heures... Severus aussi devait avoir faim. Harry rabattit la couette pour se lever et se dirigea vers la salle de bains, sous l'œil attentif et gourmand de son amant.

– Je prends une douche et j'arrive.

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Au final, ce fut Severus qui vint le rejoindre, pas sous la douche, mais dans la salle de bains, debout, les fesses posées contre la vasque du lavabo.

– Alors ? Est-ce que tu vas enfin m'expliquer ce qui s'est passé cette nuit ?

Nu sous le jet d'eau, Harry sourit en finissant de se rincer les cheveux. Severus ne le lâcherait pas tant qu'il n'aurait pas un semblant d'explication, pour lui-même et à transmettre à Lucius.

– Je te l'ai dit ce matin : je me suis levé pour aller chercher mon livre et je l'ai croisé dans la Bibliothèque. Et on a passé un bon moment à discuter...

– Et ça a tout changé au point de te donner des envies lubriques ? ricana Severus.

Harry sourit en se prélassant une minute de plus sous l'eau chaude. Il n'imaginait même pas à quel point !

– Oui, ça a changé beaucoup de choses. Il a pris le temps de m'expliquer... Je crois que j'ai surtout pris le temps de l'écouter. Ou du moins, j'ai pu le faire... Je reconnais qu'il est différent de ce que j'avais pu imaginer.

– Ça t'a au moins permis de te débarrasser de tes inquiétudes... ?

– Oui, fit Harry en attrapant une serviette. En ce qui le concerne, complètement. Je sais que j'ai dû être un peu irrationnel, ces derniers temps...

Severus agrippa son bras d'une main et l'attira contre lui.

– C'était compréhensible, et on ne t'en veut pas du tout. Mais je suis soulagé que ça aille mieux. Je sais que tu n'y es pour rien, mais avec le lien...

Il n'en disait rien mais il avait pris toutes ses angoisses en pleine figure depuis des jours. En plus des siennes propres. Et Severus avait déjà été particulièrement inquiet à la seule idée de lui annoncer que des vampires allaient séjourner au Manoir...

– Je suis désolé que ça ne soit pas plus simple pour toi... Mais si j'étouffe le lien, tu râles aussi ! gloussa Harry.

En riant, il se défaussa des bras de Severus et acheva de s'essuyer et de se frotter les cheveux.

Severus souriait également, les deux mains en arrière appuyées sur le bord de la vasque. Plus détendu que depuis des jours.

– J'étais même étonné que ce matin, commença Harry sur un ton plus sérieux, en nous trouvant ensemble, tu n'aies pas été plus... « jaloux ». Surtout cette semaine.

Le visage de Severus perdit son sourire et redevint plus grave.

– Je l'étais. Mais j'ai surtout été inquiet de ne pas te trouver dans le lit en me réveillant. Quand je t'ai senti en bas, ça m'a rassuré... et puis tu avais l'air serein. Après, bien sûr, te trouver avec lui ne m'a pas fait plaisir.

– Et tu n'as même pas eu besoin de me « posséder » ? gloussa Harry. Tu t'améliores !

Severus grimaça.

– J'ai préféré aller nager, fit-il sourdement. Sinon, je n'aurais pas été très tendre.

Harry lança sa serviette dans le panier de linge sale et vint se presser nu contre son amant.

– Tu sais bien que je t'appartiendrai toujours ! fit-il en riant.

– Tu as intérêt ! gronda Severus avant de lui mettre une claque sur les fesses.

Harry éclata de rire puis sortit de la salle de bains pour aller s'habiller.

– D'ailleurs, à ce sujet, il faut que je te prévienne d'un truc, avant que tu râles... Mais je sais bien que tu vas râler quand même...

– Abrège ! grinça Severus en sortant de la salle de bains.

– … J'ai proposé de lui donner mon sang..., lança Harry de la façon la plus anodine possible.

– Quoi ?!

La silhouette sombre de Severus s'encadra en travers de la porte du dressing, lui barrant le passage. Un masque de colère était plaqué sur son visage où ne luisaient que ses yeux noirs et furieux.

– Qu'est-ce que c'est que cette idée complètement stupide ?! tonna-t-il.

Harry prit les devants et vint se mettre entre les bras de son amant, collé contre son torse tout en levant les yeux vers lui. Il commençait à comprendre comment Severus fonctionnait dans ces moments de crise qui jouaient sur la magie de leur union. Sa colère pouvait être irrationnelle, fulgurante, et il avait immédiatement besoin d'être rassuré sur sa « soumission ». Venir contre lui, ne pas fuir le contact physique, même si les gestes de son amant pouvaient parfois s'avérer brutaux, se laisser pénétrer si Severus en avait besoin... Et ne pas fuir non plus le contact psychique, laisser Severus accéder à son esprit librement, ne pas étouffer le lien... S'offrir corps et âme pour le calmer et laisser retomber la colère. Et discuter ensuite.

Cela ne durait pas longtemps, l'affaire de quelques minutes, mais elles étaient essentielles pour désamorcer le conflit. Harry voyait bien que Severus avait parfois du mal avec cette « soumission » exacerbée, que cela l'agaçait encore plus, mais il préférait s'affirmer à d'autres moments. Il hésitait d'ailleurs de moins en moins à le faire, mais en dehors de ces crises aiguës. Ajouter du conflit sur du conflit ne conduirait Severus qu'à se montrer plus violent pour réaffirmer sa position dans l'union, et ce n'était pas ce qu'ils souhaitaient, ni l'un ni l'autre.

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Quand Severus l'eut empoigné par les épaules et eut tempêté pendant quelques secondes, il se calma brutalement et le serra contre lui pour s'excuser.

Puis il finit par le relâcher et Harry recommença à s'habiller comme si de rien n'était. Et quand il le sentit prêt, il débuta ses explications.

– Écoute... j'ai beaucoup discuté avec lui cette nuit. Vraiment beaucoup. Et... tu sais qui était son compagnon, n'est-ce pas ?

Severus acquiesça sans mot dire.

– Tobias n'était pas seulement son compagnon, mais aussi son calice. Depuis sa mort, il ne peut plus se nourrir. Du tout. Je sais bien que mon sang ne va pas lui apporter grand-chose, mais lorsqu'ils prennent un peu de sang à un sorcier, ils se nourrissent autant de ce sang que de la magie qui va avec... Et c'est surtout cela que je voudrais lui apporter. Tu sais mieux que personne à quel point ma magie n'est pas la même que celle des sorciers ordinaires. Je suis persuadé qu'elle pourrait lui faire beaucoup de bien. Il n'a pas dû se nourrir depuis des semaines ! Il m'a dit lui-même qu'il avait déjà des moments de fatigue et d'absence...

Harry acheva de boutonner sa chemise et se faufila contre Severus pour sortir du dressing. Il l'avait même poussé doucement et son amant s'était laissé faire presque sans grogner.

– Mais Mihai est important dans la situation actuelle... Il doit aller au bout de ces réunions et de ces alliances. Sa place est aussi primordiale que celle de Lucius. Sans lui, il n'est pas certain que les vampires parviennent à s'allier avec nous... Il est essentiel à tout ce processus.

– Ne me fais pas un cours de géopolitique, s'il-te-plaît, grogna Severus.

Harry gloussa en s'asseyant sur le lit pour lacer ses chaussures.

– Ça va... Il n'y a rien de plus à en dire. J'ai proposé de lui donner mon sang parce que je suis persuadé que ça pourrait l'aider. Je sais bien que ça ne va pas te plaire, mais il ne va pas non plus me saigner. Et ça ne remet pas en cause le lien entre nous... Il ne va prendre aucune sorte de pouvoir sur moi, ou quoi que ce soit de ce genre...

– Excepté s'il l'a déjà, grogna Severus.

Harry s'arrêta brusquement et fronça les sourcils en prenant le temps de réfléchir. Le charme des vampires était quelque chose qu'il connaissait mal, mais cela ne lui paraissait pas être le cas. Il avait senti la présence magique de Mihai lors de son arrivée et lors du premier petit-déjeuner, mais pas du tout au cours de la nuit. Il ne se sentait pas influencé d'une quelconque manière. Le vampire avait même été opposé à cette idée de don de sang, presque menaçant pour mieux le dissuader... Bon. Harry avait aussi clairement vu une lueur d'envie et de convoitise dans son regard, mais cela il n'allait pas le dire à Severus.

– Je pense que je le saurais s'il avait usé de son influence sur moi, répondit-il posément. Et surtout que toi, tu le saurais... La magie de notre union ne laisserait rien s'interposer entre nous sans que tu le saches. Quand j'étouffe le lien, tu le sens immédiatement et ça révolte quelque chose en toi. Si c'était une influence extérieure, ton alerte serait encore plus forte parce que ça remettrait en cause ta souveraineté sur moi... Il n'y a pas d'influence. Et si c'est moi qui le propose, avec ce que j'ai vécu, ça devrait te prouver à quel point j'ai confiance en lui, non ?

Severus grogna. Il n'avait sans doute pas grand-chose à répondre à cet argumentaire. Rien d'autre qu'un rejet viscéral, instinctif et méfiant.

– Pourquoi toi ? Il y a plein d'autres sorciers, non, dans sa communauté ? Toi, tu n'as rien à voir là-dedans !

– Parce que ma magie n'est pas la même... Et tu le sais, fit Harry en se levant. Elle est plus à même de soigner, de guérir... Même si aucun sang ne peut sans doute le nourrir correctement depuis la mort de Tobias, la magie, elle, pourrait le faire.

– Il n'y a strictement rien qui me plaise là-dedans ! grogna Severus.

– Tu auras le droit de me baiser autant que tu veux après, si ça peut te rassurer ! gloussa Harry en le prenant par la main pour le traîner vers la porte. Maintenant, dépêche-toi, je meurs de faim !

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Tout l'après-midi, Severus ne fit que ronchonner, quoi qu'il fasse et quoi qu'il dise, mais Harry n'était pas inquiet. Son compagnon avait juste besoin de temps pour se faire à l'idée, de se laisser imprégner par sa proposition, et petit à petit, il en viendrait à réfléchir aux modalités et non pas au fait même qu'il donne son sang. À terme, il n'allait certainement pas accepter de bon cœur, mais il ne s'y opposerait pas. Lui-même avait dit avoir confiance en Mihai...

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Merci à tous de votre lecture et n'hésitez pas à laisser un commentaire pour donner votre sentiment sur cette nouvelle rencontre au sein de l'histoire.

La semaine prochaine, le choc des cultures se poursuivra entre Harry et Mihai, entre confidences douloureuses et fascination mutuelle...

A partir de la semaine prochaine, comme nous serons en décembre, je publierai une nouvelle histoire en parallèle de celle-ci (mais qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre). Ce sera mon petit calendrier de l'Avent personnel en attendant Noël, une romance mais dans un contexte très particulier et Bdsm +++ Avis aux amateurs ^^

Au plaisir

La vieille aux chats